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Au Canada, comme dans la plupart des pays du Nord, les hommes et les femmes qui atteignent aujourd’hui 65 ans peuvent espérer vivre encore une vingtaine d’années. Si la mortalité ne connaissait aucune amélioration au cours des trois prochaines décennies, c’est tout de même plus du tiers des personnes qui atteignent 65 ans aujourd’hui qui fêteront éventuellement leur 90e anniversaire. Si 65 ans a jadis marqué symboliquement l’entrée dans la vieillesse, il apparaît maintenant farfelu d’associer celle-ci à ce même seuil. C’est tout de même autour de cet âge que se prennent des décisions qui auront un impact déterminant sur la dernière partie du parcours de vie des individus, soit leur transition vers la vieillesse.
Il ne fait aucun doute que le passage de la vie active à la retraite représente l’une des décisions les plus marquantes dans la vie tant des individus que des couples. Elle a aussi un impact important sur l’ensemble de la société. En outre, l’arrivée massive des cohortes du baby-boom aux âges les plus souvent associés à la prise de la retraite a de multiples implications dans les sociétés économiquement avancées. Par exemple, la hausse des coûts des systèmes de retraite publics est depuis longtemps appréhendée. Au Canada, des années 1970 au milieu des années 1990, le passage de la vie active à la retraite s’effectuait de plus en plus tôt, alors que l’espérance de vie à 65 ans connaissait une amélioration jamais observée auparavant. La période de retraite s’allongeait ainsi tant à cause d’une retraite de plus en plus précoce que d’un report des décès chez les plus âgés. Dans un tel contexte, les dépenses liées aux régimes de retraite publics étaient appelées à s’accroître, surtout qu’au milieu des années 1990, les plus vieux parmi les baby-boomers venaient à peine de célébrer leur 50e anniversaire de naissance. Ils n’avaient donc pas encore commencé à grossir les rangs des retraités. La tendance laissait donc présager, pour des cohortes de plus en plus nombreuses, une prise de la retraite toujours plus précoce et une durée de la retraite de plus en plus longue. Il n’en fallait pas plus pour remettre en question la viabilité financière des régimes de retraite publics.
Ces tendances caractérisaient une majorité de pays économiquement avancés et furent à l’origine de politiques haussant l’âge donnant droit à des prestations de retraite sans pénalité actuarielle. Outre l’objectif de réduire les coûts des régimes de retraite publics, les politiques qui ont été mises de l’avant avaient pour but de favoriser le maintien en emploi des adultes âgés de 55 ans et plus. On voulait ainsi stimuler la croissance de la main-d’oeuvre et de l’économie dans un contexte de vieillissement de la population. Que ce soit dû aux politiques mises en place depuis les années 1990 ou à un changement dans les attentes et les comportements des travailleurs âgés et des employeurs, la transition de la vie active à la retraite s’est hautement complexifiée au cours des vingt-cinq dernières années. Cette transition prend aujourd’hui plusieurs voies, du retrait complet du marché du travail à la réduction des heures de travail, en passant par le changement d’emploi ou le retour au marché du travail après une première retraite. Pour certains, la transition vers la retraite est volontaire et planifiée, alors que pour d’autres, elle est involontaire et inattendue. Les sujets de recherche sur les thèmes liés à la retraite dans un contexte de vieillissement démographique sont abondants et tendent à démontrer que le concept même de retraite est plus nébuleux qu’il ne l’a jamais été. Quelle que soit la nature de la transition qui mène au retrait définitif du marché du travail, celle-ci marque le passage graduel vers la vieillesse.
Ce passage à la retraite est parfois accompagné d’une autre décision importante dans la vie des individus et des couples qui se préparent à cette éventuelle et inévitable vieillesse : la mobilité résidentielle. Si avant la prise de la retraite la décision de migrer peut être liée à un changement d’emploi, ce n’est évidemment plus le cas chez les nouveaux retraités. Chercher à se rapprocher des enfants, des services de santé, ou encore s’éloigner des grands centres urbains pour retrouver la quiétude d’espaces plus bucoliques font partie des raisons avancées pour expliquer la mobilité résidentielle des adultes âgés. Ici, comme dans le cas de la prise de la retraite, des caractéristiques telles que la situation conjugale, l’état de santé et la capacité financière influenceront la décision de migrer ou non. Bien que le changement de résidence n’accompagne pas systématiquement la prise de la retraite, ces deux événements sont pour plusieurs non seulement les grands marqueurs d’une étape importante de leur vie, mais aussi des déterminants de leur bien-être dans leur transition vers la vieillesse.
Mieux comprendre les raisons qui expliquent ces événements marquants ne peut qu’alimenter notre compréhension de ce qui contribue à une vieillesse plus ou moins réussie. Loin de prétendre répondre à toutes les questions que soulève une réflexion sur le bien-vieillir, ce numéro des Cahiers québécois de démographie se veut une contribution à cette réflexion. Chacun des articles de ce numéro thématique a pour origine le XXe colloque de l’Association internationale des démographes de langue française (AIDELF) qui s’est tenu en août 2018 à Louvain-la-Neuve en Belgique. Sous le thème « Comment vieillissons-nous ? », ce colloque était associé à la 44e édition de la Chaire Quetelet qu’organise chaque année le Centre de recherche en démographie de cette université. Des nombreuses communications présentées lors du colloque, chacune contribuant à sa façon à mieux comprendre la vieillesse, quatre communications qui ont abordé la retraite et la mobilité résidentielle autour de l’âge de la retraite ont été retenues pour le présent numéro des Cahiers québécois de démographie. Chacune de ces transitions fait l’objet de deux articles rédigés dans la foulée de communications présentées lors du colloque[1]. Ces articles offrent des regards croisés sur la situation en Belgique et au Canada en ce qui a trait à la retraite, et en France et en Belgique en ce qui a trait à la mobilité résidentielle autour de l’âge de la retraite.
Dans un contexte de vieillissement de la population, d’enjeux liés au renouvellement de la main-d’oeuvre et de réflexion sur un possible report de l’âge de la retraite, l’article de Dominic Gagnon, Yves Carrière et Yann Décarie aborde la délicate question de la mesure du moment de la prise de la retraite, mais aussi des raisons à l’origine de celle-ci. Bien qu’il ait été démontré que la retraite se prend de plus en plus tardivement au Canada depuis le milieu des années 1990, tant chez les hommes que chez les femmes, plusieurs quittent le marché du travail avant d’atteindre leur 65e anniversaire — âge donnant accès à une rente de retraite sans pénalité actuarielle des régimes de retraite publics canadien et québécois. Si certaines personnes le font volontairement, d’autres sont contraintes de prendre une retraite avant cet âge pour des raisons de santé, à cause d’une perte d’emploi ou d’autres facteurs liés à l’économie, ou encore pour mieux répondre à des responsabilités familiales. La mortalité, bien que de moins en moins souvent, précède parfois cette retraite tant attendue.
Pour mieux comprendre l’effet de ces différentes raisons qui entraînent une retraite avant d’atteindre l’âge de 65 ans, les auteurs proposent l’utilisation d’un indicateur novateur, le nombre d’années potentielles de travail perdues avant 65 ans (APTP65), emprunté à l’arsenal démographique des études sur la mortalité. L’analyse porte sur les données canadiennes et couvre la période allant de 1977 à 2014. Les résultats, standardisés selon l’âge, sont présentés pour les hommes et pour les femmes et décortiqués selon que la raison ayant mené à la prise de la retraite soit volontaire ou involontaire, ou encore due à un décès. Alors qu’au début de la période étudiée, les APTP65 étaient principalement dues à la mortalité chez les hommes et à des retraites involontaires chez les femmes, ce sont les retraites volontaires qui ont le plus contribué à la diminution de l’âge à la retraite jusqu’au milieu des années 1990. On se rappellera notamment des programmes de pré-retraite alors offerts dans les secteurs public et privé qui ont accéléré les mouvements de sortie du marché du travail. Depuis, les APTP65 se réduisent, indiquant un report graduel de la retraite ; les départs volontaires en demeurent la principale raison.
Comme mentionné précédemment, nombreux ont été les pays qui ont modifié les modalités de leur système de retraite public pour répondre à certains défis posés par le vieillissement démographique. Cela est d’autant plus vrai dans les pays où ce vieillissement est jumelé à des taux d’activité relativement faibles chez les 55-64 ans. Avec un taux d’emploi qui était nettement sous les 50 % parmi ce groupe d’âge il y a à peine quelques années, la Belgique représente l’un de ces pays confrontés à un tel défi. Pour tenter d’y répondre, les gouvernements ont adopté des mesures ayant comme objectif de favoriser le maintien en emploi des travailleurs âgés. L’article de Sanderson et Burnay s’intéresse entre autres à l’effet de ces politiques sur les comportements des travailleurs âgés en Belgique. Comme dans l’étude de Gagnon et collab., Sanderson et Burnay s’intéressent d’abord aux raisons qui incitent les travailleurs à prendre une retraite anticipée. On comprend encore une fois que la retraite involontaire joue un rôle relativement important pour plusieurs de ces travailleurs qui ne choisissent pas nécessairement de quitter le marché du travail avant d’atteindre l’âge de 65 ans. La retraite involontaire toucherait, en Belgique, davantage les hommes que les femmes. À la suite de cette première analyse sur le caractère volontaire ou non de la prise de la retraite, les auteurs cherchent à savoir si le bridge employment, pièce maîtresse des récentes réformes en Belgique pour encourager le maintien en emploi des travailleurs âgés, répond aux aspirations des travailleurs. Une enquête qui précédait ces réformes semble indiquer que, bien que parmi les retraités davantage d’hommes que de femmes aient exprimé l’intention d’éventuellement retourner sur le marché du travail, le désir de prolonger sa vie professionnelle en occupant un emploi complémentaire ne soit pas particulièrement populaire. Cette situation pourrait toutefois changer au cours des prochaines années compte tenu de contraintes de plus en plus importantes s’exerçant sur les travailleurs à cause « des mesures d’économie prises sur les pensions et la fragilisation des parcours professionnels ». Finalement, cette étude exploratoire tend à démontrer que les politiques qui favoriseraient l’aménagement du temps de travail pourraient davantage répondre aux aspirations des travailleurs âgés que des politiques qui ne cherchent qu’à prolonger la carrière professionnelle. Tout comme on peut l’observer au Canada et dans plusieurs pays économiquement avancés, le passage de la vie active à la retraite en Belgique s’est complexifié au fil des années, au point où les auteurs soulignent une tendance à la déstandardisation de cette étape de la vie qui mène invariablement à la vieillesse.
Les deux autres articles de ce numéro thématique s’intéressent à la mobilité résidentielle au moment de la retraite. D’abord, l’article de Marc Debuisson, Michel Poulain, Julien Charlier, Isabelle Reginster et Claire Simon présente une étude sur l’importance de la sédentarité et de la mobilité résidentielle autour de l’âge associé à la prise de la retraite en Belgique, plus spécifiquement de la population résidant dans les localités de la Wallonie. Les données utilisées proviennent du Registre national qui centralise informatiquement les registres de population de chaque commune belge. La mobilité fait ici référence tant aux migrations à l’intérieur d’un même quartier que celles qui impliquent un déplacement vers une autre commune de la Belgique ou encore vers l’étranger. Dans un premier temps, les auteurs présentent un indicateur de risque d’émigrer selon l’âge entre 2011 et 2016. On ne se surprend pas à constater que c’est au milieu de la vingtaine que le risque est le plus élevé. Les études, un premier emploi ou la formation d’un nouveau ménage sont évidemment à l’origine de cette mobilité avant la trentaine. Le risque de migrer diminue de façon importante par la suite jusqu’à l’âge de 70 ans où il se stabilise, pour augmenter et atteindre un deuxième sommet autour de 90 ans, souvent pour aller en maison de repos. Bien que ce soit entre 55 et 80 ans que s’observe le plus faible risque de migrer, l’étude des déplacements selon la destination montre toutefois que c’est autour de l’âge de la retraite que, à un âge donné, la proportion d’émigrants vers l’étranger a été la plus élevée entre 2011 et 2016.
Une deuxième partie de l’article de Debuisson et collab. se concentre exclusivement sur la mobilité résidentielle durant cette période parmi les personnes âgées de 55-64 ans en 2011. Près de 15 % de ces dernières ont quitté leur résidence pour s’établir soit dans le même quartier, la même commune, une autre commune wallonne, une autre région de Belgique ou à l’étranger. Les auteurs présentent plusieurs résultats selon que les migrants sont demeurés dans la même commune ou non, en les répartissant selon une typologie qui tient compte, entre autres, du caractère rural/urbain tant de la région de départ que celle d’arrivée. Les résultats présentés permettent entre autres de nuancer ceux d’autres études qui ont montré qu’au début des années 2000, la migration de retraite démontrait un attrait vers les communes touristiques wallonnes et pour la côte belge.
Le dernier article de ce numéro thématique porte sur la France et est un excellent complément à celui de Debuisson et collab. En effet, si ce dernier se concentre exclusivement sur la mesure de la mobilité résidentielle, celui de Sabrina Aouici et Laurent Nowick présente une approche qualitative pour mieux cerner les enjeux de relations et de soutiens associés à la question des déménagements au moment de la retraite en France. On passe ici de la mesure à une meilleure compréhension des facteurs qui incitent à la mobilité. Des résultats de 72 entretiens réalisés auprès de retraités dans le cadre de l’enquête Ancrage et mobilité résidentielle à la retraite (AMARE) en 2016, ils retiennent que les relations aux proches, ascendants ou descendants, sont très souvent au coeur des logiques associées au changement de lieu de résidence. Il s’agit de se rapprocher de ses parents ou de ses enfants et petits-enfants, le choix de l’un pouvant toutefois entraîner un éloignement géographique de l’autre. La question de « la bonne distance » est alors évoquée. Plusieurs éléments en lien avec les aspects financiers, l’adéquation du logement précédent ou encore l’accessibilité aux services sont également mentionnés. Ils sont alors décrits comme de possibles moyens d’anticiper les conséquences du vieillissement. Dans la discussion, les auteurs résument ainsi leurs travaux : « les résultats de notre analyse qualitative montrent que les individus qui avancent en âge mettent prioritairement au centre de leur réflexion l’habitat en tant que lieu d’exercice des sociabilités et des solidarités, ce qui n’exclut pas que le choix du logement se fasse en lien avec des souhaits résidentiels, encadrés par des contraintes budgétaires, tenant compte de ce qui ne convenait pas/plus dans le précédent domicile ». L’approche qualitative utilisée par les auteurs permet de rendre compte de la complexité des mécanismes et des logiques qui sous-tendent le choix de déménager au moment de la retraite.
Appendices
Note
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[1]
Les personnes intéressées par les autres textes rédigés à la suite de ce colloque peuvent consulter le site Web de l’AIDELF (aidelf.org) sous l’onglet Publications.