Abstracts
Résumé
Véhicule de connaissances traditionnelles, les langues autochtones au Sénégal subissent aujourd’hui l’effet combiné des nouvelles configurations familiales et des dynamiques migratoires. Dans l’administration publique et l’enseignement, le français s’est imposé. Partant des quatre derniers recensements généraux de population, cette étude présente l’évolution des caractéristiques démo-linguistiques de la population du Sénégal. L’accent est mis sur une analyse dynamique de la langue maternelle, les questions de transfert ou de substitution au profit d’une langue d’usage et la place du français dans l’univers linguistique national. Ces préoccupations rejoignent la question lancinante de l’introduction des langues africaines à l’école qui constitue encore le noeud gordien du système éducatif sénégalais. Comment évoluent les langues maternelles au Sénégal ? Dans quelles zones ou aires géographiques les enfants perdent-ils la pratique des langues familiales ? Répondre à toutes ces questions nous permettra de dresser l’architecture linguistique qui mettra en valeur, non seulement les langues locales, mais également les parlers nationaux qui faciliteront leur intégration dans le système éducatif.
Abstract
Indigenous languages in Senegal, the vehicles of traditional knowledge, are now experiencing the combined effects of new family configurations and migration dynamics. In the public administration and education sector, French has become a reality. Based on the last four general population censuses, this study aims to present the evolution of the demo-linguistic characteristics of the population of Senegal. The emphasis is on a dynamic analysis of maternal languages, addressing questions about the transfer from or substitution of these in favour of a common working language, and about the place of French in the national linguistic universe. These issues are pertinent to the question still haunting the Senegalese education system concerning the introduction into schooling of local African languages. How are indigenous languages evolving in Senegal ? In which geographical areas do children lose the practice of family languages ? Responding to all these questions will enable us to design a linguistic architecture that will valorize not only local languages but also the national languages that will facilitate their integration into the educational system.
Article body
INTRODUCTION
La langue représente une composante essentielle de l’identité d’un peuple. À l’instar des autres éléments de la culture, les langues constituent des éléments dynamiques en constante mouvance. La coexistence de plusieurs langues dans un même territoire entraine ainsi des transformations pouvant aller jusqu’à l’extinction d’une langue au profit d’une autre.
Au cours des dernières décennies, la question de la préservation des langues autochtones est devenue un enjeu à la fois politique et scientifique. Les statistiques de l’UNESCO (2011) estiment qu’au moins 43 % des 6000 langues parlées dans le monde seraient en danger de disparition. En Afrique subsaharienne, où environ 2000 langues sont parlées, les estimations de l’Atlas de l’UNESCO projettent une probable disparition de 10 % des langues au cours des cent prochaines années. Ces statistiques alarmantes interpellent sur la vitalité des langues autochtones et l’expansion des langues étrangères dans les pays africains.
Au Sénégal, à l’instar des autres pays de la sous-région, l’univers linguistique se caractérise par la coexistence du français avec plusieurs langues autochtones. Dès son indépendance, le Sénégal a opté pour le français comme langue officielle. En 1971, un décret présidentiel[2] reconnaissait six langues avec le statut de « langues nationales » : le wolof, le sereer, le pulaar, le joola, le malinké et le soninké. L’importance de ces langues vernaculaires sera ensuite consacrée par la constitution du 7 janvier 2001 en son 1er Article. La politique linguistique écrite du Sénégal s’assimile dès lors en langues de cultures (langues nationales) et en langue officielle (français) pour les communications internationales. Pour le matérialiser, le pays va poursuivre son effort de codification des langues en passant de dix-neuf en 2001 à vingt et une langues codifiées en 2013.
La problématique des langues au Sénégal s’inscrit également dans le cadre global des transformations sociales et économiques que connait le pays. Au cours des trois dernières décennies, le taux d’urbanisation du Sénégal est passé de 34 % en 1976 à 39 % en 1988 et de 41 % en 2002 à 45 % en 2013 (ANSD, 2014). Au même moment, on assiste à une expansion des moyens de communication de masse tels que la radio et la télévision et plus récemment l’internet. Tous ces changements peuvent avoir un impact sur l’univers linguistique de la population. Même s’il est bien connu que le wolof est la langue dominante du Sénégal, l’évolution de ces interactions avec les autres langues et la progression du français reste un domaine à explorer. Cette situation nous amène à poser la problématique suivante :
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Comment les langues sénégalaises ont-elles évolué au cours des dernières années dans un contexte de mondialisation culturelle et de transformations sociales et économiques ?
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Quelles ont été au cours des 25 dernières années les pratiques linguistiques réelles au Sénégal ?
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La transmission des langues au sein du noyau familial est-elle toujours assurée ?
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Assistons-nous à une déperdition des langues autochtones au profit de la principale langue nationale (wolof) ?
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Entre l’ancrage des langues nationales et l’essor du français, qu’en est-il des régions linguistiques ?
À travers ces différentes questions, le présent article vise à cerner le schéma de la dynamique linguistique et ses variations géographiques au cours des 25 dernières années.
DONNÉES, LIMITES ET MÉTHODES
Au Sénégal, la question des langues parlées est surtout appréhendée à travers l’étude de l’alphabétisation. En effet, l’alphabétisation y joue un rôle majeur en ce sens qu’elle fait l’objet depuis longtemps de programmes spéciaux avec l’introduction des langues nationales dans le système formel d’alphabétisation. C’est par conséquent sur des indicateurs tels que les taux d’alphabétisation ou d’analphabétisme que l’attention est davantage portée. Pour baliser tout l’univers linguistique du pays et les processus de transmission (ou de substitution) en cours, il est capital de s’intéresser plus spécifiquement aux langues parlées et non nécessairement lues et écrites. À ce titre, les données de recensements de population apparaissent plus indiquées pour suivre toute évolution. Avec quatre opérations de recensement réalisées (1976, 1988, 2002 et 2013), le Sénégal a relativement bien suivi les recommandations internationales en vue de renouveler le stock de ces données exhaustives dans les domaines social, économique et démographique, et de fournir des informations liées à des préoccupations nouvelles. À l’examen des 4 questionnaires, on relève que les mêmes questions sur les ethnies ont été systématiquement reprises. Cependant, s’agissant des langues parlées, l’information n’a été collectée qu’à partir du recensement général de la population de 1988.
Dans ces recensements, la question sur la langue était formulée comme suit : Quelle est la 1re langue parlée par (Nom) ? La même question est posée pour la 2e langue. La personne recensée devait indiquer sa première et sa seconde langue parlée. Entre 1976 et 2002, l’inscription se faisait sur un questionnaire papier en toutes lettres. En 2013, l’utilisation d’un ordinateur de poche, le Personal Digital Assistant (PDA), comme support de collecte a permis l’intégration d’une liste des principales langues parlées dans le pays dans une application informatique. Les langues qui ne figuraient pas sur la liste étaient saisies en toutes lettres par l’agent recenseur. Les questionnaires comportaient la consigne suivante : pour les enfants qui ne savent pas encore parler, on indique la langue de leur mère aussi bien en première qu’en 2e langue.
Les résultats obtenus sur la base du Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) de 1988 sont basés sur le dixième de la base globale. Pour les recensements de 2002 et 2013, les analyses reposent sur la base entière obtenue à la suite du recensement.
Cette structuration de la question conduit les personnes plurilingues à choisir deux langues. Pour les polyglottes à plus de deux langues, cela conduit à effectuer un choix qui peut consister à opter pour une langue différente de la langue maternelle même si elle est parlée. Il peut ainsi arriver qu’une personne multilingue déclare une langue différente d’un recensement à l’autre, en partie indépendamment de ses compétences linguistiques réelles.
Au cours des opérations de dénombrement, les informations sur les membres du ménage sont fournies par le chef de ménage ou un adulte membre du ménage pouvant répondre aux questions. Ainsi, les déclarations sur les langues parlées ont été obtenues à partir de l’entretien avec le chef de ménage ou le membre du ménage désigné comme répondant.
Même si ces considérations peuvent introduire des biais liés à la source de donnée utilisée, il est indéniable que l’étude apportera des informations capitales sur la connaissance des langues parlées au Sénégal. Elle permettra en particulier de dresser un état des lieux des langues nationales parlées dans le pays, mais également de l’évolution du français, la langue officielle. Elle sera également approchée par le biais de la palette de langues parlées et de leurs locuteurs, à travers une dimension diachronique couvrant les 25 dernières années. Ce plurilinguisme, qui caractérise le Sénégal, est analysé à trois niveaux : national, zone de résidence (urbain/rural) et région linguistique.
RÉSULTATS
La configuration des différentes communautés linguistiques au Sénégal est marquée par la coexistence d’un plurilinguisme résistant aux tendances d’uniformisation des cultures. Dans le cadre de la classification de Greenberg (1966), les langues sénégalaises appartiennent à la famille Nongo Kordofanienne et sont logées dans le groupe du Niger/Congo. Ces langues sont caractérisées par des similitudes mais également des variations dialectales selon l’appartenance ethnique ou la zone géographique de résidence. Dans le cadre de cette étude, l’analyse se concentrera sur les six langues nationales codifiées depuis 1971 et le français. Il s’agit du wolof, du pulaar, du sérère, du diola, du mandingue et du soninké. Les autres langues seront regroupées en une catégorie.
Poids démographique des groupes linguistiques
Évolution des langues parlées entre 1988 et 2013
Le graphique ci-dessous présente l’évolution du poids démographique des différentes langues entre 1988 et 2013. Au cours de cette période, on note des changements non négligeables dans la répartition des locuteurs des principales langues nationales et du français (Graphique 1). Cependant, la prédominance du wolof apparaît comme une constante au fil du temps. Globalement, le wolof était déjà parlé par 70 % de la population du Sénégal en 1988 et ce niveau a été maintenu en 2002. Cependant, au cours de la période récente, la part de la population s’exprimant en wolof (comme première ou deuxième langue) a augmenté de près de 7 points de pourcentage (76,6 %).
À côté du wolof, on retrouve par ordre d’importance, le pulaar et le sérère avec respectivement 26 % et 13,5 % de locuteurs en 2013. Contrairement au pulaar qui a connu une légère croissance sur la période observée, les proportions de locuteurs des principales langues du Sénégal ont plutôt connu une évolution non linéaire avec de faibles variations au cours de la période 1988-2013.
Entre 2002 et 2013, exception faite du wolof, le français est la langue ayant fait le plus de progrès avec une différence positive de 3,6 points de pourcentage par rapport à 2002.
Évolution des 1re et 2e langues parlées entre 1988 et 2013
La présente section s’intéresse à l’évolution des premières (graphique 2) et deuxièmes (graphique 3) langues parlées entre 1988 et 2013 par la population sénégalaise. En 1988, près d’un sénégalais sur deux (48 %) parlait le wolof comme première langue. Les niveaux observés en 2002 (50,3 %) et 2013 (49,3 %) restent à un locuteur sur deux au plan national. Sur la période 1988-2002, la part de la population utilisant le wolof comme première langue s’est accrue d’un point de pourcentage. Ces résultats montrent que le wolof, en tant que première langue, n’a pas connu de variations importantes de la proportion de locuteurs. En outre, l’augmentation du poids démographique du wolof souligné ci-dessus s’explique davantage par une augmentation de l’utilisation de celle-ci comme deuxième langue de communication. En effet, entre 1988 et 2013, la part de la population utilisant le wolof comme deuxième langue est passée de 22 % à 27,3 % soit une augmentation 5,3 points de pourcentage.
S’agissant du pulaar, on observe une tendance similaire avec une augmentation plus ou moins constante entre les deux périodes (Graphique 2). L’augmentation de la proportion des personnes parlant le pulaar comme première langue pourrait être liée à une forte immigration d’individus appartenant au même groupe ethnique. Bien que la part des locuteurs utilisant prioritairement cette langue a légèrement augmenté, le parler de cette langue en tant que deuxième moyen de communication a diminué de moitié, passant de 4,5 % à 2,1 % entre 1988 et 2002. En 2013, cette proportion est estimée à 3,6 % (Graphique 3).
À côté de ces langues qui enregistrent une croissance de la part de locuteurs les utilisant prioritairement, on note une baisse de la part de la population qui utilise le diola et le sérère comme première langue. En effet, dans l’ensemble, la proportion des résidents parlant diola comme première langue est passée de 5 % à 3,5 % alors que celle des sérères est passée de 12,6 % à 11,1 %. À l’opposé, on note une très légère augmentation de la proportion des résidents utilisant ces deux langues comme deuxième moyen de communication.
Bien que le français soit la langue officielle du pays, elle est faiblement utilisée comme première langue avec moins d’un pourcent de la population (0,6 %). Cependant, entre 2002 et 2013, la part de la population sénégalaise utilisant le français comme deuxième langue a augmenté de près de 3,5 points de pourcentage, passant de 8,5 % à 12 %.
À la lumière de cette analyse diachronique, il apparaît que l’univers linguistique sénégalais est principalement marqué par la prédominance et l’expansion progressive du wolof. À côté de cette langue omniprésente, on retrouve le pulaar et le sérère qui connaissent une dynamique globale constante malgré une diminution des locuteurs en première langue (pour le sérère). L’expansion du français comme deuxième langue et la suprématie du wolof n’empêchent pas pour autant la survie des langues minoritaires telles que le diola, le mandingue et le soninké.
Pour une meilleure compréhension de la dynamique linguistique du pays, il convient d’examiner l’évolution des locuteurs par langues selon la région de résidence.
Dynamique linguistique et répartition spatiale
Comme l’indique Thiam (2008), « La spécificité linguistique du Sénégal se lit à la lumière de l’histoire politique du pays ». En effet, si on se réfère aux royaumes, on note une forte corrélation entre l’occupation de l’espace et les langues traditionnelles : le royaume wolof au centre ouest ; les peuls à la vallée du fleuve au nord ; les sérères à la petite côte ; les diolas au sud-ouest ; les soninkés à l’Est et les malinkés au sud-est.
La question qui se pose est alors celle de savoir si l’intensification de la migration interne a conduit à une reconfiguration de la répartition spatiale des langues locales.
L’examen des données permet de situer les principales régions linguistiques du Sénégal et d’évaluer le poids démographique de chaque langue par région de résidence. En outre, les graphiques ci-dessous permettent d’apprécier la répartition des locuteurs par langue selon la région de résidence.
Poids démographique des langues par région
L’importance du wolof dans l’univers linguistique du pays n’est pas un fait nouveau. Déjà, en 1988, plus de 50 % de la population des régions de Dakar, Thiès, Diourbel et Kaolack utilisait principalement cette langue pour communiquer. La dynamique observée au cours des 25 dernières années renvoie à une tendance à la baisse du poids démographique des locuteurs wolofs au sein des régions de Saint-Louis et Fatick. Au même moment, on observe une augmentation de la part de la population de la région de Louga utilisant le wolof comme première langue. Par ailleurs, les cartes ci-dessous mettent en évidence l’expansion du wolof au cours de la période récente (2002-2013) notamment dans les régions de Ziguinchor, Fatick et Saint-Louis. Dans l’ensemble, l’analyse spatiale à l’échelle régionale met en évidence la force du wolof dans les régions les plus peuplées du pays (Dakar, Thiès et Diourbel).
La langue pulaar se situe principalement dans les régions de Saint-Louis, Tambacounda et Kolda. Entre 1988 et 2002, l’importance relative des locuteurs pulaars dans la région de Louga a diminué. Cependant, entre 2002 et 2013, le poids démographique des locuteurs pulaars a augmenté dans la région de Tambacounda.
Les Sérères, situés traditionnellement au niveau de la région de Fatick, se sont progressivement installés dans les régions de Thiès et Kaolack. Comme illustré sur les cartes ci-dessous, entre 1988 et 2002, la proportion de la population parlant sérère dans la région de Thiès est passée de 3 % en 1988 à 23 % en 2013.
À côté de ces trois principales langues marquées par leur dynamisme et leur expansion territoriale, on note une forte concentration du diola (à Ziguinchor) et du mandingue (Tambacounda et Kolda). Toujours en termes de poids démographiques par région, la langue française reste concentrée dans les régions Sud et Sud-est (Ziguinchor, Kolda et Tambacounda) et au niveau de la capitale du pays (Dakar). L’importance grandissante du français dans ces régions où le poids démographique des locuteurs wolofs est assez faible, à l’exception de Dakar, pourrait rendre compte de l’adoption de cette langue par la population locale comme moyen de communication entre les groupes linguistiques. Comme le faisait remarquer Niang (2010), « on observe que là où le français est plus couramment parlé, soit dans les régions de Saint-Louis et de Ziguinchor, le wolof, bien qu’en progression, occupe une place moins importante ». Par ailleurs, le caractère frontalier de ces trois régions peut être un facteur favorisant l’utilisation d’une langue internationale comme le français.
Dans le contexte de la région de Dakar, l’importance de l’immigration internationale et le statut géopolitique de la région contribuent à une forte présence d’une communauté expatriée. Cette situation favorise l’utilisation du français comme moyen de communication.
Répartition des locuteurs par langue selon la région
L’analyse de la répartition de la population par langue parlée selon la région de résidence permet de mettre en évidence les zones de concentrations des locuteurs d’une langue donnée. Cette analyse vient en complément de l’analyse intra régionale pour mieux circonscrire les foyers linguistiques et étudier leur évolution.
Le sérère
La société sérère a eu des contacts très anciens avec les ethnies Toucouleur et Wolof. Par ailleurs, les chroniques les rattachent également au monde mandingue.
En 1988, les locuteurs sérères se retrouvaient principalement dans les régions de Fatick, Thiès, Diourbel et Dakar. Sous l’impulsion probable de la migration, on note une diminution constante de la part des locuteurs sérères résidant à Fatick au profit d’une augmentation des locuteurs dans la région de Dakar et Diourbel. L’attractivité de l’agglomération de Dakar et de Touba (ville religieuse située dans la région de Diourbel) pourrait servir d’explication à ce déplacement progressif des foyers linguistiques sérères.
Le diola
Traditionnellement l’ethnie Diola se situe dans la région naturelle de la Casamance au sud du pays. La série des RGPH permet d’observer l’évolution de la répartition des locuteurs diolas selon la région de résidence. En 1988, 80 % des locuteurs diolas vivaient dans les régions sud de Ziguinchor et Kolda. Outre ces deux régions, Dakar abritait la deuxième proportion la plus importante de personnes utilisant le diola comme première langue avec 17 % d’entre elles.
Entre 1988 et 2002, on note une augmentation de la proportion des locuteurs diolas vivant à Dakar au détriment de ceux vivant dans les régions Sud. Cette tendance se confirme également entre 2002 et 2013.
Le wolof
Les Wolofs se retrouvent principalement dans les régions de Dakar, Thiès, Kaolack et Diourbel. Au cours des 25 dernières années, la proportion des locuteurs wolofs se trouvant dans la région de Dakar n’a pas connu une augmentation considérable (Graphique 4). Par contre, la part des résidents s’exprimant premièrement en Wolof et résidant à Diourbel s’est considérablement accrue.
Le pulaar
Bien que majoritairement parlée dans la région de Saint-Louis, la langue pulaar se caractérise par une faible concentration géographique. La société halpulaar, considérée comme étant très conservatrice, est profondément marquée par la religion et son histoire est liée aux nombreuses guerres d’expansion de l’Islam dans le pays. En outre, une importante frange de la communauté halpulaar, notamment les éleveurs, se particularise par un mode de vie nomade.
Les locuteurs pulaars sont relativement bien représentés dans les différentes régions du Sénégal à l’exception de Ziguinchor, Diourbel et Fatick (Graphique 4). La part des locuteurs pulaars résidant dans la région de Kolda connait une stagnation au cours des 25 dernières années alors que la proportion des personnes parlant pulaar et qui vivent à Saint-Louis a plutôt connu une augmentation.
Le mandé
Le groupe mandé est ici constitué des locuteurs du mandingue et du soninké. Le mandé représente une vaste aire dialectale qui s’étend au-delà des frontières sénégalaises. En 1988, les locuteurs mandés se retrouvaient principalement dans les régions de Kolda (38,7 %), Tambacounda (26,7 %) et Ziguinchor (11,7 %) et, dans une moindre mesure, à Dakar (11 %). L’évolution de la répartition spatiale des locuteurs mandés apparaît plutôt erratique. Cependant, une tendance constante semble se dégager avec l’augmentation des locuteurs vivant dans la région de Tambacounda au détriment des régions Sud.
Le français
L’utilisation du français en tant que première langue de communication est très faible au Sénégal. L’analyse de la répartition spatiale des locuteurs français éclaire davantage sur cette question. En effet, en 2002, les personnes qui utilisaient le français comme première langue se retrouvaient majoritairement dans les régions de Dakar (83 %), Thiès (5 %) et Saint-Louis (4 %).
La région de Dakar, en tant que capitale du pays, accueille nécessairement beaucoup d’expatriés qui utilisent la langue officielle du pays comme canal de communication. De même, l’ancienneté de la ville de Saint-Louis pourrait rendre compte de la présence d’une communauté francophone relativement importante.
L’importance relative des francophones dans la région de Thiès pourrait résulter d’une immigration vers la station balnéaire de Mbour, zone particulièrement réputée pour son attractivité touristique.
Transmission des langues au sein du noyau familial
La famille constitue le cadre de socialisation par excellence au sein duquel se forgent les caractéristiques identitaires de l’individu. Dans cette dynamique, la langue occupe une place primordiale en tant que facteur et résultat d’un processus de socialisation. Le contexte des sociétés contemporaines est marqué par une diversification des cadres de socialisation. Au groupe clanique ou ethnique traditionnel caractérisé par une forte cohésion socioculturelle, se substituent de nouveaux cadres d’interactions sociales où interviennent des individus d’horizons linguistiques divers. Le phénomène de scolarisation, l’organisation du cadre de vie en milieu urbain, appellent à une ouverture culturelle par rapport aux acquis linguistiques familiaux. Dans ce dernier cadre, le milieu de transmission d’une langue joue un très grand rôle dans la transmission d’une langue (Leconte, 2001 ; Messina, 2013). Sous ce rapport, il convient de s’interroger sur la dynamique de transmission des langues au sein de la famille (Tableau 1). Pour ce faire, nous avons tenté d’analyser les différences entre les langues déclarées par le chef de ménages par rapport aux autres membres du ménage.
L’exploitation des données issues du RGPH de 1988 indique qu’il y avait très peu de différences s’agissant de la première langue parlée au sein de la famille nucléaire. Dans l’ensemble, 1 % des conjoints et 2 % des enfants recensés parlaient une première langue différente de celle du chef de ménage. En outre, à l’échelle de la famille élargie, les différences de langues s’observaient principalement chez les neveux et nièces du chef de ménages et, dans une moindre mesure, avec les gendres et brus.
S’agissant de la deuxième langue parlée, 8,2 % des enfants utilisaient une langue différente de celle du chef de ménage. Les différences de langues entre le chef de ménage et son conjoint demeurent relativement rares (à peine plus de 2 %). Au niveau de la famille élargie, cette proportion est plus élevée chez les gendres et brus (16,7 %), les parents (14,8 %) et les neveux et nièces (14,6 %).
Entre 1988 et 2002, on note une augmentation des différences linguistiques au sein des ménages. La proportion des conjoints utilisant une première langue différente de celle du chef de ménage passe de moins 1 % à 5,2 %. De même, la part d’enfants dont la première langue diffère de celle du chef de ménage va doubler au cours de la période (1,9 % à 4,3 %).
Ces différences se font sentir davantage s’agissant de la deuxième langue parlée. En 2002, 14,6 % des conjoints parlent une deuxième langue différente de celle du chef de ménage alors que chez les enfants, cette proportion atteint 13,3 %. L’analyse de la transmission linguistique entre le chef de ménage et ses parents montre l’importance des différences linguistiques entre générations en ce qui concerne la deuxième langue parlée.
Cette dynamique de différenciation linguistique, ou de recomposition linguistique, au sein des structures familiales se maintient au cours de la période récente. L’analyse des données du recensement de 2013, par comparaison aux résultats du recensement de 2002, montre une nette progression de la part des locuteurs utilisant une première ou une deuxième langue différente de celle du chef de ménage. Ainsi, en considérant le noyau familial (père-mère-enfant) il apparaît que 8,5 % des conjoints et 7,1 % des enfants utilisent prioritairement une langue différente de celle du chef de ménage, et un peu plus du quart des conjoints utilisent une deuxième langue différente de celle de ce dernier.
Mesure de l’érosion des langues maternelles
Dans un contexte de mondialisation économique et culturelle et face à l’expansion des nouvelles technologies de l’information et de la communication, on assiste à une uniformisation progressive des cultures. La langue, en tant que composante fondamentale de l’identité culturelle, se situe au coeur de ce processus.
Au Sénégal, l’érosion des langues maternelles affecte principalement les ethnies minoritaires. Outre le français, la proportion des enfants utilisant une première langue différente de celle du chef de ménage (père/mère) est plus élevée chez les autres ethnies où elle dépasse 20 % quelle que soit la période considérée. Parmi les enfants soninkés, respectivement 18 % et 13,5 % d’entre eux utilisaient une autre langue en 2002 et 2013. Au niveau des principales langues parlées, l’importance de l’érosion des langues maternelles semble être corrélée à leurs caractéristiques démographiques. À ce titre, le poids démographique et l’intensité des mouvements migratoires apparaissent comme des variables déterminantes. Ainsi, les langues les plus affectées sont, par ordre d’importance, le diola, le sérère, le mandingue, le pulaar et le wolof.
Le niveau de conservation des langues au sein du noyau familial varie sensiblement d’une langue à une autre. Chez les Diolas, la proportion des enfants utilisant la même langue que le chef de ménage est de 86 %. Ce pourcentage est plus élevé chez les Wolofs, les Pulaars et les Sérères avec respectivement 96 %, 92 % et 89 %. L’érosion des langues s’accompagne d’une expansion du wolof et, dans une moindre mesure, du pulaar.
Quelle que soit la langue considérée, on note, entre 2002 et 2013, une diminution de la proportion d’enfants s’exprimant dans une langue différente de celle du chef de ménage. À défaut d’un processus d’affirmation identitaire, cette baisse pourrait résulter d’un effet de cohorte. Malgré le fait que le français soit la langue officielle du pays et celle utilisée dans l’enseignement, sa transmission au sein du noyau familial reste relativement faible par comparaison aux langues autochtones. Cette situation est d’autant plus particulière au regard de l’histoire du pays et de son héritage colonial. Le Sénégal fut la première colonie française d’Afrique de l’Ouest avec la fondation de la ville de Saint-Louis (située au nord du Sénégal) en 1659. La politique coloniale qui a été appliquée se caractérise par une volonté d’assimilation culturelle et linguistique. En dépit de cette politique, le français reste marginal notamment par rapport au wolof. La force sociale de cette langue réside dans le fait qu’elle s’est toujours imposée comme étant la langue des affaires dans les grandes agglomérations. De même, son utilisation dans l’enseignement religieux, notamment pour la confrérie mouride, constitue un facteur de résilience face aux langues étrangères.
DISCUSSION DES RÉSULTATS
Le paysage linguistique sénégalais est caractérisé par la coexistence de plusieurs langues locales avec le français comme principale langue étrangère. La domination du wolof par rapport aux autres langues n’est pas un fait nouveau (DALPN, 2002). Elle résulte d’un ancrage historique perceptible à travers la prédominance de cette langue dans la moitié des régions du pays depuis 1988. La dynamique linguistique au cours des 25 dernières années au Sénégal s’exprime à deux niveaux :
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Le premier niveau est celui de la langue maternelle. Sur ce point les changements sont relativement faibles pour les principales langues du Sénégal. Que ce soit le wolof, le sérère ou le pulaar, le poids démographique des locuteurs n’a pas connu un changement significatif au cours de la période d’observation.
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Le second niveau est celui de l’adoption d’une deuxième langue. Dans un contexte de mobilité croissante des individus et d’intensification du brassage culturel, la nécessité de maîtriser plus d’une langue se fait de plus en plus sentir. Dans ces conditions, la connaissance des « langues dominantes » devient un impératif à l’intégration sociale des individus. Par ailleurs, l’analyse des migrations internes au Sénégal fait ressortir l’attractivité des régions de Dakar, Diourbel et Thiès par comparaison aux autres régions du pays (ANSD, 2014). Les résultats du recensement de la population de 2013 montrent que les régions de Dakar, de Diourbel et de Thiès ont accueilli la majeure partie de ces flux migratoires au cours des cinq années précédant le dénombrement avec respectivement 41,8 %, 15,5 % et 12,9 %. Ces régions étant à dominance wolof, on peut s’attendre à ce que les migrants aillent adopter cette langue comme deuxième langue de communication.
L’analyse de la transmission des langues au sein du noyau familial fait montre d’un taux d’érosion variant selon la langue considérée. La conclusion principale qui se dégage de cette analyse est l’existence d’une relation entre la vitalité linguistique et les variables démographiques. Ces dernières sont relatives au nombre de locuteurs d’une langue donnée, à leur densité à l’intérieur d’une région donnée et à la dynamique migratoire qui les caractérise.
L’hypothèse d’une érosion des langues nationales au profit du wolof n’est pas confirmée au regard des résultats de la série des recensements. Bien que la langue wolof soit prédominante, son expansion est principalement liée à son utilisation en tant que deuxième langue. Cependant, l’analyse de la transmission des langues au sein du noyau familial présage une augmentation des locuteurs wolofs par rapport aux autres langues dans les générations futures.
La percée de la langue française est aussi à relever alors qu’elle se répand en tant que seconde langue. Cela apparaît compréhensible puisqu’elle est très souvent le résultat de son ancrage dans le système éducatif au sein duquel elle occupe une place centrale en Afrique francophone (Konaté et collab. 2010).
La faible utilisation du français comme première langue au Sénégal pourrait résulter de ce que certains auteurs appellent la « surévaluation du français ». Comme l’indique Michelle Auzanneau (2006), au Sénégal
Le « français correct » est défini selon des critères de normativité. (…) ce français « respecte les règles grammaticales » établies par « l’Académie française ». Son apprentissage, sauf exception, ne pourrait se faire qu’en contexte scolaire. Son usage serait principalement celui des « français » et, au Sénégal, des « autorités politiques, administratives et éducatives ». Il serait réservé aux situations formelles, en particulier officielles.
Une telle conception de la langue française limite considérablement son utilisation dans la vie courante.
En tant que composante de la culture, les langues sont également appelées à évoluer dans leur contenu. À ce titre, l’association du français et du wolof est un exemple pertinent de ce qu’on pourrait appeler le « syncrétisme linguistique ». Selon Ndiassé Thiam (1994) cité par Michelle Auzanneau (2006), dans le contexte de Dakar, l’association du français et du wolof dans les discours permet de réaliser un compromis entre le désir de se faire valoir socialement par l’usage du français et celui de manifester son attachement à la culture traditionnelle.
Dans l’ensemble, on note une forte résilience des langues nationales au Sénégal malgré leur mise en marge du système éducatif formel. Cependant, l’expansion du wolof et du français comme deuxième langue suscite des interrogations sur l’avenir des langues minoritaires.
Appendices
Annexes
Annexe 1. Répartition (%) de la population du Sénégal selon la langue parlée entre 1988 et 2013
Annexe 2. Répartition (%) de la population du Sénégal selon la langue parlée et la région de résidence en 1988
Annexe 3. Répartition (%) de la population du Sénégal selon la langue parlée et la région de résidence en 2002
Annexe 4. Répartition (%) de la population du Sénégal selon la langue parlée et la région de résidence en 2013
Notes
Bibliographie
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