Abstracts
Résumé
À la base de ce texte se trouve une question très simple : combien d’enfants partagent leur temps de façon plus ou moins égale entre la résidence de leur mère et celle de leur père à la suite de la séparation de ceux-ci ? Après une description des nombreux enjeux liés à la mesure des arrangements résidentiels des enfants, une analyse critique des différentes sources de données disponibles aux niveaux québécois et canadien permet de constater le caractère fragmentaire de nos connaissances actuelles sur le sujet. Au final, la réponse apportée reste équivoque. D’un point de vue relatif, on peut affirmer sans trop de risques de se tromper que le nombre d’enfants en double résidence a augmenté rapidement au cours des deux dernières décennies, et davantage au Québec que dans le reste du Canada. Concernant les niveaux absolus, cependant, beaucoup d’incertitude demeure puisque les chiffres produits par les diverses sources concordent rarement. L’intégration de données d’enquête et de données administratives sera probablement nécessaire afin d’apporter une réponse plus solide.
Abstract
A simple question lies at the root of this article : How many children share their time more or less equally between the residence of their mother and that of their father following the separation of their parents ? After a description of the many issues related to the measurement of children’s residential arrangements, a critical analysis of the different data sources available at the Québécois and Canadian levels reveals the fragmentary nature of our current knowledge. In the end, the answer provided remains equivocal. From a relative point of view, it can be safely asserted that the number of dual-residence children has increased rapidly over the past two decades, and more so in Quebec than in the rest of Canada. With respect to absolute levels, however, much uncertainty remains as the figures produced by the various sources rarely match. The integration of survey and administrative data is likely to be necessary in order to provide a more robust answer.
Article body
INTRODUCTION
Plusieurs enfants — presque la moitié dans les cohortes les plus récentes — n’habiteront pas avec leurs deux parents durant toute leur enfance. Si certains d’entre eux naissent directement à l’extérieur d’une union, la plupart commencent leur vie entourés de leurs deux parents, mais connaissent une séparation parentale par la suite. Les orphelins d’un parent, autrefois nombreux, ne constituent plus qu’une part négligeable de ce groupe (Denis et collab. 1994). Au moment de la séparation ou d’une naissance hors union se pose la question du lieu de résidence principal de l’enfant. Jusqu’à la fin des années 1970, cette question était presque toujours répondue au singulier : l’enfant allait vivre soit avec sa mère, soit avec son père, dans la plupart des cas avec la première. Depuis, elle peut l’être au pluriel : plusieurs ex-conjoints se partagent maintenant le temps de résidence de leurs enfants communs à parts plus ou moins égales. La diffusion sociale de la double résidence des enfants, plus communément désignée par les expressions garde partagée au Québec ou résidence alternée en France, s’observe dans la plupart des pays développés, quoiqu’à des rythmes variés. Elle a par endroit été accompagnée de changements législatifs tentant tour à tour de la restreindre ou de l’encourager (voir Neyrand, 2005, pour le cas français), mais elle a aussi pu se faire, comme au Québec, sans aucune modification aux lois existantes. On peut donc considérer qu’il s’agit d’un courant de fond qui répond aux désirs d’un nombre grandissant de parents de bâtir et de maintenir des relations mère-enfant et père-enfant plus symétriques, même par delà la rupture conjugale.
Plus qu’une option supplémentaire, la double résidence représente une véritable révolution dans la parentalité contemporaine. Pour les parents, il s’agit de poursuivre une relation de coparentalité avec un(e) ex-conjoint(e) là où les ponts auraient probablement été plus franchement coupés auparavant. Pour les enfants, il s’agit entre autres d’éviter la perte d’une relation intime avec un des parents au prix d’une alternance résidentielle potentiellement contraignante. Sur le plan de la recherche en démographie de la famille, enfin, il s’agit de s’interroger sur la capacité des sources actuelles à assurer, d’une part, un décompte exact de la population d’enfants et, d’autre part, une représentation la plus fidèle possible de leur réalité.
Combien d’enfants partagent leur temps entre deux résidences principales au Québec et au Canada ? Tenter de répondre à cette question n’est pas une entreprise méthodologiquement simple. L’une de ses difficultés principales tient au fait que le système statistique officiel limite habituellement la définition de la famille aux membres d’un même ménage (voir par exemple Lapierre-Adamcyk et collab. 2009). Or, comme d’autres enjeux familiaux[1], les relations parent-enfant après une séparation transcendent les frontières du logement et sont donc mal mesurées par les outils de collecte traditionnels.
Le recensement canadien, par exemple, demande aux parents d’enfants en double résidence de les inscrire exclusivement dans le ménage où ils se trouvent la journée du recensement. Les enquêtes sur la couverture du recensement, qui cherchent à limiter les biais engendrés par le sous- et le surdénombrement, permettent toutefois de constater que cette consigne n’est pas toujours respectée. On estime qu’au recensement de 2011 les enfants de parents séparés représentaient 29 % des cas de surdénombrement impliquant deux ménages différents, ce qui correspond à environ 88 000 enfants comptés comme faisant partie du ménage de leur mère et de celui de leur père (Dasylva et collab. 2014)[2]. Ces doubles comptes représentent une nuisance pour la finalité comptable du recensement et les estimations de la population intègrent une correction appropriée.
Cependant, en forçant les relations familiales des enfants de parents séparés dans le moule du ménage unique, le recensement rejette inévitablement tout un pan de leur réalité. Pour tenter d’accéder à cette dernière et d’en offrir une représentation statistique convenable, on devra donc avoir recours à d’autres sources d’information : des enquêtes, des dossiers administratifs ou des données judiciaires. Si plusieurs chiffres tirés de ce genre de sources sont cités dans la littérature sur la garde des enfants, ceux-ci sont rarement remis dans le contexte de leur production et évalués en détail. Ces estimations sont pourtant loin d’être parfaites ou même similaires. En raison de sa complexité, la mesure des arrangements résidentiels des enfants après la rupture de leurs parents mérite une discussion beaucoup plus approfondie que celle dont elle a fait l’objet jusqu’à maintenant.
L’objectif de ce texte est justement de décortiquer ces chiffres, de s’attarder à la façon dont ils sont obtenus et de s’interroger sur ce qu’ils mesurent réellement. Bien que la plupart des pays occidentaux soient confrontés à des problèmes de mesure comparables[3], il ne sera ici question que des situations canadienne et québécoise. Différentes sources, qui recèlent réellement ou potentiellement des informations sur la résidence postséparation des enfants, seront tour à tour présentées, en les confrontant lorsqu’opportun. Les sources canadiennes permettront aussi de comparer la situation québécoise à celle des autres provinces révélant ainsi qu’en matière de résidence des enfants, comme dans d’autres aspects du régime familial, le Québec se distingue fortement du reste du pays. Avant ce tour d’horizon, il convient toutefois de bien poser les multiples dimensions du problème et d’expliciter certaines des difficultés rencontrées lors de leur mesure. Afin d’évaluer les différentes estimations, on doit en effet prendre en compte l’objet de la recherche (autorité parentale, garde physique, résidence, temps parental, etc.), les biais potentiels des sources de données, la temporalité de la mesure, l’identité du répondant ainsi que les critères utilisés pour établir la typologie d’arrangements analysée.
DIFFICULTÉS DE LA MESURE
Garde, autorité parentale et résidence
Différents concepts juridiques et sociaux s’enchevêtrent autour de la problématique de la résidence ou de la garde des enfants après une séparation ; un exemple est utile pour les démêler. Soit un homme et une femme qui, au moment de leur rupture, ne s’entendent pas sur la garde de leur fils unique. En attendant le règlement officiel de la question, ils conviennent toutefois informellement que l’enfant habitera en alternance une semaine chez chacun d’eux. Après avoir tenté la médiation familiale[4], l’ex-couple se retrouve finalement devant une juge de la Cour supérieure du Québec qui, après avoir entendu les arguments des partis, émet une ordonnance de garde paternelle avec des droits de visite et de sortie à la mère, une fin de semaine sur deux. Puisque le père a la « garde » de l’enfant, il est donc responsable de son entretien quotidien, à l’exception des quelques périodes où l’enfant sera chez sa mère.
D’après le Code civil du Québec, le droit de garde n’est toutefois qu’un des éléments constitutifs de « l’autorité parentale ». Cette dernière est exercée en collégialité par les deux parents dès la naissance ou l’adoption d’un enfant. Elle consiste en « le droit et le devoir de garde, de surveillance et d’éducation » (Code civil du Québec, 1991 : art. 599). Un parent ne peut être déchu de cette autorité que pour des raisons graves, comme la négligence ou les mauvais traitements. La séparation parentale n’étant pas une telle raison, les deux parents continuent de l’exercer en commun, peu importe qui a la garde de l’enfant. Ils conservent donc en théorie un droit de regard sur les décisions importantes concernant la vie de leur enfant (santé, éducation, etc.).
Il faut préciser que cette notion d’autorité parentale, présente dans le Code civil au Québec et dans plusieurs autres juridictions (en France, Belgique et Suisse notamment), n’existe pas en common law, le système juridique en vigueur dans les autres provinces canadiennes. La notion de garde (custody) y est cependant beaucoup plus englobante : elle incorpore en fait la notion d’autorité parentale. Traditionnellement, quand un parent du Canada hors Québec obtenait la garde exclusive de son enfant, l’autre parent était ainsi complètement dépouillé de ses prérogatives parentales (Goubau, 1993). Pour contrer cette appropriation exclusive du statut de parent par un seul individu après une séparation, les tribunaux de common law ont peu à peu distingué deux formes de garde, la « physical custody » (garde physique) et la « legal custody » (garde légale). La première correspond à la garde du Code civil tandis que la seconde se rapproche, pour la période postséparation du moins, de l’autorité parentale québécoise. Au contraire des juges québécois, les juges de common law ont donc deux décisions complémentaires à prendre. Ils devront d’abord décider s’ils accordent une garde légale exclusive ou conjointe (joint/shared legal custody) puis, dans le second cas, si la garde physique sera exclusive ou partagée (joint/shared physical custody). Une garde physique partagée ne saurait exister sans garde légale conjointe, mais l’inverse est possible. Puisque dans le discours juridique de la common law on insiste davantage sur la garde légale que physique (Laviolette et Audet, 2014), l’expression « joint/shared custody », sans qualificatif, correspond rarement à ce qu’on désigne en français par « garde partagée », soit l’alternance régulière entre deux foyers parentaux. Il s’agirait plutôt de l’exercice conjoint de l’autorité parentale, une situation par défaut au Québec, mais une décision importante dans le reste du pays.
Ces concepts juridiques de garde et d’autorité parentale, ou de « physical » et « legal custody », ne suffisent cependant pas à décrire la complexité de la problématique. Pour revenir à notre exemple, supposons que le père, peu de temps après avoir obtenu la garde, tombe gravement malade et que les parents conviennent qu’il serait dorénavant mieux que l’enfant passe la majorité de son temps chez sa mère. Puisque ce changement informel n’a pas été obtenu à la suite d’une démarche judiciaire, il n’a laissé aucune trace (à moins que les parents n’entreprennent une révision officielle du montant de la pension alimentaire versée). Pour résumer la situation, l’enfant est officiellement sous la garde de son père, réside dans les faits chez sa mère et est sous l’autorité parentale des deux. Cette dissociation entre la situation juridique et la situation résidentielle de fait n’est pas rare. Dans une étude pionnière menée à la fin des années 1980 en Californie, Maccoby et Mnookin (1992) relatent par exemple que dans près de la moitié des cas où une ordonnance de « shared physical custody » a été rendue, le ou les enfants habitent en fait principalement avec leur mère. De toute façon, il n’est pas rare qu’après une séparation les parents s’entendent à l’amiable sur la résidence de l’enfant et la fréquence des contacts avec l’autre parent. C’est en fait une minorité de couples séparés qui atterrissent devant les tribunaux.
Pour bien dégager les différents aspects de la problématique, il convient surtout de distinguer ce qui relève du droit, sphère à laquelle l’emploi du terme « garde » sera limité dans le reste du texte, de ce qui relève des pratiques quotidiennes des parents, plus judicieusement appréhendées par des termes comme « résidence » ou « temps parental ». En conséquence, l’expression « double résidence » sera ici préférée à « garde partagée » pour désigner le cas d’un enfant partageant son temps de façon quasi égalitaire entre les ménages de ses deux parents, peu importe la situation qui prévaut dans le domaine juridique. Dans une optique démographique, c’est cet aspect résidentiel qui devrait préoccuper davantage les chercheurs que l’octroi des droits de garde.
Aux diverses dimensions de la problématique correspondent des mesures empiriques distinctes et des sources plus appropriées pour chacune. Pour obtenir des informations sur l’autorité parentale (ou la garde légale), la garde (physique) ainsi que sur les droits de visite et de sortie, on peut se tourner vers des données judiciaires. Toutefois, le sous-groupe de parents qui obtient une ordonnance des tribunaux n’est pas représentatif de l’ensemble de la population des parents séparés : ce sont surtout des couples mariés ou des couples ayant un niveau de conflit élevé. On ne saurait alors faire de l’inférence à la population à partir de ces données. Les enquêtes étant plus flexibles, elles permettent de collecter auprès de la population générale des informations sur les enjeux juridiques, mais également sur la résidence, les contacts et le temps parental. Des données administratives diverses (programme de pensions alimentaires, allocations familiales, déclarations de revenus, etc.) peuvent aussi théoriquement renseigner sur la résidence de fait des enfants. Cependant, comme ces données ne sont pas collectées pour la recherche, elles demeurent difficiles d’accès et sont souvent pauvres en information sociodémographique.
Temporalité
La distinction entre données d’enquête et données judiciaires tient aussi à la temporalité des mesures, aux cohortes et aux périodes touchées. Les données judiciaires sont généralement limitées à la période entourant le divorce ou la séparation. Une agrégation d’informations pour une cohorte de divorces reflétera la situation qui prévalait à l’origine pour tous les couples et enfants impliqués ; elle ne donnera toutefois aucune indication concernant la prévalence à une date donnée pour l’ensemble des cohortes. À l’opposé, puisque les enquêtes transversales mesurent une situation à un moment précis, elles amalgament des cas où les parents sont séparés depuis plusieurs années à d’autres pour lesquels la séparation est toute fraîche. Les enquêtes longitudinales, surtout si elles débutent avant que la séparation ne survienne, sont beaucoup plus aptes à distinguer la prévalence des arrangements à différentes étapes de la trajectoire postséparation des enfants.
Les enquêtes longitudinales ont l’avantage supplémentaire de permettre le suivi des arrangements résidentiels connus par un même enfant durant les années qui suivent la séparation de ses parents (Pelletier, 2016). On constate ainsi que la proportion totale d’enfants qui vivent au moins un épisode de double résidence au cours de leur enfance est plus importante que la proportion mesurée de façon transversale.
Un autre aspect lié à la temporalité concerne l’âge des enfants. Puisque la probabilité de vivre en double résidence varie de façon très importante selon l’âge (ex. : Weston et collab. 2011), toute estimation doit expliciter la composition par âge de l’échantillon. Lorsque les sources ne font qu’enregistrer l’arrangement établi par un ex-couple, sans spécifier le nombre ou l’âge des enfants impliqués, les résultats deviennent difficilement interprétables.
Identité du répondant et population cible
Les enquêtes, même si elles permettent de mesurer diverses facettes du phénomène, peuvent souffrir de plusieurs formes de biais, dont celui lié à l’identité du répondant. En effet, elles n’enregistrent que la perspective de ce dernier, pas celle de son ex-conjoint ni de ses enfants. Or, quelques études tendent à démontrer que les différents acteurs impliqués dans un même arrangement ne le décrivent pas tous de la même manière (Kitterød et Lyngstad, 2014 ; Waller et Jones, 2014). Et comme la « vraie » valeur reste inconnue, il est difficile de savoir quel acteur fournit la description la plus authentique.
De plus, dans les grandes enquêtes où des mères et des pères sans lien entre eux sont interrogés, les mesures basées sur les déclarations des femmes et des hommes concordent rarement. Des biais d’échantillonnage, de non-réponse et de déclaration peuvent exister dans les enquêtes parce que les pères sont généralement plus difficiles à rejoindre que les mères, particulièrement les pères les moins impliqués auprès de leurs enfants (Schaeffer et collab. 1998). De plus, parmi les pères qui répondent aux enquêtes certains semblent parfois « oublier » de déclarer des enfants, surtout ceux qu’ils ne voient jamais ou rarement (Juby et Le Bourdais, 1999 ; Rendall et collab. 1999). Inversement toutefois, les pères séparés qui hébergent leurs enfants moins de la moitié du temps sont susceptibles de déclarer dans les recensements que ceux-ci habitent habituellement avec eux, générant alors une surestimation du nombre de familles monoparentales dirigées par un homme (Toulemon et Pennec, 2010 ; Trabut et collab. 2015).
Enfin, bien que ce soit habituellement les parents qui répondent aux questions sur la résidence et la garde, les enquêtes sont conçues pour être représentatives soit des enfants, soit des parents, jamais des deux. Dans le premier cas, on aura de nombreuses informations sur les caractéristiques des enfants, dont leur âge, ce qui n’est pas nécessairement vrai dans le second cas. Il faudra alors bien distinguer les résultats relatifs à chaque univers puisque ceux-ci peuvent très bien ne pas correspondre.
Calendriers et typologies
Qu’il soit question de garde physique, de résidence, de temps parental ou de contact, les arrangements sont généralement étudiés comme s’ils formaient un ensemble discret, c’est-à-dire qu’on classifie les enfants ou les familles dans des catégories mutuellement exclusives (ex. : garde maternelle vs garde partagée). Les critères de classifications sont loin d’être uniformes : ce qu’une étude considère comme de la double résidence une autre peut très bien le considérer comme une résidence maternelle. En fait, on ne se tromperait pas beaucoup en affirmant que chaque étude propose sa propre typologie ! Cela crée bien entendu des problèmes de comparaison, mais aussi d’interprétation et de généralisation.
La typologie utilisée dans une étude est étroitement liée à la manière dont l’information a été collectée. Il existe deux grandes façons de faire dans les enquêtes : des questions à choix multiple ou des calendriers. Dans le second cas, les répondants doivent identifier le parent qui devait superviser l’enfant chaque jour et chaque nuit d’une période récente, typiquement d’une durée de deux semaines ou d’un mois. Ces calendriers sont davantage présents dans des enquêtes consacrées spécifiquement aux enjeux familiaux postrupture que dans les enquêtes visant un plus large spectre de sujets. Leur avantage principal consiste à pouvoir exprimer le temps parental en pourcentage. Par exemple, lorsqu’un enfant habite principalement chez sa mère, mais qu’il visite son père une fin de semaine sur deux, on dira que le temps parental est de 86 % pour la mère et de 14 % pour le père. Les typologies construites à partir de ces pourcentages peuvent être très détaillées (voir, par exemple, la classification à onze niveaux de Qu et collab. 2014).
Avec ce niveau de détail se pose la question des seuils exacts distinguant les catégories, particulièrement la frontière entre la résidence exclusive et la double résidence. Il semble se dessiner depuis peu, du moins dans la recherche américaine, un consensus autour d’une attribution minimale de 35 % du temps parental à chaque parent pour qu’on puisse parler de double résidence (Warshak, 2014). Cela correspond à environ cinq jours par période de deux semaines.[5] Ce seuil de 35 % est toutefois loin d’être une norme universellement reconnue, ni pour les questions judiciaires ni pour la recherche. Au Canada, le seuil pour la fixation des pensions alimentaires est d’au moins 40 % du temps de garde avec chaque parent, ailleurs il peut être de 35 % (Australie : Smyth, 2009), voire de 25 % (Wisconsin : Bartfeld, 2011).
Il peut être difficile pour les chercheurs d’établir des catégories aussi précises lorsque les données qu’ils utilisent n’ont pas été collectées à l’aide d’un calendrier. Dans beaucoup d’enquêtes populationnelles, on mesure en effet le partage du temps parental par une ou plusieurs questions faisant référence au lieu de résidence principal de l’enfant ou à la fréquence et au type de contact qu’il entretient avec le parent non résident. Compte tenu de la complexité sémantique du terme garde, ces questions doivent être formulées de façon très rigoureuse pour que leurs réponses ne soient pas ambigües. Un répondant pourrait en effet légitimement interpréter une question aussi vague que « Qui a la garde de cet enfant ? » comme faisant référence soit à la garde légale, à la garde physique ou à la résidence de son enfant. Cela peut aboutir à des situations paradoxales, comme celle soulevée par Juby et collab. (2005b) qui remarquent que plusieurs répondantes de l’Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes (ELNEJ), après avoir défini leur arrangement comme une garde partagée, déclarent à une question suivante que l’enfant voit son père seulement une fin de semaine sur deux. Une caractérisation plus objective placerait plutôt ces cas parmi les résidences maternelles. Plusieurs questions sont habituellement nécessaires pour établir des catégories homogènes, mais même avec une série de questions, le degré de précision des calendriers est difficilement atteignable. La catégorie étiquetée double résidence doit par exemple souvent être limitée aux cas de répartition explicitement égalitaire du temps parental parce que les répartitions correspondant à des énoncés comme « l’enfant habite principalement avec sa mère » sont difficilement quantifiables.
SOURCES CANADIENNES
Dans quelle mesure les enquêtes et fichiers administratifs canadiens permettent-ils de décrire le phénomène de la double résidence des enfants ? Compte tenu des nombreux défis liés à la mesure même de la garde ou de la résidence des enfants après la séparation de leurs parents, il n’est pas étonnant de constater plusieurs limites dans les diverses sources de données empiriques disponibles au Canada. Quatre sources pertinentes ont été identifiées au niveau fédéral ; deux d’entre elles sont toutefois inactives depuis la fin des années 2000.
Les statistiques officielles sur le divorce
Jusqu’en 2008, Statistique Canada collectait de l’information auprès du ministère de la Justice à propos des divorces prononcés dans chacune des provinces du pays. En 2004, la dernière année pour laquelle des informations ont été diffusées publiquement, 26 504 couples ayant divorcé durant l’année avaient des enfants à charge, soit près de 40 % de tous les divorces réglés (Statistique Canada, 2008c). Les informations inscrites dans le dossier judiciaire n’ont pas permis d’établir qui a obtenu la garde dans 17 % de ces divorces (Statistique Canada, 2008c). Il s’agit probablement surtout de cas où le tribunal n’a pas eu à trancher sur la question parce que les parents s’étaient déjà entendus en privé. Or, on sait que les ex-couples qui s’entendent à l’amiable partagent davantage le temps résidentiel des enfants que ceux qui se voient imposer une solution par le tribunal (ex. : Juby et collab. 2005b). Dans un autre 16 % des divorces avec enfants mineurs, le nombre d’enfants visés par l’ordonnance de garde n’était pas connu et l’information sur leur ordonnance n’a pas été diffusée (Statistique Canada, 2008b). En fin de compte, l’information diffusée n’est basée que sur les deux tiers des dossiers de divorce avec enfants à charge. Même en ignorant le potentiel de biais apporté par cette proportion élevée de valeurs manquantes, l’information diffusée reste suspecte, car les ordonnances sont comptabilisées non pas au niveau des couples, mais à celui de leurs enfants. Il suffirait donc que les juges soient plus ou moins enclins à ordonner une garde maternelle pour les fratries nombreuses que pour les enfants uniques que les résultats seraient encore biaisés. En excluant les rares cas de garde à un non-parent ou d’information manquante, la garde des près de 32 000 enfants visés par une ordonnance est allée au père dans 8 % des cas, à la mère dans 45 % et aux deux parents conjointement à 47 % (Statistique Canada, 2008a). Ces mêmes proportions, uniquement pour le Québec, sont respectivement de 13 %, 58 % et 29 %.
Reste encore à interpréter ces chiffres qui, contrairement à d’autres sources de données (nous y reviendrons), montrent une plus faible proportion de gardes partagées au Québec que dans le reste du pays. Au-delà des inquiétudes déjà formulées, le grand problème avec ces données est en fait qu’on ne sait pas exactement ce qu’elles mesurent : est-ce la garde légale ou la garde physique ? Au Québec, on l’a vu, puisque l’autorité parentale, qui est un équivalent de la garde légale dans le Code civil de la province, est toujours conjointe, ces chiffres ne peuvent réalistement refléter que les ordonnances de garde physique. Dans le reste du pays, la situation est beaucoup moins claire, mais on peut penser que c’est la garde légale qui a été comptabilisée dans la plupart des cas en raison de son importance juridique en common law.
En plus de ces problèmes de mesure importants, les informations issues des jugements de divorce souffrent d’une couverture de plus en plus partielle. Les couples non mariés qui se séparent ne recevront jamais de jugement de divorce et ces couples forment maintenant une part importante de la population à risque de séparation. En somme, même si le système statistique fédéral n’avait pas abandonné la compilation et la diffusion des jugements de divorce, cette source aurait eu de moins en moins de valeur pour l’étude comparative de la garde au Canada.
L’Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes (ELNEJ)
La deuxième source de données devenue inactive est l’Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes (ELNEJ), une grande enquête par panel représentative au niveau provincial à laquelle plus de 68 000 jeunes âgés de 0 à 25 ans ont participé au moins une fois. Les huit cycles de l’enquête se sont déroulés tous les deux ans entre 1994-1995 et 2008-2009. Au premier cycle, un échantillon d’enfants de 0-11 ans a été sélectionné et suivi pendant les 14 années suivantes. De plus, à partir du second cycle, de nouvelles cohortes ont été intégrées à l’échantillon pour étudier le développement durant la petite enfance (0-5 ans). Un questionnaire détaillé était rempli par les parents à chaque cycle afin de collecter l’information sur les événements familiaux, les ordonnances de garde et les arrangements de temps parental. Par contre, puisque ce questionnaire n’utilisait pas de calendrier de temps parental, mais plutôt un enchaînement de questions parfois alambiqué et comportant parfois des erreurs de traduction[6], la constitution d’une typologie d’arrangements de temps parental peut s’avérer difficile.
Des problèmes de collecte et des modifications apportées à ce questionnaire limitent le potentiel des données de l’ELNEJ. En effet, les variables issues du questionnaire sur les événements familiaux des cycles 3 et 4 ne sont pas disponibles dans le fichier de microdonnées accessible dans les Centres de données de recherche (CDR) canadiens.[7] Des problèmes dans l’enchaînement des questions du questionnaire informatisé avaient en effet miné la représentativité des informations collectées et celles-ci ont tout simplement été retirées de la circulation. Face à ces problèmes, le complexe questionnaire a été complètement réorganisé à partir du cycle 5. Toujours à partir de ce cycle, l’ELNEJ a aussi cessé de publier des poids d’enquête transversaux pour la cohorte originale, limitant le caractère représentatif des données du moment aux seuls enfants en bas âges. Enfin, puisque la composition par âge de l’échantillon transversal varie d’un cycle à l’autre, il est primordial d’en tenir compte lors de toute comparaison intercycle.
La figure 1 présente l’essentiel des comparaisons possibles entre cycles et âge. Bien que cette comparaison soit imparfaite (voir la note au bas de la figure pour plus de détails), on constate une augmentation importante de la proportion d’enfants en double résidence égalitaire avec le temps au Canada. Chez les 4-5 ans, par exemple, celle-ci passe de 2,2 % en 1994-1997 à 13,4 % en 2006-2009. On constate aussi clairement, dans la limite des groupes d’âge couverts, une augmentation selon l’âge : quelle que soit la période, très peu d’enfants de 2-3 ans, et encore moins de 0-1 an [résultats non montrés], partagent également leur existence entre la résidence de leur mère et de leur père.
Les Enquêtes sociales générales (ESG)
Quand le suivi des enfants de l’ELNEJ a été abandonné après le cycle de 2008-2009, les Enquêtes sociales générales (ESG) sur la famille sont devenues la seule source d’information active permettant les comparaisons interprovinciales sur la résidence des enfants après une séparation. Les ESG sont un programme d’enquêtes dont le thème principal varie d’une année à l’autre (famille, victimisation, emploi du temps, etc.) ; une ESG sur la famille a eu lieu à peu près tous les cinq ans depuis la création du programme (1990, 1995, 2001, 2006 et 2011). Il faut rappeler que l’enquête cherche à être représentative de la population adulte (15 ans et plus) et non des enfants. Bien que la taille de l’échantillon de l’ESG soit a priori considérable (environ 25 000 personnes ; 10 000 avant 1999), seulement une petite partie de celui-ci est composée de parents d’enfants mineurs séparés de leur ex-conjoint(e).
Aux éditions 2006 et 2011, une section du questionnaire de l’ESG s’intéressait à la résidence principale des enfants des répondants ayant déclaré une séparation dans les dernières années. Notons toutefois que l’analyse doit se limiter à une perspective transversale parce que le sous-groupe de répondants visé diffère d’une édition à l’autre[8] et que toute la population à risque n’est pas couverte puisque les parents ayant eu leur(s) enfant(s) à l’extérieur d’une union ne sont considérés dans aucune des deux éditions. En 2006, 14,3 % des répondantes et répondants concernés ont déclaré avoir au moins un enfant en double résidence, alors qu’ils étaient 9,5 % en 2011.
L’enquête Health Behaviour in School-Aged Children
La dernière source de données toujours active au niveau canadien ne permet pas les comparaisons interprovinciales en raison de sa faible taille échantillonnale. C’est toutefois, à notre connaissance, la seule source de données permettant de faire des comparaisons internationales conséquentes. Le programme Health Behaviour in School-Aged Children (HBSC) rassemble sous un même protocole de recherche une série d’enquêtes nationales auprès des jeunes de 11, 13 et 15 ans. Démarré par trois pays européens en 1982, le programme en regroupe maintenant 44 (voir Inchley et collab. (2016) pour le rapport de la plus récente édition). La version canadienne est produite par des chercheurs ontariens en collaboration avec l’Agence de la santé publique du Canada (Freeman et collab. 2016). L’enquête ne pose pas directement de questions sur la garde, mais une série de trois questions permet d’identifier les cas de double résidence. On demande d’abord aux enfants d’identifier les personnes qui habitent avec eux dans le domicile où ils vivent la plupart du temps en cochant les cases appropriées (mère, père, belle-mère, beau-père, grands-parents, etc.). On leur demande ensuite s’ils ont un autre domicile et, le cas échéant, de spécifier s’ils y habitent « half the time », « regularly but less than half the time », etc. La troisième question, similaire à la première, sert à identifier les personnes vivant à ce second domicile (HBSC, 2005).
En combinant les réponses aux trois questions, on peut isoler les cas de doubles résidences égalitaires et les comparer à d’autres structures familiales (Bjarnason et Arnarsson, 2011). Ces études révèlent que, en 2005-2006, 2 % des jeunes Canadiens interrogés vivaient la moitié du temps chez chacun de leurs parents, soit 7 % de ceux dont les parents étaient séparés[9]. Cette dernière proportion place le Canada au-dessus de la moyenne des 36 pays étudiés (4 %), dont les États-Unis (5 %), mais derrière les meneurs que sont la Suède (17 %), la Belgique (12 %), l’Islande (11 %) et le Danemark (10 %). La formulation des trois questions laisse toutefois planer des doutes sur la validité de la mesure. Que doivent en effet répondre des enfants en double résidence égalitaire à une question sur le domicile où ils vivent « all or most of the time » ? De même, la question sur un second domicile semble parfois comprise comme faisant référence à un chalet ou un autre type de résidence secondaire puisqu’un petit nombre d’enfants déclarent habiter avec leurs deux parents dans les deux résidences.
SOURCES QUÉBÉCOISES
En termes de données sur la résidence des enfants, la situation québécoise est un peu plus enviable que la canadienne. En plus des sources décrites précédemment, on retrouve des données d’enquêtes menées par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), et donc facilement accessibles aux chercheurs, ou encore des rapports décrivant diverses bases de données administratives provinciales.
Ordonnances de pension alimentaire pour enfants
Occasionnellement, le ministère de la Justice du Québec compile des statistiques sur les ordonnances de pension alimentaire pour enfants rendues par la Cour supérieure du Québec. Quoiqu’elles soient de nature judiciaire et qu’elles comportent toujours certaines limites quant à leur représentativité, ces données sont beaucoup plus pertinentes pour l’analyse de la garde que les données fédérales sur les divorces. En effet, ces jugements proviennent de plusieurs types de procédures judiciaires différentes impliquant toutes des couples avec enfants : divorce (50 %), séparation de corps de couples mariés (10 %) et séparation de conjoints de fait (40 %)[10]. La seule population que ces jugements ne couvrent pas est composée des parents qui n’entreprennent aucune démarche légale pour établir une pension alimentaire. On peut faire l’hypothèse que les couples optant pour la double résidence égalitaire sont plus nombreux dans ce sous-groupe. Celle-ci s’accompagne en effet souvent d’une impression que la pension alimentaire est inutile étant donné qu’on prévoit partager le temps et les dépenses de façon égalitaire, et ce, malgré un possible écart important de revenu entre les deux parents (Côté, 2000).
Des informations sont disponibles pour trois périodes, dont deux qui se chevauchent : 1997-1998, 2008 et 2008-2009. Les informations concernant la première sont issues d’un rapport qui a suivi de près la mise en place du modèle québécois de fixation des pensions alimentaires en 1997 (Fortin et collab. 2000). Ces résultats ont été repris une dizaine d’années plus tard à des fins comparatives par Biland et Schütz (2013). Enfin, les données de la troisième période sont tirées d’un rapport du ministère de la Famille et des Aînés (Dallaire et collab. 2011). Les données ne sont pas directement comparables d’une période à l’autre, car les deux premières s’intéressent à des échantillons de jugements finaux relatifs à des demandes d’ordonnance initiales (65 %) et de révision (35 %) alors que la troisième porte sur la population des jugements finaux, mais uniquement ceux relatifs aux demandes d’ordonnance initiales.
Les résultats de chaque période sont présentés au tableau 1. On y constate une baisse des gardes exclusives à la mère et une hausse certaine des gardes partagées. Même en fin de période cependant, la vaste majorité des couples demandant une ordonnance de pension alimentaire sont en situation de garde maternelle contre environ le cinquième en garde partagée. Il est difficile d’évaluer la part de l’erreur d’échantillonnage dans la hausse importante des gardes exclusives au père entre 1997-1998 et 2008, mais le 4,4 % de ce type de garde retrouvé en 2008-2009 est basé sur un nombre beaucoup plus élevé de cas. En somme, malgré les résultats fragmentaires actuellement disponibles et la difficulté d’accès aux microdonnées, cette source semble présenter un potentiel de recherche pour l’instant sous-exploité.
Soutien aux enfants (SAE)
Le paiement de Soutien aux enfants (SAE) est la plus récente incarnation du programme d’allocations familiales du gouvernement québécois (voir Thibault (2015) pour un historique des programmes d’allocations familiales depuis 1961). Instauré en 2005, il vise tous les enfants de 0 à 17 ans. Le montant versé est modulé selon le revenu familial et un supplément est offert aux familles monoparentales. Au moment de la création du PSE, c’est l’Agence de revenu du Canada qui déterminait l’admissibilité des familles au programme à partir d’informations fournies par les parents souhaitant obtenir la Prestation fiscale canadienne pour enfants (PFCE), soit l’allocation familiale du gouvernement fédéral. L’Agence transmettait alors l’information à la Régie des rentes du Québec (aujourd’hui Retraite Québec) qui gère le programme québécois. Toutes les opérations ont toutefois été rapatriées à la Régie en janvier 2007 afin d’offrir plus de flexibilité dans la gestion du programme (Carbonneau, 2012). Cette flexibilité s’exprimait entre autres par la possibilité pour les parents de diviser l’allocation mensuelle en deux en cas de double résidence. Auparavant, les parents pouvaient se partager l’allocation, mais de façon alternée, de six mois en six mois. La Régie, tout comme les lignes directrices sur la fixation des pensions alimentaires du ministère de la Justice du Québec, définit la « garde partagée » comme un temps d’habitation minimal de 40 % avec chaque parent. Entre janvier 2007 et décembre 2011, le nombre d’enfants de 0 à 17 ans en double résidence dans les dossiers de l’organisme a plus que doublé, passant de 21 300 à 51 400. À la fin de la période, ces enfants représentaient 3,5 % des quelque 1,5 million de bénéficiaires du programme (calculs de l’auteur à partir des informations fournies par Carbonneau (2012)). Un calcul de la proportion d’enfants en double résidence parmi les enfants de parents séparés n’est malheureusement pas possible puisque le programme ne recueille pas les informations qui permettraient de déterminer le dénominateur de la proportion.
Malgré l’obligation de déclarer une double résidence à la Régie, ce chiffre de 3,5 % souffre possiblement d’une sous-estimation et, ce, pour au moins deux raisons. Premièrement, pour que les paiements soient divisés entre le père et la mère, il faut que les parents soient au courant de la possibilité et en fassent la demande. Le doublement du nombre d’enfants concernés, observé durant les cinq années qui ont suivi le rapatriement du programme et l’instauration du partage mensuel de l’allocation, est probablement davantage dû à un rattrapage en la matière qu’à une réelle explosion (relativement parlant) du nombre de doubles résidences. Deuxièmement, il peut être fiscalement désavantageux pour les parents de demander le partage de l’allocation. En effet, le montant accordé à chaque parent dépend de son revenu et de son statut familial (supplément pour famille monoparentale). Ce montant correspond à la moitié du montant qu’il aurait obtenu s’il assumait à lui seul la garde complète de l’enfant. Si un des parents a un revenu plus élevé ou s’il s’est remis en union, le montant total qu’un ex-couple partageant l’allocation recevra sera donc moindre que si le parent dont le revenu est le plus faible ou qui est célibataire avait demandé seul la prestation. Il existe donc un avantage économique à faire comme si l’enfant habitait à temps plein chez le parent le plus favorisé par le programme, mais puisque ce genre de stratégie demande un minimum de coopération entre les parents, on peut penser qu’elle est rarement mise en place dans la pratique.
Le programme de la Prestation fiscale canadienne pour enfants (PFCE), devenu l’Allocation canadienne pour enfants (ACE) en juillet 2016, est l’équivalent du SAE au niveau fédéral. Il autorise lui aussi le partage mensuel des prestations depuis 2011 et pourrait donc théoriquement servir à comparer la prévalence des doubles résidences entre les provinces. Il n’a cependant pas été listé plus haut avec les autres sources canadiennes parce qu’il n’existe, à notre connaissance, aucune publication présentant des estimations tirées de ces données. Leur analyse pourra théoriquement être facilitée par l’entrée éventuelle, dans les CDR, de la Banque de données administratives longitudinales (DAL) constituée par Statistique Canada. Celle-ci effectue en effet un suivi annuel des informations fiscales, y compris des prestations pour enfants, pour un très grand échantillon de Canadiens.
L’Étude longitudinale du développement des enfants du Québec (ÉLDEQ)
Menée par l’ISQ, l’Étude longitudinale du développement des enfants du Québec (ÉLDEQ) est une enquête prospective qui suit un échantillon représentatif d’enfants depuis leur naissance en 1997-1998. L’enquête est toujours active aujourd’hui et une quantité formidable d’information a pu être accumulée sur chacun de ces enfants et de leur famille. Pour estimer la prévalence des arrangements, l’ÉLDEQ comporte toutefois certaines limites. Premièrement, comme elle ne procure des informations que sur une seule cohorte de naissance, il est impossible de connaître la manière dont la prévalence évolue dans la population entre les périodes et entre les cohortes. De plus, puisque tous les enfants de la cohorte sont nés au Québec[11], l’échantillon n’est pas représentatif des enfants de la même cohorte arrivés dans la province après leur naissance, en provenance d’une autre province canadienne ou de l’étranger. La part de ces derniers dans la population des moins de 15 ans était estimée à 9 % en 2011 (Statistique Canada, 2015b).
Certaines portions du questionnaire de l’ÉLDEQ ont été reprises presque intégralement de celui de l’ELNEJ, y compris celle portant sur les événements familiaux. Les mêmes limites y sont donc associées : une typologie des arrangements de temps parental basée sur des pourcentages précis est impossible, mais on peut réussir à isoler les doubles résidences égalitaires. L’enquête permet par exemple d’estimer qu’en 2013 19 % des jeunes de 15 ans nés au Québec et dont les parents étaient séparés vivaient alors en double résidence.
La série d’enquêtes sur la santé des jeunes du secondaire
Une autre série d’enquêtes, menée elle aussi par l’ISQ, permet quant à elle de dresser des portraits transversaux répétés du phénomène de la double résidence :
Enquête québécoise sur le tabagisme chez les élèves du secondaire (1998, 2000 et 2002)
Enquête québécoise sur le tabac, l’alcool, la drogue et le jeu chez les élèves du secondaire (2004, 2006, 2008 et 2013)
Enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire (2010-2011)
Ces enquêtes sur la santé ou le tabagisme auprès des jeunes fréquentant l’école secondaire sont peut-être des sources de données inusitées pour l’étude de la résidence des enfants, mais ces enquêtes, avec les HBSC mentionnées plus tôt, sont parmi les seules dont le répondant principal est le jeune lui-même et non un de ses parents. Même dans les enquêtes dont l’objectif principal est de documenter le développement des enfants (ELNEJ et ÉLDEQ), le répondant principal, surtout pour les questions ayant trait à la structure de la famille, demeure bien souvent la mère.
La question posée dans ces enquêtes porte clairement sur la résidence de l’adolescent, non pas sur les accords juridiques entre parents. Entre 1998 et 2008, la question reste inchangée :
AVEC QUI VIS-TU ?
Avec mon père et ma mère
La moitié du temps avec mon père, l’autre moitié du temps avec ma mère
Avec ma mère seulement
Avec ma mère et son ami (conjoint, « chum »)
Avec mon père seulement
Avec mon père et son amie (conjointe, « blonde »)
Autre. S’il te plaît, précise :
En 2010 et 2013, elle est légèrement modifiée, mais cela ne semble pas avoir entraîné de cassure dans la série temporelle :
AVEC QUI VIS-TU HABITUELLEMENT ?
Avec mes deux parents (biologiques ou adoptifs)
Avec ma mère seulement
Avec ma mère et son (sa) partenaire
Avec mon père seulement
Avec mon père et sa (son) partenaire
Autant chez ma mère que chez mon père[12]
Autre (tuteur[trice], famille ou foyer d’accueil, seul[e], en colocation, etc.). S’il te plaît, précise :
Il est donc possible, à partir de ce groupe d’enquêtes, de constituer une série temporelle des changements observés sur une période de quinze ans, entre 1998 et 2013. Encore une fois, ces enquêtes ne permettent d’isoler que les doubles résidences égalitaires et non pas celles où le partage du temps parental ne l’est pas. Il n’est nulle part question des contacts entre l’enfant et son parent non résident. Ces questions ont de plus le défaut d’amalgamer les notions de résidence de l’enfant et de relations conjugales des parents en créant des catégories mutuellement exclusives là où les phénomènes peuvent en fait s’emboîter. Fait rare cependant, l’édition de 2010-2011, celle de 2015 (données encore non publiées) et celles qui vont suivre, ont des échantillons assez grands pour être représentatives à l’échelle des régions du Québec (65 000 répondants). Les autres éditions de l’enquête comportent des échantillons d’environ 4 500 jeunes.
Les proportions estimées d’enfants en double résidence sont présentées par paire d’enquêtes (pour une plus grande lisibilité) et par âge à la figure 2. Le dénominateur des proportions est constitué des enfants dont les parents sont séparés, à l’exclusion d’une petite minorité n’habitant avec aucun parent (famille d’accueil, grands-parents, seul, en colocation, etc.) ou dont la structure familiale est manquante. Trois conclusions principales peuvent être tirées de cette figure. Premièrement, la proportion de jeunes ayant une double résidence augmente rapidement d’une enquête à l’autre, même si l’augmentation ralentit, voire s’arrête, lors des enquêtes les plus récentes. Cette décélération pourrait être liée au changement dans la formulation des questions, mais elle est aussi visible dans les cohortes de naissance, en combinant l’information de différentes enquêtes [résultat non montré].
Deuxièmement, dans toutes les enquêtes, la popularité de la double résidence décroît pratiquement linéairement entre 12 et 17 ans. D’autres sources couvrant une plus large amplitude d’âges confirment que les enfants du primaire sont plus susceptibles de vivre en double résidence que les enfants d’âge préscolaire ou que ceux du secondaire (Cancian et collab. 2014 ; Cashmore et collab. 2010 ; Melli et Brown, 2008 ; Sodermans et collab. 2013 ; Weston et collab. 2011).
Finalement, et c’est peut-être là l’essentiel, la part des adolescents qui déclarent avoir une double résidence dans ces enquêtes est extrêmement élevée. Dans les cohortes les plus récentes, pratiquement la moitié (44 %) des enfants de 12 ans dont les parents sont séparés sont dans cette situation, soit 15 % de l’ensemble des enfants de cet âge. Chez les jeunes de 17 ans, par contre, ces chiffres sont plus faibles, respectivement 19 % et 7 %.
COMPARAISONS DES PRÉVALENCES ESTIMÉES
Au Québec
Même si les problèmes qui pouvaient entraver la comparaison de ces divers ensembles de données ont été abondamment évoqués, il n’en demeure pas moins que certains ont a priori assez de caractéristiques communes pour que leurs estimations puissent être confrontées les unes aux autres. Pour l’exercice, trois sources permettant de déterminer la proportion d’enfants québécois en double résidence égalitaire selon leur âge et leur cohorte de naissance ont été retenues. Il s’agit des enquêtes de l’ISQ sur la santé des adolescents, de l’ÉLDEQ et de la portion québécoise de l’ELNEJ. Les estimations obtenues par chaque ensemble de données sont présentées à figure 3 pour les cohortes 1997-1998.
Malgré les différences entre l’ÉLDEQ et l’ELNEJ, les estimations qui en sont tirées sont assez similaires. Toutefois, l’écart entre ces estimations et celles des enquêtes de santé de l’ISQ est considérable. Un écart de cette taille ne peut pas s’expliquer uniquement par de potentielles erreurs d’échantillonnage ou même de codage. En fait, sur d’autres plans, les résultats de l’ÉLDEQ et des enquêtes de santé s’accordent très bien : la part d’enfants dont les parents n’habitent pas ensemble y est pratiquement identique [résultats non montrés]. Une des distinctions entre les sources concerne leur couverture : les enquêtes de santé et l’ELNEJ couvrent tous les jeunes résidant au Québec alors que l’ELDEQ ne couvre que ceux nés dans la province. Cette différence devrait pourtant conduire les estimations de l’ÉLDEQ à être plus élevées puisque, au sein même de l’ÉLDEQ, les parents immigrants sont un peu moins susceptibles d’établir une double résidence que les natifs (Cyr et collab. 2011).
La plus importante distinction entre les sources est toutefois que la déclaration est faite par le jeune lui-même dans les enquêtes de santé et par la « personne qui connaît le mieux l’enfant » (généralement la mère) dans l’ÉLDEQ et l’ELNEJ. On sait déjà assez bien que les pères déclarent passer plus de nuits et de jours avec leurs enfants que ne le reconnaissent leurs ex-conjointes (Kitterød et Lyngstad, 2014 ; Waller et Jones, 2014). Ce que la figure 3 laisse supposer, c’est que les jeunes aussi semblent considérer plus souvent qu’ils habitent « la moitié du temps avec [leur] père, l’autre moitié du temps avec [leur] mère » que le font les mères. La seule manière d’en être certain serait de collecter des données sur le temps parental simultanément auprès des mères, des enfants et des pères des mêmes familles après la séparation. Cela n’a, à notre connaissance, jamais été réalisé.
Québec vs reste du Canada (ROC)
Tel que mentionné précédemment, certaines sources canadiennes permettaient les comparaisons interprovinciales, nommément l’ELNEJ et les ESG. Les proportions d’enfants en double résidence dans les deux séries d’enquêtes sont présentées au tableau 2, séparément pour le Québec et le reste du pays[13]. Quels que soient le groupe d’âge, l’enquête ou le cycle, la proportion d’enfants en double résidence est toujours plus élevée au Québec, souvent trois à quatre fois plus. Cela concorde bien avec les analyses effectuées par Juby et collab. (2005a) à partir des premiers cycles de l’ELNEJ.
Comment expliquer cet écart entre le Québec et le ROC ? Sachant que le modèle de la double résidence a pu se diffuser socialement à partir de plusieurs sources et pour plusieurs raisons, il est pour l’instant difficile de donner une réponse précise à cette question. Plusieurs hypothèses peuvent toutefois être formulées, lesquelles pourront orienter les recherches futures. On peut notamment se demander si l’écart est fondé :
dans l’inertie de la loi ? Quand la puissance paternelle a été remplacée par l’autorité parentale dans le Code civil en 1977, l’objectif du législateur était avant tout de compléter l’égalité époux-épouse. Indirectement, les modifications apportées ont créé, pour employer le vocabulaire de la common law, une présomption légale de joint legal custody en cas de séparation[14]. Éliminer cette présomption par la suite aurait nécessité un débat politique difficile sur le rôle respectif des parents. Dans les provinces de common law, le fardeau de la preuve est, pour ainsi dire, inversé.
dans la présomption d’autorité parentale conjointe ? Le fait que l’autorité parentale soit de facto exercée conjointement par le père et la mère a-t-il obligé les parents québécois séparés à conserver des liens plus étroits, ce qui les aurait amenés à partager le temps parental plus équitablement ?
dans le pouvoir discrétionnaire des juges ? La magistrature québécoise fait-elle montre d’un penchant favorable envers l’octroi de la garde partagée dans son évaluation de l’intérêt de l’enfant ? (voir Godbout et collab. (2014), pour une discussion générale à ce sujet)
dans les procédures judiciaires ? L’encouragement à la médiation familiale qui, selon certains (Elkin, 1987 ; Goubau, 2003), favoriserait les accords de garde partagée, a-t-il été plus rapidement institutionnalisé au Québec ?
dans le caractère exemplaire des décisions des tribunaux ? Une impression que les juges accorderaient la garde partagée si l’affaire se rendait en cour a-t-elle incité des parents à conclure, en médiation ou informellement, un accord de double résidence en dépit de leurs réserves personnelles, c’est-à-dire à l’ombre de la loi ?
dans la traduction du droit en enjeux sociaux ? Est-ce que les revendications anglophones pour la « joint custody », essentiellement liées au partage de l’autorité parentale, ont été assimilées, une fois traduites de façon ambigüe en français par « garde partagée », à des demandes de partage résidentiel plus égalitaire ?
dans l’absence de débat social sur la question ? Des voix plus fortes se sont-elles publiquement élevées au Canada anglais contre la double résidence ? En France, par exemple, l’opposition d’un petit groupe de pédopsychiatres et psychanalystes a provoqué un débat social sur la question, débat qui n’a pas véritablement eu lieu au Québec à l’extérieur du monde judiciaire (Côté et Gaborean, 2015). Même le récent rapport du Comité consultatif sur le droit de la famille au Québec reste muet sur le sujet (Roy et collab. 2015).
dans une plus grande sensibilité aux enjeux de genre ? Est-ce que la redéfinition des rôles de genre a été plus profonde au Québec que dans le reste du Canada ? Certes, les mères québécoises sont proportionnellement plus nombreuses sur le marché du travail que celles du ROC, mais les hommes québécois ont-ils intégré davantage l’exercice de la parentalité à leur autodéfinition que leurs homologues ailleurs au pays ?
dans l’acceptabilité sociale et l’autoreprésentation ? Les parents québécois décrivent-ils plus volontiers leurs arrangements comme étant des doubles résidences égalitaires là où d’autres insisteraient pour affirmer que l’enfant réside « principalement » ou « le plus souvent » avec eux ?
dans la représentation médiatique ? Les médias ont-ils plus rapidement et/ou plus favorablement présenté des exemples de double résidence au Québec ?
dans la transformation du régime familial ? Longtemps conservateur en matière familiale, le Québec, beaucoup plus que le reste du pays, est devenu dans les dernières décennies un des meneurs mondiaux de la pratique des comportements associés à la Seconde transition démographique (unions libres, naissances hors mariage, etc.) (Laplante, 2006 ; Le Bourdais et Marcil-Gratton, 1996). Comment la pratique de la double résidence s’inscrit-elle dans cette transformation du régime familial ?
CONCLUSION
Combien d’enfants partagent leur temps de façon égalitaire entre les logements de chacun de leurs parents ? Répondre à cette question, dans les contextes québécois et canadien, est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. L’écart entre les estimations obtenues grâce aux différentes sources est parfois très large. Par exemple, d’après les déclarations des mères dans l’ÉLDEQ, on peut estimer que 16 % des jeunes Québécois de 12 ans dont les parents sont séparés habitent la moitié du temps avec chaque parent. Selon les déclarations des jeunes dans les enquêtes de santé de l’ISQ, cette proportion se situe à près de 44 % ! Devant l’ampleur des écarts, il peut être prudent d’éviter de donner une réponse définitive à la question de départ afin de mettre en relief l’aspect trop partiel de nos connaissances actuelles.
Les réponses extraites des diverses sources de données disponibles diffèrent toutes parce que celles-ci s’intéressent à des sous-populations, des temporalités ou des concepts distincts. Les sources judiciaires ne sont pas très utiles pour cet exercice puisqu’elles ne prennent pas en compte la répartition du temps parental chez les couples qui s’entendent à l’amiable au moment de la rupture et qu’elles mesurent uniquement les situations initiales. Les données d’enquête sont en théorie plus appropriées pour effectuer une mesure de la prévalence. Elles comportent cependant d’autres limites liées entre autres à l’identité du répondant ou encore à la définition des concepts et du vocabulaire utilisé pour parler de la garde et de la résidence des enfants. Sans être exemptes de biais, les données administratives semblent avoir un potentiel intéressant, mais elles sont pour l’instant encore difficiles d’accès.
Dans ce texte, la discussion a été axée sur un arrangement de temps parental particulier, la double résidence égalitaire, à la fois parce que la « garde partagée » est souvent d’actualité et parce que les sources recensées permettent généralement de les isoler et donc de comparer leurs résultats. Mais une meilleure mesure des doubles résidences égalitaires signifie aussi une meilleure mesure des autres arrangements, même de ceux actuellement moins connus ou moins pratiqués. Combien d’enfants partagent en effet leur temps de façon asymétrique entre deux résidences (ex. : 70 % /30 % du temps) ? Les sources décrites plus haut sont encore moins à même de nous le dire.
En définitive, la présente analyse montre le besoin criant d’une enquête permettant de confronter, pour une même famille et au niveau populationnel, les points de vue des deux parents et de l’enfant lui-même. Un jumelage avec diverses sources judiciaires et fiscales (pensions alimentaires, allocations familiales, etc.) ferait d’une telle enquête un formidable outil d’étalonnage. En positionnant les résultats propres à chaque source dans un contexte plus général, elle permettrait d’expliciter les avantages et limites spécifiques de chacune et donc de faciliter leur évaluation et leur utilisation à bon escient.
On ne saurait trop recommander qu’une telle enquête adopte la méthode du calendrier résidentiel pour recueillir l’information sur l’alternance de l’enfant entre la supervision de son père et de sa mère. Les calendriers ont l’avantage majeur de rendre plus flexible la classification des arrangements et donc les comparaisons entre les enquêtes, que ce soit dans le temps ou dans l’espace. À notre connaissance, aucune enquête de grande envergure n’en a fait usage au Québec ou au Canada. Les calendriers sont pourtant un moyen simple et très efficace de mesurer les arrangements de temps parental. Leur introduction dans les enquêtes ne semble pas poser de problèmes particuliers (Sodermans et collab. 2014) et permet de surcroît d’étudier les périodes choisies par les familles pour effectuer l’alternance entre les résidences (Hachet, 2014).
Près de la moitié des enfants québécois nés à la fin des années 1990 ont vu leurs parents se séparer avant l’âge de 15 ans (Pelletier, 2016) et puisque la tendance est à la hausse depuis des décennies, les enfants de demain seront probablement encore plus nombreux dans cette situation. Qu’ils partagent leur temps de façon égale entre les résidences de leurs deux parents ou qu’ils habitent exclusivement avec l’un d’eux (en conservant divers niveaux de contacts avec l’autre), la réalité familiale et résidentielle de ces très nombreux enfants est difficile à saisir, d’autant plus que leurs arrangements peuvent changer avec le temps. Cette réalité peut cependant être mieux mesurée qu’elle l’a été jusqu’à maintenant. Même si le projet est important d’un point de vue purement comptable, l’enjeu principal se trouve probablement ailleurs : comment pouvons-nous faire l’économie de cette question dans la description de l’enfance contemporaine ?
Appendices
Remerciements
Le contenu de cet article est en partie tiré de la thèse de doctorat de l’auteur qui a été effectuée à l’Université de Montréal et financée par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH). Certaines des analyses contenues dans ce texte ont été réalisées au Centre interuniversitaire québécois de statistiques sociales (CIQSS), membre du Réseau canadien des centres de données de recherche (RCCDR). Les activités du CIQSS sont rendues possibles grâce à l’appui financier du CRSH, des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), de la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI), de Statistique Canada, du Fonds de recherche du Québec — Société et culture (FRQSC), du Fonds de recherche du Québec — Santé (FRQS) ainsi que de l’ensemble des universités québécoises qui participent à leur financement. Les idées exprimées dans ce texte sont celles de l’auteur et non celles des partenaires financiers.
Notes
-
[1]
On peut penser entre autres aux couples non cohabitants, mieux connues sous l’acronyme anglais LAT (pour living apart together) (Régnier-Loilier et collab. 2009), ou encore aux relations de proximité entre adultes d’une même famille élargie, la famille-entourage de Bonvalet et Lelièvre (1995).
-
[2]
Notons toutefois que, bien que le surdénombrement soit en croissance, le sous-dénombrement des 0-17 ans (3 %) demeure toujours un peu plus élevé que leur surdénombrement (2,5 %) (Statistique Canada, 2015a). Le double compte des enfants de parents séparés n’entraîne donc pas directement une surestimation du nombre total d’enfants, seulement une distorsion de la composition de cette sous-population.
-
[3]
Même les pays dotés de registres de population détaillés, comme la Belgique, doivent avoir recours à des enquêtes pour mesurer la double résidence puisque l’enfant ne peut être officiellement domicilié qu’à une seule adresse dans le registre. Tout récemment, le registre belge a cependant permis de faire cohabiter cette adresse unique avec une note facultative au dossier de l’enfant indiquant qu’il réside aussi parfois ailleurs (Arrêté royal, 2016).
-
[4]
Depuis 1997, une séance d’information sur la médiation familiale est obligatoire avant d’entreprendre des démarches auprès des tribunaux. La médiation elle-même n’est pas obligatoire, mais elle est encouragée et les premières séances sont gratuites.
-
[5]
Pour les nourrissons toutefois, le seuil discuté est souvent inférieur. C’est l’idée même de pouvoir coucher dans deux foyers différents, ne serait-ce que quelques nuits par mois, qui fait débat (Warshak, 2014).
-
[6]
Aux premiers cycles, par exemple, on n’a pas directement demandé quel était l’arrangement en vigueur au moment de l’enquête, celui-ci doit plutôt être reconstitué à partir de l’arrangement établi au moment de la séparation et de la série des changements qui ont pu survenir entre la séparation et l’enquête, soit sur une période pouvant aller jusqu’à 11 ans.
-
[7]
Les CDR sont issus d’une entente entre Statistique Canada et les universités du pays. Ils visent à faciliter l’accès aux fichiers maîtres des enquêtes de l’organisme par les chercheurs et les étudiants universitaires dans un environnement assurant la protection des informations confidentielles des répondants.
-
[8]
En 2006, la question s’adressait aux répondants ayant vécu une séparation au cours des cinq années précédentes et ayant des enfants de moins de 23 ans. En 2011, elle s’adressait plutôt aux répondants ayant vécu une séparation au cours des 20 années précédentes et ayant des enfants de moins de 18 ans. Les répondants dont l’ex-conjoint était décédé au moment de l’enquête ont été exclus du calcul en 2011, mais n’ont pu être identifiés en 2006. Les très rares cas de valeurs manquantes ont été exclus du dénominateur.
-
[9]
Toutes les statistiques excluent du dénominateur les 0,7 % d’enfants ne vivant chez aucun de leurs parents.
-
[10]
Ces proportions datent de 1997-1998 (Fortin et collab. 2000). Elles ont probablement évolué depuis, mais les publications subséquentes ne permettent pas de le déterminer.
-
[11]
En réalité, certains sont nés dans les régions limitrophes de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick, mais leurs mères étaient toutes domiciliées au Québec au moment de la naissance.
-
[12]
Pour être exact, la formulation de 2010 utilise « chez », alors que celle de 2013 utilise « avec ».
-
[13]
Les neuf autres provinces ne forment pas un groupe homogène, mais les estimations pour les provinces moins populeuses sont basées sur de petits échantillons ce qui rend volatile leur rang relatif d’un cycle à l’autre. Le Québec se retrouve toujours au premier rang même s’il est parfois talonné par différentes provinces dans certains groupes d’âge et cycles.
-
[14]
Il n’a pas été possible de trouver de documents permettant de confirmer si cette présomption était un effet volontaire ou non, mais compte tenu de la marginalité du phénomène au Québec à l’époque, il serait surprenant que la garde partagée ait été au coeur des préoccupations des juristes et des parlementaires.
Bibliographie
- Arrêté royal modifiant l’arrêté royal du 16 juillet 1992 déterminant les informations mentionnées dans les registres de la population et dans le registre des étrangers afin d’enregistrer une information relative à l’hébergement partagé des mineurs. 2016. Moniteur belge, 5 février : 8306-8307.
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- Bonvalet, C. et É. Lelièvre. 1995. « Du concept de ménage à celui d’entourage : une redéfinition de l’espace familial », Sociologie et sociétés, 27, 2 : 177-190.
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