Cahiers québécois de démographie
Volume 46, Number 1, Spring 2017 La démographie de la famille et le droit de la famille Guest-edited by Benoît Laplante and Hélène Belleau
Table of contents (7 articles)
Introduction
Articles
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L’égalité, l’indépendance et l’union de fait : le choix de l’union de fait et du mariage au Québec et en Ontario de 1986 à 2011
Benoît Laplante and Ana Fostik
pp. 11–45
AbstractFR:
Le débat qui a entouré la cause « Lola c. Éric » a renouvelé l’intérêt pour le rôle de l’indépendance économique de la conjointe et l’égalité des conjoints dans le couple dans le choix entre le mariage et l’union libre comme forme de vie conjugale. Il force également à réfléchir sur la signification sociale de la différence marquée entre le Québec et le reste du Canada dans l’usage de l’union de fait. Nous abordons la question en la reliant à la différence conceptuelle profonde qui sépare les systèmes de droit privé et d’État social des deux sociétés. Nous utilisons les microdonnées de l’échantillon de 20 % de la population qui a rempli le formulaire « long » du recensement canadien en 1986, 1996 et 2006 et de l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 en estimant, au moyen de la régression logistique, l’effet d’une série de caractéristiques sur la probabilité de vivre en union de fait plutôt que d’être mariée chez les femmes âgées de 20 à 49 ans qui vivent dans une union conjugale. Afin d’éviter de comparer des ensembles trop hétérogènes, nous comparons les francophones du Québec et les anglophones de l’Ontario. Les résultats montrent que dans les couples où la conjointe est active, l’indépendance économique de la conjointe et l’égalité économique des conjoints ont un effet significatif, mais secondaire sur la probabilité de vivre en union de fait. Au Québec, l’union de fait est la norme dans toutes les couches sociales pour tous les couples où la conjointe est active ; le mariage est plus fréquent dans les couples où la femme n’est pas active. En Ontario, vivre ensemble sans être mariés au-delà de 30 ans est essentiellement une affaire de classe sociale.
EN:
The debate surrounding the “Lola v Eric” case has renewed interest in the role played by the economic independence of female partners and by equality between partners in the choices couples make between marriage and common-law union as a form of conjugal life. It also forces us to reflect on the social significance of the marked difference between Quebec and the rest of Canada in the practice of common-law unions. We approach this question by linking it to the profound conceptual difference separating the systems of private law and welfare state in these two societies. We use micro-data from the 20 % sample of the population which completed the 1986, 1996, and 2006 Canadian census long form and from the National Household Survey of 2011, to estimate, using logistic regression, the effects of a series of characteristics on the probability of living in a common-law union as opposed to being married, for women aged 20 to 49 living in a conjugal union. In order to avoid comparing sets of data which are too heterogeneous, we compared Francophone women in Quebec with Anglophone women in Ontario. The results show that in couples where the female partner is economically active, the economic independence of the woman partner and the economic equality between partners have an effect which is significant, but secondary, on the probability of living in a common-law union. In Quebec, common-law unions are the norm at all social levels for all couples where the female partner is economically active ; marriage is more common in couples where the woman does not work. In Ontario, living together without being married after the age of 30 is essentially a matter of social class.
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La gestion commune au sein des couples : une question de mariage ou pas ?
Hélène Belleau, Carmen Lavallée and Annabelle Seery
pp. 47–71
AbstractFR:
Dans plusieurs pays, on observe que les couples mariés tendent à gérer ensemble leur argent alors que les couples en union libre sont plus enclins à le gérer séparément. L’objectif de cet article est de déterminer si ces différences sont aussi présentes au Québec où les unions libres sont largement répandues et d’identifier d’autres variables que l’état matrimonial pour expliquer ces différences. L’étude s’appuie sur une enquête québécoise inédite (n = 3246) réalisée en 2015 par Belleau et collab. (2017) et portant sur les arrangements économiques des couples et les enjeux juridiques qui s’y rattachent. Les résultats de deux analyses de régression logistique confirment l’existence d’un modèle explicatif permettant de mieux comprendre la mise en commun des revenus qui tient compte de variables telles que : la durée de la vie commune, la présence d’enfant commun, le fait d’être copropriétaire et les connaissances juridiques. Les auteures soulignent qu’il est impératif que les lois privées, sociales et fiscales soient adaptées aux situations réelles des couples du Québec, peu importe qu’ils soient mariés ou non.
EN:
In many countries we observe that married couples tend to manage their money jointly, while couples in common-law unions are more inclined to manage it separately. The aim of this article is to determine whether these differences are also present in Quebec, where free unions are widespread, and to identify variables other than marital status which may explain these differences. The study is based on an unpublished survey (n = 3246) carried out in Quebec in 2015 by Belleau et al. (2017) focusing on the economic arrangements between couples and the legal issues attached to these. The results of two logistic regression analyses confirm the existence of an explanatory model which enables us to better understand income sharing and which takes account of variables such as : the length of time lived together, presence or absence of children of the couple, being co-owners of property, and legal knowledge. The authors argue for the urgent necessity for private, social and fiscal legislation to be adapted to the real situations of couples in Quebec, no matter whether married or unmarried.
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Et si les conjoints ne partageaient pas tous leurs revenus ? Conséquences sur la mesure des inégalités du bien-être
Stéphane Crespo
pp. 73–99
AbstractFR:
Que ce soit dans l’application des mesures découlant du droit fiscal et social de la famille, ou dans le calcul des inégalités en bien-être économique sous-jacentes aux statistiques de pauvreté, le « revenu familial » joue un rôle central. Or, ce concept véhicule l’idée que les revenus des membres d’une famille sont mis en commun et également partagés, ce qui implique l’absence de toute inégalité intrafamiliale de ce bien-être. Pourtant, en mettant en évidence des modes de gestion individualisée des revenus dans les couples, la littérature suggère que cette inégalité intrafamiliale est importante et doit être prise en compte. Au moyen de simulations réalisées sur des échantillons de couples de moins de 65 ans, sans enfants, au Québec entre 1979 et 2014, nous tentons d’estimer cette inégalité en fonction de variantes d’un mode de gestion individualisée par lequel les conjoints retiennent hors d’un pot commun des parts plus ou moins élevées de leurs revenus respectifs. Les résultats montrent que l’inégalité intrafamiliale augmente en fonction de ces parts, à plus forte raison lorsqu’elles sont plus élevées pour le conjoint masculin. Aussi, cette inégalité était plus élevée en 1979 qu’en 2014 alors que les écarts de revenus à l’avantage des hommes étaient plus importants. Enfin, les biais dans l’estimation de l’inégalité totale qui résultent de la non prise en compte de l’inégalité intrafamiliale sont non négligeables.
EN:
“Family income” plays a central role in the implementation of tax and social benefit provisions, as well as in the calculation of the inequalities in economic welfare that underly poverty statistics. But the concept contains the assumption that the incomes of family members are pooled and equally shared, implying an absence of welfare inequality within the family itself. In fact the literature exploring individualised management of incomes within couples actually suggests that such intra-familial inequality is significant and needs to be taken into account. Using simulations carried out with samples of couples aged under 65 and without children in Quebec between 1979 and 2014, we attempt to estimate this inequality in terms of a variety of styles of individualised management, in which the partners retain larger or smaller shares of their respective incomes independently of a common pot. Our results show that intra-familial inequality increases with the size of these independent shares, and all the more so when the male partner’s share is larger. This inequality was greater in 1979, when men’s relative advantage in income was larger, than in 2014. We conclude that the biases in the estimation of total inequality that result from not taking intrafamilial inequality into account are non-negligible.
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Combien d’enfants en double résidence ou en garde partagée ? Sources et mesures dans les contextes québécois et canadien
David Pelletier
pp. 101–127
AbstractFR:
À la base de ce texte se trouve une question très simple : combien d’enfants partagent leur temps de façon plus ou moins égale entre la résidence de leur mère et celle de leur père à la suite de la séparation de ceux-ci ? Après une description des nombreux enjeux liés à la mesure des arrangements résidentiels des enfants, une analyse critique des différentes sources de données disponibles aux niveaux québécois et canadien permet de constater le caractère fragmentaire de nos connaissances actuelles sur le sujet. Au final, la réponse apportée reste équivoque. D’un point de vue relatif, on peut affirmer sans trop de risques de se tromper que le nombre d’enfants en double résidence a augmenté rapidement au cours des deux dernières décennies, et davantage au Québec que dans le reste du Canada. Concernant les niveaux absolus, cependant, beaucoup d’incertitude demeure puisque les chiffres produits par les diverses sources concordent rarement. L’intégration de données d’enquête et de données administratives sera probablement nécessaire afin d’apporter une réponse plus solide.
EN:
A simple question lies at the root of this article : How many children share their time more or less equally between the residence of their mother and that of their father following the separation of their parents ? After a description of the many issues related to the measurement of children’s residential arrangements, a critical analysis of the different data sources available at the Québécois and Canadian levels reveals the fragmentary nature of our current knowledge. In the end, the answer provided remains equivocal. From a relative point of view, it can be safely asserted that the number of dual-residence children has increased rapidly over the past two decades, and more so in Quebec than in the rest of Canada. With respect to absolute levels, however, much uncertainty remains as the figures produced by the various sources rarely match. The integration of survey and administrative data is likely to be necessary in order to provide a more robust answer.
Articles hors-thème
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Analyse de la cohabitation spatiale des communautés immigrantes avec les francophones et les anglophones de la région métropolitaine de Montréal
Guillaume Marois, Sébastien Lord and Alain Bélanger
pp. 129–156
AbstractFR:
Au cours des 20e et 21e siècles, la région métropolitaine de Montréal a connu plusieurs vagues successives d’immigration provenant de plusieurs pays et abrite aujourd’hui nombre de communautés d’origines diverses. Si la théorie de l’assimilation spatiale prévoit que peu à peu, les immigrants tendent à avoir des comportements comparables à ceux des natifs en matière de localisation résidentielle, ce processus peut suivre différentes dynamiques dans la région métropolitaine de Montréal, puisqu’elle est historiquement peuplée de deux grandes communautés natives, les francophones et les anglophones, qui ont chacun des comportements résidentiels distincts. L’objectif de cet article est de mesurer et d’analyser la cohabitation résidentielle des personnes issues de l’immigration avec les communautés d’accueil francophone et anglophone. La population étudiée est sélectionnée dans l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 et est constituée de la population vivant dans un ménage dont le principal soutien est soit lui-même né à l’étranger, soit a un parent né à l’étranger. Pour chacune des quinze plus importantes communautés immigrantes, nous avons construit deux modèles de régressions ayant comme variables dépendantes respectivement la proportion de francophones de 3e génération vivant dans le quartier et la proportion d’anglophones de 3e génération, de manière à calculer des indices d’interaction standardisés selon une série de variables indépendantes (âge, sexe, durée de résidence, scolarité, revenu et connaissances linguistiques). Il en ressort que dans l’ensemble, l’assimilation spatiale des communautés immigrantes ne se fait pas en référence aux francophones majoritaires, mais plutôt en référence à la minorité anglophone. Une forte hétérogénéité s’observe toutefois entre les communautés et au sein de celles-ci.
EN:
The Montreal metropolitan area has experienced many successive waves of immigration originating from a range of countries in the 20th and 21st centuries, and is home today to numerous communities of diverse origins. While assimilation theory expects immigrants gradually to adopt behaviours comparable to those of native groups in terms of residential location, the dynamics of this process may be different in the Montreal metropolitan area, which has historically been inhabited by large native Francophone and Anglophone communities, each with their own distinct patterns of residential location behaviour. This article aims to measure and analyse the residential cohabitation of people of immigrant origin with these Francophone and Anglophone host communities. The study population is selected from the National Household Survey of 2011 and is composed of the population living in households where the principal livelihood provider was born outside the country or has a parent born outside the country. For each of the fifteen largest immigrant communities we have constructed two regression models with, as dependent variables, the proportion respectively of 3rd generation Francophones and 3rd generation Anglophones living in the same district. This enables us to calculate standardised indexes of interaction according to a series of independent variables such as age, sex, length of residence, education, income and languages spoken. We find that in overall terms the spatial assimilation of immigrant communities takes place with reference to the Anglophone minority rather than the Francophone majority. However there is a high degree of heterogeneity both between and within communities.
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Une illustration du lien entre âge, travail et santé en fin de carrière dans les pays économiquement développés
Michaël Boissonneault and Antoine Vilotitch
pp. 157–188
AbstractFR:
Pour contrer les effets du vieillissement démographique, une plus grande participation au marché du travail des personnes vieillissantes est souhaitée dans de nombreux pays économiquement développés. Le fait que la santé se détériore avec l’âge pourrait cependant constituer un frein à une augmentation des taux de participation. Nous examinons, à l’aide de cartes thermiques, le lien entre santé et participation au marché du travail aux âges avancés en utilisant des données sur des mesures objectives de santé physique produites dans le cadre de la Health and Retirement Study (HRS) et ses études soeurs. Nous montrons que le lien entre santé et travail est relativement constant entre pays et à travers le temps, et est robuste au choix de la mesure de santé. Dans deux pays (ou groupes de pays) étudiés, sur une période couvrant environ sept ans, les personnes ayant contribué le plus à l’augmentation des taux d’activité sont celles en moins bonne santé. Nous discutons cette évolution sur fond de changements dans les programmes de retraite gouvernementaux, notamment ceux destinés aux personnes en incapacité de travailler.
EN:
In order to counteract the effects of population aging, greater labour force participation of older adults is desired in many economically developed countries. Health, however, tends to deteriorate with age, which can become an obstacle for higher participation. Using data on objective measures of physical health from the Health and Retirement Study (HRS) and two of its sister studies, we examine the link between age, labour force participation and health at older ages. For this purpose we present a series of heat maps. We find that the form of the link between health and labour force participation is relatively constant between countries and over time, and is robust to the choice of the health measure. In two countries (or groups of countries) studied, over a period of about seven years, the people who contributed the most to the increase in participation rates were those in poorer health. We discuss this development against a background of changes in pension programs, particularly those targeting disabled people.