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Ce texte approfondit l’analyse d’une question abordée dans la thèse de doctorat de Valerie Martin (Martin, 2008). Les analyses ont été réalisées au Centre interuniversitaire québécois de statistiques sociales (CIQSS), qui procure aux chercheurs un accès aux données détaillées de Statistique Canada ; les opinions exprimées par les auteures n’engagent cependant qu’elles-mêmes. La recherche a bénéficié de l’appui financier du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) du Canada et de la Chaire de recherche du Canada en statistiques sociales et changement familial de l’Université McGill. Les auteures désirent également remercier Paul-Marie Huot pour son aide précieuse dans l’analyse des données.

Introduction

Au Canada, tout comme ailleurs en Occident, la vie familiale apparaît aujourd’hui fort mouvementée en raison de la propension élevée des couples à se séparer, et ce, même en présence d’enfants. Quasi inexistant au moment de l’entrée en vigueur de la Loi sur le divorce en 1968, l’indice synthétique de divortialité a crû de façon continue jusqu’à la fin des années 1980 (Dumas et Péron, 1992), et se situe aujourd’hui autour de 40 % (Bess Kelly, 2012). Parallèlement, on a assisté à une progression soutenue des unions libres, lesquelles demeurent, même après la naissance d’enfants, nettement plus instables que les mariages (Le Bourdais, Neill et Marcil-Gratton, 2000).

Une fois leur première famille rompue, une proportion élevée d’hommes et de femmes se remettent en couple, le plus souvent en union libre cette fois. Ils forment ainsi une famille recomposée, c’est-à-dire une famille comprenant au moins un enfant né d’une union antérieure de l’un des deux conjoints. Étant donné le niveau élevé d’instabilité conjugale qui prévaut depuis plusieurs années, le nombre de familles recomposées a augmenté au fil des ans. Au Canada, ces familles représentaient 12,6 % de l’ensemble des familles avec enfants, selon les données du Recensement de la population de 2011 (Statistique Canada, 2012). Ce pourcentage est semblable à celui que l’on observe aux États-Unis et dans plusieurs pays européens (Sweeney, 2010).

Le pourcentage de familles recomposées établi à partir de données du moment sous-estime bien évidemment la proportion d’individus — parents et enfants — qui feront au moins une fois dans leur vie l’expérience de ce type de famille puisqu’il ne tient pas compte, par exemple, des familles recomposées qui se sont dissoutes avant le moment d’observation. Lorsqu’on adopte une perspective longitudinale et qu’on suit le déroulement de la vie des familles recomposées, des circonstances de leur formation jusque, éventuellement, aux modalités de leur dissolution, cette proportion augmente nettement : par exemple, on estime aux États-Unis qu’environ le tiers des enfants vivront en famille recomposée avant d’atteindre l’âge adulte (Bumpass, Raley et Sweet, 1995).

Plusieurs études, pour la plupart réalisées au cours des années 1980 et 1990, ont analysé les ruptures d’union parmi des familles recomposées. Elles ont montré que ces familles sont plus instables que les familles formées en première union (Ambert, 1986 ; Booth et Edwards, 1992 ; Desrosiers, Le Bourdais et Laplante, 1995 ; Teachman, 1986 ; Wineberg, 1992) et plusieurs hypothèses ont été avancées pour rendre compte de l’écart observé. Parmi celles-ci, le fait que, dans les familles recomposées, au moins un des partenaires ait déjà connu une séparation ou un divorce expliquerait en partie la propension plus grande de ces couples à mettre fin à l’union dans le cas d’une relation non satisfaisante ou malheureuse (Booth et Edwards, 1992). De même, on souligne que la présence d’enfants dès les tout débuts de l’union et l’absence de normes claires définissant les relations entre beaux-parents et beaux-enfants seraient source de tensions et de conflits au sein du couple pouvant mener à l’éclatement de la famille (Cherlin, 1978 ; Glick, 1989 ; Wineberg, 1992).

La composition des familles recomposées est sans doute l’une caractéristiques qui a reçu le plus d’attention dans les travaux s’intéressant à la durée de vie des familles recomposées. Les recherches se situant dans le champ de la psychologie ont surtout tenté d’expliquer les variations observées dans la qualité des relations existant entre les membres de la famille selon que celle-ci s’est construite par l’ajout d’un beau-père ou d’une belle-mère. Dans l’ensemble, elles constatent que les belles-mères font face à plus de difficultés que les beaux-pères dans leurs relations avec les enfants de leur conjoint (Pasley et Ihinger-Tallman, 1987 ; Ihinger-Tallman et Pasley, 1997) ; elles invoquent les conflits de loyauté que les enfants peuvent éprouver à l’égard de leur mère (Ihinger-Tallman, 1988), ainsi que les stéréotypes puissants accolés aux « marâtres » des contes de fées (Sweeney, 2010), pour rendre compte de cette situation. Selon certains auteurs (Cherlin et Furstenberg, 1994 ; Coleman et al., 2000), les difficultés auxquelles les belles-mères font face en accédant à un rôle de beau-parent contribueraient à réduire leur satisfaction conjugale et accroîtraient par conséquent les risques de séparation au sein des familles recomposées autour d’un père et de ses enfants.

Contrairement à ces études qui laissent supposer que les familles recomposées comptant un beau-père sont plus stables que celles formées par l’arrivée d’une belle-mère, les travaux en démographie montrent toutes sans équivoque que les premières sont proportionnellement plus nombreuses que les secondes à se terminer par séparation ou divorce (Desrosiers et collab., 1995 ; Juby, Marcil-Gratton et Le Bourdais, 2001 ; Martin, Le Bourdais et Lapierre-Adamcyk, 2011 ; Teachman 1986, 2008). Le principal argument avancé pour expliquer ce résultat est que les femmes seraient davantage prêtes que les hommes à s’investir auprès des enfants de leur conjoint et à faire des compromis afin d’assurer la stabilité de la famille (Ambert, 1986 ; Pasley et Ihinger-Tallman, 1987). De plus, une autre recherche suggère que les familles recomposées avec une belle-mère sont peut-être plus susceptibles de comprendre des hommes qui sont profondément impliqués dans la prise en charge de leurs enfants, comme en témoigne, par exemple, le fait qu’ils en aient la garde ; on s’attendrait, par conséquent, à ce que ces familles soient moins à risque de se séparer que les familles comptant un beau-père dont le niveau d’engagement dans la vie familiale reste parfois minimal (Juby, Le Bourdais et Marcil-Gratton, 2005). Malheureusement, on ne dispose généralement pas des données requises pour estimer l’effet du niveau d’engagement des beaux-parents sur la stabilité des familles recomposées.

Une façon indirecte de tenir compte de cet effet consiste à reprendre l’analyse en ne nous limitant pas, comme l’ont fait les études antérieures, aux réponses que les femmes ont fournies lorsqu’elles ont été rejointes dans le cadre d’enquêtes de nature prospective (Juby et collab., 2001) ou rétrospective (Desrosiers et collab., 1995 ; Martin et collab., 2011 ; Teachman, 1986, 2008), mais en y incluant également les informations qu’ont données les hommes[1]. On a souvent justifié l’exclusion de ces derniers des études en démographie de la famille en raison des difficultés qu’ont les enquêtes à les rejoindre et de la fiabilité plus grande des informations fournies par les femmes (Joyner et collab., 2012 ; Juby et Le Bourdais, 1999 ; Rendall, Clarke, Peters, Ranjit et Verropolou, 1999). Nombre de chercheurs soulignent cependant la nécessité de « ramener les hommes »[2] dans l’analyse, étant donné que leurs trajectoires familiales s’écartent de plus en plus de celles des femmes en raison de leur propension plus grande à former rapidement une nouvelle union après une séparation et le fait que la garde des enfants soit majoritairement confiée aux mères (Goldscheider et Kaufman, 1996 ; Marsiglio, Amato, Day et Lamb, 2000). L’inclusion des réponses des hommes dans l’analyse des facteurs associés aux risques de séparation des familles recomposées devrait également nous permettre d’examiner dans quelle mesure les résultats obtenus à ce jour quant à la stabilité plus grande des familles recomposées avec belle-mère témoignent de l’existence d’une association réelle. Cette dernière est mise en doute par les résultats contradictoires des études psychologiques et démographiques, peut-être liés à la méthode de collecte des données ou au fait qu’ils prennent en compte uniquement le point de vue des femmes. D’où l’objectif de ce texte, qui examine l’effet de la composition de la famille sur les risques d’éclatement du premier épisode vécu en famille recomposée parmi les répondants interviewés en 2001 par Statistique Canada dans le cadre de l’Enquête sociale générale (ESG) sur la famille.

La construction des épisodes de vie en famille recomposée

L’ESG (cycle 15) sur la famille, réalisée entre février et décembre 2001, a rejoint un large échantillon de 24 310 répondants, hommes et femmes, représentatif de la population canadienne âgée de 15 ans et plus, à l’exclusion des personnes vivant en institution et des résidents du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut (Statistique Canada, 2003). L’ESG a recueilli des informations sur la composition des ménages et des familles et sur un large éventail de caractéristiques sociodémographiques des répondants au moment de l’enquête, ainsi que sur leur histoire conjugale et parentale. En combinant ces différentes informations, on peut identifier non seulement les répondants qui vivaient en famille recomposée lorsqu’ils ont été interviewés, mais également ceux qui ont connu auparavant un ou plusieurs épisodes de vie dans ce type de famille.

D’un point de vue résidentiel, divers événements peuvent présider à la formation d’une famille recomposée :

  • L’arrivée d’un conjoint dans le ménage d’une personne qui vit avec ses enfants, nés d’une union antérieure ou hors union.

  • L’arrivée des enfants, nés d’une union antérieure d’un des membres du couple, dans le ménage de ce couple.

Les épisodes de vie en famille recomposée peuvent également prendre fin de différentes façons :

  • Par le départ du dernier enfant né d’une union antérieure d’un des membres du couple.

  • À la suite de la dissolution de l’union, par séparation ou décès de l’un des conjoints, alors que les enfants nés d’une union passée habitent toujours dans le foyer.

La reconstitution des épisodes de vie en famille recomposée nécessite donc que l’on dispose d’informations sur l’histoire conjugale et féconde des répondants et de leurs conjoints passés et actuels, ainsi que sur les périodes pendant lesquelles leurs enfants et les enfants de leurs conjoints ont résidé dans leur ménage. Il est cependant rare que toutes les informations nécessaires à cet exercice soient présentes dans les enquêtes rétrospectives. À titre d’exemple, l’ESG 2001 sur la famille a recueilli l’histoire conjugale et parentale des répondants, mais non celle de leurs conjoints, passés ou actuels. De plus, on ne dispose pas d’informations sur la circulation possible des enfants entre les domiciles de leurs parents séparés ; les enfants sont donc présumés vivre de façon continue dans le ménage des répondants, tant qu’ils ne l’ont pas quitté de manière définitive.

Le repérage des épisodes de vie en famille recomposée dans l’ESG 2001 s’effectue grâce à une démarche complexe qui combine les nombreuses informations recueillies dans diverses sections du questionnaire. Trois ensembles de renseignements sont présents : la composition du ménage au moment de l’observation précise les liens entre toutes les personnes présentes dans le ménage ; l’histoire conjugale des répondants fournit les dates de début de chacun des mariages et unions libres qu’ils ont connus, ainsi que de fin d’union, le cas échéant ; l’histoire parentale des répondants comprend les dates de naissance de chacun des enfants qu’ils ont eus, les dates de naissance et d’arrivée dans leur ménage des enfants qu’ils ont adoptés et des enfants d’un conjoint (enfants par alliance) qu’ils ont élevés[3], ainsi que les dates de départ définitif de chacun de ces enfants de leur ménage. Voulant minimiser les risques d’omission, surtout par les hommes, d’enfants nés d’unions antérieures, on a demandé aux répondants pour chacune des unions (mariage ou union libre) qu’ils ont mentionnées si des enfants étaient nés de cette union. Selon une expérience conduite aux États-Unis à la fin des années 1980, cette approche, utilisée pour la première fois en 2001 par Statistique Canada, aurait contribué de manière concluante à améliorer la déclaration par les répondants des enfants qu’ils avaient eus dans le cadre d’unions antérieures (pour une discussion, voir Joyner et collab., 2012). Par conséquent, on peut supposer que les biais liés à la sous-déclaration d’enfants par les hommes sont plus faibles dans l’ESG 2001 sur la famille qu’ils ne l’étaient dans les enquêtes précédentes.

La démarche suivie pour reconstituer les épisodes de vie en famille recomposée varie en fonction du rôle parental du répondant dans la famille. Lorsque le répondant est le parent biologique des enfants, la confrontation de l’histoire conjugale et féconde de ce répondant permet de situer le début de l’épisode ; celui-ci commence dès la mise en union avec un nouveau conjoint[4] d’un répondant qui vit avec ses enfants. L’épisode est par la suite réputé prendre fin lorsque le dernier enfant qui n’est pas issu de l’union en cours quitte le foyer, ou lorsque l’union se termine par séparation ou veuvage. Si aucun de ces deux événements ne survient avant la tenue de l’enquête, c’est que l’épisode en famille recomposée est toujours en cours, ce que devrait confirmer la matrice des liens existant entre tous les membres du ménage au moment de l’observation.

Par ailleurs, lorsque le répondant joue le rôle de beau-parent, deux situations peuvent se présenter selon que l’épisode est ou non toujours en cours au moment de l’enquête. Si l’épisode en famille recomposée est terminé, il ne sera repéré que si le répondant a déclaré avoir élevé les enfants d’un(e) ex-conjoint(e). Si par contre l’épisode est toujours en cours au moment de l’enquête, il sera repéré directement à partir de la matrice des relations entre les membres du ménage et le début de l’épisode sera établi par la confrontation des dates d’union et des dates d’arrivée des enfants.

En résumé, à partir des données de l’ESG 2001, les épisodes de vie en famille recomposée vécus par les répondants à titre de parent biologique peuvent être systématiquement identifiés par la confrontation des dates d’union et de naissance des enfants, lorsque les épisodes sont terminés, et par le recours à la composition du ménage, pour les épisodes en cours au moment de l’observation. Dans ces cas, les répondants n’ont pas à confirmer que leur conjoint a joué ou joue un rôle de beau-parent auprès des enfants : le seul fait de la résidence commune suffit. De la même façon, les épisodes de vie en famille recomposée vécus à titre de beau-parent et toujours en cours au moment de l’observation sont détectés par les relations entre les membres du ménage déclarées en début d’entrevue, le lien de beau-parent étant déterminé sur la seule base de la corésidence avec un conjoint et les enfants qu’il ou elle a eus d’une union antérieure, sans que le répondant n’ait à confirmer jouer un rôle de beau-parent auprès de ces enfants. Par contre, lorsque l’épisode est terminé, le répondant doit nécessairement mentionner avoir élevé les enfants d’un ex-conjoint pour que l’épisode soit repéré. L’absence de renseignements sur les enfants issus d’une relation antérieure d’un ex-conjoint avec lequel le répondant a pu habiter pendant un certain temps sans toutefois s’investir dans un rôle de beau-parent rend donc tout simplement impossible le repérage d’un tel épisode. Cette façon de procéder, dictée par le mode de collecte des données utilisé dans l’ESG, entraîne nécessairement une sous-représentation des épisodes terminés que les répondants ont traversés comme beau-parent, cette sous-représentation devant marquer davantage les épisodes rapportés par les hommes, plus susceptibles de vivre en famille recomposée à titre de beau-père que les femmes de le faire à titre de belle-mère. C’est à tout le moins ce que suggèrent au premier coup d’oeil les données présentées dans le tableau 1.

Le tableau 1 fournit la distribution, selon le sexe des répondants et la composition de la famille, des premiers épisodes de vie en famille recomposée, lesquels constituent la très grande majorité des épisodes passés dans ce type de famille[5]. L’échantillon initial comprenait un total de 2 389 répondants, hommes et femmes, ayant connu au moins un épisode en famille recomposée ; ont par la suite été exclus de l’analyse 309 épisodes comprenant seulement des enfants âgés de 21 ans et plus au moment de la formation de la famille[6]. L’échantillon présenté dans le tableau 1 comprend donc 2 080 épisodes de famille recomposée, dont 1 521 terminés et 559 en cours au moment de l’enquête.

Plusieurs des résultats présentés dans le tableau 1 sont à relever. On notera d’abord que la proportion d’épisodes terminés de vie en famille recomposée rapportés par les femmes est nettement plus élevée que celle identifiée à partir des réponses des hommes : à peine le tiers des épisodes terminés ont été rapportés par des répondants masculins, alors que les épisodes qui étaient en cours au moment de l’enquête se répartissent à parts égales entre hommes et femmes. Cet écart tient, en premier lieu, à la difficulté qu’ont généralement les enquêtes à rejoindre les pères séparés et à la sous-déclaration dans les enquêtes rétrospectives des enfants que ces hommes ont mis au monde (Joyner et collab., 2012 ; Juby et Le Bourdais, 1999 ; Rendall et collab., 1999). De prime abord, il semblerait donc que la nouvelle approche adoptée par Statistique Canada, qui consiste à demander aux répondants si des enfants sont nés de chacune de leurs unions antérieures, a amélioré le taux de déclaration de ces enfants par les hommes, mais n’a pas suffi à le redresser totalement. Une partie de l’écart observé est aussi probablement lié au fait que les enfants sont majoritairement confiés aux mères au lendemain d’une séparation. Nombre d’hommes vivent ainsi en union aux côtés d’une femme et ses enfants sans nécessairement s’impliquer dans la vie de ces derniers ; à la question « avez-vous élevé les enfants de cette conjointe », il est fort plausible d’imaginer que ces hommes auront répondu par la négative. À l’inverse, ce type de famille risque d’être beaucoup plus aisément détecté à partir des informations fournies par les femmes : le simple fait pour celles qui ont la garde de leurs enfants de se mettre en union avec un nouveau conjoint conduit automatiquement à l’identification d’une famille recomposée avec beau-père, quel que soit le rôle que celui-ci joue auprès des enfants. Les données présentées dans le tableau 1 confirment amplement cette interprétation : la très grande majorité (85,2 %) des épisodes terminés rapportés par les femmes ont été formés par l’arrivée d’un beau-père dans la famille, contre 40,1 % des épisodes mentionnés par les hommes. Une proportion nettement plus élevée (55,9 %) des épisodes identifiés à partir des informations fournies par hommes comprend donc une belle-mère, comparativement à ceux rapportés par les femmes (11,8 %) ; ces derniers sont le fait de femmes qui ont répondu avoir élevé les enfants de leur conjoint, un père qui assume la garde de ses enfants (pour une discussion de la sur-représentation dans les enquêtes rétrospectives des pères séparés engagés auprès de leurs enfants, voir Swiss et Le Bourdais, 2009).

Tableau 1

Distribution des premiers épisodes en famille recomposée selon le sexe du répondant et la composition de la famille recomposée

N = 559 ; χ2 = 27,4 ; p = 0,000

N = 1521 ; χ2 = 361,5 ; p = 0,000

Note : Les nombres correspondent aux nombres réels de répondants rejoints par l’enquête ; les pourcentages ont été pondérés pour tenir compte de la stratégie d’échantillonnage.

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L’examen de la distribution des épisodes familiaux en cours au moment de l’observation, établie directement à partir des liens existant entre les membres du ménage, révèle nettement moins d’écarts entre les sexes : 57,8 % des familles recomposées identifiées parmi les répondants de sexe masculin comprennent un beau-père vivant avec une conjointe et ses enfants, comparativement à 77,3 % des familles repérées parmi leurs homologues féminins. Comme nous l’avons mentionné précédemment, pour les épisodes en cours, les répondants n’avaient pas à répondre qu’ils élèvent les enfants de leur conjoint pour être identifiés comme beau-père ou belle-mère, le seul fait d’habiter sous le même toit étant suffisant[7].

On notera pour terminer que les familles mêlant deux fratries, c’est-à-dire comprenant un beau-père et une belle-mère, sont proportionnellement plus nombreuses chez les hommes que chez les femmes (16,0 % comparativement à 5,4 %) parmi les épisodes en cours ; cela est sans doute lié aux difficultés plus grandes qu’ont les enquêtes de rejoindre les pères séparés qui ont peu de contacts et n’habitent pas, même à temps partiel, avec leurs enfants (Lin, Schaeffer, Seltzer et Tuschen, 2004). Afin de simplifier l’interprétation, tous les épisodes — terminés ou en cours — comptant un beau-père et une belle-mère au moment de la recomposition familiale sont exclus de l’analyse qui suit. Ils représentaient 5,8 % de l’ensemble des premiers épisodes en famille recomposée identifiés parmi les femmes et les hommes (respectivement 3,6 % et 9,2 %).

Composition de la famille et risque d’éclatement des familles recomposées

Comme on vient de le voir, le repérage des épisodes de vie en famille recomposée varie grandement selon que l’épisode est en cours ou terminé au moment de l’observation. Il est plus aisé à réaliser à partir des réponses fournies par les femmes, plus nombreuses que leurs vis-à-vis masculins à vivre avec leurs enfants, advenant une séparation. Enfin, il varie également en fonction du rôle parental du répondant au sein de la famille, les répondants qui ont occupé un statut de beau-parent dans un épisode passé devant affirmer avoir joué un rôle actif dans l’éducation des enfants alors que ce n’est pas le cas si l’épisode est en cours au moment de l’enquête ou que le répondant est le parent biologique. Peut-on penser que ce processus, à géométrie variable, d’identification des épisodes de vie en famille recomposée est susceptible d’influencer la mesure des risques de séparation des couples selon que le répondant est un homme ou une femme ? L’analyse qui suit tente de répondre à cette question.

La figure 1 présente la proportion des premiers épisodes de famille recomposée subsistants en fonction de la durée écoulée depuis le début de l’épisode, et selon la composition de la famille et le sexe du répondant. Les proportions ont été établies à partir de tables de mortalité à extinction simple. Le principe de base de ces tables consiste à calculer, pour chaque durée donnée, la probabilité qu’ont les répondants vivant en famille recomposée de connaître une séparation ou un divorce, en rapportant le nombre d’individus qui connaissent un tel événement à ceux qui sont exposés au risque de le connaître, soit l’ensemble des répondants qui n’ont pas encore connu une rupture d’union et qui sont toujours en observation. Les épisodes encore en cours au moment de l’enquête, de même que ceux qui se sont terminés par le décès du conjoint ou par le départ du ménage du dernier enfant qui n’est pas issu du couple, sont censurés (au sens statistique) à la durée où l’observation s’arrête ou à laquelle l’événement perturbateur survient.

Tel qu’on peut le voir dans la partie gauche de la figure 1 qui illustre les résultats observés à partir des réponses fournies par les femmes, les familles recomposées comprenant une belle-mère apparaissent nettement plus stables que celles comptant un beau-père : douze ans après le début de l’épisode, près de 85 % des premières sont toujours en cours, comparativement à moins de 60 % des secondes. Ce résultat est tout à fait conforme à ceux qui ont été observés dans les études antérieures. Cependant, lorsqu’on s’attache aux informations fournies par les hommes, on observe la situation contraire. Dans ce cas, les familles à beau-père ressortent comme étant les plus stables : plus de 85 % d’entre elles subsistent comme telles douze ans après la formation de la famille, comparativement à un peu plus de 60 % des familles comptant une belle-mère. Se pourrait-il que la différence observée soit uniquement attribuable au fait que les répondants ayant occupé un statut de beau-parent dans le passé doivent affirmer avoir élevé les enfants d’un conjoint, alors que le rôle joué par le beau-parent n’a pas à être qualifié lorsque le répondant est le parent biologique ?

Figure 1

Proportion des premiers épisodes en famille recomposée subsistants selon la durée, selon la composition de la famille et selon le sexe du répondant

Proportion des premiers épisodes en famille recomposée subsistants selon la durée, selon la composition de la famille et selon le sexe du répondant

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Voulant répondre à cette question, la figure 2 reprend telles quelles dans la partie gauche les données de la figure 1, mais les réorganise dans la partie droite en fonction du rôle joué par les répondants dans la famille recomposée. Ce sont les mêmes courbes qui sont illustrées dans les deux côtés de la figure, mais vues d’une perspective différente. Par exemple, lorsqu’une femme répondante est identifiée comme vivant un épisode en famille recomposée avec beau-père, elle est nécessairement la mère, le parent biologique (ou adoptif) des enfants ; de même, si elle appartient à une famille avec belle-mère, elle occupe le statut de belle-mère. Le même raisonnement tient pour les hommes. Lorsque les courbes sont regroupées en fonction du statut du répondant dans la famille plutôt qu’en fonction de la composition de la famille, on observe très peu d’écart entre répondants hommes et femmes dans la propension des couples à se séparer (partie droite de la figure). Dans ce cas, les épisodes déduits des réponses des parents biologiques, hommes ou femmes, apparaissent nettement plus instables que les épisodes identifiés à partir des réponses des beaux-parents : 12 ans après le début de l’épisode, seulement 62 % des familles avec belle-mère rapportées par les hommes (trait pointillé) et 57 % des familles avec beau-père rapportées par les femmes (trait plein) sont encore en cours, comparativement à 85 % environ des familles identifiées à partir des beaux-parents eux-mêmes (courbes à l’extrême droite de la figure). On remarque que la proportion d’épisodes subsistants rapportés par les parents est légèrement supérieure parmi les familles avec belle-mère (62 %), c’est-à-dire lorsque le répondant est un homme, que parmi les familles avec beau-père (57 %). Pour juger de l’importance de cet écart, une analyse statistique plus approfondie, qui tient compte des effectifs en présence et des caractéristiques sociodémographiques des membres de la famille, s’impose.

Figure 2

Proportion des premiers épisodes en famille recomposée subsistants selon la durée et la composition de la famille et selon a) le sexe du répondant et b) le rôle du répondant dans la famille

Proportion des premiers épisodes en famille recomposée subsistants selon la durée et la composition de la famille et selon a) le sexe du répondant et b) le rôle du répondant dans la famille

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Des régressions semi-paramétriques à risques proportionnels (ou régressions de Cox) ont été menées en vue d’estimer de façon simultanée l’effet net que la composition de la famille et que les autres variables-clés identifiées dans les études antérieures exercent sur les risques de séparation des couples en famille recomposée (pour plus de détails sur la méthode, voir Blossfeld, Golsch et Rohwer, 2007 ; Cleves, Gould, Gutirrez et Marchenko, 2008 ; pour les autres variables retenues, voir Martin et collab., 2011). Outre la variable qui distingue les familles avec beau-père (catégorie de référence) des familles avec belle-mère, les variables incluses dans les analyses sont : l’âge des conjoints au début de l’épisode, l’âge du plus jeune enfant et le nombre d’enfants présents au début de l’épisode, la période pendant laquelle l’épisode s’est déroulé, la naissance d’un enfant commun en cours d’épisode ainsi qu’une variable d’interaction entre le type d’union et la région de résidence qui cherche à estimer l’effet du mariage et de l’union libre sur les risques de séparation des couples au Québec et ailleurs au Canada, où les unions libres sont nettement moins nombreuses. Les trois dernières variables mesurent des caractéristiques qui sont susceptibles de changer en cours d’épisode. Par exemple, des conjoints en union libre au début de l’épisode choisiront de légaliser leur union par la suite ; de même, certains couples pourront donner naissance à un enfant commun. Les régressions de Cox permettent de tenir compte de ces variables dont la valeur peut changer au fil du temps. Les coefficients des régressions sont présentés sous leur forme exponentielle (rapports de risque). Lorsque le coefficient associé à une variable est supérieur à 1, cela signifie que cette variable accroît le risque d’éclatement de la famille ; à l’inverse, un coefficient inférieur à 1 indique que la variable réduit ce risque. Pour les variables entrées dans le modèle sous forme dichotomique ou polydichotomique, les rapports de risque s’interprètent en fonction de la catégorie de référence (omise de l’équation), à laquelle est attribuée la valeur 1. Enfin, on notera que les poids autoamorçage (bootstrap) fournis par Statistique Canada ont été utilisés afin d’obtenir des estimations fiables et non biaisées de la variance qui tiennent compte du plan d’échantillonnage.

Le tableau 2 présente les résultats des analyses de régression pour les répondants qui sont regroupés d’abord selon le sexe[8] et ensuite selon le rôle joué dans l’épisode en famille recomposée. Voyons d’abord l’effet brut que le type de famille recomposée exerce sur la probabilité de rupture des épisodes de vie en famille recomposée. Lorsque le classement est effectué en fonction du sexe des répondants, les effets sont marqués et fortement significatifs, autant chez les hommes que chez les femmes, effets qui vont toutefois dans des directions opposées, comme l’avait montré l’analyse descriptive (figure 1). Par contre, lorsque la comparaison se fait en fonction du rôle que joue le répondant dans la famille recomposée, les effets sont non significatifs, tant parmi les parents biologiques que parmi les beaux-parents ; ils vont cependant aussi dans des sens opposés. Ainsi, lorsqu’on s’attache à la comparaison des réponses provenant des mères (familles avec beau-père) à celles provenant des pères (familles avec belle-mère), les familles avec belle-mère apparaissent légèrement moins instables (coefficient de 0,82, non significatif) que les familles avec beau-père (catégorie de référence), comme l’avait montré la figure 2. À l’inverse, lorsque les réponses obtenues de beaux-parents sont comparées, les familles avec belle-mère (réponses de femmes) apparaissent plus instables (coefficient de 1,41, non significatif) que les familles avec beau-père (réponses d’hommes) (catégorie de référence) ; ce résultat est quelque peu surprenant, compte tenu de la quasi-superposition des courbes observée à la figure 2.

Tableau 2

Facteurs sociodémographiques associés au risque de rupture du premier épisode en famille recomposée, divers sous-échantillons (modèle de Cox)

Facteurs sociodémographiques associés au risque de rupture du premier épisode en famille recomposée, divers sous-échantillons (modèle de Cox)

Seuil de signification des coefficients (exp ß) : *** p < 0,001 ; ** p < 0,01 ; * p < 0,05 ; † p < 0,10 après utilisation des poids bootstrap.

La catégorie de référence est indiquée entre parenthèses. En italique, variables dont la valeur peut varier dans le temps.

Source : Statistique Canada, Enquête sociale générale sur la famille 2001 (cycle 15)

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Pour tenter d’expliquer ce résultat au premier abord surprenant, nous avons entrepris d’examiner de plus près la distribution des épisodes en famille recomposée rapportés par les hommes et par les femmes en fonction de leur issue, c’est-à-dire selon si ces épisodes étaient encore en cours au moment de l’observation ou bien clos par le départ du dernier enfant non issu du couple (union encore en cours) ou par la rupture de l’union. La rupture d’union constitue l’événement d’intérêt dans les régressions (tout comme dans les tables de mortalité), alors que dans les deux autres cas, les épisodes sont censurés, c’est-à-dire sont exclus de l’analyse à la durée atteinte au moment de l’enquête ou au départ des enfants. La figure 3 présente la distribution des épisodes selon cette classification, suivant que les réponses proviennent des hommes ou des femmes. Le contraste est frappant : selon les réponses des femmes, 49 % des épisodes en famille recomposée se sont terminés par une rupture d’union, comparativement à 30 % selon les hommes. Cette différence est sans doute associée à une combinaison de facteurs. Au premier chef vient le fait que les femmes ont plus souvent que les hommes la garde de leurs enfants après une séparation et n’ont qu’à rapporter une union antérieure avec un homme qui n’était pas le père de leurs enfants pour qu’un épisode en famille recomposée soit repéré. À l’opposé, les hommes qui ont occupé le statut de beau-père dans de telles familles doivent affirmer avoir élevé les enfants de leur conjointe ; or, il est loin d’être certain qu’ils le font. De plus, le fait que les enquêtes peinent à rejoindre les pères séparés et que les informations que ces derniers fournissent sur leur vie familiale passée sont souvent incomplètes explique sans doute aussi en partie pourquoi les épisodes qu’ils ont vu se terminer par une rupture échappent plus souvent au radar des enquêtes rétrospectives. De façon complémentaire, les épisodes en cours au moment de l’observation sont proportionnellement plus nombreux chez les hommes que chez les femmes de manière nette (43 % contre 28 %) : cela tient au fait que ces épisodes leur sont attribués automatiquement sur la base de la simple corésidence avec une conjointe et ses enfants.

Figure 3

Répartion des premiers épisodes en famille recomposée selon l’issue de l’épisode et selon le sexe des répondants

Répartion des premiers épisodes en famille recomposée selon l’issue de l’épisode et selon le sexe des répondants

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La figure suivante, qui poursuit plus avant l’analyse en distinguant la composition de la famille en fonction des trois types d’issue considérés, confirme ces observations. Tel qu’on le voit sur la figure 4, les familles recomposées avec beau-père prédominent largement parmi les épisodes qui sont déduits des réponses des femmes, et ce, quel que soit le statut de l’épisode (voir la partie droite de la figure). La prépondérance de ce type de famille est plus marquée parmi les épisodes qui se sont terminés par la rupture du couple (91 %) que parmi ceux qui sont en cours (82 %) ou qui se sont terminés par le départ des enfants (80 %). On avait déjà noté dans le tableau 1 que le pourcentage de familles avec beau-père repéré à partir de l’échantillon des femmes était plus élevé parmi les épisodes terminés que parmi les épisodes en cours ; les données présentées à la figure 4 indiquent cependant que l’importance relative de ce type de famille parmi les épisodes qui se sont terminés par le départ du dernier enfant non issu du couple se rapproche davantage du pourcentage observé parmi les épisodes en cours que parmi ceux qui ont pris fin par séparation.

Figure 4

Répartition des premiers épisodes en famille recomposée selon l’issue de l’épisode et selon la composition de la famille et le sexe des répondants

Répartition des premiers épisodes en famille recomposée selon l’issue de l’épisode et selon la composition de la famille et le sexe des répondants

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L’image est très différente du côté des épisodes rapportés par les hommes. Sans surprise, on constate que le pourcentage de familles recomposées avec beau-père est toujours nettement inférieur à celui que l’on trouve parmi les répondantes. L’écart entre hommes et femmes est plus étroit parmi les épisodes en cours (69 % contre 82 %) ; il est nettement plus large parmi les épisodes qui se sont terminés par une rupture d’union (36 % contre 91 %) et se situe à mi-chemin pour les épisodes marqués par le départ des enfants (49 % contre 80 %). On se serait attendu à ce que les distributions soient davantage semblables entre répondants de sexes masculin et féminin parmi les épisodes en cours, détectés grâce aux renseignements sur la composition du ménage, et parmi les épisodes qui ont pris fin par le départ des enfants. Dans le premier cas, on se rappellera cependant qu’on a exclu une proportion plus grande chez les hommes que chez les femmes d’épisodes comprenant à la fois un beau-père et une belle-mère ; dans le second cas, la différence tient sans doute à la sous-déclaration par les hommes des enfants qu’ils ont eus d’une union précédente, comme les recherches passées l’ont montré (Joyner et collab., 2012).

L’ensemble de ces résultats est illustré de façon encore plus claire à la figure 5. Dans cette figure, les épisodes sont regroupés en fonction du rôle joué par le répondant dans la famille recomposée et selon que le répondant est un homme (H, père ou beau-père) ou une femme (F, mère ou belle-mère). On voit clairement que la répartition des épisodes en fonction de leur issue ne varie que faiblement entre hommes et femmes lorsqu’on regarde les parents biologiques : 26 % des épisodes rapportés par les pères et les mères étaient toujours en cours au moment de l’enquête et 45 % et 53 % respectivement des épisodes s’étaient terminés par une rupture d’union. Le contraste est davantage marqué lorsque le répondant est le beau-parent : 52 % des épisodes rapportés par des beaux-pères étaient en cours au moment de l’observation, comparativement à 37 % de ceux rapportés par des belles-mères. À l’inverse, 23 % des épisodes rapportés par les premiers avaient pris fin par séparation contre 31 % parmi les secondes. On notera toutefois que la différence entre les distributions observées à partir des réponses des pères et des beaux-pères est nettement plus accentuée que celle qui sépare les mères et les belles-mères.

Figure 5

Distribution des premiers épisodes en famille recomposée selon le rôle joué par les répondants, selon l’issue de l’épisode et selon le sexe des répondants

Distribution des premiers épisodes en famille recomposée selon le rôle joué par les répondants, selon l’issue de l’épisode et selon le sexe des répondants

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Les distributions très contrastées que l’on observe entre répondants hommes et femmes et parents et beaux-parents affectent sans doute l’estimation des coefficients liés à la composition de la famille dans les régressions de Cox, en raison de la durée variable des épisodes selon l’issue qui les caractérise. Une analyse séparée que nous avons menée montre que les épisodes en famille recomposée en cours au moment de l’enquête ont en moyenne une durée plus longue que ceux qui ont pris fin par séparation, ce qui ne saurait surprendre, l’observation transversale ayant toujours pour effet de surreprésenter les épisodes de longue durée au détriment des épisodes plus courts (Lillard et Waite, 1990). Cette analyse révèle également que les épisodes qui se sont terminés par le départ du foyer du dernier enfant non issu du couple ont duré en moyenne plus longtemps que ceux rompus par séparation (données non présentées). En d’autres termes, cette analyse montre clairement que les épisodes censurés ont une durée plus longue que ceux qui ont pris fin à la suite de la rupture du couple, laquelle constitue l’événement sous analyse. Le fait que les épisodes censurés se distribuent de manière inégale entre répondants hommes et femmes et entre parents et beaux-parents est-il susceptible de modifier l’influence que la composition de la famille exerce sur les risques de séparation, une fois qu’on contrôle l’effet de la période pendant laquelle l’événement a été vécu ?

La partie inférieure du tableau 2, qui présente les résultats des analyses de régression une fois prises en compte l’ensemble des variables sociodémographiques retenues, confirme l’existence d’un tel effet. L’examen du tableau 2 montre que l’introduction des variables indépendantes dans l’analyse n’affecte nullement l’effet du type de famille sur le risque de rupture des épisodes en famille recomposée rapportés par les femmes, les familles avec belle-mère étant toujours trois fois moins susceptibles de se rompre que les familles avec beau-père. De même, la prise en compte de ces variables ne modifie pas de manière significative le coefficient associé au type de famille parmi les répondants qui jouent le rôle de parent biologique (père ou mère) dans la famille (le coefficient passe de 0,82 à 0,91).

Par contre, l’introduction des variables sociodémographiques amplifie l’effet du type de famille parmi les épisodes rapportés par les hommes : le risque de rupture des familles avec belle-mère qui était 3,37 fois plus élevé que celui des familles avec beau-père passe ainsi à 5,67 dans le modèle complet. Le coefficient attaché au type de famille croît également et devient même significatif sur le plan statistique parmi les répondants qui occupent le statut de beau-parent : les familles avec belle-mère apparaissent alors deux fois plus susceptibles de se rompre que les familles avec beau-père (le coefficient passe de 1,41, non significatif, à 2,19, significatif à 1 %). Ces changements dans les coefficients associés à la composition de la famille suggèrent que les distorsions induites par la méthode de cueillette des renseignements ainsi que par les différences dans les façons de répondre des hommes et des femmes sont liées aux caractéristiques des épisodes rapportés par les uns et les autres.

La comparaison de l’ensemble des coefficients dans les analyses de régression menées séparément pour les hommes et les femmes et pour les parents et les beaux-parents montre bien que la répartition différente entre ces groupes des épisodes censurés et de ceux qui se sont terminés par séparation n’est pas sans effet sur les conclusions qu’on peut tirer à propos des liens existant entre composition de la famille et risques de rupture. Dit autrement, le fait que les épisodes rapportés par les hommes, et plus particulièrement par les hommes qui agissent à titre de beau-père, soient plus susceptibles d’être toujours en cours — et donc récents — et de durée plus longue que ceux identifiés par les femmes rend compte des changements dans les coefficients associés au type de famille et de l’effet variable entre groupes qu’exercent certaines caractéristiques. Par exemple, on n’observe pas une hausse aussi marquée des risques de rupture de séparation au fil des décennies chez les hommes que chez les femmes. Par ailleurs, lorsqu’on centre l’analyse sur les beaux-parents, on ne note aucune variation significative du risque de rupture en fonction de la période pendant laquelle l’épisode s’est déroulé, mais on constate que les épisodes rapportés par les hommes (beaux-pères) sont plus stables, c’est-à-dire durent plus longtemps, que ceux rapportés par les femmes (belles-mères). Parallèlement, on remarque que les couples en union libre au Québec affichent un risque nettement plus grand de séparation lorsque l’analyse est basée sur les réponses fournies par les hommes ou par les beaux-parents : cela tient à la surreprésentation des épisodes récents de famille recomposée dans ces échantillons et à la propension croissante des couples à vivre en union libre, et ce, plus particulièrement au Québec.

Vue d’ensemble et conclusion

L’examen détaillé des données montre que le repérage des épisodes de vie en famille recomposée à partir des informations recueillies par l’ESG de 2001 s’effectue à travers trois modes d’identification différents. Le premier consiste à reconnaître un épisode de vie en famille recomposée grâce aux relations existant entre les membres du ménage au moment de l’observation, le deuxième consiste à confronter les histoires conjugales et fécondes des répondants et le troisième découle des questions relatives au fait d’avoir ou non élevé les enfants d’un ex-conjoint. Dans les deux premiers cas, l’existence d’un épisode de vie en famille recomposée se fonde sur la corésidence, observée ou supposée, des beaux-enfants et des beaux-parents. Dans le troisième cas, on fait appel à l’interprétation du répondant à l’égard du rôle qu’il aurait joué auprès des enfants d’un ex-conjoint, le questionnaire ne permettant pas d’établir l’existence de tels enfants, ni de leur simple résidence dans le foyer du répondant pour les épisodes passés. On a clairement illustré que ce dernier mode d’identification entraîne une sous-représentation des épisodes terminés vécus par les répondants à titre de beau-parent, phénomène particulièrement marqué chez les hommes.

Quelles sont les conséquences de ces biais liés à la collecte des données sur la comparaison de la stabilité des épisodes de vie en famille recomposée entre les familles avec beau-père et les familles avec belle-mère ? Reprenons les résultats en fonction des quatre groupes analysés.

  • Femmes répondantes : dans ce cas, il s’agit de comparer des épisodes avec beau-père (cas où la répondante est la mère des enfants) et des épisodes avec belle-mère (cas où la répondante est elle-même la belle-mère). Les épisodes avec belle-mère terminés, faisant appel à l’affirmation par la répondante qu’elle a joué un rôle auprès des enfants, sont sous-déclarés, probablement plutôt légèrement, mais contribuent sans doute à surestimer l’instabilité relative des épisodes avec beau-père.

  • Hommes répondants : dans ce cas, il s’agit de comparer des épisodes avec beau-père (cas où le répondant est lui-même le beau-père) avec des épisodes avec belle-mère (cas où le répondant est le père des enfants). Les épisodes avec beau-père terminés, faisant appel à l’affirmation par le répondant qu’il a joué un rôle auprès des enfants, sont nettement sous-déclarés, beaucoup plus fortement que dans le cas des femmes répondantes : cette déclaration contribue fortement à surestimer l’instabilité relative des épisodes avec belle-mère.

  • Parents biologiques : dans ce cas, il s’agit de comparer des épisodes avec beau-père (cas où le répondant est la mère biologique des enfants) avec des épisodes avec belle-mère (cas où le répondant est le père biologique des enfants). Dans les deux cas, les épisodes sont détectés de la même façon, sans faire appel au fait que le répondant ait ou non joué le rôle de beau-parent. On ne détecte aucune différence significative dans l’instabilité des deux types de familles.

  • Beaux-parents : dans ce cas, il s’agit de comparer des épisodes avec beau-père (cas où le répondant est le beau-père) avec des épisodes avec belle-mère (cas où le répondant est la belle-mère). Dans les deux cas, les épisodes terminés sont détectés de la même façon, en faisant appel au fait que le répondant ait ou non joué le rôle de beau-parent. Or on sait que ces épisodes sont sous-déclarés, et plus fréquemment par les hommes que par les femmes, ce qui entraîne une surestimation de l’instabilité des épisodes avec belle-mère.

Il ressort clairement de cette analyse que la combinaison des différents modes de cueillette des données dans l’ESG de 2001 ne permet pas de mesurer de façon fiable la stabilité des épisodes de vie en famille recomposée. Les réponses des hommes et des femmes semblent produire des estimations de qualité comparable lorsque seule la composition du ménage est prise en compte. Le recours aux histoires conjugales et fécondes pose problème en raison de la moins grande qualité des informations fournies par les parents séparés. Enfin, l’ajout des réponses sur le fait d’avoir ou non élevé les enfants d’un ex-conjoint, réponses qui font appel à l’interprétation des répondants, crée des distorsions qui biaisent les résultats de la comparaison entre les familles avec beau-père et celles avec belle-mère. Ces analyses, fondées sur l’ESG 2001, se greffaient sur le travail de reconstitution des épisodes de vie en famille recomposée réalisé pour d’autres fins. Depuis, Statistique Canada a conduit deux autres cycles de l’ESG portant sur la famille, l’ESG de 2006 sur les transitions familiales et l’ESG de 2011 sur les familles, dans lesquelles on a suivi la même approche pour recueillir les histoires conjugales et parentales des répondants. Il n’y a donc pas lieu de croire que le repérage des épisodes de vie en famille recomposée dans ces deux enquêtes ne serait pas entaché des mêmes problèmes.

La limitation liée à la question sur le fait d’avoir ou non élevé les enfants d’un ex-conjoint pourrait être facilement corrigée si, à l’instar de l’approche suivie par les enquêtes d’autres pays, Statistique Canada demandait simplement aux répondants s’ils avaient vécu avec — plutôt qu’élevé — les enfants d’un ex-conjoint (voir par exemple Vikat, Thomson et Hoem, 1999, pour la Swedish Survey of Family and Work, ou encore Teachman, 2008, pour la National Survey of Family Growth [NSFG] menée aux États-Unis). Par contre, cette mesure ne saurait à elle seule lever tous les obstacles, du fait de la difficulté plus grande qu’ont les enquêtes à rejoindre les hommes et des problèmes de sous-déclaration dans les enquêtes rétrospectives des unions et des enfants que les répondants ont eus et qui touchent plus particulièrement les hommes. On pourrait être tenté de se tourner vers les enquêtes prospectives — qui malheureusement tardent à voir le jour au Canada — pour étudier le devenir des familles recomposées. De telles enquêtes, comme la NSFG, démarrent habituellement par une observation transversale : on note alors très peu d’écart entre hommes et femmes dans le nombre de familles identifiées (Thomson et Li, 2002), mais on se trouve ainsi à surreprésenter les épisodes de longue durée, comme on l’a montré. Cela n’est sûrement pas sans conséquence sur les conclusions que l’on peut tirer de l’analyse de l’influence de la composition des familles recomposées sur les risques de rupture, cette variable étant sans doute étroitement associée à la durée même des épisodes observés à un moment donné. Bref, la question est loin d’être résolue et des efforts importants devraient être consacrés à l’amélioration de la collecte des données.