À partir d’une synthèse des recherches historiques sur les femmes, et tout particulièrement des travaux sur les veuves qu’elle mène depuis de nombreuses années, Bettina Bradbury propose avec Wife to Widow une incursion au sein des parcours de vie des femmes amenées à redéfinir leur identité suite au décès de leur mari. Comment était vécue la transition du statut de femme mariée à celui de veuve ? D’inspiration féministe, l’ouvrage aborde les thèmes du mariage et du veuvage à partir d’une analyse des parcours féminins. L’auteure défend l’idée qu’au xixe siècle les discours véhiculés, les cadres légaux et institutionnels, les prescriptions culturelles ainsi que les dispositions économiques en matière de mariage et de veuvage ne trouvaient point d’équivalent entre les genres. Sa thèse est que l’identité des femmes mariées et des veuves est négociée au sein de cadres institutionnels médiatisés par des contextes plus généraux (économique, politique, légal et culturel). En témoigne le fait qu’à Montréal au xixe siècle, les rapports sociaux, tant privés que publics, sont fortement influencés par deux idéologies dominantes : le patriarcat et le colonialisme. Dans ce contexte, l’auteure démontre que les identités que revêtent les femmes mariées et les veuves sont à la fois construites, déconstruites et reconstruites — parfois même imposées et subies — par le biais des relations de pouvoir qui lient les femmes aux hommes (mari, père, fils, curé, évêque, juriste, politicien, notaire, tuteur, cousin, voisin, etc.). Ces relations de pouvoir sont elles-mêmes issues de contextes culturels et institutionnels variés, illustrés tant par la distinction existant entre le Common Law et le droit civil français (Coutume de Paris) que par les différentes visions économiques et politiques des Britanniques, des Canadiens français et des immigrants. C’est dans ce contexte idéologique que Bettina Bradbury nous convie à pénétrer au sein de la société montréalaise du début du xixe siècle par le biais des yeux, des sentiments et du quotidien de nombreuses femmes mariées devenues veuves. L’analyse repose sur un corpus composé de deux générations de femmes qui se sont mariées au cours des années 1823 à 1826 et 1842 à 1845, et qui sont devenues veuves subséquemment. Deux générations distantes d’à peine deux décennies, mais séparées par un monde politique, social, démographique et, surtout, légal en pleine mouvance, lequel est admirablement dépeint par l’auteure. La structure de l’ouvrage est originale. Celui-ci propose une double lecture de la transition du mariage au veuvage : l’une diachronique, et c’est le filon des douze chapitres de l’ouvrage, par le biais de laquelle Bettina Bradbury démontre comment les identités, les représentations collectives et la vie matérielle des femmes sont d’abord forgées par le mariage et ensuite transformées par le veuvage ; l’autre synchronique, où les récits individuels sont recadrés dans les contextes institutionnels, politiques et légaux de Montréal, métropole coloniale au xixe siècle. Ainsi, l’auteure nous convie d’abord à découvrir les parcours de ces femmes depuis leur mariage (partie I : chapitres 1 à 5), en regard des pratiques légales (droit à la propriété, transmission des biens, abolition du droit de douaire) et des représentations collectives en matière de mariage et de veuvage, pour ensuite investir le moment où elles deviennent veuves (partie 2 : chapitres 6 à 12), certaines très jeunes, d’autres moins, certaines pour une courte durée, d’autres pour le restant de leur vie. Tout un quotidien dans lequel elle nous plonge pour nous faire découvrir comment, très rapidement après le décès du mari, la femme doit dorénavant tracer son chemin, parfois seule, parfois épaulée d’enfants, de parents ou d’amis, dans un monde contrôlé par les hommes. Sans mari, ces femmes « …
Bradbury, Bettina, Wife to Widow. Lives, Laws, and Politics in Nineteenth-Century Montreal, Vancouver, UBC Press, 2011, 502 pages[Record]
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Marie-Eve Harton
Département de sociologie, Université Laval