Abstracts
Résumé
La fécondité des Indiennes inscrites âgées de 15 à 19 ans au Canada est très élevée, environ 100 naissances pour 1 000 femmes. Les taux de fécondité des Indiennes adolescentes sont comparables à ceux d’adolescentes dans les pays les moins avancés. L’analyse des données à l’échelle provinciale révèle de fortes variations de cette fécondité, le taux variant du simple au double. Malgré les conséquences bien connues de la maternité précoce sur la qualité de vie des jeunes mères et de leurs enfants, la fécondité des Indiennes adolescentes suscite peu d’intérêt de la part des chercheurs en sciences sociales et en santé au Canada.
Abstract
The fertility of registered Indian women in Canada aged 15 to 19 is very high, about 100 births per 1000 women. The fertility rates of Indian women in their teens are comparable to those of teen women in less developed countries. Analysis of fertility data at the provincial level shows major variations, with the high rates doubling the low rates. Despite the well known consequences of early motherhood for young mothers and their children, there is little interest among Canadian health and social science researchers in the fertility of adolescent Indian women.
Article body
La littérature internationale sur les questions de population et de développement est sans équivoque quant à l’importance de la santé en matière de reproduction (ou santé procréative) pour la réalisation du développement durable. Non seulement celle-ci joue-t-elle un rôle-clé dans la résolution de problématiques liées à l’égalité entre les sexes et à la participation pleine et entière des femmes à la vie économique et politique de leur communauté, mais encore d’y porter une attention réelle et ciblée contribue à la lutte contre la pauvreté (UNFPA, 2005 ; Hobcraft, 2003). Selon la Conférence Internationale sur la Population et le Développement (CIPD) tenue au Caire en 1994, l’objectif d’amélioration de la santé procréative comporte plusieurs volets, dont la prise en compte des besoins des adolescents[1]. Les adolescentes devraient notamment pouvoir accéder à une information et à des services les aidant à : (1) comprendre leur sexualité et se protéger contre les grossesses non désirées ; (2) faire respecter leurs droits et partager avec leur partenaire les responsabilités dans les questions de sexualité et de procréation. En plusieurs endroits dans le monde, la maternité précoce continue de faire obstacle à l’amélioration du statut social et économique des femmes, et porte ainsi un préjudice durable à leur qualité de vie et à celle de leurs enfants (UN, 1994, section 7.41).
Au Canada, la population indienne inscrite est considérée comme faisant partie des plus démunies de la société au plan de l’éducation, de l’économie et de la santé (Cooke et coll., 2008 ; Cooke et Beavon, 2007). Par exemple en 2001, la proportion d’Indiens inscrits âgés de 19 ans et plus ayant au minimum réussi des études secondaires (57 %) est de 18 points inférieurs à celle des autres Canadiens (75 %). Le revenu annuel moyen des Indiens inscrits en 2000 (10 094 $) est moins de la moitié celui des autres Canadiens (22 489 $). Les Indiens inscrits meurent plus jeunes (espérance de vie à la naissance de 73 ans en 2001) et souffrent davantage de maladies que les autres Canadiens (79 ans).
Curieusement (!), aucune véritable attention n’est portée à la situation des Amérindiennes adolescentes au regard de la maternité précoce et de ses conséquences pour leur qualité de vie, celle de leurs enfants et, ultimement celle de leur communauté. Le rapport de l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS, 2004) sur la santé des Canadiens, qui comporte un important chapitre consacré aux Autochtones, n’en fait aucune mention, pas même sur la question de la reproduction. La Commission royale sur les peuples autochtones (CRPA), dont le rapport final contenait 440 recommandations précises ciblant l’amélioration de la qualité de vie de ces peuples et de leurs relations avec les multiples paliers de gouvernement au Canada, est muette sur la question des mères-adolescentes (Big Eagle et Guimond, 2009). Quelques démographes se sont intéressés par le passé à la fécondité des Amérindiennes, mais rares sont les travaux offrant une analyse attentive du niveau et de l’évolution de la fécondité des Amérindiennes adolescentes.
La fécondité des Indiennes inscrites de tous âges a été décrite comme plus élevée que celle du reste de la population canadienne avec une tendance à la baisse, voire à la convergence depuis le début des années 60. À l’échelle du Canada, l’indice synthétique de fécondité de la population indienne inscrite a chuté de 6,1 à 3,2 enfants par femme de 1968 à 1981 (Romaniuk, 1981, 1974 ; Piché et George, 1973), puis a décliné lentement pour atteindre 2,6 enfants par femme en 2004 (Clatworthy, 2008 ; Loh et coll., 1998). Au cours de cette même période, la fécondité des Canadiennes est passée de 2,5 à 1,5 enfant par femme. Au Québec, la fécondité des Indiennes inscrites se situait à 2,4 enfants par femme en 2004. Cette baisse de la fécondité est perçue comme l’expression d’une volonté chez ces femmes de réduire leur descendance, rendue possible par la diffusion des moyens contraceptifs (Romaniuk, 1981, 1974).
Les deux seules études démographiques ciblant spécifiquement la fécondité des Indiennes inscrites âgées de 15 à 19 ans sont de Robitaille et Guimond (2008 ; et Kouaouci, 2004). Avec cette première analyse, nous avons observé une hausse de la fécondité des Indiennes inscrites âgées de 15 à 19 ans de 1986 à 1997 (de 98 à 123 pour 1 000 femmes). Reprise cinq années plus tard, l’analyse a cette fois révélé que la hausse de la fécondité des adolescentes n’avait été que temporaire (1986-1992), le taux ayant rapidement retrouvé dès 1996 son niveau de 1986, pour ensuite s’y maintenir jusqu’en 2004.
Au terme de ce bref survol de la littérature, il ressort que la fécondité des Indiennes de 15 à 19 ans demeure relativement méconnue. Les analyses de la fécondité des Indiennes inscrites s’entendent sur le fait que la fécondité des adolescentes est particulièrement élevée (de l’ordre de 100 pour 1 000), mais semblent se contredire quant à son évolution récente. Avec cet article, nous proposons revoir les estimations de la fécondité des Indiennes inscrites âgées de 15 à 19 ans pour l’ensemble du Canada depuis l’amendement à la Loi sur les Indiens en 1985, avec une attention particulière à la méthodologie. À cela s’ajoute une première analyse descriptive de la fécondité des Indiennes adolescentes au Québec, à la fois pour l’ensemble de la province et par bande indienne.
Population à l’étude
Un Indien inscrit est une personne qui possède le statut légal d’Indien, défini dans la Loi sur les Indiens, et dont le nom figure au Registre des Indiens que tient le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC). Ce statut est accompagné d’un certain nombre de droits, notamment en ce qui concerne la taxation et l’impôt sur le revenu pour les résidents des réserves indiennes. Des programmes d’éducation postsecondaire, de logement, d’aide sociale et de soins de santé non assurables sont également offerts aux détenteurs du statut légal d’Indien. Les Indiens non inscrits[2] (aussi appelés Indiens sans statut), les Métis et les Inuit ne font pas partie de la population à l’étude.
La taille et la composition de la population indienne inscrite ont changé considérablement depuis le milieu des années 80. Ces changements démographiques résultent en partie de la réintégration de personnes précédemment exclues du Registre en raison de dispositions discriminatoires des précédents textes de la loi, et de nouvelles inscriptions au registre à la suite de modifications apportées à la Loi sur les Indiens en avril 1985, communément appelées projet de loi C-31. Les effets démographiques des dispositions réparatrices du projet de loi C-31 ont été largement documentés par Clatworthy (2001, 2003 ; Clatworthy et Smith, 1992).
Le projet de loi C-31 a modifié les règles définissant le droit à l’inscription au Registre des Indiens. Depuis le 17 avril 1985, une personne peut être inscrite au Registre en vertu de l’une des deux clauses figurant à l’article 6 de la Loi sur les Indiens, à savoir :
Paragraphe 6(1), quand les deux parents d’une personne sont (ou ont le droit d’être) inscrits,
Paragraphe 6(2), quand l’un des parents de la personne est (ou a le droit d’être) inscrit en vertu du Paragraphe 6(1) et que l’autre parent ne l’est pas.
La figure 2 illustre les règles de transmission du droit à l’inscription concernant les diverses combinaisons d’ascendance possibles. L’ascendance indienne/non indienne sur deux générations successives aboutit, pour les enfants de la seconde génération, à la perte du droit d’être inscrit au Registre des Indiens.
Dans cette étude, seules les naissances de mères indiennes inscrites en vertu du paragraphe 6(1) de la Loi sur les Indiens de 1985 (représentées en gris sur la figure 2) sont considérées pour l’analyse de la fécondité des Indiennes adolescentes. La fécondité des Indiennes inscrites en vertu du paragraphe 6(2) ne peut être étudiée puisque seulement une partie des naissances de ces femmes figurent au Registre des Indiens. En effet, les naissances d’une Indienne inscrite en vertu du paragraphe 6.2 et d’un non-Indien (N) n’apparaissent pas au registre parce que non-indiennes (N) selon les règles de transmission du statut.
Source des données
Cette analyse de la fécondité des Indiennes inscrites âgées de 15 à 19 ans repose sur des données individuelles anonymisées du Registre des Indiens du MAINC. En théorie, le Registre des Indiens est la source idéale de renseignements pour effectuer des analyses démographiques de la population avec statut légal d’Indien. En pratique cependant, les données du registre présentent certaines lacunes (Nault, Chen et Norris, 1992 ; Siggner et Brûlotte, 1975 ; Piché et George, 1973). Un événement ne peut être inscrit au Registre que si le gestionnaire reçoit une copie de l’acte officiel attestant de son existence. Dans le cas du Registre des Indiens, les individus ne sont pas obligés légalement d’enregistrer rapidement les événements, d’où de fréquents délais d’enregistrement.
En plus du problème des déclarations tardives, certains événements ne sont jamais inscrits au Registre des Indiens. Par exemple, dans le cas d’un enfant qui décède en bas âge, avant même l’enregistrement de sa naissance, il n’est pas acquis que ces deux événements (naissance et décès) seront un jour enregistrés. Il y a tout lieu de croire que le sous-enregistrement touche plus spécifiquement les événements sans conséquence future sur la vie des gens concernés et de leurs proches. En effet, pour bénéficier de tous les services disponibles auxquels elle a droit (ex. : service de santé, école), une personne doit nécessairement procéder, tôt ou tard, à une déclaration de naissance aux fins d’inscription au Registre des Indiens. À l’opposé, il n’y a aucun incitatif à la déclaration d’un décès puisque forcément aucun service n’est par la suite requis par le principal intéressé.
Méthodologie
Pour l’estimation provinciale de la fécondité des Indiennes inscrites âgées de moins de vingt ans au cours de la période 1986-2004, un fichier non nominatif de données a été élaboré en octobre 2007 à partir du Registre des Indiens. Le fichier a été structuré de manière à relier tous les Indiens inscrits à leurs parents et à prendre en compte les variables suivantes :
la date de naissance ;
la date de création du dossier (date d’inscription au Registre) ;
le sexe ;
les détails de l’inscription en vertu de l’article 6 de la Loi sur les Indiens (6(1) ; 6(2)) ;
le lieu de résidence (région)
la date de naissance de la mère et du père ;
les détails de l’inscription de la mère et du père en vertu de l’article 6 de la Loi sur les Indiens (6(1) ; 6(2)) ;
le lieu de résidence de la mère et du père (région) ;
l’affiliation à une bande indienne de la mère et du père.
Comme nous l’avons mentionné plus haut, seules les naissances de mères indiennes inscrites en vertu du paragraphe 6(1) de la Loi sur les Indiens sont considérées pour cette analyse de la fécondité des Indiennes adolescentes. Il est impossible d’estimer la fécondité des femmes inscrites en vertu du paragraphe 6(2), puisqu’un certain nombre des enfants de ces femmes n’apparaissent pas au Registre des Indiens étant donné l’appartenance non indienne de leur père. Parmi tous les enfants nés entre 1995 et 1999 dont au moins un des parents a le statut légal d’Indien, Clatworthy (2001, figure 21) estime qu’environ 9 % n’ont aucun statut légal d’Indien.
De ce fichier non nominatif, deux séries de données historiques ont été extraites pour l’estimation de la fécondité des Indiennes adolescentes de la période 1986-2004. Ces deux séries sont :
l’effectif des Indiennes inscrites au Registre (en vertu du paragraphe 6(1)) selon l’âge et la région ;
la distribution des naissances selon l’âge de la mère (inscrite en vertu du paragraphe 6(1)), l’année de la naissance et l’année de l’enregistrement, par région.
La série B permet de calculer directement les naissances dont les mères sont âgées de 15 à 19 ans et de redresser l’effectif des naissances pour les déclarations tardives. La méthode adoptée consiste à déterminer un calendrier-type de déclaration des naissances pour une période de référence donnée, suffisamment ancienne pour que l’on suppose toutes les naissances déclarées, et à l’appliquer à l’effectif des naissances des autres années. Cette méthode est semblable à celle retenue par Ram et Romaniuk (1985), à la différence près qu’on différencie ici les naissances selon l’âge de la mère et la région. Le choix d’un calendrier-type repose sur l’analyse des délais de déclaration des naissances des années 1986 à 1993 pour lesquelles on peut raisonnablement considérer que la totalité des naissances ont été déclarées avant l’année 2005, soit 12 ans après l’événement.
La figure 3 présente les proportions cumulées de naissances déclarées dont la mère indienne est adolescente[3] (15-19 ans), pour le Canada et le Québec, et pour les périodes 1986-1989 et 1990-1993. Dans tous les cas, les déclarations de naissances dont la mère indienne est adolescente s’étalent considérablement dans le temps. Au cours de la période 1986-1989, la proportion de naissances déclarées au cours de la première année (< 1) était de 12,9 % seulement au Québec et de 20,2 % au Canada. Près de neuf naissances sur dix sont déclarées avant le cinquième anniversaire de naissance, soit l’âge d’entrée à l’école primaire. Les déclarations de naissance sont négligeables à partir de la huitième année, la part manquante se limitant à moins de 4 %.
On observe cependant une nette amélioration d’une période à l’autre : de 1986-1989 à 1990-1993, le délai moyen de déclaration des naissances au Registre des Indiens est passé de 2,2 à 1,6 années au Canada, et de 2,1 à 1,3 années au Québec. Ainsi, l’utilisation du calendrier-type plus ancien (1986-1989) pour la correction des effectifs de naissance conduirait à une correction plus importante de l’effectif des naissances et conséquemment un « taux corrigé » de fécondité plus élevé que celui obtenu à partir du calendrier-type plus récent (1990-1993). L’apparente contradiction entre les estimations de la fécondité des adolescentes précédemment discutées (Robitaille et coll., 2004 ; Guimond et Robitaille, 2008) s’explique pour l’essentiel par cette amélioration marquée du délai de déclaration des naissances entre 1986 et 1993. En utilisant un schéma de déclarations de naissance basé sur les années 1986 à 1988 comme calendrier-type pour la correction des effectifs des naissances déclarées de 1989 à 1997, Robitaille et coll. (2003) ont surestimé l’effectif des naissances et le taux de fécondité des adolescentes, et ce plus particulièrement pour les cinq dernières années d’observation (1993-1997).
Il est difficile de prévoir quelle sera la tendance quant au délai d’enregistrement des naissances, mais compte tenu de l’amélioration des moyens technologiques, il y a fort à parier que les acquis seront au minimum préservés dans le futur immédiat. Ainsi, contrairement aux analyses effectuées par le passé, trois calendriers-types de déclaration des naissances seront utilisés ici pour l’estimation de la fécondité des adolescentes de 1986 à 2004 : un pour l’estimation (1986-1993), et deux pour tenir compte de la plage de variations observées du calendrier de déclaration au fil des années (1986-1989, 1990-1993). La correction pour les délais de déclaration (tableau 1) se solde en un rajustement de 3,6 % de l’effectif des naissances (+1 594) pour la période 1986-2004 au Canada (basé sur le calendrier-type 1986-1993), le rajustement étant plus marqué pour les cinq dernières années d’observation (14,0 % ; +1 297). Les effectifs de naissance des années 2005 à 2007 sont exclus de l’analyse parce que la proportion de naissances non déclarées pour ces années pourrait atteindre 20 %.
Aucune correction pour la non-déclaration des naissances n’est effectuée parce qu’elle requiert la formulation d’hypothèses en cascade. Une première hypothèse doit être faite sur la proportion des naissances non déclarées découlant du décès en bas âge. Cette hypothèse repose elle-même sur une proportion forcément inconnue d’événements dont la cause, la mortalité infantile, doit à son tour être estimée par des méthodes indirectes et intensives en hypothèses. La portée de la non-correction de l’effectif des naissances pour la non-déclaration des naissances sur l’analyse de la fécondité serait modeste puisque la mortalité infantile estimée par Verma et coll. (2004) pour la période 1986-2000 est inférieure à 15 pour 1 000. Quelle que soit la proportion de naissances non déclarées pour cause de décès, l’impact sur l’effectif des naissances ne peut guère dépasser 2 % (Robitaille et coll., 2004).
Vu la faible taille des effectifs en cause, aucun facteur de correction n’est appliqué à l’effectif des naissances déclarées pour l’estimation de la fécondité des Indiennes adolescentes par bande indienne au Québec[4], puisque le but premier est d’illustrer la variation de la fécondité. À cette fin, on mesure ici un taux moyen de fécondité des adolescentes à partir des naissances déclarées au cours de la période 1999-2003. D’après le calendrier de déclaration des naissances de la période 1990-1993, 96 % de la totalité des naissances survenues au Québec de 1999 à 2003 auraient déjà été déclarées.
Les résultats
Pour l’ensemble de la période d’observation (1986-2004), les naissances dont la mère indienne inscrite est âgée de 15 à 19 ans représentent 18,6 % des naissances des mères indiennes inscrites, c’est-à-dire près d’une naissance sur cinq (figure 4). La proportion des naissances de jeunes mères indiennes est toutefois en baisse, de 20,2 % en 1986 à 13,0 % en 2004. À titre comparatif, dans l’ensemble de la population canadienne, la proportion de naissances de jeunes mères est de 5,3 % en 2004, soit une naissance sur vingt seulement. Au Québec, la proportion n’est que de 4,4 %.
Le taux de fécondité des Indiennes inscrites âgées de 15 à 19 ans en 2004 ajusté selon le calendrier de déclaration des naissances de la période 1986-1993 est de 94 ‰ pour l’ensemble du Canada et de 95 ‰ au Québec (figure 5). Les Indiennes inscrites ont une fécondité à l’adolescence de 7 (Canada) à 9 (Québec) fois plus élevée que l’ensemble de la population féminine. Étant donné les variations passées du calendrier de déclaration des naissances, l’estimation du taux en 2004 pourrait se situer entre 88 ‰ et 102 ‰ au Canada et 86 ‰ et 105 ‰ au Québec. Après s’être pointée à 116 ‰ en 1992, la fécondité des Indiennes inscrites âgées de 15 à 19 ans au Canada serait demeurée relativement stable depuis 1998. Au Québec, l’évolution du taux de fécondité des Indiennes adolescentes se démarquerait par une hausse marquée depuis 2001 (de 69 ‰ à 95 ‰).
Cette hausse apparente de la fécondité des Indiennes inscrites au Québec pourrait être en partie attribuable à une amélioration des délais de déclaration. Si la diminution des délais de déclaration observée avant 1994 s’est poursuivie au cours des dix dernières années, alors il est possible que la méthode utilisée (un calendrier-type de déclarations des naissances basé sur la période 1986-1993) conduise à une surestimation du nombre total des naissances. Toutefois, l’analyse des données avant correction tend à confirmer cette hausse de la fécondité des Indiennes adolescentes au Québec depuis 2001. Le nombre de naissances déclarées (c’est-à-dire avant correction) est demeuré à peu près stable de 2001 à 2004 (de 150 à 153), alors que l’effectif des jeunes femmes âgées de 15 à 19 ans a diminué de près de 9 % (de 2 280 à 2 085) au cours de ces trois années, d’où une hausse du taux de fécondité (de 66 ‰ à 73 ‰) avant même que ne soit effectuée une correction (consistant en l’ajout de naissances) pour le délai de déclaration.
La véritable ampleur du phénomène de la maternité précoce chez les jeunes Indiennes inscrites au Canada se révèle lorsqu’on se livre au jeu des comparaisons internationales (tableau 2 et figure 6). La fécondité de ces adolescentes et jeunes femmes est deux fois plus élevée que celle des jeunes Américaines, lesquelles affichent la fécondité à l’adolescence la plus élevée des pays industrialisés. D’après les statistiques démographiques internationales colligées par les Nations unies (FNUAP, 2008, 86-89), les jeunes Indiennes inscrites au Canada viendraient au 126e rang mondial (sur 156 pays) avec une fécondité d’un niveau comparable ou supérieur à celui des adolescentes des pays parmi les moins avancés[5] comme l’Éthiopie, la Somalie et Haïti.
La figure 7 présente le taux de fécondité des Indiennes inscrites âgées de 15 à 19 ans selon la région de résidence. Vu les différences régionales (Robitaille, Kouaouci et Guimond, 2004), les taux de chacune des régions ont été estimés selon le calendrier de déclaration des naissances observé dans cette même région au cours de la période 1986-1993. De plus, tel qu’indiqué précédemment, deux séries additionnelles de taux ont été produites à partir des calendriers des sous-périodes afin de tenir compte de la plage de variations du calendrier de déclaration au fil des années (1986-1989, 1990-1993). Ainsi, les taux canadiens de fécondité des Indiennes adolescentes cachent d’étonnantes variations régionales. Les Indiennes inscrites résidentes du Manitoba présentent de loin la fécondité à 15-19 ans la plus élevée (128 ‰), plus du double de celle estimée pour les populations indiennes inscrites de l’Atlantique (62 ‰) et des Territoires (61 ‰).
Le tableau 3 présente les taux moyens de fécondité des adolescentes dans les communautés des Premières nations du Québec, par segments de cinq années pour l’ensemble de la période 1989-2003. Par communauté, on entend toute population habitant une réserve indienne ou une Terre de la Couronne. Comme nous l’avons mentionné plus haut, aucune correction n’a été effectuée à l’effectif des naissances déclarées par bande indienne au Québec, vu la faible taille des effectifs. Ici plus encore qu’à l’échelle provinciale, on observe de très fortes variations de la fécondité des Indiennes inscrites âgées de 15 à 19 ans. Au cours de la période 1999-2003, la fécondité à l’adolescence dans les communautés mohawks (20 ‰ à Kanesatake ; 40 ‰ à Kahnawake) et huronne (38 ‰) est comparable à celle de la population canadienne en général, alors que celle de certaines communautés algonquines (191 ‰ à Kitcisakik ; 165 ‰ à Long Point) et atikamekws (179 ‰ à Manawan ; 157 ‰ à Opitciwan) est similaire à celle des pays les moins avancés au monde. Les taux de fécondité des adolescentes dans les communautés des Premières nations du Québec varient également passablement d’une période à l’autre. Tout en reconnaissant que ces variations temporelles sont en partie le reflet de petits nombres de naissances à l’échelle des communautés, il n’en demeure pas moins qu’elles vont généralement dans le sens d’une diminution de la fécondité sur l’ensemble de la période considérée.
Conclusion
Malgré des lacunes en ce qui concerne les délais de déclaration des naissances et des décès, maintes fois soulignées par le passé, le Registre des Indiens est une riche source de données démographiques sur la population indienne inscrite du Canada. Son potentiel pour l’analyse démographique demeure cependant sous-exploité. Avec cette analyse des données du Registre des Indiens, nous avons tenté de documenter une dimension de la fécondité au Canada largement ignorée jusqu’ici, mais très importante pour la connaissance du comportement démographique des Autochtones : l’intensité de la fécondité des Indiennes adolescentes.
La fécondité des Indiennes inscrites âgées de 15 à 19 ans au Canada et au Québec est très élevée, tout juste sous la barre des 100 naissances pour 1 000 femmes en 2004, soit une fécondité d’une intensité comparable à celle d’adolescentes dans les pays les moins avancés. L’analyse des données provinciales d’abord, et des données par communauté au Québec ensuite, a révélé d’importantes variations de la fécondité des Indiennes adolescentes. À l’échelle des provinces, le taux de fécondité à 15-19 ans varie du simple au double. Pour les communautés des Premières nations du Québec, dont les deux tiers ont un effectif de population inférieur à 1 500 personnes, les taux de fécondité varient entre 20 et 200 ‰ en 2001. Les taux pour les communautés sont cependant à prendre avec circonspection, vu les petits nombres de naissances.
L’intensité de la fécondité des Indiennes adolescentes au Canada n’est rien de moins que phénoménale. Vu les conséquences abondamment documentées de la maternité précoce pour la qualité de vie des jeunes mères et de leurs enfants ailleurs dans le monde, comment se fait-il que la fécondité des Indiennes adolescentes ne retienne pas plus l’attention des chercheurs du domaine des sciences sociales ou de la santé au Canada ? Se pourrait-il que cette « problématique » soit supplantée par d’autres comme l’éducation, la quantité et la qualité des logements, l’économie des communautés, le suicide chez les jeunes, la violence envers les femmes ? Se pourrait-il que la maternité précoce ne soit pas perçue comme un problème par les Premières nations, mais plutôt comme un bienfait ? Ou serait-ce que ce « manque d’intérêt » soit l’effet du petit nombre de mères-adolescentes à l’échelle d’une communauté ? L’analyse des impacts sur la santé et le statut socioéconomique de ces jeunes mères, de leurs enfants et de leurs communautés pourrait offrir quelques réponses à ces questions. Enfin, des analyses du calendrier et de la dimension intergénérationnelle de la fécondité des adolescentes à partir du Registre des Indiens permettraient une évaluation plus fine des impacts démographiques de la fécondité des Indiennes adolescentes.
Appendices
Annexe
Annexe 1
Notes
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[1]
Les autres volets mentionnés dans le rapport de la CIPD de 1994 sont : les droits à la santé en matière de reproduction ; la planification familiale ; les maladies sexuellement transmissibles et la prévention de la contamination par le VIH ; la sexualité et les relations entre les sexes.
-
[2]
Les Indiens non inscrits sont ceux qui se considèrent comme Indiens ou comme membres d’une Première nation, mais qui ne sont pas reconnus par le gouvernement du Canada à ce titre, en vertu de la Loi sur les Indiens.
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[3]
Les jeunes mères (15-19 ans) présentent un calendrier de déclaration des naissances comparable à celui des autres mères âgées de moins de 40 ans. Les naissances de mères âgées de 40 ans et plus souffrent des délais de déclaration les plus longs (Annexe 1).
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[4]
Bande : « Groupe d’Indiens au profit duquel des terres ont été réservées ou dont l’argent est détenu par la Couronne ou qui a été désigné comme bande au terme de la Loi sur les Indiens. Chaque bande possède son propre conseil de bande, qui joue un rôle de direction et qui est généralement formé d’un chef et de nombreux conseillers. […] De nos jours, de nombreuses bandes préfèrent être appelées Premières nations. » (http://www.ainc-inac.gc.ca/ai/mr/is/tln-fra.asp, consulté le 3 juillet 2009)
-
[5]
Depuis 1971, l’Organisation des Nations Unies dénomme “Pays les Moins Avancés” (PMA) une catégorie de pays à bas revenu qui sont considérés structurellement désavantagés dans leurs efforts de développement, et plus gravement confrontés que les autres pays en développement au risque de ne pouvoir échapper au piège de la pauvreté. Pour ces raisons, les PMA sont reconnus comme ayant besoin de la plus grande attention de la part de la communauté internationale.
Nations Unies, 2005, 6
Bibliographie
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