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« On remarque que les enfants en bonne santé sont le plus souvent issus de familles en bonne santé. »

Ross et al., 1996

Introduction

Les années 1960 marquent la fin de « l’âge d’or » de la famille avec l’assouplissement du lien conjugal et l’acceptation de la vie de couple hors mariage qui ont caractérisé la deuxième transition démographique dans la plupart des sociétés occidentales (Beaujot, 2000 ; Lesthaeghe, 1995 ; Van de Kaa, 1987). Cette transformation rapide des comportements à l’égard de la vie de couple a amené une multiplication des travaux de recherche portant sur l’effet de la séparation et du divorce, sur le développement, les comportements et, plus généralement, le bien-être des enfants. Ces travaux ont montré que les ruptures familiales peuvent avoir des répercussions négatives sur les enfants qui persistent jusqu’à l’âge adulte (Juby et Marcil-Gratton, 2002).

En effet, plusieurs études ont montré que la déstructuration familiale est l’un des facteurs les plus importants des comportements sexuels à risque parmi les adolescents, y compris les premiers rapports sexuels précoces (Capaldi et al., 1996 ; Lohman et Billings, 2008 ; Miller, 1992). Cette constatation a de fortes implications pour les politiques publiques, car il est bien établi que l’entrée précoce dans la vie sexuelle expose les adolescents à une multiplicité de partenaires (Koyle et al., 1989 ; Seidman et al., 1994) et à la non-utilisation systématique des préservatifs (Smith, 1997). Ces situations accroissent davantage les risques de grossesses non désirées et d’infections sexuellement transmissibles chez les adolescents, alors que le niveau de leur développement physique, pour en supporter les effets, leur est préjudiciable (Andersson-Ellstrom et al., 1996 ; Greenberg et al., 1992 ; Katchadourian, 1990 ; Morris et al., 1993 ; Rosenthal et al., 1994).

Le but de cet article est d’examiner le lien entre les dynamiques familiales et l’activité sexuelle précoce au Canada où ce sujet n’a jamais été abordé. L’Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes (ELNEJ) offre une occasion unique de réaliser cette étude. Le premier cycle de l’enquête, mené en 1994-1995, a permis de constituer un échantillon représentatif de 22 831 enfants canadiens âgés de 0 à 11 ans. L’ELNEJ a rassemblé des informations très détaillées sur leur parcours de vie, incluant les premières relations sexuelles, et sur celui de leurs parents. Les données de l’ELNEJ permettent donc de suivre tous les changements de la structure familiale des enfants (mariage, séparation et remariage des parents ; naissances des frères et soeurs ; arrivée des enfants d’autres unions) par rapport à leur début dans la vie sexuelle.

Dans le cadre de cet article, nous nous concentrons sur les dynamiques familiales résultant de la vie conjugale des parents de l’enfant (mariage, séparation ou remariage) en ayant recours à la fois à des méthodes descriptives (tables de survie et analyse des séquences) et des méthodes d’analyse de régression (analyse des transitions en temps discret). Nous explorons ensuite la relation entre ces dynamiques et les premiers rapports sexuels précoces chez les jeunes au Canada.

Contexte et problématique de l’étude

Au Canada, en 2004 (dernière année disponible), seulement 43,6 % des hommes et 46,4 % des femmes de moins de cinquante ans se sont mariés légalement (Statistique Canada, 2009). Parallèlement au fait que l’institution du mariage légal continue de perdre de l’importance, la famille est devenue de plus en plus instable au cours de ces dernières années. Le divorce, à n’en point douter, constitue le facteur important de cette instabilité. En 2004 (dernière année disponible), l’indice synthétique de divortialité au Canada était de 41 divorces pour 100 mariages, tandis que la proportion de personnes divorcées parmi la population âgée de 15 ans ou plus passait de 2,7 % en 1981 à 8,0 % en 2006 (Statistique Canada, 2008). Au Canada, de plus en plus d’enfants vivent dans des ménages où l’un des parents géniteurs n’est plus présent, et ce, à un âge de plus en plus jeune. Juby et ses collègues (2001) ont calculé qu’un cinquième des enfants nés au Canada au début des années 1960 avaient passé une partie de leur vie avec un seul parent avant d’atteindre l’âge de 16 ans, mais que cette proportion était atteinte vers l’âge de 5 ans pour ceux nés à la fin des années 1980. Le divorce défait les liens familiaux, mais il permet aussi de créer de nouvelles structures familiales. Les parents séparés forment rapidement de nouvelles relations entraînant la présence d’un beau-père ou d’une belle-mère et même de demi-frères ou demi-soeurs.

Ces transformations profondes de la vie conjugale font que la sexualité s’est déconnectée du mariage et qu’on remarque, dans le même temps, que les jeunes au Canada commencent à avoir leur premier rapport sexuel à un âge de plus en plus précoce. Selon les résultats de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes en 2003, environ six jeunes sur dix âgés de 15 à 24 ans ont déclaré avoir eu des relations sexuelles au moins une fois au cours de leur vie. La proportion (62 %) et l’âge moyen (16 ans et demi) lors de la première relation sexuelle étaient les mêmes chez les garçons et chez les filles (Rotermann, 2005 : 47). L’âge à la première relation sexuelle est de plus en plus jeune d’une cohorte de naissance à la suivante, et cette tendance est plus forte chez les filles que chez les garçons. Ainsi, l’âge médian au premier rapport sexuel est passé de 18 ans chez les hommes de la génération 1942-46 à 17 ans chez les hommes de la génération 1972-76. Si l’âge moyen au premier rapport entre ces générations s’est peu abaissé chez les hommes, en revanche, il est passé de 20 à 17 ans chez les femmes des mêmes cohortes (Maticka-Tyndale, 2001 ; Maticka-Tyndale et al., 2000).

L’entrée dans la sexualité est associée à plusieurs facteurs : la norme sociale, mais aussi les caractéristiques de la communauté et de la famille, de même que les caractéristiques individuelles des jeunes. Concernant l’influence familiale, la plupart des chercheurs se sont focalisés sur l’attitude des parents par rapport à la sexualité, notamment, le contrôle parental et les comportements des parents, alors que les caractéristiques et la structure familiale ont reçu moins d’attention (Kotchik et al., 2001)[1].

Les études existantes montrent néanmoins que la précocité du premier rapport sexuel des adolescents est le plus souvent dictée par la déstructuration de la cellule familiale. En effet, plusieurs chercheurs ont constaté que l’initiation sexuelle se produit plus tard pour les adolescentes qui résident avec leurs deux parents biologiques que pour celles qui ont connu le divorce de leurs parents ou qui n’ont jamais vécu avec leur père biologique (Billy et al., 1994 ; Booth et al., 1984 ; Brewster, 1994a, b ; Devine et al., 1993 ; Flewelling et Bauman, 1990 ; Hetherington, 1972, 1981 ; Inazu et Fox, 1980 ; Newcomer et Udry, 1984 ; Thornton et Camburn, 1987 ; Trent et South, 1992 ; Weinstein et Thornton, 1989 ; Whitbeck et al., 1996). Ces résultats s’expliquent à la lumière de plusieurs considérations. Tout d’abord, l’instabilité familiale engendre des structures de moins en moins solides comme les familles recomposées ou monoparentales au sein desquelles circulent les enfants. Elle influence l’attitude des parents quant à l’éducation « sexuelle » à donner à leurs enfants, mais aussi limite la surveillance parentale. De plus, selon Gagnon et Simon (1973), les adolescents façonnent leur comportement sexuel sur la base de celui d’autres personnes. Dans ce processus de définition de leur identité, les parents occupent une place importante. Ils peuvent y contribuer de manière directe à travers l’éducation sexuelle et les conseils qu’ils prodiguent à leurs enfants. Mais, ils peuvent également y contribuer de manière indirecte à travers leur propre attitude. Dans ce dernier cas, le type de famille exerce une influence importante. En effet, le fait que dans une famille monoparentale, le parent présent entretienne des relations sexuelles avec un ou une autre partenaire est souvent perçu par l’adolescent comme un acte tout à fait naturel (McLanahan et Sandefur, 1994 ; Thornton et Camburn, 1987) qu’il peut reproduire sans se faire réprimander. Enfin, le contrôle parental sur les heures de présence des adolescents à la maison, sur le choix de leurs amis et de leurs activités oriente le comportement sexuel de ceux-ci. Cependant, dans la mesure où une grande partie des enfants vivent au sein de famille recomposée, ce contrôle devient inefficace. L’enfant est dès lors soumis à un double contrôle : celui de son parent biologique et celui de son beau-parent, qui peut déboucher sur des conflits. De même, ce contrôle est affaibli s’il n’est l’oeuvre que d’un seul parent (Dornbusch et al., 1985 ; Flewelling et Bauman, 1990).

Le problème de base de la recherche dans ce domaine est que toutes ces études utilisent des mesures très simples de la structure familiale, notamment la situation parentale à l’entrée dans l’adolescence ou le statut matrimonial de la mère à la naissance de l’enfant. Ces mesures statiques de la situation familiale ne permettent pas de tenir compte des situations familiales complexes, ni surtout de déterminer l’effet des changements dans la structure familiale sur l’entrée des jeunes dans la sexualité. Wu et Thompson (1998) ont effectué la seule étude qui, à notre connaissance, explore le lien entre les dynamiques familiales et les premiers rapports sexuels. En utilisant les données d’un échantillon longitudinal représentatif des jeunes âgées de 14 à 21 ans aux États-Unis, les auteurs ont montré que le facteur le plus important de l’entrée dans la sexualité avant le mariage chez les jeunes américains est la turbulence familiale, celle-ci étant définie par le nombre de changements de situation familiale vécus par le jeune avant l’âge de la première relation sexuelle. Quand on tient compte des dynamiques familiales, l’effet de la structure familiale à la naissance (notamment, père non présent à la naissance de l’enfant) et celui de la structure familiale à quatorze ans (famille intacte, monoparentale ou recomposée) sur les premiers rapports sexuels disparaissent.

En utilisant les données de l’ELNEJ, nous allons suivre dans cet article l’approche de Wu et Thomson afin d’examiner le lien entre les dynamiques familiales et les premières relations sexuelles précoces chez les jeunes au Canada.

Données et méthodes

Source des données et échantillon d’analyse

Les données sur lesquelles s’appuient nos analyses proviennent de l’Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes (ELNEJ). Il s’agit d’une enquête longitudinale prospective démarrée en 1994 par Statistique Canada et Ressources humaines et développement social Canada (RHDSC). L’enquête a été conçue de façon à recueillir des renseignements, obtenus par interview, sur les facteurs qui influent sur le développement social et émotionnel des enfants et des jeunes et sur leurs comportements. La population cible de l’ELNEJ comprend les personnes vivant dans les dix provinces canadiennes et qui étaient âgées de 0 à 11 ans lors de leur sélection en 1994. Lors du premier cycle de l’enquête, l’échantillon comptait 22 831 enfants âgés de 0 à 11 ans ; ces enfants ont fait l’objet d’un suivi longitudinal aux deux ans et vont continuer d’être enquêtés jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans[2]. L’ELNEJ est l’enquête la plus appropriée pour notre étude parce qu’elle est la seule source de données représentatives des enfants et jeunes canadiens qui contient à la fois des informations biographiques sur le début de leur vie sexuelle, ainsi que des informations longitudinales détaillées sur leurs dynamiques familiales.

L’échantillon de départ pour notre étude concerne 7 486 jeunes âgés de 14 à 23 ans au cycle 7 de l’enquête correspondant aux enfants âgés de 0 à 11 ans au cycle 1 (voir le tableau 1 en annexe), et qui n’ont manqué aucun cycle de l’enquête entre les cycles 1 et 7. Cette condition est très importante aux fins de nos analyses parce que, si l’enfant a manqué un cycle de l’enquête (ou plusieurs), nous ne pouvons pas reconstituer sa dynamique familiale, comme il est indiqué plus en détail ici-bas. Ces jeunes représentent 90,5 % de l’ensemble des jeunes âgés de 14 à 23 ans enquêtés lors du cycle 7 de l’ELNEJ et 45,6 % des jeunes âgés de 2 à 11 ans du cycle 1 (voir tableau 2 en annexe)[3].

Dans l’ELNEJ, toutes les informations sur le comportement sexuel ont été collectées directement chez les jeunes à partir de l’âge de quatorze ans. Ceux qui avaient 10-11 ans au cycle 1 ont donc été les premiers à répondre au questionnaire sur leur comportement sexuel au cycle 3 ; ils avaient alors quatorze et quinze ans (voir le tableau 1 en annexe). En général, les enfants âgés de moins de dix-huit ans répondent aux questions sur le comportement sexuel dans un questionnaire administré par l’interviewer lors d’une entrevue assistée par ordinateur, alors que les jeunes âgés de dix-huit ans ou plus répondent à ces questions sur un questionnaire auto-administré. La non-réponse partielle aux questions sur le début dans la sexualité est toutefois élevée (voir tableau 2 en annexe). Par ailleurs, lors du cycle 7, les questions sur le comportement sexuel n’ont pas du tout été posées aux jeunes âgés de 20-21 ans afin d’alléger le questionnaire en ce qui concerne cette population cible. Après avoir retiré les jeunes qui ont donné des informations incomplètes ou manquantes sur le premier rapport sexuel[4], notre échantillon d’analyse a été réduit à 5 975 jeunes (81,7 % de l’ensemble de jeunes âgées de 14 à 23 ans enquêtés lors du cycle 7 de l’ELNEJ et 32,9 % des jeunes âgées de 2 à 11 ans du cycle 1).

Au cours des cycles 1, 2 et 5 de l’ELNEJ, des informations rétrospectives ont été recueillies sur les « antécédents familiaux » des ménages dans lesquels les enfants ont vécu (y compris l’histoire conjugale et parentale des parents biologiques de l’enfant) ; ces informations, collectées chez la personne qui connaît le mieux l’enfant (généralement la mère), ont été mises à jour lors de chaque cycle successif de l’enquête. Autrement dit, lors des cycles où il n’y a pas eu de questions rétrospectives sur les antécédents familiaux, on a enregistré la situation familiale existante au moment de l’entrevue. Nous avons donc dû combiner les deux types d’information pour classer[5] les répondants selon le déroulement de leur vie familiale. Cependant, les informations rétrospectives collectées lors du cycle 5 ne concernent que les jeunes âgés de moins de dix-sept ans au moment de l’enquête, ce qui nous a forcé à utiliser des méthodes différentes pour reconstituer les dynamiques familiales de ce groupe de jeunes dans l’échantillon retenu pour l’analyse. Ainsi, pour les jeunes âgés de 10 à 17 ans, les informations sur la structure familiale ont été obtenues en utilisant les données rétrospectives du cycle 5 ; pour ceux qui n’ont pas encore connu leur premier rapport sexuel lors de ce cycle, ces informations ont été complétées par celles sur la structure familiale dans laquelle ils se trouvaient au cours des cycles 6 et 7. Les jeunes âgés de 22-23 ans au cycle 7 de l’enquête étaient âgés de 18-19 ans au cycle 5, mais ils n’ont pu être enquêtés sur leurs antécédents familiaux lors de ce cycle. Nous avons donc retracé les antécédents familiaux pour les jeunes de ce groupe à partir des renseignements rétrospectifs fournis lors du cycle 1 et avons complété cette reconstruction à l’aide des informations recueillies lors de chaque cycle suivant (cycles 2 à 7). Finalement, nous avons exclu de l’analyse 254 jeunes, car des informations sur leurs antécédents familiaux étaient incomplètes ou manquantes (3,1 % de l’ensemble de jeunes âgées de 14 à 23 ans enquêtés lors du cycle 7 de l’ELNEJ ; voir le tableau 2 en annexe).

Au total, l’échantillon retenu pour l’analyse est donc composé de 5 721 jeunes qui étaient âgés de 14 à 23 ans au cours du cycle 7 de l’ELNEJ. Ils représentent 64,4 % de l’ensemble des jeunes enquêtés lors de ce cycle d’enquête et seulement 31,6 % des jeunes âgés de 2 à 11 ans lors du cycle 1 (voir tableau 2 en annexe). Cette réduction importante de l’échantillon de départ causée soit par l’attrition entre les cycles 1 et 7, soit par les valeurs manquantes (notamment sur les premiers rapports sexuels) signifie que notre échantillon d’analyse n’est pas représentatif des jeunes enquêtés au cycle 1 de l’ELNEJ. Pour cette raison, nos résultats s’appliquent seulement à l’échantillon d’analyse et non à l’ensemble des jeunes canadiens enquêtés en 1994. En effet, dans la mesure où les décrocheurs entre les cycles 1 et 7 et les non-répondants ont une probabilité différentielle de connaître soit un premier rapport sexuel précoce, soit des dynamiques familiales particulières, nos conclusions auraient donné un portrait biaisé de la relation entre les dynamiques familiales et l’entrée précoce dans la sexualité parmi les jeunes canadiens. Cette restriction a été bien reconnue et soulignée dans la présentation et la discussion de nos résultats.

Caractéristiques des jeunes dans l’échantillon d’analyse

L’âge moyen du début de la vie sexuelle parmi les jeunes de l’échantillon retenu est dix-sept ans (pour les garçons et les filles également). Aux fins de l’analyse, nous avons donc défini comme précoces les premiers rapports sexuels avant l’âge de dix-huit ans (18 ans exclu). Des données présentées au tableau 1, il ressort que 51,3 % des jeunes de notre échantillon (48,3 % des garçons et 54,2 % des filles) sont entrés précocement dans la sexualité, c’est-à-dire avant d’avoir fêté leur dix-huitième anniversaire.

On remarque aussi sur la base des données présentées dans le tableau 1 que la structure familiale dans laquelle vivent les jeunes de notre échantillon témoigne d’une grande variation. Si les jeunes dont les parents vivaient ensemble à la naissance représentent la majorité de jeunes dans notre échantillon (96,1 %), seuls trois jeunes sur quatre (74,3 %) vivaient avec leurs deux parents à l’entrée dans l’adolescence (fixée ici à 14 ans). Ces proportions sont respectivement passées de 95,8 % à 74,0 % chez les garçons et 96,3 % à 74,5 % chez les filles. Le nombre moyen de changements de structure familiale depuis la naissance pour les jeunes inclus dans l’analyse est de 0,63 (0,65 chez les garçons et 0,62 chez les filles).

Tableau 1

Caractéristiques sociodémographiques des jeunes inclus dans l’analyse (jeunes âgées de 14 à 23 ans dans le Cycle 7 de l’ELNEJ)

Caractéristiques sociodémographiques des jeunes inclus dans l’analyse (jeunes âgées de 14 à 23 ans dans le Cycle 7 de l’ELNEJ)

Note : données non pondérées.

Source : ELNEJ, cycles 1-7 (1994-2007).

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Méthodes d’analyse

L’analyse des premiers rapports sexuels précoces (c’est-à-dire avant l’âge de 18 ans) a été scindée en deux parties. La première partie, à caractère descriptif, détermine les variations de la cadence du début de l’activité sexuelle précoce chez les jeunes canadiens selon différentes situations familiales à l’aide des tables de survie et de l’analyse des séquences. La deuxième partie, à caractère explicatif, s’appuie sur l’analyse des transitions en temps discret pour cerner les facteurs associés au premier rapport sexuel précoce et le rôle de la structure et des dynamiques familiales en relation avec ceux-ci.

L’événement d’intérêt dans l’analyse descriptive comme dans l’analyse explicative est le début de la vie sexuelle avant le dix-huitième anniversaire (exclu). L’âge du jeune est la variable de durée. Les jeunes qui n’ont pas encore atteint l’âge de dix-huit ans et qui n’ont pas encore eu leur premier rapport sexuel au moment de la dernière vague d’enquête (cycle 7) sont censurés à leur âge au moment de l’enquête. Il en est de même pour les jeunes qui ont dix-huit ans ou plus au moment de l’enquête s’ils ont eu leur premier rapport sexuel après dix-huit ans, ils sont censurés à partir de l’âge de dix-huit ans.

Dans la première étape descriptive, la construction des tables de survie en rapport à cet événement d’intérêt permet d’apprécier la cadence de l’activité sexuelle précoce chez les jeunes canadiens et son rythme divergent dans des structures familiales différentes. Nous allons notamment comparer l’intensité et le calendrier des premiers rapports sexuels précoces chez les jeunes dont les parents étaient ensemble et chez ceux dont les parents n’étaient pas ensemble au moment de leur naissance.

Toutefois, la situation parentale à la naissance de l’enfant est une caractéristique fixe dans le temps qui ne permet pas de capter tous les changements de la structure familiale survenus après la naissance. En effet, on ne peut pas cerner ces changements avec des tables de survie dans la mesure où n’est lisible sur ce type de graphique que la résultante des mouvements individuels (Grelet, 2002). Pour cette raison, nous avons plutôt eu recours à l’analyse des séquences (Brzinsky-Fay et al., 2006). Le principe de base de l’analyse des séquences est de regrouper les jeunes dont les trajectoires d’entrée dans la vie sexuelle se ressemblent selon des caractéristiques d’intérêt — ici, la situation familiale des jeunes changeant dans le temps. La description de ces trajectoires individuelles suppose que tous les jeunes sont observés sur une période donnée, délimitée par les mêmes bornes, comme dans notre cas. Le parcours d’un individu est alors constitué d’une suite d’événements, la position de chaque événement correspondant à une situation temporelle occupée par l’individu. Nous avons distingué trois situations possibles à chaque année d’âge de l’individu, à savoir : faire partie d’une famille intacte, monoparentale, ou recomposée. La représentation graphique des trajectoires individuelles permet de visualiser l’occurrence des premiers rapports sexuels précoces par rapport à la succession des situations familiales des jeunes qui les ont précédés.

Finalement, à l’étape explicative de l’analyse, nous procédons à une estimation des facteurs influençant l’entrée précoce dans la sexualité au moyen des modèles de régression logistique de survie en temps discret, car l’âge du premier rapport sexuel est connu en année révolue. Pour ce faire, nous avons d’abord transformé le fichier des données de sorte que l’unité d’analyse de l’exposition au risque d’un premier rapport sexuel précoce est le nombre de jeunes-années. Autrement dit, chaque jeune de l’échantillon compte pour un nombre d’unités correspondant au nombre d’années où il/elle a été observé(e) (incluant l’année au cours de laquelle il/elle est entré(e) dans la sexualité, si l’événement s’est réalisé (Allison, 1984). L’équation générale d’estimation est :

où les indices i représentent les jeunes-années ; la variable dépendante Pr (Si) est la probabilité conditionnelle d’entrer dans la sexualité avant l’âge de dix-huit ans ; F(.) est la distribution logistique cumulative ; A est un vecteur des cinq variables muettes représentant les années d’âge entre treize et dix-sept ans (c’est-à-dire les années d’âge pendant lesquelles le jeune est exposé au risque d’entrer précocement dans la sexualité) ; X est un vecteur des caractéristiques sociodémographiques (détaillées ci-dessous) ; et ε est le terme d’erreur aléatoire. Par conséquent, le modèle de régression suppose que la probabilité d’un premier rapport sexuel avant l’âge de dix-huit ans est constante à l’intérieur de chaque intervalle d’un an. Étant donné que la variable dépendante est une variable dichotomique qui prend la valeur 1 si les premiers rapports sexuels précoces se vérifient avant l’âge de dix-huit ans et 0 sinon, le modèle est estimé par la méthode logistique du maximum de vraisemblance. Les analyses sont conduites séparément pour les filles et pour les garçons.

La principale variable explicative dans le vecteur X de l’équation est la situation familiale du jeune. Cette situation, en raison de sa nature changeante dans le temps et de sa dynamique, est cernée par deux variables fixes qui mesurent la structure familiale à un moment donné. Ce sont : la situation familiale à la naissance de l’enfant (parents biologiques ensemble ou non) et le nombre de changements de situations familiales dans lesquelles le jeune a vécu depuis sa naissance jusqu’au cycle 7 de l’enquête ou jusqu’aux premiers rapports sexuels précoces, s’ils ont lieu avant dix-huit ans[6]. La variable changeant dans le temps qui mesure les dynamiques familiales tient compte de l’évolution de la structure familiale (famille intacte, monoparentale, ou recomposée) au fil des années avant l’entrée dans la sexualité. Les autres variables explicatives indépendantes comprennent aussi bien des variables sociodémographiques qui incluent : l’âge du jeune au cycle 7 de l’ELNEJ (en trois catégories : moins de 17 ans, 17-18 ans et 19-24 ans) et son sexe ; l’âge et le niveau d’éducation de la mère à la naissance du jeune (en quatre et deux catégories, respectivement : 13-24, 25-29, 30-34, 35 + ; pas de certificat secondaire, avec certificat secondaire) ; la province de résidence du jeune au cycle 7 de l’enquête ; et le revenu du ménage[7]. Au total, trois modèles de régression ont été estimés. Le premier est un modèle nul qui n’incorpore que l’âge d’exposition au risque d’entrer précocement dans la sexualité. Le second modèle tient compte des variables fixes dans le temps et comprend le revenu du ménage mesuré quand le jeune avait 11-12 ans. Ce modèle a été amélioré par la prise en compte des changements de la situation familiale et du revenu du ménage par rapport au dernier et troisième modèle où ces deux variables ont été incorporées en tant qu’attributs variant dans le temps. Le test du rapport de vraisemblance est utilisé pour vérifier l’ajustement de chaque modèle aux données.

Toutes les analyses ont été effectuées à l’aide du logiciel STATA 10.0 (STATA, 2009). Nous avons choisi de ne pas utiliser les poids d’enquête longitudinaux dans l’analyse des transitions pour trois raisons principales, dont la première est mentionnée dans la note 3. La deuxième raison est que nous n’avons pas trouvé utile de tenir compte des pondérations dans l’analyse des transitions parce que celles-ci ont la même distribution de probabilité que celle qu’elles auraient eue si l’on avait observé la population totale lors d’une enquête exhaustive (Courgeau et Lelièvre, 1989 : 16)[8]. Enfin, les tests du rapport de vraisemblance (qui permettent d’évaluer le « model fit » des modèles de régression imbriqués comme ceux que nous avons estimés) ne sont pas valides pour des modèles de régression logistique qui utilisent les poids d’enquête (STATA, 2003). Par souci de cohérence, les résultats de l’analyse descriptive seront donc également présentés sans utilisation de la pondération.

Résultats

La cadence de l’activité sexuelle précoce selon la structure familiale et les dynamiques familiales des jeunes

La figure 1 montre que la proportion de jeunes qui entrent précocement dans la sexualité est plus élevée chez les filles que chez les garçons, quel que soit l’âge à l’exposition (p<.000). Ce premier rapport sexuel précoce a lieu en moyenne à 16,5 ans pour les garçons et les filles.

Figure 1

Courbe de survie du premier rapport sexuel avant 18 ans selon le sexe

Courbe de survie du premier rapport sexuel avant 18 ans selon le sexe
Source : ELNEJ, cycles 1-7 (1994-2007).

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Les courbes de survie pour les deux sexes confondus montrent que la situation parentale à la naissance est positivement associée avec l’entrée précoce dans la sexualité (figure 2), quel que soit l’âge à l’exposition. La proportion des jeunes qui ont un premier rapport sexuel précoce est plus élevée chez ceux dont les parents n’étaient pas ensemble à la naissance que chez les jeunes dont les parents étaient ensemble (p<.001).

Figure 2

Courbe de survie du premier rapport sexuel précoce selon le statut parental à la naissance

Courbe de survie du premier rapport sexuel précoce selon le statut parental à la naissance
Source : ELNEJ, cycles 1-7 (1994-2007).

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Comme nous l’avons indiqué précédemment, la situation parentale à la naissance de l’enfant n’est pas un bon indicateur des dynamiques familiales jusqu’à l’adolescence. En effet, ainsi qu’on peut le voir dans la figure 3, l’analyse des séquences permet de révéler la complexité du parcours matrimonial des parents de l’enfant par rapport à son entrée précoce dans la sexualité. Le graphique montre que, pour 71 % des jeunes de l’échantillon, la séquence la plus importante reste malgré tout le fait de vivre avec ses deux parents jusqu’au premier rapport sexuel précoce. Le reste des jeunes a vécu au moins une fois l’expérience de la séparation de leurs parents, tandis qu’environ 16 % d’entre eux vivaient dans une famille monoparentale lors de l’entrée dans la sexualité ou au moment du cycle 7 de l’enquête.

Figure 3

Courbes des séquences du premier rapport sexuel précoce par rapport aux dynamiques de la structure familiale

Courbes des séquences du premier rapport sexuel précoce par rapport aux dynamiques de la structure familiale
Source : ELNEJ, cycles 1-7 (1994-2007).

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Les facteurs associés à l’entrée précoce dans la sexualité

Pour mettre en évidence l’effet de la structure et des dynamiques familiales sur l’entrée précoce dans la sexualité, nous avons évalué trois modèles pour chaque groupe (celui des filles, celui des garçons et l’ensemble de l’échantillon). Il s’agit du modèle nul, du modèle statique (modèle 1) et du modèle dynamique (modèle 2). Le tableau 2 rassemble ces résultats.

Le modèle nul n’incorpore dans l’analyse que les variables muettes de l’âge d’exposition à l’événement. Ce modèle permet de rendre compte de l’effet du temps sur l’entrée précoce dans la sexualité. Il ressort ainsi du tableau 2 que le risque d’entrer précocement en vie sexuelle augmente de façon régulière au fur et à mesure que l’âge augmente. Cependant, cet effet est plus important dans les modèles des filles que dans ceux des garçons, corroborant ce que les courbes de survie ont révélé. Ainsi, une fille de quatorze ans a 3,6 fois plus de chances d’entrer précocement dans la sexualité qu’une fille de treize ans et ce risque ne fait que s’accroître jusqu’à dix-sept ans. Chez les garçons de quatorze ans comparativement à ceux de treize ans, ce risque est de 2,9 fois plus important. De manière générale, si les garçons de l’échantillon suivent globalement la même tendance, on voit que leurs rapports de cote sont sensiblement plus faibles.

Tableau 2

Rapports de cotes (odds ratios) des corrélats des premiers rapports sexuels précoces à partir des analyses de survie en temps discret (jeunes âgés de 14 à 23 ans dans le Cycle 7 de l’ELNEJ)

Rapports de cotes (odds ratios) des corrélats des premiers rapports sexuels précoces à partir des analyses de survie en temps discret (jeunes âgés de 14 à 23 ans dans le Cycle 7 de l’ELNEJ)

Note : données non pondérées, * p<.10, ** p<.05, *** p<.01.

a

Attribut qui change dans le temps.

b

Variable continue.

c

Le revenu est mesuré quand le jeune a 11- 12 ans dans le modèle 1, mais il est inclus dans le modèle 2 comme attribut qui change dans le temps.

Source : ELNEJ, cycles 1-7 (1994-2007).

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Les modèles 1 et 2, qui incorporent les variables indépendantes, font ressortir des tendances assez intéressantes par rapport à l’effet de la situation familiale sur l’entrée précoce dans la sexualité. Rappelons que la situation familiale est mesurée dans l’étude par trois variables dont deux sont fixes dans le temps. En ce qui concerne les variables fixes dans le temps, il s’agit de la structure familiale à la naissance de l’enfant (parents biologiques ensemble ou non) et du nombre de changements de structures familiales dans lesquelles le jeune a vécu depuis sa naissance jusqu’au cycle 7 de l’enquête ou jusqu’au premier rapport sexuel, s’il a lieu avant dix-huit ans. La variable dépendante du temps retrace les structures familiales dans lesquelles le jeune a vécu depuis sa naissance. Nous les avons regroupées en trois types : la famille intacte, la famille monoparentale et la famille recomposée. Par la suite, nous avons nommé cette dernière variable « dynamiques familiales », car c’est elle qui permet réellement d’estimer l’effet de la structure familiale sur la survenue du premier rapport sexuel précoce. Ces trois variables sont introduites dans le modèle 2, alors que seules les deux premières sont incorporées dans le modèle 1. Ainsi, il est possible de déceler concrètement ce qui influence le comportement des jeunes.

Le modèle 1 révèle qu’un jeune dont les parents étaient ensemble à la naissance a 30 % moins de chances d’entrer précocement dans la sexualité qu’un jeune dont les parents n’étaient pas ensemble. Si cette variable a un effet similaire pour les filles, il n’en est pas de même en ce qui a trait au nombre de changements de situation familiale que le jeune a connu depuis sa naissance. En effet, ce nombre accroît la probabilité des premiers rapports sexuels précoces chez les filles beaucoup plus que chez les garçons. Chaque changement supplémentaire accroît cette probabilité d’à peu près 20 % pour les filles et 8 % pour les garçons.

Cependant, une meilleure prise en compte de la situation familiale dans le modèle dynamique (modèle 2) annihile la pertinence de ces variables. De ce fait, on constate que ces deux variables ne sont plus significatives et que c’est plutôt la situation familiale changeante dans le temps qui compte. Plus précisément, il semble que l’effet à long terme de la structure familiale à la naissance se révèle comme sans importance dans l’entrée précoce en vie sexuelle chez les jeunes. Il en est de même pour le nombre de changements de structures familiales. C’est la combinaison de ces deux variables dans la dynamique de la structure familiale qui est importante. Ainsi, les jeunes qui vivent dans une famille monoparentale ont une probabilité plus élevée d’entrer précocement dans la sexualité (d’à peu près 60 % pour une fille et d’environ 40 % pour un garçon). L’effet de la dynamique familiale est encore plus fort si l’on compare les jeunes issus de familles intactes et ceux qui vivent dans une famille recomposée. La probabilité d’entrer précocement dans la sexualité est presque deux fois plus élevée dans le premier cas que dans le deuxième pour les garçons et les filles également.

Pour ce qui est des variables de contrôle, elles vont de façon générale dans le sens attendu. Il importe toutefois de s’intéresser à deux variables pertinentes qui sont le revenu du ménage et la province de résidence. Concernant le revenu, on se rend compte qu’il joue un rôle central dans l’entrée précoce des filles dans la sexualité, alors que l’effet n’est pas significatif pour les garçons. Un mieux-être financier du ménage a un effet protecteur sur les filles en ce sens que celles qui vivent dans un ménage dont le revenu est élevé ont une probabilité plus faible d’entrer précocement dans la sexualité comparativement à celles qui vivent dans un ménage à moindre revenu. Concrètement, d’après le modèle 2, une fille qui vit dans un ménage dont le revenu se situe entre 20 000 $ à 29 999 $ a 50 % moins de chances d’entrer précocement dans la sexualité qu’une fille vivant dans un ménage où le revenu est de moins de 20 000 $. Le résultat est intéressant car le revenu du ménage est évidemment influencé par la composition du ménage. Notamment, la prévalence du faible revenu est plus grande chez les familles monoparentales, puisque par définition la rentrée d’argent ne peut provenir que d’un seul parent. Compte tenu que le modèle 2 contrôle la structure familiale changeant dans le temps, le résultat se rapportant au revenu est donc net de l’effet des changements de la situation parentale depuis la naissance de l’enfant.

L’autre variable de contrôle dont il faut souligner la pertinence est la province de résidence (mesurée lors du cycle 7 de l’enquête). Quels que soient le modèle et le groupe d’analyse, les jeunes québécois se différencient par rapport aux jeunes des autres provinces de notre échantillon. En effet, au Québec, les jeunes ont une probabilité plus élevée d’entrer précocement dans la sexualité que ceux des autres provinces. Ainsi, d’après le modèle 2 du tableau 2, un Québécois a une probabilité presque deux fois plus élevée d’entrer précocement dans la sexualité qu’un jeune garçon des provinces maritimes. Pour une Québécoise, cette probabilité est de 1,5 fois plus élevée par rapport à une jeune fille des provinces maritimes. Ce résultat suggère que les relations sexuelles entre les jeunes sont plus tolérées par les parents québécois que par les autres parents canadiens.

L’effet de la cohorte sur l’entrée précoce dans la sexualité est le résultat le plus inattendu de l’analyse. Étant donné que l’âge médian au premier rapport sexuel a baissé d’un an seulement entre des générations séparées par une trentaine d’années (Maticka-Tyndale, 2001 ; Maticka-Tyndale et al., 2000), il est surprenant que des différences apparaissent entre trois groupes de cohortes qui ont au plus dix ans d’écart. Par ailleurs, l’effet de la cohorte joue aussi en sens inverse selon qu’il s’agit d’un garçon ou d’une fille. Même si pour les deux groupes la probabilité du rapport sexuel précoce décroît toujours avec l’âge, les filles plus jeunes ont une probabilité plus élevée d’entrer précocement dans la sexualité que celles plus âgées ; pour les garçons, c’est l’effet contraire. Rappelons que, dans l’ELNEJ, les enfants âgés de moins de dix-huit ans répondent aux questions sur le comportement sexuel dans un questionnaire administré par l’interviewer, alors que ceux âgés de dix-huit ans ou plus doivent remplir un questionnaire auto-administré. Il est bien connu que dans toute enquête les réponses sont influencées par le mode de collecte. En général, les taux d’activité sexuelle sont plus élevés ressortant des questionnaires administrés par l’interviewer que de ceux auto-administrés (Hewett et al., 2004 ; Mensch et al., 2003 ; Plummer et al., 2004). Dans notre cas, la probabilité plus élevée des premiers rapports sexuels précoces chez les jeunes qui ont 17-18 ans et 19-24 ans pourrait donc seulement réfléchir la différence du mode de collecte.

Conclusion

La famille en Occident est en perpétuelle recomposition du fait de l’accroissement des ruptures d’union. Cette situation affecte non seulement les parents, mais entraîne aussi des conséquences plus ou moins directes qui rejaillissent sur les enfants et les jeunes issus de ces familles. Si l’impact des ruptures d’unions sur les parents a été abondamment discuté dans la littérature, tel n’est pas le cas en ce qui concerne les enfants et les jeunes. Aussi avons-nous cherché à cerner les conséquences de ces événements dans le domaine spécifique de la sexualité chez les jeunes canadiens. Notre objectif était d’analyser l’influence des dynamiques familiales sur la précocité du premier rapport sexuel et de chercher à savoir dans quelle mesure la turbulence de la structure familiale pouvait entraîner une telle précocité. L’analyse descriptive préliminaire, au moyen des courbes de survie et de l’analyse de séquences, a d’abord montré que le premier rapport sexuel précoce chez les jeunes de notre échantillon a lieu en moyenne à 16,5 ans pour les filles et les garçons. Cette analyse a ensuite permis de mettre en évidence l’impact de la déstructuration familiale chez les jeunes indiquant que la situation parentale à la naissance est positivement associée à la cadence de l’entrée précoce dans la sexualité (figure 2), quel que soit l’âge à l’exposition. De plus, la proportion des jeunes qui sont entrés précocement dans la sexualité est plus élevée quand les parents ne sont pas ensemble à la naissance.

Pour mieux cerner les différents facteurs qui influencent l’entrée précoce dans la sexualité chez les jeunes de notre échantillon, nous avons eu recours dans la deuxième partie de l’analyse aux modèles de transition en temps discret qui permettent de tenir compte des changements d’état de la variable explicative, mais aussi des censures. Ces modèles ont permis de mettre en exergue que ni la structure familiale à la naissance, ni le nombre de changements de ces structures depuis la naissance ont un effet significatif sur l’entrée précoce dans la sexualité. C’est la combinaison de ces deux variables dans la dynamique de la structure familiale qui est importante. Ainsi, une fille qui vit dans une famille monoparentale a 60 % plus de chances d’avoir précocement son premier rapport sexuel qu’une fille qui vit dans une famille intacte. Ce risque est de 40 % pour un garçon. Cet effet s’accroît si l’on compare une fille qui vit dans une famille intacte par rapport à une autre qui se trouve dans une famille recomposée. Ces résultats rejoignent donc ceux de Wu et Thomson (1998) sur l’entrée des jeunes dans la sexualité aux États-Unis.

Si cette étude a permis d’apporter un premier éclairage sur les facteurs qui influencent l’entrée précoce dans la sexualité des jeunes canadiens, notamment les facteurs relatifs à la structure familiale, elle présente néanmoins des limites fondamentales qui sont inhérentes aux données disponibles. Comme nous l’avons signalé, des problèmes de représentativité causés par une érosion importante de l’échantillon dans l’ELNEJ, le fait que toute enquête sur le comportement sexuel, vu son aspect délicat, amène un taux élevé de non-réponse ou des réponses partielles, de même que l’influence du mode de collecte ne nous permettent pas de donner un portait fidèle de la relation entre les dynamiques familiales et l’activité sexuelle précoce chez les jeunes canadiens. En outre, l’ELNEJ ne fournit pas d’informations sur des éléments qui pourraient être des proches déterminants des effets que nous avons observés au niveau de la structure et des dynamiques familiales sur l’entrée dans la sexualité. Ces éléments concerneraient notamment la formation de genre et l’identité sexuelle, la transmission intergénérationnelle des attitudes sexuelles, l’attachement parent-enfant, la surveillance des enfants, la détresse des adolescents, le changement de domicile ainsi que tous les changements rencontrés dans l’économie familiale, les réseaux familiaux et sociaux. Les résultats de nos analyses laissent donc ouverte la question concernant les mécanismes à travers lesquels la structure et les dynamiques familiales exercent une influence sur l’activité sexuelle chez les jeunes canadiens. L’instabilité familiale affaiblit-elle l’attachement entre parents et enfants, augmentant par là la rébellion des adolescents, le rejet de l’autorité parentale et la recherche de relations intimes en dehors du foyer parental ? Ou est-ce que la turbulence familiale, en affaiblissant l’autorité et les compétences parentales, ferait que les modèles parentaux deviennent biaisés et perdent de leur valeur auprès des jeunes ? Alternativement, des forces externes agissant à travers les parents et les enfants et associées à des changements dans le quartier, à l’école, dans l’emploi des parents ou au niveau des groupes de pairs du jeune pourraient concourir à l’instabilité familiale et augmenter ainsi le rythme du premier rapport sexuel chez les jeunes. Quels que soient les mécanismes spécifiques, nos résultats montrent l’importance d’approfondir le lien entre les parcours conjugaux et parentaux et le bien-être, y compris la santé sexuelle, des jeunes et des enfants.