Abstracts
Résumé
La prévalence de la contraception est relativement élevée parmi les femmes brésiliennes, la pilule étant la méthode réversible la plus populaire. Cependant, des disparités en matière d’événements reproductifs persistent selon la région de résidence et le groupe social. Cette étude analyse les facteurs associés avec l’interruption, l’échec et le changement de méthode contraceptive au Brésil, dans le but d’améliorer la base factuelle sur les dynamiques de la pratique contraceptive. Des modèles statistiques de mesure de risque concurrent multi-niveaux sont appliqués aux données provenant de l’Enquête démographique et de santé de 1996. Les résultats indiquent que les risques les plus faibles d’échec contraceptif et d’abandon de la contraception – c’est-à-dire le fait de ne plus recourir à aucune méthode –, sont associés à certaines caractéristiques dont on soupçonne fortement qu’elles sont reliées à une plus grande motivation pour la régulation de la fécondité. Ces caractéristiques sont, notamment, l’âge de la femme, son niveau d’études et son exposition aux médias. En outre, la probabilité de passer de la pilule au condom, d’un intérêt particulier dans cette ère du VIH/SIDA, augmente avec la scolarité. Élargir l’accès aux différentes méthodes contraceptives, améliorer la connaissance chez le personnel de la santé des technologies contraceptives et accroître la supervision médicale de la pratique contraceptive pourraient être considérés comme les clés de l’amélioration de la qualité des services de santé reproductive.
Abstract
Contraceptive prevalence is relatively high among Brazilian women, with orals the most popular reversible method. However, important differentials persist across regions and social groups in reproductive outcomes. This study examined the factors associated with discontinuation, failure and switching of orals in Brazil, with the aim of increasing the evidence base on contraceptive use dynamics. Multilevel competing risks hazard models were applied to data from the 1996 Demographic and Health Survey. Results showed lower risks of contraceptive failure and of switching to no method associated with certain characteristics-notably woman’s age, education and media exposure-presumably related to increased motivation for fertility control. The risk of switching from orals to condoms, of particular interest in the era of HIV/AIDS, increased with level of education. Expanding access to a range of contraceptive methods, improving knowledge among health agents of contraceptive technologies and increasing medical supervision of contraceptive practice may be considered key to expanding quality reproductive health care services for all.
Article body
Introduction
Le renforcement des soins de santé de la reproduction et des services de planification familiale, dans les pays en développement, est fréquemment souligné comme secteur prioritaire d’intervention dans les plans internationaux de base visant la réduction de la mortalité maternelle et l’amélioration de la santé des femmes et des jeunes enfants. La mise en oeuvre effective des services appropriés exige une bonne compréhension des facteurs qui influencent les niveaux de reproduction chez les femmes à risque et leurs modes de comportement. Le report de l’âge à la première naissance chez les adolescentes, l’allongement des intervalles entre naissances et la réduction du nombre de naissances non planifiées sont généralement associés à des maternités à moindre risque. L’utilisation de contraceptifs peut jouer un rôle important à cette fin.
Au Brésil, les niveaux relativement élevés d’utilisation des contraceptifs modernes ne suppriment pas de grands besoins de planification familiale non couverts, surtout parmi les segments les plus vulnérables de la société. L’indice synthétique de fécondité (ISF) a beau reculer depuis plusieurs années au point d’atteindre déjà un niveau comparable à ceux de nombreux pays développés (2,5 enfants par femme en 1996), les données de l’Enquête démographique et de santé (EDS) suggèrent que si toutes les femmes brésiliennes en quête d’une baisse de leur fécondité bénéficiaient d’une protection efficace, l’ISF de 1996 aurait été de 1,8 enfant, soit inférieur d’environ un tiers par rapport à son niveau réel (BEMFAN, 1997). En outre, des différences importantes subsistent dans divers aspects de la reproduction selon les sous-régions et les groupes sociaux. Signalons en particulier les niveaux de fécondité nettement supérieurs dans la région miséreuse du Nordeste et l’augmentation dans le temps de la fraction de l’ISF attribuable aux jeunes de 15 à 19 ans (Gupta et Leite, 1999). Un taux élevé de prévalence contraceptive n’entraîne pas nécessairement un bas niveau de fécondité et une amélioration de la santé reproductive. Le choix des méthodes de contraception joue aussi un rôle important. Selon l’EDS du Brésil de 1996, 27 % des femmes de ce pays en âge de procréer recouraient à la stérilisation, ce qui en fait également la méthode utilisée la plus efficace à long terme (BEMFAM, 1997). Au deuxième rang de popularité viennent les contraceptifs oraux utilisés par 16 % des femmes. (L’ensemble des autres méthodes réversibles se chiffre à 10 %). On observe de fortes différences régionales dans le choix des méthodes sous la forme d’un recours plus marqué à la stérilisation dans le Nordeste qui contraste avec la préférence donnée aux contraceptifs oraux dans les régions plus prospères du sud et du sud-est. Les adolescentes sexuellement actives optent aussi majoritairement (27 %) pour la pilule.
Le Brésil n’a pas de programme officiel de planification familiale, même si le programme de santé des mères et de leurs enfants incorpore depuis quelques années, certains services de planification familiale. D’importantes restrictions existent quant à la disponibilité et l’accès aux services de planification familiale et aux soins de santé reproductive pour les femmes, de même que de graves carences dans la qualité des soins (Diaz et al., 1999). On reconnaît de plus en plus que les mesures de surveillance et d’évaluation que s’efforcent de déployer les services de planification familiale doivent aller au-delà de leur impact sur la fécondité. Dans les pays où la prévalence contraceptive est relativement élevée, les services visant à réduire le nombre de grossesses non prévues se doivent d’accorder une attention spéciale aux besoins des utilisatrices courantes de moyens contraceptifs (Blanc et al., 2002). Ce faisant, ils ont renforcé l’attention sur les effets pouvant découler de la qualité des services de planification familiale, à savoir les échecs, les interruptions et les changements dans la contraception; trois variables étroitement reliées. L’échec dans la contraception a retenu particulièrement l’attention puisqu’il entraîne une grossesse non prévue résultant d’un défaut dans la méthode, d’une erreur de l’utilisatrice ou encore d’une faute du fournisseur (Dominik et al., 1999). L’interruption de la contraception dépend de la décision de la femme de choisir une autre méthode et de l’efficacité de cette méthode. Le changement pour une méthode moins efficace ou l’abandon de toute méthode mérite une attention particulière, car tous deux accroissent le risque d’une grossesse non prévue et, dès lors, d’une hausse générale du niveau de fécondité. Le changement entre deux méthodes d’efficacité similaire exerce peut-être moins d’influence sur le plan démographique bien qu’il puisse accroître potentiellement le risque d’une grossesse non prévue. En effet, les femmes courent davantage de risque d’échec dans les premiers mois d’utilisation d’une méthode avec laquelle elles ne sont pas familières.
Au Brésil, l’EDS de 1996 révèlent un taux d’arrêt de la contraception de 43 % dans les cinq années précédentes. En outre, le taux mensuel cumulatif sur douze mois d’abandon ou d’arrêt d’une méthode par des femmes présumées avoir encore besoin de planification familiale se révèle plus élevé pour les épisodes d’utilisation de la pilule plutôt que du condom ou des méthodes traditionnelles (Leite et Gupta, 2007). Les dynamiques d’utilisation de la pilule sont d’un intérêt particulier étant donné que 50 % de tous les épisodes de contraception dans la période 1991-1996 concernent cette méthode.
La présente étude a comme objectif d’analyser les facteurs associés aux interruptions, aux échecs et aux changements dans la méthode réversible la plus couramment utilisée par les femmes brésiliennes, à savoir les contraceptifs oraux. Comme telle, cette recherche veut apporter sa contribution à la base croissante de preuves relatives à la dynamique de l’utilisation des contraceptifs, en particulier dans le contexte de vastes disparités socio-économiques et d’un déclin rapide de la fécondité.
Données et méthodes
Les données de l’analyse proviennent de l’EDS la plus récente au Brésil, la « Pesquisa Nacional sobre Demografia e Saúde » de 1996. L’EDS est un des programmes les plus vastes de collecte de données quantitatives sur la population, la santé et la nutrition dans les pays à niveau de revenu faible ou moyen. Les enquêtes sont effectuées avec des instruments, méthodes de formation, collecte et traitement des données uniformisés (MEASURE DHS, 2007). Les informations issues de l’enquête brésilienne de 1996, ont été collectées au moyen d’entrevues personnelles menées auprès de 12.612 femmes âgées de 15 à 49 ans. Celles-ci ont été sélectionnées selon un processus d’échantillonnage au hasard, à deux degrés, garantissant des résultats représentatifs aux niveaux régionaux et national (BEMFAM, 1997).
En plus des questions centrales destinées à mesurer les indicateurs fondamentaux nécessaires à la surveillance et à l’évaluation des programmes de santé, certaines EDS incluent des modules additionnels devant fournir de l’information spécialisée dans des domaines spécifiques, tels que la mortalité maternelle ou l’anthropométrie. Notre analyse tire avantage du module « calendrier » des événements liés à la reproduction. Ce module, relativement peu exploité, gagne progressivement en importance dans la supervision de la dynamique reproductive et facilite beaucoup le travail des chercheurs, en particulier dans leurs analyses des interruptions, échecs et changements en matière de contraception (Curtis et Blanc, 1997).
Le calendrier contient des informations exceptionnellement détaillées (mois par mois) sur la survenance temporelle d’un nombre d’événements – unions maritales, utilisation de contraceptifs et mobilité résidentielle – au cours des cinq années calendrier complètes précédant l’enquête. Pour chaque épisode de pratique contraceptive, l’enquête enregistre le type de méthode, les dates de début et de fin de cette pratique ainsi que le motif de son arrêt. Cette méthode rétrospective de mesure exige un grand effort de mémoire de la part des répondantes, mais le rappel est soutenu lors de l’entrevue par recours aux entrées précédemment enregistrées dans le calendrier des naissances vivantes. En datant avec précision les événements les uns par rapport aux autres, le calendrier fournit un excellent cadre de référence temporel permettant de résoudre les incohérences dans les réponses des femmes portant sur les dates de naissance, les durées d’allaitement et les périodes avec ou sans contraception. Dans l’ensemble, la qualité de l’information fournie par cette méthode de collecte de données longitudinales s’avère supérieure à celle de techniques rétrospectives concurrentes (Goldman et al., 1989; Westoff et al., 1990).
L’examen des modes d’échec, d’interruption et de changement dans la contraception débouche sur la création de sept catégories de variables dans les réponses. La première est l’échec en cours d’utilisation d’une méthode qui entraîne une grossesse (présumée non intentionnelle). Les cinq catégories suivantes portent chacune sur le choix d’une méthode spécifique adoptée après une interruption, y compris son abandon malgré la persistance du besoin de planification familiale : injection, stérilisation, condoms, méthodes traditionnelles (abstinence périodique et retrait) et absence de méthode. Cette dernière catégorie apparaît parmi les épisodes d’utilisation en fin de période de suivi. (Nous n’avons pas tenu compte des changements au profit du stérilet, du diaphragme, du spermicide ou des méthodes folkloriques, telles que les douches post-coïtales, à cause du nombre très réduit de cas). Enfin, les épisodes où des femmes affirment avoir arrêté la contraception pour des motifs étrangers à celle-ci, comme le désir de grossesse, la séparation du couple ou des rapports sexuels peu fréquents, ont été écartés pour la bonne raison que l’arrêt n’a pas eu lieu alors que subsistait le besoin de planification familiale ou qu’il y avait peu de raison de croire que ces femmes n’auraient pas persévéré dans l’utilisation de la même méthode de contraception. Toutefois, il ne faut pas prendre ces catégories comme très précises, étant donné que les raisons invoquées par les femmes pour justifier l’interruption de la contraception ne sont pas toujours fiables (Stricker et al., 1997).
Le modèle inclut toutes les femmes sexuellement actives qui ont entrepris la pratique d’une méthode de contraception réversible au cours de la période couverte par le calendrier. Les épisodes de cette pratique (utilisation ininterrompue de mois en mois) servent d’unités d’analyse. Les observations rassemblées durant les trois mois précédant immédiatement le travail de terrain sont exclues conformément à une pratique de recherche courante destinée à réduire les déformations dans l’estimation du rapport entre utilisation et échecs. Ainsi, certaines femmes peuvent ne pas avoir encore réalisé qu’elles sont enceintes, laissant échapper certains échecs dans la contraception (Blanc et al., 2002). Le modèle exclut également les épisodes d’utilisation ayant débuté avant la période du calendrier puisque la date de leur début ne serait pas enregistrée. Sont aussi exclus les quelques cas de femmes ayant rapporté plus de vingt interruptions durant la période du calendrier. En fin de compte, l’échantillon comprenait 6.117 épisodes d’utilisation dont 3.466 concernaient les contraceptifs oraux.
Pour pouvoir évaluer simultanément les effets de facteurs sociodémographiques pertinents, nous avons utilisé un modèle de mesure de risque concurrent. À cette fin, nous avons eu recours au modèle de risque proportionnel de Cox qui permet de tronquer les données sur les individus qui n’ont pas encore vécu l’événement (Cox, 1972; Cox et Oakes, 1984). Cependant, en modélisant les épisodes de contraception des femmes, une personne peut intervenir dans plus d’un épisode de l’échantillon. De la sorte, l’hypothèse classique d’indépendance entre les observations peut être violée. Pour surmonter cet obstacle, notre étude prend en compte la structure à niveaux multiples de l’ensemble des données en insérant dans le modèle un estimateur des effets aléatoires avec une distribution gamma (Therneau et Grambsch, 2000). L’estimation des paramètres se fait à l’aide du logiciel statistique “R” (The R Development Core Team, 2003).
Le modèle inclut un certain nombre de variables explicatives propres aux épisodes et propres aux femmes. Il s’agit de variables identifiées par la littérature comme susceptibles d’influencer la dynamique de la contraception au Brésil et dans d’autres pays en développement, à savoir l’intention de la femme de pratiquer la contraception, son âge, son état matrimonial, le nombre de ses enfants vivants, son éducation, son groupe ethnique, sa résidence urbaine ou rurale, la région de sa résidence et son exposition aux médias de masse (Ali et Cleland, 1999; Blanc et al., 2002; Gupta, 2000; Steele et Diamond, 1999; Zhang et al., 1999). Quant au passage de la pilule à la stérilisation, le caractère irrévocable de cette dernière nous fait supposer que tous les épisodes de pratique de la contraception chez les femmes stérilisées ont comme objectif de limiter la taille de la famille.
Résultats
Analyse descriptive
Conformément au tableau 1, les résultats de l’EDS du Brésil présentent, par comparaison avec une bonne partie des pays en développement, une population essentiellement urbaine (82 %), relativement instruite (62 % possèdent au moins le niveau de l’école primaire) et largement exposée aux moyens de communication modernes (89 % regardent la télévision chaque semaine). La région la plus peuplée du pays est le Sud-est (42 %) qui inclut les zones métropolitaines de Sao Paulo et de Rio de Janeiro. Suivent les neuf états formant la région dite du Nordeste (28 %).
Au moment de l’enquête, 55 % de toutes les femmes d’âge fertile utilisaient une méthode de planification familiale (BEMFAM, 1997). La moitié d’entre elles (49 %) étaient stérilisées (figure 1). Parmi celles qui favorisent une méthode réversible, la majorité prennent la pilule avec le condom au deuxième rang. Certaines différences régionales apparaissent dans le choix des méthodes, notamment un recours plus fréquent à la stérilisation dans le Nord et le Nordeste, contrairement à la préférence pour la pilule dans le Sud-est et surtout le Sud.
Les femmes prenant la pilule sont plutôt jeunes comparées aux utilisatrices d’autres méthodes (figure 2). Elles sont aussi moins souvent mariées, soit 79 % d’entre elles contre 83 % de l’ensemble des femmes pratiquant la contraception. Les comportements des femmes plus jeunes et non mariées peuvent être reliés à leur motivation plus forte en faveur d’une méthode réversible efficace, notamment la pilule, en vue d’assurer l’espacement des naissances.
Le tableau 2 présente les taux cumulatifs sur douze mois d’interruption de la contraception pour les méthodes réversibles les plus répandues selon le statut des femmes après l’arrêt. Il s’agit des taux bruts calculés selon la technique de la table à simple extinction de Kaplan-Meier. Cette analyse préliminaire des données du calendrier révèle un taux global d’interruption de 46 % pour la période quinquennale précédant l’enquête. Ce taux est le plus faible chez les utilisatrices de la pilule et le plus élevé chez les utilisatrices d’injections. Conformément aux attentes, les taux d’échec sont supérieurs dans le cas des méthodes traditionnelles. Bien que les utilisatrices de contraceptifs oraux aient le taux d’échec le plus bas, elles affichent un taux d’abandon de la contraception presque identique à celui des utilisatrices du condom.
Résultats obtenus avec le modèle de mesure de risque concurrent
Le tableau 3 présente les coefficients estimés tirés du modèle de risque proportionnel de Cox et leurs niveaux de signification statistique respectifs pour toutes les variables supposément associées aux échecs contraceptifs et aux changements de méthodes chez les utilisatrices de contraceptifs oraux. Les coefficients des variables nominales indiquent l’augmentation ou la diminution relative du risque que les femmes vivent un échec ou un type spécifique de changement, par comparaison avec le risque vécu par leurs vis-à-vis dans la catégorie de référence, compte tenu des risques concurrents. Pour les variables continues, les coefficients affichent les différences de risque relatif associé à l’augmentation d’une unité sur l’échelle de la variable.
Plusieurs covariances présentent des associations discernables en lien avec l’échec dans la contraception quand tous les facteurs de risque sont estimés simultanément. D’une part, le risque d’une grossesse (non intentionnelle) chez les utilisatrices de la pilule est nettement moindre chez celles qui visent la limitation plutôt que l’espacement des naissances au cours de l’épisode concerné. Le risque d’échec dans la contraception apparaît en relation inverse avec l’âge de la femme en début d’épisode de contraception. Ce risque est en effet d’autant plus faible que l’âge est avancé. L’explication se trouve peut-être dans l’accroissement de la motivation de la femme pour la planification de sa fécondité au fur et à mesure qu’elle avance dans son cycle de reproduction. La baisse de sa fertilité peut être une autre explication possible d’un moindre risque d’échec chez les femmes plus âgées. On trouve également une relation inverse entre niveau d’éducation et risque d’échec puisque celui-ci baisse respectivement de 56 et 23 % chez les femmes ayant réussi au moins leur scolarité secondaire (neuf années d’école et plus) ou primaire (de quatre à huit années), par rapport à celles n’ayant aucune ou peu d’éducation formelle. Par contre, on observe une relation positive entre le nombre d’enfants vivants et l’échec dans la contraception. Le risque moindre d’échec observé lorsque l’utilisatrice de contraceptifs oraux est blanche peut être associé avec un statut socio-économique supérieur chez ce groupe. Plus surprenant est le risque d’échec significativement plus élevé (52 %) chez les femmes en milieu urbain. On ne trouve pas de relation indépendante entre risque d’échec et région où vivent les femmes, malgré les immenses différences régionales qu’affiche le Brésil en matière sociale, culturelle et économique (voir par exemple Wood et Carvalho, 1988).
Quant aux changements dans le choix des contraceptifs, l’enquête montre des risques similaires pour les épisodes de pratique contraceptive dans le Nord et le Nordeste, les deux régions les plus pauvres du pays, excepté dans le cas du passage aux injections, dont le risque est nettement plus élevé dans le Nord. Le risque le plus faible de passer de la pilule à la stérilisation s’observe chez les femmes vivant dans le Sud, la seule région où la stérilisation n’est pas la méthode prévalente. (Il importe de noter que les cas de passage à la stérilisation sont plutôt rares. Au Brésil, les opérations de stérilisation se font habituellement à l’occasion d’accouchements par césarienne, ce qui implique l’arrêt préalable total de la contraception.)
L’âge de la femme est relié positivement au risque de passer de la pilule au condom et aux méthodes traditionnelles, ce qui suggère que les femmes plus âgées peuvent choisir de renoncer à la pilule par crainte des risques potentiels pour la santé associés à son usage prolongé; elles la remplacent alors par une méthode non hormonale. La probabilité de passer de la pilule au condom augmente aussi chez les femmes plus instruites (neuf années de scolarité et plus), renforcée peut-être aussi par l’avantage accru de cette méthode qui offre une double barrière contre les grossesses et la plupart des infections sexuellement transmises (y compris le VIH/SIDA). Les femmes mariées sont plus enclines que leurs consoeurs non mariées à abandonner la pilule pour la stérilisation et les méthodes traditionnelles. Comme tel, le mariage pourrait être la source à la fois d’une motivation accrue envers la limitation de la taille de la famille (en choisissant la stérilisation) et d’une motivation moindre (en choisissant une méthode traditionnelle moins efficace). Le lieu de résidence apparaît n’avoir d’effet que sur le risque de passer à une méthode traditionnelle.
Les épisodes d’utilisation de contraceptifs oraux vont de pair avec un risque moindre d’abandon de la contraception chez les femmes qui la pratiquent en vue de limiter la taille de leur famille, car un tel abandon les exposerait à un risque accru de grossesse non désirée. De la même façon, plus leur scolarité est longue, moins risquent-elles de passer de la pilule à l’abandon de la contraception. Les femmes mariées risquent moins de laisser tomber complètement la contraception, alors que les femmes plus âgées risquent davantage d’y renoncer complètement. Les femmes qui déclarent regarder la télévision au moins une fois par semaine risquent moins de renoncer complètement à la contraception peut-être parce qu’elles sont davantage motivées à son égard. On attribue aux programmes de télévision du Brésil, surtout aux feuilletons très populaires (telenovelas), une grande influence sur la promotion d’un changement idéologique concernant les comportements de reproduction en mettant en scène des styles de vie favorables aux familles plus petites (Faria, 1989). Finalement, par comparaison avec les femmes du Nord et du Nordeste, celles de toutes les autres régions du pays courent un risque moindre d’abandon de l’ensemble des méthodes de contraception, toutes choses égales par ailleurs.
Discussion
Notre étude exploratoire examine les influences socio-économiques et démographiques de l’interruption, de l’échec et du changement de méthode contraceptive dans un contexte de changements rapides et profonds des résultats en matière de fécondité. À ce titre, les données de l’Enquête démographique et de santé de 1996, qui sont représentatives à l’échelle nationale du Brésil, et plus particulièrement le module « calendrier » des événements de reproduction, offrent plusieurs avantages pour évaluer la dynamique de la pratique contraceptive. La collecte des histoires détaillées couvrant les cinq années précédant les entrevues consacrées aux pratiques contraceptives des femmes, à leurs unions maritales, naissances vivantes et mobilité résidentielle permettent de dater les transitions et d’élaborer une approche méthodologique solide applicable à des analyses rétrospectives. Notre principal intérêt est de décrire les modalités et d’expliquer les déterminants des dynamiques de l’utilisation des contraceptifs oraux chez les femmes selon les régions et les groupes sociaux.
Les contraceptifs oraux constituent la méthode réversible la plus importante au Brésil puisqu’elle est utilisée par 27 % des femmes de 15 à 49 ans et qu’elle compte pour plus de la moitié des épisodes d’utilisation de méthodes contraceptives enregistrées entre 1991 et 1996. D’une part, le taux de persévérance (ou d’interruption) dans la contraception est suggéré comme étant une mesure sommaire utile de l’efficacité des services de planification familiale destinés à encourager les clientes à persévérer dans la contraception (Bertrand et Escudero, 2002). L’analyse préliminaire montre que les taux d’interruption sont moins élevés pour les épisodes d’utilisation de la pilule que dans le cas des autres méthodes réversibles (injections, condoms et méthodes traditionnelles). Les taux d’échec sont également inférieurs chez les utilisatrices de la pilule. Par contre, les taux d’abandon complet de la contraception sont d’ampleur similaire à ceux des condoms et nettement supérieurs à ceux des méthodes traditionnelles.
À l’aide du modèle de risque proportionnel de Cox permettant d’évaluer simultanément les effets de plusieurs covariances sur la dynamique de l’utilisation de la pilule, notre analyse montre peu de différences régionales en termes d’échec parmi les utilisatrices de contraceptifs oraux. Ce résultat s’observe partout malgré les grandes différences socio-économiques existant entre les diverses régions du pays. Ceci contraste avec les résultats d’une étude précédente qui montrait une probabilité nettement supérieure d’échec, d’abandon et de changement pour l’ensemble des méthodes de contraception dans la région du Nordeste par comparaison avec celle du Sud-est (Leite et Gupta, 2007).
D’autre part, parmi les résultats attendus de la présente étude, le risque d’échec diminue avec l’âge de la femme, son niveau d’éducation et son origine ethnique blanche (lui-même associé avec un statut socio-économique supérieur), trois caractéristiques supposément reliées à une motivation accrue en faveur de la maîtrise de la fécondité et, dès lors, à des taux d’échec inférieurs. Ainsi, le risque d’abandonner la contraception, c’est-à-dire de ne plus recourir à aucune méthode, est moindre chez les femmes plus éduquées de la région prospère du Sud ou celles qui sont très exposées aux médias de masse. De plus, le risque de remplacer la pilule par le condom augmente avec le niveau d’éducation.
Au Brésil, malgré le manque de politique nationale en matière de planification familiale, les contraceptifs oraux sont disponibles sur une grande échelle à un coût relativement bas et très souvent sans ordonnance, dans les pharmacies qui en sont les principaux fournisseurs. Le manque de supervision médicale dans leur distribution peut expliquer le risque accru pour les utilisatrices de passer de la pilule à des méthodes non hormonales; c’est surtout le cas des femmes plus âgées et plus éduquées qui peuvent percevoir les risques négatifs d’un usage prolongé de la pilule. Bien qu’aucune méthode moderne de contraception ne soit entièrement à l’abri de conséquences néfastes pour la santé, cet aspect mérite une attention spéciale car les effets bénéfiques des méthodes hormonales, pourtant clairement exposés dans la littérature – citons la baisse du risque d’anémie par manque de fer, d’inflammation pelvienne et de cancer de l’endomètre et de l’ovaire chez les adeptes de la pilule – sont plutôt mal connus, voire même sous-estimés par les responsables de la santé dans de nombreux pays (National Research Council, 1989). Le gouvernement brésilien tente de développer son programme de santé familiale en élargissant l’accès au système de santé et en déplaçant l’emphase vers les soins de santé préventifs. On peut donc considérer qu’une meilleure connaissance des technologies de la contraception chez les agents sanitaires et une supervision médicale accrue de la pratique contraceptive, font désormais partie intégrante de l’expansion de services de soins de santé de la reproduction de qualité.
Nous devons reconnaître certaines limites à cette analyse. En particulier, les données ne fournissent pas d’informations sur les transitions dans les préférences de fécondité et la demande de planification familiale. Une autre contrainte provient d’un manque de renseignements sur les variables du système de santé et notamment sur la disponibilité des services. Malgré l’ajout de quelques analyses additionnelles fusionnant des informations indépendantes obtenues de l’Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística (Institut brésilien de géographie et de statistique) concernant le développement social et sanitaire au niveau municipal, parmi lesquelles l’Indice de développement humain (IBGE, 2001), les résultats se sont révélés non concluants et ont été dès lors exclus de la présente étude.
Notons aussi que cette analyse aurait dû idéalement utiliser une procédure multi-niveaux avec des estimateurs des effets aléatoires non seulement au niveau des femmes, mais aussi aux niveaux de la grappe échantillonnée et de la municipalité. On s’attendrait à ce que les personnes sélectionnées dans une même grappe ou une même municipalité affichent des comportements plutôt semblables en comparaison avec les personnes choisies dans d’autres grappes ou municipalités (sous l’effet d’une variété de facteurs non mesurés et non mesurables). Cependant, notre application du modèle à trois niveaux n’a pas donné de résultats convergents. L’interprétation des résultats du modèle présenté ici doit donc se faire avec soin car il aura sous-estimé les effets aléatoires. L’absence de convergence se retrouve également dans un modèle incorporant une variable subrogative pour mesurer l’accès aux services de soins de santé – un agrégat au niveau de la grappe qui évalue la proportion des femmes ayant reçu des soins prénatals d’un professionnel de la santé au cours des cinq dernières années – vraisemblablement en relation avec le petit nombre d’observations par agrégation géographique.
Notre analyse a peut-être comme autre faiblesse de ne pas traiter adéquatement la question du caractère potentiellement endogène du choix de la méthode de contraception dans le processus de son interruption. Une étude utilisant des modèles d’estimation de deux équations simultanées pour corriger le biais potentiel dû à une corrélation entre les variables explicatives et le terme d’erreur de la régression a montré qu’en Indonésie le choix de la méthode était endogène en cas d’abandon de la contraception, du moins si on les applique à l’analyse comparée du choix du stérilet et d’implants, de préférence à la pilule et aux injections (Steele et Curtis, 2003). Les conséquences potentielles du caractère endogène sur l’interruption ou le changement de méthode restent incertaines dans le contexte du Brésil où l’utilisation de méthodes cliniques réversibles reste exceptionnelle, ce qui suggère une piste intéressante pour une prochaine étude.
Appendices
Bibliographie
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