Être adolescente et mère aujourd’hui est à première vue un paradoxe. L’adolescence est cette période de transition de l’enfance à l’âge adulte, période fragile qui se partage entre l’obligation scolaire, l’apprentissage de l’indépendance et le deuil de l’enfance : elle s’accommode donc mal des responsabilités que supposent les rôles de « parent » et de conjoint. Si, de plus, une vie de couple se met en place, cela se passe à une période de la vie où ces très jeunes parents n’ont pu, dans la plupart des cas, acquérir une indépendance financière. Pourtant, du côté de la société, tout semble avoir été mis en place pour « éviter » ces situations : l’accès à la contraception permet de prévenir les grossesses non désirées et, en cas de conception, l’avortement ou l’adoption sont des solutions envisageables. D’ailleurs, l’adolescente enceinte sera souvent encouragée à renoncer à une maternité qui va, de bien des façons, infléchir sa trajectoire affective, familiale, scolaire et professionnelle. Autre paradoxe : la coexistence de ces maternités précoces, encore fréquentes au Canada comparativement à certains pays d’Europe, et d’une adolescence qui tend à se prolonger indéfiniment dans les sociétés les plus développées. Enfin, il y a aussi cette tension qui s’établit entre le souci de « responsabiliser » l’adolescente en respectant son choix de garder l’enfant et la nécessité fréquente de recourir à l’aide sociale pour que la mère puisse élever cet enfant dont elle ne peut assumer seule la charge financière. En outre, sa dépendance à l’égard de l’aide sociale et du soutien familial risque de perdurer si la venue de l’enfant interrompt son cursus scolaire, diminuant d’autant ses chances de trouver un emploi et d’acquérir l’indépendance que supposent ses responsabilités de parent et d’adulte. C’est pour identifier les enjeux de ces trajectoires de vie en porte-à-faux avec les normes de nos sociétés actuelles que Johanne Charbonneau et son équipe ont interrogé 32 mères ayant eu un premier enfant durant leur adolescence. L’histoire singulière de chaque mère et la dynamique de son réseau social constituent le matériau de base de cette recherche : d’où viennent les mères et que deviennent-elles, comment et pourquoi ont-elles décidé de poursuivre leur grossesse, sur qui ont-elles pu compter pour assumer les multiples rôles que leur impose cette maternité précoce, dans quelle mesure cet enfant venu (trop) tôt est-il la cause des difficultés (affectives, financières, familiales…) que va rencontrer sa maman par la suite, de quelles ressources dispose-t-elle pour faire face aux difficultés de toute nature qu’elle va rencontrer ? En d’autres termes, la maternité adolescente est-elle en soi un problème social ? N’est-elle pas l’une des nombreuses conséquences d’un « problème social » plus ancien, celui de la pauvreté ou de l’instabilité familiale qui a marqué l’enfance de la mère adolescente ? Et si ce n’était pas un problème, mais plutôt un mode de résistance au modèle dominant, celui qui prône une scolarité longue, l’acquisition de l’indépendance par le travail : si la procréation résultait d’un choix « rationnel »… L’enquête sur laquelle repose cette étude a été réalisée en 1996 et 1997 auprès de mères qui ont eu un premier enfant avant l’âge de 20 ans et qui résident dans les milieux urbains et ruraux de la Montérégie (région administrative du Québec qui englobe une partie de l’agglomération de Montréal). Cette naissance devait avoir eu lieu au moins quatre ans avant l’enquête, un recul suffisant pour analyser le devenir de ces très jeunes mères sous divers aspects : poursuite ou abandon des études, décohabitation parentale, poursuite ou abandon de la relation conjugale, venue d’un autre enfant, exercice d’un emploi, etc. En …
CHARBONNEAU, Johanne, 2003. Adolescentes et mères. Histoires de maternité précoce et soutien du réseau social. Québec, Les Presses de l’Université Laval, 273 p.[Record]
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Godelieve Masuy-Stroobant
Institut de démographie Université catholique de Louvain