Abstracts
Résumé
Lorsqu’une personne âgée est en perte d’autonomie, elle peut d’abord et avant tout compter sur son conjoint pour recevoir une partie importante de l’aide dont elle a besoin pour exécuter les activités de la vie courante. Toutefois, ce ne sont pas toutes les personnes âgées qui peuvent compter sur la présence d’un conjoint. Cet article s’intéresse plus particulièrement aux personnes âgées qui ont des enfants survivants, mais n’ont plus de conjoint en raison d’un décès ou d’une rupture d’union. Ces personnes peuvent-elles compter sur l’aide de leurs enfants ? La situation est-elle comparable pour les personnes séparées ou divorcées et celles qui sont veuves ? L’implication des enfants est-elle la même qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme âgée ? Par rapport aux veuves, les résultats montrent que les femmes séparées ou divorcées peuvent compter tout autant sur l’aide de leurs enfants. Il n’y a pas non plus de différence significative entre veufs et veuves. Toutefois, les hommes âgés séparés ou divorcés ont environ onze fois moins de chances de recevoir l’aide d’un de leurs enfants.
Abstract
Older persons who are gradually losing their autonomy can often rely on their spouse to provide them with the assistance they need to perform everyday activities. However, not all older persons have a spouse. This article looks at older persons who have surviving children, but who no longer have a spouse due to the latter’s death or as a result of separation or divorce. Can these persons rely on their children for assistance? Is there any difference in this regard between older persons who are separated or divorced and widowed older persons? Does the children’s assistance depend on the older person’s gender? The results show that, compared to older widowed females, women who are separated or divorced are just as likely to receive assistance from their children. There is also no significant difference in this regard between older widowed males and females. However, separated or divorced older males are about eleven times less likely to receive assistance from their children.
Article body
Le processus qui est à l’origine du vieillissement démographique et les changements sociaux importants survenus au cours des dernières décennies risquent de rendre problématique l’apport du réseau de soutien informel propice au maintien à domicile des personnes âgées en perte d’autonomie. En effet, les principaux fournisseurs de services sont le conjoint et les enfants (Cantor, 1991; Guberman et Maheu, 1999; Hébert et al., 2001; Keating et al., 2001; Keating et al., 1994; Lafrenière et al., à paraître; Wister et al., 2000). Si la baisse de la fécondité est à l’origine du vieillissement démographique, elle a aussi comme conséquence de réduire sensiblement l’étendue du réseau de soutien informel. Par ailleurs, des divorces de plus en plus fréquents et leurs conséquences pour les relations parents-enfants peuvent aussi avoir comme effet de réduire l’apport de ce réseau. Dans ce contexte, il paraît important de mieux connaître les différentes sources de soutien des personnes âgées dont le réseau informel est plutôt limité.
La vieillesse a longtemps été caractérisée par une proportion élevée de veuves. Ce phénomène était encore très marqué au recensement de 2001; les femmes représentaient alors 62 % de l’ensemble de la population canadienne âgée de 75 ans et plus. Parmi elles, 62 % étaient veuves. En comparaison, seulement 21 % des hommes du même âge étaient veufs et 68 % étaient encore mariés. L’écart d’âge entre mari et femme et l’écart d’espérance de vie en faveur des femmes expliquent en bonne partie ce phénomène.
Bien que les veuves aient depuis longtemps constitué une importante proportion des personnes âgées vivant seules, les trente dernières années ont été marquées par des tendances qui changeront sans doute le visage de ce segment de la population. Par exemple, la divortialité a connu une croissance marquée. Si elle touche encore peu les 65 ans et plus, la hausse des taux de divortialité se traduira tôt ou tard par un accroissement de la proportion de divorcés aux âges avancés ou, à tout le moins, de la proportion d’individus qui auront connu un divorce au cours de leur vie. Par exemple, les données des recensements tenus entre 1976 et 2001 montrent que la proportion de séparés ou divorcés a augmenté de façon importante au Canada. Cette proportion a presque doublé pour chaque groupe d’âge quinquennal de plus de 45 ans. En 2001, près de 16 % des femmes et 12 % des hommes des générations 1947-1951 étaient séparés ou divorcés. Suivant cette évolution récente, les premières générations du baby-boom risquent d’atteindre 65 ans avec une proportion de personnes séparées ou divorcées jamais vue auparavant.
Dans une conjoncture où le maintien à domicile est favorisé aux dépens de l’institutionnalisation, il paraît important de mieux comprendre les effets d’une rupture d’union sur le recours aux réseaux de soutien formel et informel [1]. Le passage d’une population âgée où le veuvage est prédominant à une population âgée où le divorce prendra une place de plus en plus importante risque-t-il d’avoir un effet sur la demande de services de maintien à domicile provenant du réseau de soutien formel ?
Certaines études ont montré que les personnes âgées divorcées en perte d’autonomie pouvaient éprouver plus de difficultés à trouver l’aide dont elles ont besoin parmi les membres de leur réseau de soutien informel (Connidis et McMullin, 1994; Martel, 2000). On a aussi montré que le divorce pouvait avoir un effet plus néfaste sur les relations parent-enfant que le veuvage, plus particulièrement pour les pères (De Jong Gierveld et Dykstra, 1997; Harris et Furstenberg, 1995; Kaufman et Uhlenberg, 1998; Pezzin et Steinberg Schone, 1999; Uhlenberg, 1994). D’ailleurs, Barrett et Lynch (1999) ont constaté que parmi les personnes âgées divorcées, les femmes étaient plus susceptibles de recevoir le soutien de leurs enfants que les hommes. Bien que le remariage soit plus fréquent chez les hommes, il semble qu’ils ne puissent compter sur leurs beaux-fils ou leurs belles-filles pour compenser le manque de soutien provenant de leurs enfants biologiques, dont ils ont souvent été séparés assez tôt dans leur vie. Comparativement à ces derniers, le sentiment d’obligation serait en effet moins présent chez les enfants non biologiques (Ganong et al., 1998). De plus, le remariage semble réduire le nombre de contacts entre les enfants et le père biologique (Bulcroft et Bulcroft, 1991).
Les personnes âgées séparées ou divorcées seront-elles en mesure de compter sur le soutien de leur réseau familial, plus particulièrement de leurs enfants, en cas de perte d’autonomie ? Lorsqu’ils seront confrontés à une telle situation, les pères pourront-ils compter sur l’aide de leurs enfants au même titre que les mères ? La présente recherche a pour principal objectif d’apporter un début de réponse à ce questionnement en comparant, parmi la population âgée canadienne vivant en ménage privé, les personnes veuves à celles qui sont séparées ou divorcées. En contrôlant un certain nombre de caractéristiques sociodémographiques, comme l’étendue d’une partie du réseau informel et la présence de certains problèmes de santé, nous voulons mesurer l’effet de se trouver dans l’un ou l’autre de ces états matrimoniaux sur le recours à l’aide des enfants, source d’aide importante pour les personnes seules qui ont des enfants survivants (Carrière et coll., 2002).
Sources des données
Les données utilisées ici proviennent du cycle 11, « Entraide et soutien social », de l’Enquête sociale générale de 1996 réalisée par Statistique Canada. L’enquête visait comme population tous les Canadiens et Canadiennes âgés de 15 ans et plus qui vivaient dans des ménages privés. En étaient exclues les personnes résidant à temps plein dans des institutions, de même que les habitants du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest. Les données ont été recueillies au moyen d’une interview téléphonique assistée par ordinateur (ITAO), excluant systématiquement les ménages sans téléphone. Au total, l’échantillon était composé de 12 756 répondants (taux de réponse qui s’élevait à 85,3 %). On y trouve 5952 répondants âgés de 65 ans et plus vivant en ménage privé, dont 2393 personnes veuves et 359 séparées ou divorcées. Puisque cette analyse s’intéresse à l’aide reçue des enfants, nous n’avons retenu que les personnes veuves ou séparées-divorcées qui ont reçu de l’aide, ou qui ont déclaré en avoir besoin, et ayant au moins un enfant survivant. L’aide reçue doit être reliée à un problème de santé de longue durée ou à une situation difficile temporaire. Ces critères de sélection ont pour effet de réduire l’échantillon à 1018 personnes.
L’enquête visait, entre autres objectifs, à mieux connaître les types d’aide que les Canadiens et Canadiennes fournissent ou reçoivent, ainsi qu’à mieux comprendre la dynamique entre le réseau social d’une personne et l’aide qu’elle reçoit ou qu’elle apporte. À cette fin, le questionnaire visait à recueillir des renseignements détaillés sur le type d’aide fourni ou reçu à l’égard des tâches suivantes : la préparation des repas, le ménage, le lavage et la couture, l’entretien ménager et les travaux extérieurs, l’épicerie, le transport, les opérations bancaires et l’acquittement de factures, les soins personnels (bain, toilette, soin des ongles, brossage des dents, shampooing et soins des cheveux ou habillement), ainsi que le soutien moral ou émotionnel. L’enquête nous renseigne de plus sur les raisons de l’aide reçue.
Les personnes qui vivent en établissement étant exclues de l’enquête, les résultats seront en partie biaisés, surestimant la probabilité de recevoir l’aide des enfants, tant pour les personnes veuves que pour celles qui sont séparées ou divorcées.
Méthode
L’étude porte sur l’aide reçue des enfants chez les personnes âgées veuves ou séparées-divorcées vivant en ménage privé et ayant au moins un enfant survivant. Rappelons que nous nous intéressons aux personnes qui ont reçu de l’aide ou qui en ont exprimé le besoin, et ce, en raison d’un problème de santé de longue durée ou d’une situation difficile temporaire. L’objectif n’est pas de mesurer l’importance de l’aide reçue, mais bien d’analyser la probabilité de recevoir l’aide des enfants. Le modèle de régression logistique est le plus approprié pour ce type d’analyse. La population étudiée est subdivisée en deux catégories : le parent âgé reçoit l’aide d’au moins un de ses enfants, ou bien il ne reçoit l’aide d’aucun de ces derniers. Le modèle a été exécuté au moyen de SPSS 10.0 pour Windows. Nous avons utilisé les poids normalisés en rapportant le coefficient de pondération pour chaque répondant au coefficient de pondération moyen pour l’échantillon. Il s’agit là d’une procédure nécessaire quand on décide d’utiliser une méthode de régression pour estimer la variance avec plus de justesse.
Comme on l’a vu précédemment, la littérature laisse supposer des différences significatives non seulement entre les hommes et les femmes, mais aussi entre les hommes séparés-divorcés et les veufs. Les variables sexe et état matrimonial sont regroupées sous une seule variable comptant quatre catégories : femmes veuves, femmes séparées ou divorcées, hommes veufs, hommes séparés ou divorcés. Bien sûr, d’autres facteurs interviennent dans le recours à l’aide des enfants en cas de perte d’autonomie ou de difficultés temporaires. D’une part, l’étendue du réseau informel aura une influence certaine sur le recours à cette source d’aide. Deux variables nous permettront de contrôler l’effet de cette composante : le nombre d’enfants survivants ainsi que le nombre de frères et soeurs survivants. Par ailleurs, des caractéristiques socioculturelles auront pour effet de réduire ou d’accroître les attentes face à l’implication des enfants dans la dispensation des services d’aide. Nous avons retenu une variable qui nous servira d’indicateur quant à l’effet de facteurs socioculturels sur le recours à l’aide des enfants : l’éducation. Le niveau d’instruction a été subdivisé en trois catégories : 1) études primaires ou moins; 2) études secondaires terminées ou non; 3) études collégiales ou universitaires terminées ou non, ainsi qu’études techniques. Une étude récente a montré que les personnes les plus scolarisées avaient moins recours à leur réseau informel (Carrière et al., 2002). En extrapolant ces résultats, nous devrions constater une plus grande probabilité de recevoir l’aide d’un enfant chez les moins scolarisés. Finalement, l’état de santé de la personne âgée aura un effet certain sur la probabilité de recevoir l’aide d’un enfant. Plus l’état de santé est déficient, plus les besoins d’aide sont grands, augmentant d’autant cette probabilité. Pour contrôler l’effet de l’état de santé, nous avons retenu deux variables : les problèmes reliés à la mobilité et les problèmes d’ordre cognitif. Il s’agit de variables dichotomiques qui identifient les personnes ayant des difficultés importantes à ces niveaux. Dans le cas de la mobilité, il s’agit de personnes âgées qui ne peuvent se déplacer qu’en chaise roulante ou avec l’aide d’une autre personne, ou qui ne peuvent marcher. Pour ce qui est des problèmes cognitifs, il s’agit de personnes qui ont déclaré avoir beaucoup de difficultés à penser et qui oublient fréquemment. Comme il est de mise dans ce type d’analyse, nous avons bien sûr contrôlé l’effet de l’avancement en âge.
Ajoutons finalement que les variables éducation, mobilité, problèmes cognitifs et nombre de frères et soeurs survivants comportent un certain nombre de données manquantes. Pour chacune de ces variables, nous avons ajouté une catégorie « valeur manquante » [2] plutôt que d’éliminer ces répondants afin d’éviter de biaiser l’échantillon de la population étudiée.
Compte tenu de la revue de la littérature, on peut formuler l’hypothèse que les hommes séparés ou divorcés auront moins de chances de recevoir l’aide de leurs enfants que les femmes séparées ou divorcées. Nous chercherons aussi à savoir si les hommes et les femmes divorcés ont moins de chances de recevoir ce type d’aide que les personnes qui sont veuves.
Résultats
Dans un premier temps, nous présentons la distribution de chaque variable retenue selon que la personne âgée reçoit ou non l’aide d’au moins un de ses enfants. Le tableau 1 montre que certaines caractéristiques semblent être davantage associées à ce type d’aide. Par exemple, les personnes très âgées (85 ans et plus), celles qui n’ont pas plus d’un frère ou d’une soeur et celles qui n’ont pas accédé à des études de niveau secondaire sont plus susceptibles de recevoir l’aide d’un enfant. Les proportions les plus élevées de personnes âgées ayant reçu l’aide d’un enfant se trouvent tout de même parmi celles qui éprouvent des troubles cognitifs importants ainsi que des problèmes de mobilité. Par contre, parmi cette même population, ce sont les hommes séparés ou divorcés qui présentent la plus forte proportion de personnes n’ayant reçu aucune aide d’un enfant (90 %). Pour mieux estimer les facteurs associés à l’aide d’un enfant, il est évidemment préférable de contrôler l’effet de chacune des caractéristiques retenues.
Comme nous l’avons mentionné, la régression logistique a été utilisée pour mieux répondre à l’objectif de cette étude. En contrôlant chacune des variables indépendantes, on est en mesure d’estimer l’effet de chacune, toutes choses étant égales par ailleurs. Le tableau 2 présente les rapports de cotes (eß) et l’intervalle de confiance de 95 %. Pour une catégorie précise d’une variable indépendante, quand le rapport de cotes est supérieur à 1, la probabilité de l’événement faisant l’objet d’une comparaison (dans ce cas, l’événement est « recevoir l’aide d’un enfant ») est plus élevée par rapport à la catégorie de référence de la variable indépendante. Par exemple, les personnes qui ont des problèmes de mobilité, comparativement à celles qui n’en ont pas, étaient presque trois fois (2,7) plus susceptibles de recevoir l’aide d’un enfant. En présence d’un rapport inférieur à 1, l’interprétation est inversée. Par exemple, les hommes séparés ou divorcés, comparativement aux veuves, avaient environ 11 fois (0,09) moins de chances de recevoir l’aide d’un de leurs enfants. Lorsque l’intervalle de confiance de 95 % inclut la valeur 1, il n’y a pas d’écart significatif entre la catégorie de référence et la catégorie faisant l’objet d’une comparaison.
On remarque d’abord que les caractéristiques reliées à l’individu, soit l’âge, le sexe, l’état matrimonial et le niveau de scolarité, n’ont pas toutes un effet significatif sur la probabilité de recevoir l’aide d’un enfant. D’une part, une personne très âgée, toutes choses étant égales par ailleurs, n’a pas plus de chances de recevoir ce type d’aide qu’une personne âgée plus jeune. D’autre part, qu’une femme âgée soit veuve ou séparée-divorcée n’influence pas de façon significative sa probabilité de recevoir l’aide d’un enfant. Aussi, lorsque l’on compare un homme veuf à une femme veuve ou séparée-divorcée, ses chances de recevoir l’aide d’un enfant sont aussi importantes. La situation est fort différente chez les hommes séparés-divorcés. Ces derniers ont en effet beaucoup moins de chances de recevoir ce type d’aide. En ce qui concerne le niveau descolarité, ce sont les personnes les moins scolarisées qui ont le plus de chances de recevoir l’aide d’un enfant.
Parmi les variables que nous avons retenues, deux permettent de définir en partie l’étendue du réseau informel : le nombre d’enfants et le nombre de frères et soeurs survivants. Puisque l’analyse se réduit aux seules personnes veuves ou séparées-divorcées, ces deux composantes du réseau informel devraient avoir un effet significatif sur la chance de recevoir l’aide des enfants. C’est ce qu’indiquent les résultats présentés au tableau 2. D’une part, lorsqu’elles sont comparées aux personnes âgées ayant au moins trois enfants survivants, celles qui n’en ont qu’un seul ont près de la moitié moins de chances de recevoir l’aide d’un enfant (0,58). D’autre part, une fratrie dont l’étendue est limitée, dans ce cas comptant moins de deux frères ou soeurs, a pour effet d’accroître les chances de recevoir l’aide d’un enfant; cette chance s’accroît de 40 %.
Finalement, nous avions retenu deux mesures de la santé fonctionnelle. La première tient compte de troubles de mobilité importants, la deuxième se rapporte à des troubles cognitifs importants. On remarque qu’une personne âgée ayant des problèmes de mobilité importants a près de trois fois plus de chances (2,7) de recevoir l’aide d’un enfant. Quant aux problèmes de cognition, bien que leurs effets soient très significatifs, ils ont un effet moindre que les problèmes reliés à la mobilité, présentant un rapport de cotes de 1,8.
Discussion et conclusion
Bien que nos résultats confirment ou étayent des résultats d’études antérieures, plusieurs limites reliées aux données utilisées méritent d’être soulignées. Tout d’abord, l’interprétation des résultats doit se limiter au phénomène étudié. Ce n’est pas l’effet du divorce qui est étudié, mais bien l’effet d’être divorcé. Pour estimer l’effet du divorce, il faudrait d’abord être en mesure d’identifier toutes les personnes âgées qui ont connu un divorce, et parmi celles-ci identifier celles qui ont eu au moins un enfant au cours de leur union. L’Enquête sociale générale de 1996 ne permet pas de le faire. L’état matrimonial déclaré par le répondant correspond à son état au moment de l’enquête. Une personne qui a connu un divorce et qui vit une relation maritale au moment de l’enquête sera ainsi considérée comme mariée (ou vivant en union libre). On est donc contraint de se limiter aux seules personnes divorcées au moment de l’enquête. Une étude plus complète sur les effets du divorce sur l’implication des enfants auprès de leurs parents âgés devrait inclure toute personne qui a connu un divorce. De plus, étant donné la popularité grandissante des unions libres, il faudra être en mesure d’identifier non seulement les personnes qui ont connu un divorce, mais aussi celles qui ont connu une rupture d’union.
Nous avons souligné que l’échantillon de l’ESG exclut les personnes vivant en institution. On pourrait croire que l’exclusion de cette population a pour effet une surestimation de l’aide reçue des enfants. L’hébergement en institution est notamment la conséquence d’un réseau informel restreint, qui ne peut fournir l’aide nécessaire à un parent âgé en perte d’autonomie. Si les personnes âgées divorcées, plus spécifiquement les hommes divorcés, ont moins de chance de recevoir l’aide d’un de leurs enfants, on peut croire que leur risque d’institutionnalisation est plus grand.
Parmi les variables qui pourraient influencer la probabilité d’apporter de l’aide aux parents âgés séparés ou divorcés, il y a sûrement de nombreuses caractéristiques reliées aux enfants eux-mêmes. Par exemple, la proximité géographique, l’état de santé de l’enfant, son statut socioéconomique et son état matrimonial peuvent influencer la probabilité d’apporter une aide quelconque. Aucune de ces caractéristiques des enfants n’est disponible dans l’ESG. Par ailleurs, certaines caractéristiques reliées au divorce pourraient avoir un effet déterminant sur l’implication des enfants. Par exemple, la durée du mariage, les modalités de garde des enfants et l’âge des enfants au moment du divorce ont sûrement un effet important. Un divorce, s’il survient au moment où les enfants sont très jeunes, n’aura pas nécessairement les mêmes conséquences que s’il se produit lorsque les enfants sont à l’âge adulte (Bulcroft et Bulcroft, 1991). Ces renseignements ne sont pas disponibles dans l’ESG de 1996.
Finalement, on ne peut oublier que l’échantillon contient très peu de personnes âgées divorcées. Cela n’est pas tellement surprenant puisque le divorce est un phénomène plutôt rare parmi la population âgée d’aujourd’hui, et lorsqu’il se produit il est parfois temporaire. Cette limite est importante et rend parfois difficile la démonstration de résultats significatifs.
Malgré ces limites, les résultats de cette étude sont conformes à ce qui était attendu et confirment des résultats obtenus par d’autres chercheurs. Notamment, ils montrent l’importance de dissocier les personnes veuves de celles qui sont séparées ou divorcées, du moins lorsqu’il s’agit des hommes. Il peut parfois sembler justifié de regrouper les personnes qui ne sont pas mariées lorsqu’on étudie le soutien social apporté aux personnes âgées. Les célibataires constituent un groupe distinct puisque, dans la plupart des cas, ces personnes n’ont eu aucun enfant. Par contre, les résultats présentés ici montrent que les personnes veuves et les personnes séparées ou divorcées peuvent difficilement être regroupées si l’on veut mieux comprendre l’implication des enfants auprès des personnes âgées. Nos résultats vont dans le même sens que ceux de Barrett et Lynch (1999), qui ont constaté que le veuvage et le divorce ont un effet très différent sur l’aide reçue des enfants, plus particulièrement dans le cas des hommes. Ils viennent aussi confirmer les études de De Jong Gierveld et Dykstra (1997), de Harris et Furstenberg (1995), de Kaufman et Uhlenberg (1998), de Pezzin et Steinberg Schone (1999) et de Uhlenberg (1994), qui ont montré que l’effet du divorce est plus néfaste pour les relations parent-enfant que l’effet du veuvage.
Par ailleurs, les autres variables retenues ont l’effet attendu sur l’aide reçue des enfants. Il était en effet attendu qu’un plus grand nombre d’enfants survivants soit associé à une plus grande probabilité de recevoir l’aide d’un d’entre eux. Toutes choses étant égales par ailleurs, ce résultat laisse présager que les personnes âgées divorcées de demain pourraient avoir davantage recours à des sources d’aide autres que leurs enfants étant donné la baisse de la fécondité dans ces générations. Les résultats obtenus en ce qui concerne l’effet de problèmes de santé importants montrent toutefois que la probabilité de recevoir l’aide des enfants augmente de façon importante. Finalement, un niveau de scolarité plus élevé chez la personne âgée a pour effet de réduire cette implication. Ce résultat confirme celui obtenu par Carrière et al. (2002), qui ont montré que la probabilité de recevoir de l’aide du réseau informel, y compris les enfants, est moindre chez les personnes âgées plus scolarisées. Encore une fois, toutes choses égales par ailleurs, les personnes âgées divorcées de demain pourraient recourir davantage à des sources d’aide autres que les enfants étant donné la hausse des niveaux de scolarité dans les générations qui atteindront 65 ans au cours des prochaines décennies, plus particulièrement les générations du baby boom.
Les résultats de cette étude montrent que les hommes âgés séparés ou divorcés d’aujourd’hui ont beaucoup moins de chances que les femmes âgées vivant une même situation de recevoir l’aide d’un de leurs enfants. Ils ont d’ailleurs beaucoup moins de chances de recevoir cette aide que les veufs ou les veuves. On serait vite tenté de souligner que la montée du divorce dans les générations plus jeunes aura des répercussions importantes sur notre population vieillissante au cours des prochaines décennies. Jumelée à la baisse de la fécondité, qui a pour effet de réduire le nombre d’enfants disponibles pour apporter de l’aide aux personnes âgées de demain, l’augmentation future du nombre de divorcés risque d’amplifier le recours aux services du réseau formel de maintien à domicile. Toutefois, avant de conclure que les hommes divorcés de demain auront peu d’aide de leurs enfants, on doit d’abord se demander si leur profil sera similaire à celui des divorcés âgés d’aujourd’hui. Il est bien certain que, par exemple, la garde partagée des enfants est un phénomène assez récent. On peut penser que si les pères divorcés gardent un contact beaucoup plus étroit avec leurs enfants tout au long de leur vie adulte, la probabilité que ces derniers soient plus disposés à leur dispenser de l’aide sera plus élevée. Il faut aussi souligner que nous ne nous sommes pas intéressés ici à l’adéquation entre le besoin d’aide et l’aide reçue. La faible probabilité de recevoir l’aide d’un de leurs enfants ne signifie pas pour autant que les hommes divorcés ne reçoivent pas l’aide dont ils ont besoin. Tant les autres membres de leur réseau informel que le réseau formel peuvent devenir des sources importantes d’aide auprès de ces personnes âgées. De plus, les hommes divorcés étant plus susceptibles de vivre en union libre que les femmes divorcées, ces dernières doivent peut-être compter davantage sur l’aide de leurs enfants. Il ne faudrait pas non plus conclure trop rapidement que les enfants ne sont pas disposés à aider les pères divorcés. En effet, il est impossible de savoir si ces derniers ont demandé ou s’ils désirent recevoir l’aide de leurs enfants.
Le phénomène du divorce étant particulièrement important et les transitions entre états matrimoniaux beaucoup plus fréquentes et complexes qu’auparavant, il paraît impérieux de mieux comprendre les relations d’aide entre les parents qui ont connu une rupture d’union et leurs enfants. L’arrivée de personnes de plus en plus nombreuses qui ont connu de telles ruptures chez les 65 ans et plus devrait nous inciter à développer davantage la recherche dans ce domaine. Notre étude ne permet d’apporter qu’un début de réponse à de nombreuses interrogations qui mériteront de plus en plus d’attention au cours des prochaines années.
Appendices
Notes
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[1]
Le réseau de soutien formel est constitué d’employés rémunérés, d’organismes gouvernementaux ou non gouvernementaux et de bénévoles, tandis que le réseau de soutien informel comprend le conjoint, les enfants, les frères et (ou) soeurs, les autres membres de la famille, ainsi que les amis et voisins.
-
[2]
Aucune de ces catégories ne s’est révélée significative dans le modèle de régression logistique.
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