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L’Essai sur le Principe de population de Malthus contient deux versions juxtaposées de la relation entre population et ressources. La première s’appuie sur une loi biologique déterministe et condamne la population à l’inévitable récurrence de périodes d’extrême détresse avec surmortalité. La seconde privilégie le recours rationnel au frein préventif, qui permet aux classes laborieuses de conserver un minimum vital supra-physiologique, selon leurs habitudes de vie. Comme ces deux versions coexistent de la première à la dernière édition de l’Essai, le principe de population y apparaît incohérent; elles sont en effet incompatibles, car Malthus ne peut expliquer comment s’exerce automatiquement une pression de la population sur les ressources de manière à maintenir rigoureusement ni plus ni moins qu’un minimum vital supra-physiologique déterminé, mais qui varie cependant au gré d’une série de facteurs socioculturels.
Les Principes d’économie politique arbitrent le conflit des deux versions très nettement en faveur de la seconde. Ils relient la dynamique démographique à celle de la croissance économique dans le cadre de l’évolution des institutions politiques et des structures sociales. Le marché du travail est le lieu privilégié d’interaction de ces forces. L’augmentation de la demande de travail provoque, par la montée des salaires réels, un double effet d’amélioration du niveau de vie et d’expansion démographique, dont le premier freine le second en relevant le minimum vital socialement accepté. L’intensité relative des deux effets évolue en faveur du premier, selon le niveau de civilisation, par recours accru au frein préventif de la baisse de la nuptialité. L’efficacité de ce frein dépend de l’état des institutions et structures politico-sociales, lesquelles conditionnent à leur tour le processus et le rythme de la croissance économique.
Le principe de population est intégré à ce processus par une ébauche d’analyse des cycles de croissance. Le décalage entre demande et offre de travail relève les salaires réels, engendrant de nouvelles habitudes de vie; celles-ci renforcent le frein préventif lorsque le supplément d’offre de travail comprime les salaires nominaux, de sorte qu’au terme d’un cycle le niveau de vie minimal s’est amélioré. Ainsi, dans les Principes, les classes laborieuses ne sont pas vouées à retomber toujours au même niveau de misère, mais s’en sortent progressivement par le dur apprentissage de la rationalité : c’est la version psycho-sociologique du principe de population qui l’emporte.