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La viande, un péril planétaire?

Sur une planète vulnérable qui a vu sa consommation globale de viande tripler au cours du dernier demi-siècle (Ritchie et Roser, 2017), et prévoit une hausse modérée, mais constante de la production mondiale de viande durant la prochaine décennie (OECD, 2021), la soutenabilité d’une alimentation carnée est de plus en plus remise en question. En matière de choix alimentaires, les pratiques individuelles entraînent des conséquences collectives, et plusieurs tirent la sonnette d’alarme sur les méfaits attribuables à la production, la vente et la consommation de viande. Méfaits sur les milliards d’animaux abattus annuellement (plus de 73 pour l’année 2020 ; Orzechowski, 2022), les conditions de travail dangereuses et « inhumaines » des abattoirs (Holdier, 2016), la dégradation des communautés de producteurs et productrices (Blanchette, 2020), et l’apport de l’élevage à 14,5 % des émissions mondiales de gaz à effets de serre (Gerber et al., 2013). Les expert·e·s du GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, de même que plusieurs associations médicales et environnementales et certains gouvernements, par leurs guides de recommandations alimentaires, exhortent les citoyen·ne·s à réduire leur consommation de viande.

Manger ou ne pas manger ce hamburger, telle est la question lorsque la viande devient un enjeu de justice climatique. Et aussi, l’un des grands coupables de la mortalité humaine associée à l’alimentation, causant maladies cardiovasculaires, certains cancers et le diabète (Battaglia Richi et al., 2015 ; Davis et Jacobson, 2015; Greger et Stone, 2017). Ne négligeons pas non plus la part de responsabilité imputable aux élevages, abattoirs et marchés de la viande dans la prolifération des maladies infectieuses. Si les discours réductionnistes connaissent certains succès en Occident, ces efforts sont contrebalancés par la croissance de la consommation dans plusieurs régions, notamment en Asie (Jakobsen et Hansen, 2020 ; Weis, 2021). Surtout, les appels à une alimentation davantage végétale se heurtent à un mur d’institutions, d’acteurs, actrices et de croyances qui maintiennent l’hégémonie carnée au niveau des pratiques alimentaires quotidiennes. La transformation des façons de se nourrir, et la résistance qui y est opposée, se jouent largement sur le terrain de la communication.

Il s’agira ainsi de s’interroger sur la dimension communicationnelle de la viande, et sur son existence à titre d’enchevêtrement indissociable de matière et de sens (Barad, 2007). Un enchevêtrement de chair et de mots similaire à celui que sous-tend le paradoxe de la viande, cette capacité de manger un steak sans y voir un animal mort (Gibert, 2015). La viande se constitue à travers la communication par un découplage symbolique permanent entre l’animal vivant et sa chair offerte comme produit de consommation, un processus complété par un découpage physique de l’animal (mort) en morceaux de viande à l’abri du regard des consommateurs et consommatrices. Cette dissociation, vitale à la réduction de la dissonance cognitive, explique pourquoi la majorité des gens mangent des animaux (morts) tout en disant aimer les animaux (vivants)[1]. Et si le paradoxe de la viande intéresse surtout la psychologie (Loughnan et Davies, 2019), la durabilité de cette consommation se propulse à travers les représentations et pratiques tangibles qui normalisent et stimulent les désirs pour la viande, ce que Potts (2016) nomme la culture de la viande.

Manger de la viande (ou pas) relève-t-il vraiment du choix individuel lorsque cette pratique alimentaire est considérée naturelle, normale, nécessaire et agréable (Piazza et al., 2015 ; Hopwood et Bleidorn, 2019) ? Le mouvement végane s’investit hardiment pour tenter de modifier ces pratiques et les croyances qui les sous-tendent (Dubrasquet, 2022 ; Renard et Simoneau-Gilbert, 2021). Cependant, le système de croyances idéologiques justifiant de tuer certains types d’animaux pour les manger, que Joy (2016) a baptisé le carnisme, ne semble pas au bord de l’effondrement. Ce système de pratiques et de croyances, dénoncé comme étant à la fois invisible et violent, perpétuerait sa domination contre les animaux et les femmes, subjectivisées dans un ordre moral dans lequel le patriarcat et le spécisme se rencontrent pour se nourrir des mêmes désirs d’oppression… et de chair animale (Adams 2016).

Sauver la planète grâce à un burger?

Reconnaître les destructions imputables à l’industrie de la viande – sur les vies humaines et non-humaines, ainsi que sur les écosystèmes – en même temps que notre appartenance à cette culture de la viande affectant nos goûts, expériences et institutions (Potts, 2016), nous condamne-t-il à la catastrophe, à plus ou moins court terme ? À moins qu’il n’existe des alternatives viables à la viande animale pour nourrir la planète sans (trop) en dégrader les capacités de régénération? Et sans, par ailleurs, menacer les fondements idéologiques des cultures de la viande qui prédominent à travers le Nord global? Sauver la planète tout en continuant de manger de la viande, telle devient la promesse des entreprises du secteur émergeant de la viande végétale. Dans ce narratif aux ramifications multiples et aux savoirs disputés, les humains sont accrochés à la viande de façon génétique, culturelle, historique, économique et politique (Zaraska, 2016). Et cette dépendance menacerait aujourd’hui les conditions de vie durables sur Terre (Renton, 2013). Dans ce récit teinté de catastrophisme, des firmes comme Beyond Meat et Impossible Foods se positionnent en sauveurs. Leur solution? De continuer à manger de la viande, mais une viande qui serait différente. Végétale, plus rapide à produire, à moindre coût, plus efficace, et dépourvue des effets dommageables de l’industrie pour les animaux, les humains et la planète. Point crucial de l’histoire, d’offrir tout cela, en plus de la même expérience sensible en matière de goût, d’apparence, d’odeur, de texture, et de grésillement au moment de la cuisson. Pour s’établir sur le marché de l’alimentation, les entreprises de ce secteur aspirent à la fois à transformer la nature de la viande et à prendre place dans une culture de consommation dominée par le carnisme. À révolutionner les pratiques, mais sans bousculer les croyances en matière d’alimentation. Autrement dit, à altérer, mais sans la contester, la culture de la viande.

Bien entendu, la révolution alimentaire promise par les fabricant·e·s de viande végétale n’ira pas de soi. Elle ne s’accomplira pas magiquement, par elle-même, ni ne s’imposera comme une évidence aux consommateurs et consommatrices en quête d’aliments protéinés. Et, rien n’assure non plus du succès de cet aliment du futur. Cet enchevêtrement de matière et de sens qu’est la viande végétale s’inscrit immanquablement dans la dimension communicationnelle de la viande, évoquée plus haut. Cela invite à s’attarder aux stratégies de communication par lesquelles ses fabricant·e·s la font exister. Ainsi, trois questions guideront notre analyse : Comment peut se positionner un·e fabricant·e de viande végétale dans une culture de la viande? Comment définit-il la viande végétale dans sa communication? Et comment faire pour courtiser des consommateurs à devenir des mangeurs et des mangeuses de viande végétale?

Cet article porte sur les stratégies de communication par lesquelles se constitue le secteur émergent de la viande végétale, par l’entremise d’une analyse critique de la rhétorique déployée par l’une des entreprises phares du secteur, l’américaine Beyond Meat. Dans la prochaine section, nous revenons sur la culture de la viande et son inscription dans le capitalisme, contexte de l’émergence du secteur des viandes végétales. Par la suite, nous abordons la dimension communicationnelle de la viande et le caractère constitutif de la communication, nous présentons le cas à l’étude, et nous indiquons les artéfacts étudiés. La section suivante développe les principales stratégies de la rhétorique de l’entreprise américaine, respectivement axées sur les identités du producteur, de la productrice, du produit et des consommateurs ou consommatrices. Nous discuterons ensuite des implications de la rhétorique constitutive de Beyond Meat sur la mobilisation des consommateurs et consommatrices et mentionnerons certains risques liés à cette rhétorique, et à la construction du monde à laquelle elle contribue, avant de conclure.

Culture de la viande et capitalisme

En dépit de la succession d’études publiées sur les méfaits de la consommation humaine de viande, des rapports alarmants évoquant les destructions environnementales causées par l’élevage intensif et des savoirs non équivoques sur la sentience animale – c’est-à-dire leur disposition à souffrir et à craindre la mort, mais aussi la sociabilité et l’organisation sociale spécifique à chaque espèce – la production et consommation de viande se perpétue à travers le globe, avec, convient-il de le préciser, des variations significatives de tendances au gré des différentes régions du monde. Comment cela se fait-il?

Une partie de l’explication est économique et technologique, attribuable à l’édification du complexe animal-industriel (Boscardin, 2018 ; Noske, 1989 ; Twine, 2012), qui a donné lieu, dès le début du 20e siècle, à des sélections reproductives et mutations génétiques au sein des espèces destinées à l’élevage (volailles, porc, bovins, poissons), à l’intensification des pratiques d’agriculture, à l’accroissement et à la concentration géographique des élevages, ainsi qu’à l’accélération des cadences d’exécution, de démembrement, d’emballage et de distribution des animaux transformés en commodités alimentaires. Cela explique sans doute l’abondance de l’offre alimentaire carnée au sein des marchés d’alimentation et de la restauration, généralement à faible coût – l’essentiel des externalités étant essuyés par les collectivités (dégradation des écosystèmes et coûts en soins de santé). Or, ça ne suffit pas à expliquer la persistance des habitudes alimentaires et peut-être surtout, le maintien des croyances largement diffusées quant à l’acceptabilité de se nourrir de chair animale en ce début de 21e siècle.

Pour de nombreux chercheurs et chercheuses, la viande est fortement investie au niveau symbolique, et c’est ce caractère hautement significatif qui attesterait de sa pérennité au-delà de ses effets délétères sur les diverses formes du vivant. Les significations de la viande abondent, et sont loin d’être unanimes suivant les époques et les lieux. Contestée, célébrée, savourée, rejetée, investie moralement, associée au bon goût ou à un excès de cruauté, le pilier d’une bonne santé ou la responsable de nombreux maux et maladies, parangon de la masculinité, vestige de traditions millénaires, et bien plus encore (Aboelenien et Arsel, 2022). La viande atteint un statut iconique à travers le monde, qui symbolise pour les populations des nations en émergence, comme la Chine et l’Inde, un gage de réussite et une marque de distinction (Hansen et Jakobsen, 2020 ; Jakobsen et Hansen, 2020).

C’est ainsi qu’Annie Potts (2016) parle de culture de la viande pour rendre compte des toiles de significations qui se tissent entre viande et genres, classes, goûts, positionnements socioéconomiques, facteurs géographiques ou économiques et systèmes de croyances. Elle s’appuie sur la notion de carnisme proposée par Melanie Joy (2016) pour dépeindre, nous l’avons vu, l’idéologie qui rend non seulement acceptable, mais normale et naturelle la consommation de viande animale. Ce système de croyances violent dans sa pratique, car souffrance et mort y sont inévitables, autorise de manger des animaux sans ne jamais s’en préoccuper, en raison justement de son caractère largement invisible, et donc, difficilement contestable. Si le carnisme passe largement sous le radar en tant qu’idéologie afin de rendre naturelle et normale la consommation de viande, la culture de la viande représenterait, elle, le versant tangible et visible des pratiques qui expriment et célèbrent l’idéologie carniste, sans pour autant la nommer.

Pour Potts (2016), elle renvoie à l’ensemble des manifestations par lesquelles se naturalise la consommation de viande : « représentations et discours, pratiques et comportements, diètes et goûts » (p. 19 ; nous traduisons). Manger de la dinde à Thanksgiving ou au Jour de l’An, un agneau à l’Aïd al-Adha, des ailes de poulet au Super Bowl, ou du bœuf et du porc lors de barbecues estivaux, participent toutes de la culture de la viande, qui comprend en vérité une pluralité de cultures régionales et sociales dynamiques (Hansen et Syse, 2021). Potts (2016) demeure relativement circonspecte (ou vague) quant aux traits caractéristiques de la culture de la viande, s’investissant plutôt à en circonscrire un domaine de recherche et de critique. Citant l’œuvre pionnière féministe de Carol Adams (2016), elle souligne que cette culture se façonne autour « d’images et de rhétoriques hétérosexistes et misogynes », dénigrant « les femmes, les personnes de couleur, les membres de communautés LGBTQ+ et les animaux non-humains » (p. 22 ; nous traduisons). Et, s’appuyant sur l’historienne Barbara Willard (2002), la culture de la viande aux États-Unis serait fondamentalement ancrée dans « le capitalisme, le consumérisme et la notion de libre choix », positionnant de surcroît « toute forme de vie non-humaine comme des ressources potentielles » pour les consommateurs et consommatrices humain·e·s (p. 20 ; nous traduisons).

Le capitalisme, le consumérisme et la notion de libre choix se situent peut-être tout autant au cœur de l’émergence des alternatives à la viande, qu’il s’agisse des expérimentations en matière de viande cultivée en laboratoire (Wurgaft, 2020) ou des viandes végétales imitant les propriétés gustatives, visuelles et nutritives de la viande animale. Selon Broad (2020), le discours de ses promoteurs et promotrices mobilise largement la métaphore du « marché ». On y situe les nouveaux produits comme une formidable occasion d’affaires, valorisant l’entrepreneur·e à la conscience écologique développée, doublée d’une acuité économique aigue, associant le futur de l’alimentation aux innovations des entreprises du secteur des biotechnologies. Il est donc question, pour ces entrepreneur·e·s et leurs investisseurs ou investisseuses, de gruger des parts du marché lucratif de la viande animale, tout en incarnant l’alternative, avec son potentiel de préserver le monde contre les méfaits du complexe animal-industriel. Mais, comment faire pour rallier consommateurs et consommatrices, investisseurs, investisseuses et décideurs ou décideuses au sein d’une culture de la viande?

La communication constitutive de la viande

Dans cet article, nous posons que l’émergence du secteur des produits qualifiés de viandes à base de plantes se trouve enchâssée dans les pratiques stratégiques de communication qui deviennent constitutives des entreprises productrices, de leurs produits et de leurs publics. Notre analyse s’inscrit ainsi dans le courant des études sur la communication constitutive de l’organisation (CCO) du fait que nous nous penchons sur les pratiques de communication qui font d’une organisation ce qu’elle est (voir Baillargeon, Bencherki, et Boivin, 2021; Basque, Bencherki, et Kuhn, 2022; Schoeneborn, Kuhn, et Kärreman, 2019). Écartant la prémisse conventionnelle voulant que la communication se produise à l’intérieur des organisations ou qu’elle soit le produit de celles-ci, l’approche constitutive pose l’organisation comme le résultat des pratiques de communication qui participent de son existence. Essentielle est la socio-matérialité de la communication, où chaque performance communicationnelle visant à définir ce qu’est une personne, un groupe, une chose, une idée ou autre, s’accomplit à travers diverses matérialisations : actes de langage, écrits, corps, sites, attitudes, émotions, technologies, etc. (Cooren, 2020). Dans le cas des stratégies communicationnelles mises en place par la compagnie californienne Beyond Meat, cela permet de rendre compte de la socio-matérialité de la viande végétale, ses in-carn-ations que sont l’assemblage du soya, de la protéine de pois et des autres ingrédients, mais aussi le logo de l’entreprise, son ou sa PDG, les affiches de promotion et campagnes publicitaires, les communiqués de presse, la disposition des produits dans le comptoir des viandes des supermarchés. Et cette liste n’est pas exhaustive, nous le verrons plus loin.

Les approches CCO permettent de rendre compte de l’organisation en train de se faire, et elle se développent depuis plus de deux décennies à partir des réflexions innovatrices de James R. Taylor (1993). Ce dernier atteste que « l’organisation se manifeste à travers la conversation » et que celle-ci produit un texte, où « c’est par le biais de sa textualisation que l’organisation reçoit le statut d’objet et devient ainsi quelque chose de manipulable – et de changeable » (p. 3; italiques de l’auteur). Les entrevues avec le fondateur et PDG de Beyond Meat, l’inscription de la compagnie en bourse, en 2019, les communiqués de presse et campagnes publicitaires, les réunions stratégiques, les conversations des ingénieur·e·s, des vendeurs et vendeuses, et autres membres de la firme participent toutes, à divers degrés, à établir le texte de l’organisation, et à faire de celle-ci une actrice significative dans un secteur émergeant.

Cependant, les approches CCO se prêtent moins naturellement à l’analyse des innovations en matière d’alimentation. Ou alors, ça reste à montrer. Ce qui compte ici n’est pas uniquement la constitution de l’organisation, mais ce que nous appelons la communication constitutive de la viande, soit les stratégies communicationnelles qui font exister ces biotechnologies alimentaires et les définissent comme viande à base de plantes. De surcroît, l’interpellation et l’enrôlement des consommateurs ou consommatrices et des autres agent·e·s participant de ces innovations – les chercheurs et chercheuses, les médias, les agences gouvernementales, les distributeurs et distributrices – tiennent un rôle essentiel dans l’émergence de ce secteur économique. Il importe d’en tenir compte durant l’analyse. Conséquemment, la communication constitutive de la viande englobe à la fois la compagnie Beyond Meat, la viande à base de plantes, et l’auditoire des consommateurs et consommatrices de ces produits. Et, parce qu’il s’agit de transformer les identités de la viande et de ses consommateurs ou consommatrices, les approches CCO sont à complémenter par la théorie de la rhétorique constitutive (Charland, 1987; voir aussi Cooren, 2010 sur les affinités entre les approches rhétoriques et les approches CCO).

La rhétorique constitutive se conçoit comme une théorie communicationnelle des identités collectives et comme un type de discours accomplissant des transformations identitaires. Elle se compose d’un narratif dont la particularité est d’assigner une nouvelle identité à un regroupement d’individus disparates, désormais constitués en sujet collectif agissant et qui se trouve interpellé en tant que tel. Cette transformation s’accompagne généralement d’un effet de transcendance, surmontant les divisions identitaires prévalant jusqu’alors. Ce sujet collectif se trouve également positionné comme transhistorique, aplanissant les divisions préalables afin d’en accentuer la cohésion interne et la continuité temporelle. Enfin, l’effet d’une rhétorique constitutive est de générer une agentivité spécifique et restreinte pour ce sujet collectif, que Charland (1987) qualifie d’ailleurs « d’illusion de liberté »[2]. Parce qu’il se trouve déjà inscrit dans un narratif, ce sujet collectif est interpellé à agir dans les confins du dessein tracé par les auteurs et autrices du récit. Sa puissance d’agir se trouve enchâssée au récit qui en fait le héros de l’histoire.

Dans l’étude de Charland (1987) sur le mouvement souverainiste au Québec, un sujet collectif – le peuple québécois – est inscrit dans l’œuvre d’un parti politique, le Parti Québécois (PQ). Ce peuple est érigé en sujet transhistorique car il est dépeint comme étant pluricentenaire, à l’histoire unique et distincte en Amérique du Nord. Et aussi, en un sujet agissant, car il est interpellé par le PQ à tracer sa destinée par l’obtention de sa souveraineté vis-à-vis du Canada. Les Québécois·e·s se trouvent ainsi, par la rhétorique du PQ, interpellé·e·s en tant que sujet collectif (un concept emprunté à Althusser, 2011), le peuple d’un territoire et d’une histoire. Ce peuple-héros est interpellé pour se mobiliser, agir collectivement, mais dispose d’une agentivité spécifique et restreinte. Pour la souveraineté, et rien d’autre. La rhétorique constitutive ne se cantonne pas à la sphère politique. Des firmes émergeantes ou établies l’emploient afin de constituer leurs consommateurs et consommatrices en sujets collectifs, érigeant la rébellion d’Apple (Stein, 2002), l’authenticité de Levis (Seitz et Tennant, 2017) et la communauté d’Apple, Nike et Harley-Davidson (Kilambi, Laroche, et Richard, 2013) au statut de valeurs mobilisatrices inscrites dans le narratif des marques et stimulant les achats.

C’est dans cette optique que nous portons attention au narratif de Beyond Meat, en visant à repérer les transformations identitaires qui y sont mises en œuvre. L’analyse s’effectue à partir d’un corpus composite incluant : 1) le dossier d’introduction en bourse, publié en 2019, qui relate l’histoire, la mission et les valeurs de l’entreprise, et accomplit l’existence publique de l’entreprise; 2) les communiqués de presse publiés par la compagnie entre 2016 et 2022, lesquels détaillent le lancement et la promotion des produits, les associations et partenariats et autres nouvelles permettant de faire exister publiquement l’organisation; 3) la campagne publicitaire inaugurale de la marque, lancée en 2020, qui illustre de façon imagée les mécanismes d’identification de la marque vis-à-vis des publics, interpellés en tant qu’acteurs et actrices du changement social et environnemental; et 4) la couverture de presse de la marque, qui comprend notamment des entrevues avec Ethan Brown, le fondateur et PDG de Beyond Meat.

Ces documents sont juxtaposés afin de relater le narratif de l’entreprise qui constitue l’organisation, ses produits et ses publics. Ils ont été sélectionnés pour le fait d’accomplir, par la rhétorique, des moments fondateurs de l’organisation, tels l’émergence publique à travers l’inscription au Nasdaq et l’interpellation des consommateurs et consommatrices à travers leur première publicité. Bien sûr, d’autres documents pourraient aussi alimenter cette étude de cas, comme le site internet et les médias sociaux de l’entreprise. Nous avons toutefois privilégié ces épisodes visant délibérément à établir une transformation de l’organisation, lesquels, jugeons-nous, se prêtent davantage à la construction identitaire de l’organisation, ses produits et ses publics. Nous avons identifié les formes d’interpellation ainsi que les trois effets constitutifs de la rhétorique dans ces artéfacts communicationnels. En guise d’aperçu de l’analyse à suivre, nous nous sommes attardés aux effets constitutifs suivants, transformateurs des identités :

  1. La constitution d’un sujet collectif : l’organisation Beyond Meat, la viande à base de plantes et le public de ses consommateurs et consommatrices;

  2. La permanence transhistorique du sujet : les itérations de l’entreprise, la constance historique de la consommation carnée et les humains dépeints en éternels carnivores;

  3. La capacité d’agir de ce sujet : l’entreprise révolutionnaire, la viande végétale comme solution à la faim du monde pour la chair animale et comme frein à la fin du monde appréhendée, et ses consommateurs ou consommatrices comme un mouvement stimulé par des célébrités.

Ces aspects seront développés dans les prochaines sections à la lumière de nos questions de recherche.

Comment se positionne Beyond Meat dans une culture de la viande?

L’entreprise californienne effectue une entrée fracassante sur le marché du Nasdaq, le 3 mai 2019, où son action termine la journée avec une hausse de 163 %, soit le meilleur résultat d’une entrée en bourse par une entreprise états-unienne en près de deux décennies (Murphy, 2019). Durant les mois suivants, l’action fluctue, connait des hausses marquées puis des baisses significatives. En 2020, la marque enregistre un bond de 195 % de ses ventes en supermarché aux États-Unis, et de 167 % à l’international par rapport à 2019; elle tire avantage de la pénurie de viande animale occasionnée par les éclosions de COVID-19 dans les abattoirs qui entraînent leur fermeture temporaire, mais souffre de la baisse de fréquentation importante dans le secteur de la restauration (Agence France-Presse, 2020; Dont, 2020). Et en 2021, alors que se développent les produits comme la saucisse et le poulet végétal, et que se multiplient les partenariats avec les géants de la restauration rapide comme PFK et Pizza Hut, les analystes constatent un recul des ventes dans le secteur, ce qui laisse certain·e·s penser que l’effet de nouveauté s’estompe pour les viandes végétales, qui favoriseraient surtout la transition vers une alimentation végétale (Fournier, 2022).

Préalablement à son entrée en bourse, depuis celle-ci également, Beyond Meat s’attire (ou s’achète) les grâces de nombreuses célébrités, qu’il s’agisse de sportifs ou sportives professionnel·le·s ou de personnalités du domaine du divertissement, tels Leonardo Dicaprio, Snoop Dogg ou Kim Kardashian (Beyond Meat, 2017; 2019a; 2022), une stratégie répandue pour offrir des modèles à émuler par les consommateurs et consommatrices (Couldry et Markham, 2007). Or, l’entrée en bourse et l’enrôlement des vedettes représentent des incarnations subséquentes à la création de l’entreprise en 2009 et, constitutive de celle-ci; un récit fondateur, avec son héros, sa vision, ses valeurs. Il met en scène Ethan Brown, fondateur et PDG de Beyond Meat qui, fort d’une expérience d’une décennie dans le secteur des énergies renouvelables, prend acte de la nécessité de révolutionner – et de dépasser (to go beyond) – le secteur de l’élevage :

Ethan realized we were ignoring a large piece of the global solution to climate stabilization: the large and growing contribution of the livestock industry to greenhouse gas emissions, estimated to be from 18-51% of total emissions, depending on the methodology used. He began to think about applying the same framework to solving livestock emissions, specifically using technology, science, and significant capital investment to address a global challenge and opportunity: bypassing the animal and building meat directly from plants. (Beyond Meat, 2019b, p. 84)

Dans cet extrait, on situe la clairvoyance d’Ethan Brown face à la crise climatique – il a su voir ce qui était ignoré par les autres – mais aussi l’ingéniosité de sa proposition, au sens où sa solution relève de l’ingénierie, d’une combinaison de savoirs, de dollars, et d’outils. Plus important encore, pour notre propos, est la cible du projet : Beyond Meat ne cherche pas à s’en prendre aux mangeurs et mangeuses de viande, ni aux éleveurs ou éleveuses et à leurs méthodes intensives, mais aux « incubateurs » de celle-ci, les bovins. Consommateurs, consommatrices et producteurs ou productrices se trouvent en quelques sorte épargné·e·s – et advenant la concrétisation du projet, les animaux aussi ! Le problème n’est donc pas celui de consommer de la viande, mais de recourir à une méthode peu efficace et coûteuse au niveau des ressources utilisées et du bilan d’émissions carbone.

À la différence des militant·e·s animalistes et véganes, Beyond Meat ne traite pas les éleveurs, éleveuses, transformateurs, transformatrices, détaillant·e·s et consommateurs ou consommatrices de viande en adversaires. Ce sont, au pire, des concurrent·e·s, au modèle révolu et en voie d’être dépassé. Cela tient à un enchevêtrement du narratif corporatif avec le récit de vie d’Ethan Brown, lequel a côtoyé éleveurs, éleveuses et bétail durant sa jeunesse :

Beyond Meat’s story begins on farmland. Through my father’s love of farming and the natural world, my urban childhood was interwoven with time spent on our family’s farm in Western Maryland where we were partners in a Holstein dairy operation. As a child, I was fascinated by the animals surrounding us: the companions at our sides, the livestock in the barns and fields, and the wildlife in the woods, streams, and ponds. As a young adult, I enjoyed a career in clean energy but continued to wrestle with a question born of these early days: do we need animals to produce meat? Over the years, the question knocked more loudly and I set out to understand meat. (Beyond Meat, 2019b, p. 79).

La rhétorique de Beyond Meat s’inscrit donc dans le lieu commun familier de la campagne, aux contacts naturels entre humains et animaux, au charme mythique de la ferme familiale, loin des réalités dérangeantes propres au complexe animal-industriel. Futuriste, la vision de Brown s’inscrit dans l’intemporalité de la vie rurale idéalisée et d’une nature préservée, d’un monde du passé aujourd’hui menacé de disparaître en raison de la crise climatique.

La place de la famille est également une composante récurrente du narratif constitutif de la firme. C’est par son père que Brown a tissé des liens forts avec les éleveurs et éleveuses, les animaux et a cultivé sa volonté de préserver ce monde menacé. Et, c’est en tant que père qu’il cultive la confiance envers ses produits – suffisamment pour en nourrir ses propres enfants :

For the consumer, this means that we can provide great tasting meat from plants - meat that delivers health benefits and environmental upside (90% fewer greenhouse gas emissions, 99% less water, 93% less land, and 46% less energy) and side steps the animal welfare issue. This is not a call to consume less meat. My own children enjoy more, rather than less, of their favorite meat occasions (sausage breakfasts, burger dinners) as I am comfortably aware that Beyond Meat products are free of cholesterol and other aspects of animal protein that preoccupy public health debate. As we rush to keep up with consumer demand for our products, my guess is that many families are having the same experience. (Beyond Meat, 2019b, pp. 79-80).

Ce passage explicite l’insertion de Beyond Meat dans la culture de la viande. Il rassure les consommateurs et consommatrices du caractère appétissant de la viande végétale, il renonce à vouloir changer les habitudes de consommation face à la viande – si ce n’est du choix de cette viande – et il positionne Brown à titre de père responsable – pour ses enfants d’abord, qu’il ne cherche pas à marginaliser en les privant de viande, et pour la population ensuite, dont il se soucie de la santé. Le plaisir de manger de la viande en famille est ainsi perpétué, et en plus, sans les dangers de l’alimentation carnée pour la santé. Loin de chercher à affubler ses burgers, saucisses et croquettes de poulet d’une aura futuriste d’alimentation ultra-transformée, le récit de Beyond Meat se cantonne dans l’imagerie d’Épinal d’une famille soudée et aimante partageant un repas de viande, comme depuis toujours. La culture de la viande se trouve davantage réaffirmée que contestée, voire aucunement contestée. Mais, cela implique pour Beyond Meat, comprenons-le, de redéfinir ce qu’est la viande.

Comment se définit la viande dans la rhétorique de Beyond Meat?

L’analyse des pratiques communicationnelles de Beyond Meat révèle un travail de nature ontologique en vue de redéfinir la viande : non plus de la chair de mammifères, d’oiseaux ou de poissons, destinée à la consommation humaine, mais un assemblage de nutriments – des protéines, des lipides, et des traces de vitamines – dont l’origine n’importe plus, sinon bien peu par rapport à ses composantes et leur assemblage. La substance de la viande est duplicable dès lors que l’on s’investit à en découvrir les composantes de base. En termes de stratégie rhétorique, parler ainsi de viande à base de plantes permet de transcender le dilemme consistant à manger ou à abandonner la viande de son alimentation, offrant une troisième voie, une alternative. Tel qu’indiqué dans le dossier d’introduction en bourse :

If we insist meat be defined by origin – namely poultry, pigs and cows – we face limited choices. But if we define meat by composition and structure – amino acids, lipids, trace minerals, vitamins, and water woven together in the familiar assembly of muscle, or meat – we can innovate toward a solution (Beyond Meat, 2019b, p. 79).

Ce positionnement recèle ce qui semble relever de l’évidence : la viande est produite, faite, fabriquée. Traditionnellement, à partir de carcasses animales. Or, la culture de la viande se veut discrète à propos du processus de fabrication et de transformation de ces carcasses, où l’animal devient le « référent absent » de la viande, selon l’expression d'Adams (2016). Et, cette apparente évidence de la viande qui est produite invite à la substitution des méthodes et des ingrédients qui participent de cette production. Ainsi, elle rend possible de fabriquer de la viande autrement. Par conscience morale pour le bien-être animal, par égard à l’environnement, mais aussi, pour des considérations économiques, la réduction des coûts de production doublée d’une efficacité accrue. S’ouvre ainsi le champ de la « bioéconomie post-animale », incarné par des entreprises de la Silicon Valley visant la production d’une nourriture durable et efficace dans l’utilisation des ressources, en recourant au meilleur de la technologie (Jönsson, Linné, et McCrow-Young, 2019; von Braun, 2020). Puisque la viande animale serait, on l’a vu, variablement insoutenable (variations liées aux quantités consommées ainsi qu’aux types d’animaux mangés), il devient impératif de modifier ses habitudes de consommation. Soit en réduisant la consommation de manière drastique, soit en produisant de la viande par des moyens durables, ce qui invite à interroger sa substance et à rechercher des alternatives moins coûteuses à produire.

Cette solution alternative, fondée sur le recours aux biotechnologies et s’inscrivant dans le discours d’une économie post-animale, est rendue possible par ce virage ontologique de la viande comme composition structurée de certains ingrédients qui, indique Beyond Meat, ne sont pas la propriété exclusive des animaux, mais appartiennent à l’ensemble du vivant, et sont notamment abondants dans les végétaux :

Here’s how. None of these core elements of meat is exclusive to the animal. They are abundant in the plant kingdom. The animal serves as a bioreactor, consuming vegetation and water and using their digestive and muscular system to organize these inputs into what has traditionally been called meat. At Beyond Meat, we take these constituent parts directly from plants, and together with water, organize them following the basic architecture of animal-based meat. We bypass the animal, agriculture’s greatest bottleneck. (Beyond Meat, 2019b, p. 79).

La viande est quelque chose qui se fabrique ; c’est là l’une des métaphores de la viande que mobilisent plusieurs entreprises et entrepreneurs ou entrepreneuses du secteur (Broad, 2020). Les animaux en fabriquent ; or, ceux-ci emploieraient des méthodes inefficaces – et pour être juste, ils en paient le gros prix. Contourner ce « goulot » des « bioréacteurs » animaux est la clé de cette révolution – de l’efficacité combinée du capital et de la science au service de l’alimentation mondiale. Technique, l’enjeu est également communicationnel; la viande en tant que fabrication relève d’une perspective, d’une idéologie s’opposant à une autre, et participe dès lors d’une rhétorique constitutive. Et c’est notamment ce qui différencie les produits d’entreprises comme Beyond Meat, Lightlife ou Impossible Foods des alternatives à la viande animale qui sont disponibles depuis des millénaires, comme le tofu et le seitan, mais aussi les substituts de viande à base de soya, cherchant à imiter les textures de la chair animale cuisinée (Lott-Lavigna et Akingbule, 2019; Shurtleff et Aoyagi, 2014).

Le burger Beyond Meat est performé par la communication comme de la viande, et non comme son substitut, aussi réaliste soit-il. Non pas une imitation, mais une amélioration. Le même, mais en mieux. Ici, Ethan Brown recourt fréquemment à l’analogie du téléphone pour marquer son point. À ses dires, ce que propose Beyond Meat est à la viande animale ce que l’iPhone est au téléphone à ligne fixe : simplement, une meilleure technologie. Une avancée, qui ne justifie pas pour autant, selon lui, de dénigrer celle qui lui précède et qu’elle concurrence (Axworthy, 2021; Plant Based News, 2018; Shapiro, 2021). La viande végétale offrirait dès lors une expérience équivalente de la viande – en saveurs, en nutriments, en familiarité – les méfaits en moins, calculés en répercussions environnementales, en santé humaine et animale, mais aussi dans l’utilisation plus efficace des ressources du vivant. Non pas une imitation, ni un substitut, mais plutôt une amélioration. La viande du futur?

Comment enrôler les mangeurs et mangeuses de viande végétale?

Promettre une meilleure expérience d’ensemble de l’alimentation carnée que ne le peuvent le bétail et la volaille est une chose. Persuader les consommateurs et consommatrices, investisseur·e·s, critiques culinaires et nutritionnistes à « joindre le mouvement » en est une autre. C’est à ce chapitre que la rhétorique constitutive de Beyond Meat se déploie avec le plus de force. Plutôt que de s’inscrire dans le clivage entre carnistes et végé-tarien·ne·s/talien·ne·s/véganes, c’est-à-dire entre ceux qui se nourrissent ou non de chair animale, cette opposition se trouve dépassée, transcendée par la proposition d’une expérience de la viande sans animaux. Au-delà des 8 % de la population mondiale qui se nourrit de façon exclusivement végétale, la marque interpelle donc l’ensemble des consommateurs et consommatrices, avec en priorité, les 70 % de ceux-ci et celles-ci qui cherchent à réduire leur consommation de viande animale (Besserve, 2020).

Certes, la marque segmente ses publics dans ses communications, ciblant milléniaux et membres de la génération Z, familles, consommateurs soucieux et consommatrices soucieuses de leur santé, et aussi, les « carnivores en questionnement » (Beyond Meat, 2019c). Mais, elle prend soin de ne pas interpeller explicitement la communauté végane en labelisant ses produits comme tel, bien qu’ils soient constitués à base de plantes (McKinnon, 2022). Peu importe vos préférences alimentaires, les burgers Beyond Meat vous conviendront ! Transcendance de la distinction entre carnistes et végés, sans discrimination, et évacuation des implications morales, pour inciter à une consommation sans culpabilité. L’argument moral associé à la consommation de viande est écarté de l’assiette, déplacé vers les pâturages. Ce sont les animaux d’élevage qui font l’objet de questionnements moraux, critiqués pour leur faible rendement, leur inefficacité vis-à-vis des céréales et légumineuses, lesquelles peuvent devenir des burgers Beyond Meat, à moindre coût pour la planète, à défaut de l’être – pour l’instant du moins – sur le portefeuille des consommateurs.

L’enrôlement des consommateurs et consommatrices s’accomplit à la fois indirectement – via ses partenariats avec des chaines de restauration, épiceries et athlètes professionnel·le·s – et directement, par des campagnes promotionnelles. Attardons-nous-y tour à tour. Dans le secteur de la restauration rapide, les ententes avec des enseignes connues se traduisent par la création d’un engouement pour les burgers de la marque californienne. Au Canada, c’est la bannière A&W qui devient la première à offrir des burgers Beyond Meat. Cela relève de l’événement corporatif, et occasionne des pénuries durant les premiers mois de l’alliance (A&W Canada, 2018a; 2018b; 2018c). Le travail d’enrôlement se trouve partiellement délégué à ce partenaire, A&W, qui participe à la normaliser en tant que viande. C’est un exploit pour Beyond Meat que ses nom et logo soient ainsi visibles, une mise en valeur peu commune pour des ingrédients composant un menu en restauration rapide (Besserve, 2020). Ça lui offre une formidable publicité, en plus d’un réseau de distribution efficace pour ses produits. Cette collaboration d’affaires contribue à l’enrôlement des consommateurs et consommatrices tout en offrant, en contrepartie, un gage de qualité et d’équité à ses partenaires – œuvrant dans un secteur décrié pour ses pratiques environnementales destructrices – ou à défaut, un outil pour leur greenwashing (Vaartnou, 2017).

La légitimation de la viande végétale s’accomplit aussi par la disposition stratégique, dans les supermarchés qui les distribuent, des produits Beyond Meat, aux comptoirs réfrigérés où sont vendus la viande animale. Ce placement de produits accomplit une rupture entre ces derniers et l’offre des alternatives à la viande, habituellement disposés dans une section à part. La pratique est initiée en 2016 au sein de la bannière Whole Foods ; des représentant·e·s estiment alors que « le burger Beyond Meat a l’apparence du burger et se cuisine comme un burger » (Joe Wood, cité in McKinnon 2022, en ligne). L’arrangement se publicise et fait des émules (Bellon, 2019), ce qui accentue l’accomplissement communicationnel de la viande végétale. Pour les consommateurs et consommatrices, les produits Beyond Meat sont désormais vendus et consommés comme de la viande.

Ensuite, la délégation du travail d’enrôlement de la viande végétale s’accomplit par le biais d’athlètes professionnel·le·s agissant à titre d’ambassadeurs, d’ambassadrices ou d’investisseurs et d’investisseuses pour la marque, et parfois les deux. Des basketteurs (Kyrie Irving, Chris Paul) et des footballeurs (Derrick Morgan, Todd Gurley) deviennent des porte-parole pour Beyond Meat et accomplissent un travail de valorisation et normalisation de la viande végétale en tant que source de protéines pour des sportifs de haut niveau (Beyond Meat, 2018 ; Vegconomist, 2019). Ethan Brown admet cibler le public athlétique avec, pour celui-ci, la promesse de performances inégalées attribuables à la consommation de viande à base de plantes, surtout celle de Beyond Meat (McKinnon, 2022). Outre la publicisation de la marque accrue à travers le choix des porte-parole, c’est à l’un des jalons de la culture de la viande auquel s’attaque Beyond Meat : le lien entre consommation de viande et masculinité.

Modifier ses habitudes alimentaires, en particulier sa consommation de viande animale, est susceptible d’appeler à une remise en question de nombreuses pratiques et stéréotypes genrés, de susciter un questionnement identitaire, et de s’offrir en cible aux critiques et aux jugements (Brady et Ventresca, 2014; Greenebaum et Dexter, 2018; Hart, 2018; Raphael, 2019). La rhétorique de la marque Beyond Meat, bien qu’elle se garde d’attaquer ce lien entre viande et masculinité, n'appelle pas moins à une ouverture, promouvant la viande végétale comme un carburant supérieur pour les performances sportives. Soulignons que Beyond Meat n’occupe pas seul ce terrain. Le documentaire The Game Changers (Psihoyos, 2018), diffusé par Netflix, promeut aussi l’alimentation végétale pour l’amélioration des performances sportives. Les vrais hommes mangent de la viande, dit-on? Peut-être, mais dorénavant, celle-ci peut être à base de plantes. Et ça serait pour le mieux, selon Beyond Meat.

Une dernière stratégie communicationnelle reste à explorer pour cerner la constitution d’un sujet collectif de mangeurs et mangeuses de burgers à base de plantes, qui vient compléter la construction identitaire de l’organisation Beyond Meat et de ses produits de viande végétale. L’existence de Beyond Meat, sa capacité à perdurer dans le temps et l’espace, est tributaire des achats de ses produits par les consommateurs et consommatrices. Et, après avoir déculpabilisé la consommation de viande en la découplant d’avec les animaux, redéfini la viande comme expérience et enrôlé des partenaires pour légitimer ses produits, il convient d’interpeller les consommateurs et consommatrices afin de les diriger vers le comptoir des viandes en épiceries ou chez ses partenaires en restauration.

En août 2020, Beyond Meat dévoile sa première campagne publicitaire lors d’un match de la NBA. La campagne, intitulée What if We All Go Beyond? (Et si nous allions tous au-delà ?), comporte une série de vignettes montrant notamment une vache accompagnant des humains à la plage, un cultivateur satisfait de récoltes abondantes, des rassemblements au restaurant ou autour de barbecues, des athlètes joggant, s’entraînant au gym ou jouant au basketball, des familles, et des enfants souriants (Beyond Meat, 2020). Accompagnant ces images, l’actrice oscarisée Octavia Spencer interroge l’auditoire sur la possibilité du monde tel que transformé par la viande végétale, dans lequel manger un burger devient meilleur pour la santé des humains, des animaux et de la planète. De l’évocation du « meilleur des mondes » possibles, le message est ramené au présent : « Et si c’était déjà possible? ». La publicité se conclut par un appel à l’action, interrogeant : « Et si éliminer l’animal de la viande nous rendait, ainsi que la planète, en meilleur santé? Et si nous allions tous au-delà? ». Aller au-delà, c’est choisir la marque Beyond (au-delà); c’est l’engagement aussi pour un monde meilleur, dès maintenant.

Le mouvement social des mangeurs et mangeuses de Beyond Meat?

Le travail de construction identitaire accompli par la marque dans ses publicités mérite que l’on s’y attarde. Il vise, nous l’avons dit, à transcender la distinction entre mangeurs ou mangeuses et non-mangeurs ou non-mangeuses de viande par le fait de promouvoir la marque Beyond Meat comme rassembleuse et garante d’un monde meilleur, sans rien sacrifier à l’expérience de la viande en termes de sensations et d’affects, du fait du caractère équivalent de la viande végétale et animale en ce qui a trait à ses composantes nutritives, son apparence, son odeur, son goût et sa réaction de cuisson. Évitant le terrain moral, et ses questionnements sur l’éthique de consommer de la chair animale, Ethan Brown reconnait que « la consommation de protéines animales est intimement liée à notre évolution et notre identité en tant qu’espèce » (cité in Raphael, 2019, en ligne).

Ainsi, ce n’est pas contre la viande que Beyond Meat se positionne, mais contre ses méthodes de production archaïques qui impliquent de surcroît la mort de milliards de bêtes et l’appauvrissement des écosystèmes. Par conséquent, la marque investit le champ du militantisme environnemental en promettant un changement pour le mieux, mais sans pour autant s’approprier la rhétorique des écologistes et défenseurs ou défenseuses des animaux. La nature de cet engagement en faveur d’un monde meilleur s’apparente à celui des groupes écologistes, et c’est en quelque sorte à un mouvement social que convie Beyond Meat à ses consommateurs et consommatrices. Sa force, c’est d’éviter les messages politiques tout en associant les choix de consommation à un engagement en faveur de causes nobles : la santé, l’environnement, le bien-être animal, et la justice climatique intergénérationnelle.

La campagne publicitaire « Et si nous allions tous au-delà » est évocatrice de la création de ce sujet collectif – tous et toutes y sont accueilli·e·s – qui se veut transhistorique – il s’agit de continuer à manger de la viande comme l’humain l’a toujours fait – et appelé à passer à l’action – aller au-delà des pratiques de consommation actuelles en choisissant l’au-delà, celui de Beyond Meat. La marque s’érige ainsi comme un mouvement auto-initié en faveur de la viande végétale, ce qui se reflète à la fois dans le discours des promoteurs et promotrices de la marque et chez les commentateurs ou commentatrices de ses communications, qui deviennent autant d’itérations de ce mouvement en cours. Un responsable du marketing de la marque explique, à propos de la campagne publicitaire : « nous lançons ce mouvement pour inviter tout le monde à nous joindre dans cette aventure pour créer le futur de l’alimentation » (Stuart Kronauge, cité in Vegconomist, 2020, en ligne). Un analyste mentionne également comment la publicité « positionne Beyond Meat comme une sorte de mouvement social » (Mcinnis, 2020), et Ethan Brown lui-même se réjouit dans la presse de « voir une marque se métamorphoser en mouvement » (cité in K. Taylor, 2019).

Assurément, revendiquer un mouvement ne le fait pas magiquement exister, mais chaque réitération de la marque à titre de mouvement social joue le jeu de la performativité, accomplissant la constitution communicationnelle de la viande végétale. Il participe à rallier les mangeurs, les mangeuses et non-mangeurs ou non-mangeuses de viande à une cause commune – transcendant leurs différences et leur opposition – requérant un faible degré d’engagement, limité à choisir le burger Beyond Meat au restaurant ou à l’épicerie. Manger un burger Beyond Meat devient un acte quasi révolutionnaire, un geste pour sauver la planète. Ainsi dicte la campagne publicitaire de la marque, qui s’inscrit dans la lignée du « militantisme de l’assiette » (Alkon et Guthman, 2017 ; Waridel, 2005), avec pour promesse de ne rien sacrifier en matière de plaisir gustatif ni aux pratiques et habitudes qui sont caractéristiques d’une culture de la viande. La force du message est contrastée par une certaine subtilité, une prudence rhétorique – la phronèsis (Danblon, 2011) – qui permet à la compagnie d’éviter la confrontation sur le terrain de la moralité, reprenant à son compte bon nombre des codes du carnisme sur le caractère normal et nécessaire de la viande. Or, un geste aussi banal et agréable que manger un burger (végétal) peut-il vraiment sauver la planète?

Quel futur projeté par le burger du futur?

Constituer les consommatrices et consommateurs de produits Beyond Meat en actrices et acteurs du changement, à élever leurs pratiques de consommation au rang de participation à un mouvement social, cela relève d’une indéniable ingéniosité de la part des artisans et artisanes de la marque en plus de fournir une belle illustration de la dimension communicationnelle de la viande. Cela vient aussi mettre en lumière le troisième effet de la rhétorique constitutive concernant l’agentivité spécifique et restreinte du sujet collectif créé par la communication. Dans le narratif élaboré par Beyond Meat, le choix offert au sujet collectif transhistorique se limite à privilégier la viande à base de plantes au détriment de la viande animale, et ce, parce que la première serait aussi délicieuse que la seconde, plus soutenable et meilleure pour la santé des humains, des animaux et de la planète. Mais sont-ce là les seuls choix possibles qui s’offrent aux consommateurs et consommatrices?

« L’illusion de liberté » dont parle Charland (1987) se traduit ici par l’exclusion d’options tierces, dont celle de ne simplement pas se nourrir de viande ou d’en réduire drastiquement sa consommation, de privilégier une alimentation végétale à base d’aliments complets non transformés, de cultiver son jardin ou mieux, de développer des initiatives collectives de permaculture ou d’agriculture urbaine, de préconiser les circuits courts et marchés fermiers, etc. Dans le projet révolutionnaire de Beyond Meat, ces avenues sont écartées afin de céder le terrain à des produits d’alimentation ultra-transformés, fabriqués en usine, propriétés de quelques rares firmes, surtout américaines, complices de la recherche en biotechnologie, tributaires des investisseurs ou investisseuses et soumises aux impératifs de la rentabilité boursière, validées par des élites sportives et hollywoodiennes bienpensantes, et brillantes dans leurs pratiques du marketing. Est-ce véritablement une avenue soutenable – et souhaitable – pour le futur de l’alimentation mondiale?

Terminons en évoquant trois risques ou relations de dépendance qui s’inscrivent dans cette rhétorique de la viande végétale telle que développée par Beyond Meat, et qui jettent un voile d’ombre sur cette aura quasi révolutionnaire que l’entreprise met de l’avant dans ses actes de communication. La première dépendance, nous la lions à la « croissance verte », cet optimisme technologique sans réserve, déchargeant aux entrepreneurs ou entrepreneuses et chercheurs ou chercheuses de certains secteurs la responsabilité de dénouer les nœuds et crises de problèmes collectifs. Mis à part la privatisation de la recherche de solutions à des problématiques publiques – pensons à la voiture électrique, à la captation de carbone mais aussi, à la viande végétale – il devient difficile de prédire, d’encadrer et d’influencer la réalisation de tels projets, dont les répercussions sur les individus et les collectivités sont méconnus et imprévisibles. Des voix s’élèvent contre une transition vers la « viande artificielle en éprouvette » (Tordjman, 2021), et s’il est possible de voir dans ces résistances un certain conservatisme nourri par la célébration de la paysannerie (Luneau, 2020), cela n’invalide pas leurs craintes et leurs interrogations pour autant.

Une seconde dépendance enchâssée dans l’émergence de la viande végétale a trait à la dépendance au marché, ou plutôt en la croyance envers les marchés – financiers et de consommation – comme médiateurs des transformations sociales et courroi intournable du changement. On se rapproche de l’ontologie des affaires à laquelle Fischer (2018) associait le réalisme capitaliste, dans laquelle toute chose s’oriente vers l’accumulation, l’engrangement de profits et la croissance. En ce sens, Beyond Meat s’offre comme une alternative, mais dans un marché capitaliste tributaire d’actionnaires, de compétiteurs ou compétitrices et de consommateurs ou consommatrices, perpétuant le cycle interminable de production et de consommation qui se trouve à être largement responsable de la dégradation des conditions d’existence sur Terre.

Enfin, la dernière relation de dépendance qu’il convient de relever a trait à l’influence occidentale en matière de culture de la viande globale. On va ainsi parler de carnification (meatification) pour désigner la mouvance de la viande de la périphérie vers le centre de l’alimentation (Weis, 2021), observable à l’échelle du globe et particulièrement dans les économies émergentes d’Asie (Hansen et Jakobsen, 2020; Jakobsen et Hansen, 2020). Contrer la demande croissante globale pour la viande animale semble impératif dans la lutte contre les destructions environnementales. Cependant, l’alternative que proposent des entreprises comme Beyond Meat ne risque-t-elle pas d’engendrer de nouvelles asymétries? Comment des entreprises de la Silicon Valley peuvent-elles subvenir de façon soutenable aux besoins croissants de viande à l’échelle de la planète, à des prix raisonnables pour des populations vulnérables et engrangeant un coût écologique modéré? Et, advenant qu’elles y parviennent, serait-ce même souhaitable?

Les visées révolutionnaires des fabricant·e·s de viande à base de plantes comme Beyond Meat invitent à penser l’émergence de ces produits dans un monde globalisé et empreint à la carnification, et à se pencher sur la manière dont les traditions culinaires sont abordées (ou pas) dans leurs stratégies de communication. Les produits offerts se cantonnent-ils à des emblèmes forts de l’impérialisme américain en matière de malbouffe – les hamburgers, les croquettes (ou nuggets) de poulet et les saucisses à déjeuner? Peut-on ou souhaite-t-on y retrouver des équivalents végétaux des boulettes italiennes et suédoises? Ou des kebabs? Les stratégies communicationnelles de la viande végétales se trouveraient-elles adaptées aux divers contextes socio-culturels des pays dans lesquels ces marques sont présentes ou aspirent à s’implanter? Et qu’adviendrait-il alors des pratiques culinaires, des savoir-faire locaux et régionaux? Favoriserait-on paradoxalement une homogénéisation des plats, des recettes et des habitudes alimentaires, là où une marque comme Beyond Meat en appelle à un changement révolutionnaire?

Conclusion

Dans cet article, nous avons analysé la rhétorique constitutive de l’entreprise Beyond Meat afin de documenter certaines des stratégies communicationnelles de la viande végétale. Il appert à la lumière de cette étude que la communication constitutive de la viande s’applique simultanément à assigner une identité à l’organisation, à ses produits et à ses publics. Notre première question de recherche visait à comprendre comment peut se positionner un fabricant de viande végétale dans une culture de la viande. Nous avons d’abord montré comment l’organisation Beyond Meat se positionne dans une culture de la viande sans remettre en cause ses fondements, simplement ses moyens de production. L’entreprise parvient ainsi à développer des partenariats, ou à défaut des sympathies, avec les autres producteurs et productrices, transformateurs ou transformatrices et distributeurs ou distributrices de viande. Le récit de vie du créateur de Beyond Meat regorge d’anecdotes d’enfance à la ferme, de proximité avec les éleveurs ou les éleveuses et du respect qu’il leur porte, en net contraste avec les discours de dénonciation morale du véganisme. Cela expliquerait-t-il les investissements obtenus par des piliers de l’industrie de la viande et les partenariats avec des chaînes de restauration rapide? Notre seconde question de recherche portait sur la définition de la viande végétale et sa portée rhétorique. Toute rhétorique implique un·e adversaire, et ce sont les animaux d’élevage que cible la rhétorique de l’entreprise californienne. L’argument moral de la viande est déplacé de l’assiette vers les pâturages, où les animaux sont dénoncés pour leur inefficacité relative à produire de la viande. Cela s’accompagne de l’effort ontologique de redéfinir la viande comme fabriquée, invitant à assembler les nutriments et les ingrédients formant la viande à partir de sources végétales. Enfin, notre troisième question portait sur les stratégies pour persuader les consommateurs et consommatrices à devenir des mangeurs de viande végétale. Et nous avons relevé que la troisième stratégie développée en vue de normaliser la viande végétale s’appuie sur la complicité de vedettes – et en particulier d’athlètes professionnel·le·s – la mise en place dans les comptoirs de viande des épiceries et la mise en valeur sur les menus de restaurants. Et, la mobilisation des consommateurs ou consommatrices s’accomplit à travers leur interpellation à titre de parties prenantes d’un mouvement social pour sauver la planète, un burger à la fois.

Le secteur émergent des viandes à bases de plantes occupe une place significative dans le paysage alimentaire actuel et qui pourrait être appelée à croître dans l’avenir. Il convient par conséquent de s’y intéresser en tant que chercheurs et chercheuses en communication. On observe que ces produits réduisent significativement l’empreinte carbone de celles et ceux qui en consomment (Heller et Keoleian, 2018; Morach et al. , 2022), en plus d’offrir des bénéfices au niveau de la santé cardiovasculaire, comparativement à la viande animale (Crimarco et al., 2020; Ferreira, Sharma, et Zannad, 2021). Cela est plus que prometteur. Mais, plusieurs consommateurs et commentatrices interrogé·e·s demeurent réticent·e·s ou carrément méfiant·e·s (Aschemann-Witzel et al., 2021; Graça, Oliveira et Calheiros, 2015; Young et al., 2022). Et, comme nous l’avons souligné, certains risques de dépendance se profilent, appelant à mieux comprendre les ramifications et implications de la viande végétale pour l’alimentation des humains et pour les autres formes de vie.

Nous suggérons à cette fin d’élargir l’analyse à d’autres entreprises, dont Impossible Foods et son projet de recourir à des OGM dans la confection de ses viandes à bases de plantes. Nous proposons également d’explorer les dynamiques de marchés associées à la viande végétale, notamment sous l’angle de la moralisation des innovations alimentaires vis-à-vis des aliments concurrents. Documenter les résistances, tracer les contre-narratifs, suivre les contestations publiques et légales ainsi que l’évolution des trajectoires de consommation de la viande végétale reste aussi à faire. En reconnaissant que cette étude s’est attardée au narratif constitutif (Charland, 1987) et à la textualisation (Taylor, 1993), une autre piste à explorer touche la composante conversationnelle de l’organisation. Comment les fabricant·e·s comme Beyond Meat défient, transforment ou renforcent la culture de la viande, cette fois au chapitre des interactions entre représentant·e·s de l’entreprise et restaurateurs, restauratrices, acheteurs, acheteuses ou consommateurs et consommatrices? Comment des consommateurs ou consommatrices de viande végétale discutent à leur tour de ces produits avec leurs collègues et ami·e·s? Il serait ainsi prometteur de suivre comment s’accomplit la culture de la viande à travers sa « cultivation » (Bencherki et al., 2020), au croisement des pratiques alimentaires et communicationnelles[3].