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1. Introduction

1.1 Importance des communications publiques sur le risque volcanique et questions de recherche

En raison de la croissance urbaine mondiale, en particulier dans les pays en développement, les flancs des volcans actifs sont de plus en plus peuplés (Chester et al., 2001). Aussi, le nombre de personnes sujettes aux conséquences des éruptions volcaniques s’accroît (Lavigne et de Belizal, 2010).

Dans ce contexte, des campagnes de communication sont indispensables pour informer et sensibiliser les populations locales à ce risque mais aussi pour leur expliquer les actions appropriées en cas d’éruption afin de limiter les pertes en vies humaines (Fearnley et al., 2018, p. 4). Ces campagnes relèvent d’une communication publique dans la mesure où elles visent à diffuser des informations d’utilité publique au grand public et que la responsabilité en incombe « à des institutions publiques ou à des organisations investies de mission d’intérêt collectif ». (Zémor, 2008, p. 7). Étudier la communication publique, c’est étudier comment des organismes publics cherchent à susciter des émotions, des actions (de prévention ici), à attirer « l'attention en vue de construire et d’imposer la définition des normes comportementales des individus » (Ollivier-Yaniv, 2021). Ces campagnes de communication publiques, mises en place par les autorités locales ou les organismes de surveillance des volcans, sont d’autant plus importantes que le risque volcanique est la combinaison de deux choses : la gravité potentielle de l’aléa naturel et la vulnérabilité socio-économique de la zone considérée. « La vulnérabilité concerne donc la présence humaine exposée, biens et personnes, mais aussi la manière dont une société est organisée et organise un territoire » (d'Ercole et Pigeon, 1999, p. 344). Cette vulnérabilité est accentuée par la méconnaissance des campagnes d’information et de réduction des risques mises en œuvre.

L’objet de recherche de ce travail[1] est alors le suivant : les campagnes de communication publiques sur les risques volcaniques parviennent-elles à sensibiliser les populations locales visées ? Les habitant·e·s connaissent-ils et elles, grâce à ces campagnes d’information et de prévention, les comportements à adopter en cas d’éruption ? Qu’est-ce qui facilite la compréhension et la prise de conscience du risque ? Si l’impact de ces campagnes s’avère limité, quelles en sont les raisons ? Vaut-il mieux communiquer sur les risques ou sur les solutions concrètes à mettre en place ?

Ce type de travail augmente les chances que les principales informations diffusées soient appréhendées de manière précise et claire (Thompson, Lindsay, Graham, 2017).

1.2 Cadre théorique : étudier l’interprétation de campagnes de communication en prenant en compte l’environnement social et environnemental des récepteurs

Pour répondre à ces questions, cette recherche étudie la réception et l’interprétation que la population locale visée fait des campagnes de sensibilisation au risque volcanique. Dans le champ des recherches sur la communication volcanique, rares sont les études qui abordent spécifiquement la compréhension, l’interprétation et l’appropriation des campagnes menées (Lavigne et al., 2017 ; Thompson, 2017). La plupart des enquêtes portent sur la perception du risque volcanique (par exemple : Salazar, Robert, 2009 ; Paton et al., 2008 ; Gaillard, 2008).

Sur le plan théorique, ce travail – comme le promeut Mary Douglas (1966) – accorde une place centrale à l’environnement informationnel, social et environnemental des récepteurs et réceptrices dans la compréhension des mécanismes d’interprétation des campagnes de réduction des risques naturels. Aussi, le cadre théorique de cette recherche est double.

Il intègre dans son analyse l’environnement informationnel des habitant·e·s. L’information sur la réduction des risques est alors « appréhendée comme participant à un environnement informationnel composé de multiples sources d’information, délivrant des messages aux finalités parfois contradictoires, utilisant de moyens communicationnels divers et au sein duquel, [la campagne de communication] n’occupe qu’une place marginale (Kivits et al., 2014, p. 152). Les conseils et explications sur le risque volcanique diffusés par les organisations d’intérêt public ne sont pas la seule source d’information des habitants.

Par ailleurs – comme l’ont montré F. Régnier, Faustine et A. Masullo à propos des campagnes de communication sur la santé et l’alimentation (2009) – la réception d’un message de prévention dépend aussi des avis et perceptions préalables que les récepteurs et réceptrices ont du sujet. En matière volcanique, l’interprétation que les habitant·e·s ont de ces messages ne peut être isolée de la façon dont ils considèrent leur territoire « à l’origine du jugement du caractère risqué d’un certain nombre d’activités [….] ou situations » (Chauvin, 2014, p. 19). De surcroît, l’interprétation des messages diffusés ne se fait pas de manière isolée mais elle se joue – aussi – dans les discussions entre individus (Boullier, 2003). Les récepteurs et réceptrices interprètent les informations scientifiques en fonction de leurs perceptions du risque de leurs connaissances, de leurs attentes (Motulsky et al., 2015) « qui sont forgées, modifiées et soutenues par leurs relations sociales (avec d'autres membres de leur communauté et/ou des représentants d'organismes civiques et scientifiques) » (Paton et al., 2008, p. 182).

Ainsi, cette recherche part de l’environnement des habitant·e·s pour prendre en compte « le contexte de vie quotidienne et d’implication dans des activités sociales, économiques ou politiques pour saisir leurs pratiques de réception » (Kivits et al., 2014, p. 152).

1.3 Méthodologies qualitatives et choix du terrain d’étude

Ce travail s’inscrit dans la tradition des recherches en réception menées avec des méthodes qualitatives (Pereira da Silva, 2018 ; Kivits et al., 2014) dans la mesure où « l’observation ainsi que des entretiens approfondis apparaissent nécessaires » (Ollivier-Yaniv, 2018, p. 9) pour explorer le lien entre les réceptions des campagnes de communication et les expériences quotidiennes des habitant·e·s.

1.3.1 Une étude de réception réalisée à partir de questions ouvertes et d’entretiens approfondis

Le questionnaire comprend 38 questions (pour le détail du questionnaire, voir les annexes). La plupart requièrent des réponses ouvertes. Les questions ouvertes sont en effet privilégiées afin « d’enraciner la théorie dans la réalité telle que vécue par les acteurs » (Luckerhoff et Guillemette, 2014). Deux types de questions sont posées aux habitant·e·s.

Les premières portent sur leur perception du territoire local. La suite des questions se focalise progressivement sur l’implication vis-à-vis du risque volcanique. Selon le modèle ELM (Elaboration Likelihood Model of persuasion : Petty et Cacioppo, 2006), un récepteur très intéressé par le sujet traitera les informations contenues par la campagne de communication de manière approfondie. Il fera attention aux arguments donnés et les évaluera. Cet intérêt peut se mesurer avec une échelle d’implication – « pour moi, la communication sur le risque volcanique c’est : Important/Ennuyeux/Utile/Excitant/Insignifiant/Sans valeur » – et en interrogeant les habitant·e·s sur les phénomènes naturels qu’ils et elles associent concrètement au risque volcanique.

La deuxième partie du questionnaire se concentre sur le rapport des habitant·e·s à un message de prévention diffusé pendant l’année. Elle vise à mesurer la connaissance que les habitant·e·s ont des principales recommandations communiquées par les autorités locales – le COER (centre des opérations d’urgence régionale), l’INDECI (l’Institut national de défense civile) – et les organismes de surveillance des volcans (l’INGEMMET [Instituto Geológico Minero y Metalurgico] et l’OVS IGP [Observatorio Vulcanológico del Sur del Instituto Geofísico del Perú]). On identifie ces recommandations sur le dépliant de l’OVS IGP montré aux enquêté·e·s (figures 1). Ce dépliant indique également les multiples risques volcaniques qui concernent la ville, tout comme les cartes des risques élaborées par l’INGEMMET[2] et la chaîne YouTube de l’OVS IGP.

Figures 1

Supports de communication récemment diffusés à Arequipa et utilisés pendant l’enquête – OVS IGP 2020

Supports de communication récemment diffusés à Arequipa et utilisés pendant l’enquête – OVS IGP 2020

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Ces documents donnent aussi des consignes de préparation et de protection avant, pendant et après une éruption. Avant l’éruption par exemple, l’OVS IGP conseille de prendre connaissance de la carte du risque volcanique d’Arequipa, d’élaborer un plan d’urgence en famille ou entre ami·e·s, d’avoir de l’eau potable et des aliments non périssables en stock, d’avoir une trousse de premiers secours à disposition ainsi qu’une radio et une lampe de poche et des piles en réserve, et de rester à l’écoute des informations sur le volcan.

Le choix de ces supports a plusieurs motivations. Sur un plan pratique, cette enquête nécessite d’interroger des habitant·e·s sur place (chez eux et elles, dans un café). Une affiche et un flyer sont facilement transportables et montrables. Sur un plan communicationnel, une affiche montre de manière synthétique la campagne de communication déployée. Ainsi, des responsables néo-zélandais d’une campagne sur le risque volcanique ont choisi comme support de communication des affiches jugées « comme étant la méthode optimale pour condenser les principales informations sur l'impact et l'atténuation sous une forme concise, agréable et visible » (Wilson, Stewart, Wardman, 2004). Méthodologiquement enfin, cette étude s’appuie sur des étapes de recherche en réception de campagnes de communication déjà balisées (Lipkus et Hollands, 1999, p. 149-150). Trois étapes – parmi les plus importantes – ont été privilégiées ici : la mémorisation de la campagne, sa compréhension, son acceptation. Recueillir l’opinion des habitant·e·s sur les affiches montrées permet donc de répondre aux questions présentées en introduction (voir infra) et à la suivante : quelles émotions suscitent chez eux les différents cadres adoptés par les campagnes de communication ?

1.3.2 Arequipa, une ville très risquée d’un point de vue volcanique dans laquelle ont été diffusées plusieurs campagnes de communication sur le sujet

Le choix du terrain d’enquête s’est porté sur la ville d’Arequipa, ville péruvienne d’un million d’habitant·e·s. Ce terrain d’enquête répond à plusieurs critères de sélection. Arequipa est à la fois une cité très risquée d’un point de vue volcanique et une ville dans laquelle des campagnes de communication sont diffusées depuis plus de 10 ans[3].

Arequipa est une ville risquée d’un point de vue volcanologique. D’un côté, les aléas volcaniques sont nombreux. Contrairement à ce que croit une partie de la population, le volcan Misti n’est actuellement pas dormant mais actif. Il fait l’objet d’une surveillance constante des observatoires OVS IGP et INGEMMET (Aguilar et al., 2021). Ce risque relève schématiquement de trois grandes catégories de dangers sur lesquels communiquer : Le plus grand danger concerne les écoulements pyroclastiques. Ces nuages de cendres et de gaz toxiques dévalent soudainement les pentes à plusieurs centaines de km/h. Ils laissent peu de temps pour s’échapper, brûlent les poumons et détruisent habitations et bâtiments (Bardintzeff, 1997). Ils pourraient aller jusqu’à 20 kilomètres autour du cratère, donc dépasser le centre-ville lors d’une explosion de grande magnitude, comme l'éruption plinienne d’il y a 2000 ans (Thouret et al., 2001).

Une éruption de moindre intensité – du type de celle arrivée au 15ème siècle – combinée à des vents mal orientés peut amener d’abondantes pluies de matières solides (notamment des cendres) et liquides sur les terrains agricoles avoisinants et sur les toits de la ville. Les risques – dégâts potentiels – sont considérables : pollution de l’eau, « obscurité plus ou moins totale, santé affectée, services de base inopérants (eau, électricité, égouts...), communications interrompues, activités économiques paralysées. » (Metzger et al., 1998, p. 178).

Enfin, un danger plus courant vient des lahars. En se mélangeant à l'eau venue de la pluie ou de la fonte des glaciers, les dépôts volcaniques et les cendres forment des torrents de boue qui suivent les ravins (quebradas) et le lit des rivières (Metzger et al., 1998, p. 179). Les lahars arrivent pendant la saison des pluies (Machacca, 2021). Comme le montre la carte des risques volcaniques récemment actualisée par l’INGEMMET (Aguilar et al., 2021), des lahars dangereux, suivant les couloirs des quebradas, peuvent dévaler dans les nouvelles zones urbaines construites sur les pentes du volcan, en hauteur de la ville (figures 2).

Figures 2

Ravins des pentes du Misti traversant le district d’Alto Selva Alegre

Ravins des pentes du Misti traversant le district d’Alto Selva Alegre

Crédits photos : Sébastien Rouquette, 2021

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Une deuxième raison a présidé au choix d’Arequipa. Les autorités et les organismes de surveillance des volcans y ont déjà diffusé plusieurs campagnes de prévention ; y compris l’année ayant précédé l’enquête, ce qui permet d’étudier spécifiquement la mémorisation de cette dernière campagne. Les premiers programmes de sensibilisation sur les dangers liés à l’activité volcanique ont été lancés en 2006 à Arequipa. Des cartes de risques ont été distribuées à la population locale (Macedo et al., 2008) ; de multiples supports de communication ont été utilisés : affiches, plaquettes, émissions de télévision, de radio, sites internet, comptes Twitter, pages Facebook.

Dans ce contexte, les habitant·e·s ont-ils aujourd’hui – contrairement à ce que montrait une enquête de 2011 (Martelli, 2011) – conscience du degré de risque lié aux lahars ou aux éruptions de nuages de cendres ?

1.3.3 L’échantillonnage des répondant·e·s

Conformément à l’orientation de cette recherche prenant en compte le contexte informationnel et le contexte de vie quotidienne des récepteurs et réceptrices, l’acquisition de données qualitatives est indispensable pour ce type d’études de réception. Aussi, le panel a été choisi avec un double objectif : obtenir des données qualitatives approfondies et significatives (Truchot, 2006) à partir d’un échantillonnage stratifié non proportionnel (Cossette, 2016).

On parle d'échantillon stratifié lorsque la fraction de sélection diffère en fonction de certaines caractéristiques de la population (sexe, région, statut, âge, etc.). On stratifie pour permettre que toutes les catégories de la population qui nous intéressent soient représentées en nombre suffisant […]. [Ces échantillons] peuvent être non-proportionnels, c’est-à-dire que certaines strates sont sur-représentées par rapport à leur proportion réelle dans la population. Il s’agit alors de s’assurer d’avoir un échantillon suffisant dans chaque strate (Durand, 2002, p. 2).

Avec cet échantillonnage, la pertinence du panel ne dépend pas de critères de représentation « au sens quantitatif ou statistique du terme » (Biscarrat, 2013) mais du respect de la typologie des habitant·e·s construite en s’appuyant sur la littérature scientifique sur les perceptions du risque volcanique.

Dans une recherche de ce type menée pour la première fois dans la ville d’Arequipa, et qui a donc une dimension exploratoire, quatre critères d’échantillonnages ont été pris en compte de façon à constituer un panel qui ne biaise pas les résultats : les quartiers d’habitation, le sexe, l’âge et les catégories socioprofessionnelles. Ainsi, la moitié des répondant·e·s sont des femmes (39 répondantes) et l'autre moitié des hommes (37 répondants), afin de prendre en compte un possible rapport différencié au risque volcanique entre hommes et femmes (Wachinger et al., 2013) ; sachant que les résultats d’études précédentes divergent sur ce point. Certaines ont montré que l'âge et le sexe avaient une influence sur la perception du risque, d’autres que ces facteurs n'ont pas ou peu d'influence (Wachinger et al., 2013).

Un critère nécessite une grande attention : l’expérience personnelle du risque. « Parmi les rares facteurs externes qui semblent avoir un impact sur la perception des risques naturels par le risque, il y a l'expérience directe qui s'est avérée avoir un effet important sur la perception du risque » synthétisent ainsi Wachinger et al. (2013, p. 1052). Cette variable pose cependant un problème pratique. Même s’il est actuellement actif, la dernière éruption du Misti remonte à 1985. C’est pour répondre à ce problème qu’a été fait le choix d’un panel de personnes d’âges différents. Seuls les interrogé·e·s de plus de 45 ans avaient au moins 10 ans lors de la dernière éruption. Cet échelonnage du panel permet ainsi de prendre en compte cette variable parmi les répondant·e·s.

De plus, le panel a été construit avec un large éventail socioprofessionnel, afin de ne pas biaiser cette étude sur la différence de tolérance au risque volcanique en raison d’une dimension sociale non contrôlée (Haynes, Barclay et Pidgeon, 2008). Ainsi, ce panel de 76 personnes d'Arequipa comprend de nombreuses femmes au foyer (14), des ouvriers et ouvrières (11, dont par exemple 2 maçons), 5 agriculteurs ou agricultrices, des employé·e·s et technicien·ne·s (5), des artisans et artisanes et commerçant·e·s (10), mais aussi des professions intermédiaires et cadres moyens (par exemple un·e communicant·e, deux guides touristiques), des professions libérales et cadres supérieur·e·s (par exemple 7 ingénieur·e·s).

Enfin, le quartier d’habitation des répondant·e·s a été pris en compte. Selon la littérature scientifique, les différences spatiales sont importantes pour la perception de certains risques naturels. Des études menées en France ont ainsi montré que l’expérience personnelle en matière d'inondation était le facteur le plus important pour la perception du risque. Cette expérience était directement liée à la localisation des résident·e·s dans les zones sujettes aux inondations riches en boue (Ruin, 2007). Pour prendre en compte ce paramètre, deux quartiers très différents ont été choisis. Le premier, Sachaca, est un district à faible risque situé dans la plaine sud d'Arequipa, à l'opposé de la ville par rapport au volcan Misti. Le second est Alto Selva Alegre. (figures 3). C'est le quartier le plus proche du volcan et il est directement affecté par des lahars ; en plus des autres risques de chutes de cendres et de coulées pyroclastiques.

Figures 3

Les deux quartiers d’habitations retenus pour l’étude

Les deux quartiers d’habitations retenus pour l’étude

Crédits photos : Sébastien Rouquette

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Enfin, cette enquête a été menée sur un nombre élevé de répondant·e·s pour une recherche qualitative (76) afin d’atteindre la saturation des données, c’est-à-dire le seuil d’entretiens à partir duquel les nouvelles interviews n’apportent pas de connaissances supplémentaires aux connaissances déjà acquises.

Tableau 1

Diversité et complémentarité des critères de constitution du panel

Diversité et complémentarité des critères de constitution du panel

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1.3.4 Les conditions de passation des questionnaires

Compte tenu du nombre d'entretiens prévus, il était nécessaire de recruter des enquêteurs locaux et enquêtrices locales puis de les former aux techniques d'entretien. Quatre enquêtrices locales, titulaires d'une licence de l’université technologique du Pérou, ont été recrutées grâce à un partenariat établi avec l’OVS IGP d’Arequipa (B. Brityid, S. Soledad C. Ruelas et P. Cruz, voir annexes), puis formées à la passation d’entretiens en sociologie par Sébastien Rouquette. D’un côté, ne pas faire passer les entretiens ne permet pas de relancer soi-même les enquêté·e·s dont les réponses sont succinctes. D’un autre côté, on sait que dans le cas d’enquêtes par entretiens les réponses peuvent être altérées « par tout ce que le répondant sait de son interlocuteur, de son statut et de ses activités au sein de l’établissement, par les attentes ou dessins qu’il lui prête », (Papi, 2016, p. 257). De ce point de vue, la passation d’entretiens par des enquêtrices péruviennes connaissant le terrain et maîtrisant parfaitement la langue et les expressions locales offre un avantage indéniable à des enquêteurs et enquêtrices universitaires européens. Les personnes interrogées ont été trouvées en faisant du porte-à-porte dans les deux districts sélectionnés. Ces entretiens ont été menés entre janvier et juin 2020, la plupart du temps chez les habitant·e·s. Chaque habitant·e de ce panel a été interrogé une fois. Comme le questionnaire compte 38 questions avec nombreuses questions ouvertes ainsi que la présentation d’affiches et plaquettes de campagnes précédentes (sur le modèle des études dites de « post-test »), chaque entretien a duré entre 30 minutes et 1h. Ils ont été enregistrés avec l’accord des participant·e·s, puis entièrement retranscrits pour un traitement thématique.

Les résultats obtenus peuvent être regroupés en trois parties complémentaires. La première se focalise sur un constat, celui d’une forte méconnaissance des campagnes de communication menées. La deuxième propose des explications communicationnelles et contextuelles à cette méconnaissance. La troisième partie s’interroge sur les ressorts communicationnels sur lesquels jouer pour augmenter l’impact de ces campagnes.

2. Une méconnaissance des mesures de protection

Le tableau ci-dessous recense les réponses citées par les enquêté·e·s sur les mesures à prendre en cas d'alerte, plusieurs réponses peuvent être données par les répondant·e·s (tableau 2).

Figure

Tableau 2 – mesures de protection citées par les enquêté·e·s

Tableau 2 – mesures de protection citées par les enquêté·e·s

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L'évacuation qui est, en effet, la principale mesure recommandée en cas d'éruption volcanique par l'IGP dans le dépliant évoqué plus haut, est citée par près de la moitié des personnes interrogées. À l'inverse, près de 35% des personnes interrogées déclarent ne pas savoir quoi faire pour se protéger.

Le fait d'écouter les consignes des autorités, par exemple en allumant la radio ou en allant sur Internet, n'est mentionné que par 16% des répondant·e·s. Ce résultat apparaît assez préoccupant étant donné qu'il est recommandé d'écouter les consignes d'évacuation afin que celle-ci se déroule de manière organisée. Dans certains propos, cette faible référence aux autorités apparaît causée par une défiance vis-à-vis de ces dernières : « pour être honnête, le volcan Misti ne me semble pas pouvoir entrer en éruption, mais au cas où il le ferait, je ferais une auto-évacuation, je ne m'attendrais pas à ce que les autorités contribuent à cette évacuation » (femme, 50 ans, au foyer, Alto Selva Alegre).

Enfin d'autres mesures apparaissent de manière plus marginale dans les discours comme le fait d'avoir une mallette d'urgence (5 répondant·e·s sur 76) ou des vivres en réserve (3 répondant·e·s sur 76). Ce sont en fait les mesures préventives qui sont le moins évoquées : un seul enquêté parle d'un « plan familial »" soit le fait de s'organiser avec ses proches pour décider quoi faire en cas de danger. La notion de préparation au risque volcanique est donc largement absente des discours, ce qui renforce l'idée que ce risque apparaît lointain et peu concret aux yeux des enquêté·e·s. C'est d'ailleurs ce que souligne l’une des habitantes : « évacuer et sortir le sac à dos d'urgence mais honnêtement nous ne l'avons pas, les gens ne réagissent que lorsque quelque chose leur arrive » (agricultrice de 37 ans, Sachaca).

Enfin, à l'exception de deux habitant·e·s, aucune mesure pour se protéger spécifiquement des cendres n'est évoquée comme le fait de se mettre à l'abri sous un toit ou de porter un masque sur la bouche et sur les yeux. Cette absence est étonnante si on la rapporte au nombre de personnes (24) ayant évoqué les cendres comme le principal risque lié au volcan Misti.

Comment interpréter cette faible connaissance du risque volcanique et des moyens de s'en protéger ? Différentes pistes explicatives émergent.

2.1 Un risque complexe sur lequel la plupart des habitant·e·s n’ont pas d’expérience préalable

Une première explication concerne la nature même du risque volcanique. Les volcans peuvent produire des aléas très divers qui n'ont pas la même fréquence ni le même degré de gravité. Ils sont potentiellement porteurs de catastrophes majeures. Mais, comparée à d'autres risques naturels (notamment les inondations et séismes à Arequipa), la menace volcanique est peu fréquente (Morin, 2012). Une éruption de forte intensité est un événement de faible probabilité. Il est donc difficile pour les profanes de bien évaluer l'ensemble des risques liés au volcan et leur impact.

Surtout, concernant le Misti, ce risque reste abstrait car sa dernière grande éruption date du 15ème siècle, même s'il est toujours actif. Or, l’expérience d’un risque naturel est un élément prépondérant de la prise de conscience, de la perception et de l’adoption de comportements de prévention de ce risque (Bradford et al., 2012). Dans notre panel, quatre personnes seulement ont une expérience directe du risque volcanique, et trois personnes ont des proches qui ont été affectés par une éruption, en général d’un autre volcan de la région. Le risque reste donc abstrait pour beaucoup d'habitant·e·s d'Arequipa. C’est pourquoi d’ailleurs à la question « connaissez-vous des personnes qui ont été touchées ?» la majorité (54 sur 76) répond : « Non, je ne connais personne » (femme, 49 ans, cuisinière, Alto Selva Alegre).

2.2 Une communication du risque insuffisante ?

Dans l'enquête, la très grande majorité des répondant·e·s – 55 sur 76 – explique n'avoir jamais entendu de message de prévention au sujet du risque volcanique, alors qu'ils citent plus facilement les mesures de prévention contre les séismes. Parmi la petite minorité qui a souvenir d’une campagne (21 sur 76 soit 28 %), le souvenir peut remonter à plusieurs années en arrière (« Il y a de très nombreuses années, il y a environ cinq ans, je me souviens vaguement » : homme, 50 ans, enseignant, Alto Selva Alegre : « Une d'il y a quelques années, mais je ne m'en souviens pas très bien », homme, 22 ans, Alto Selva Alegre).

Une des explications réside peut-être dans le morcellement de l'information, en particulier en ligne. En effet, deux instituts coexistent et diffusent des informations et des messages de prévention sur le Misti : la carte de risques détaillée se retrouve sur le site de l'INGEMMET, les bulletins d'activité du volcan sur celui de l’OVS IGP (et sur l'application récemment créée). On retrouve également un suivi des éruptions de différents volcans et de l'activité du Misti dans la presse locale (par exemple dans le média en ligne El Buho). Il faut naviguer entre ces différentes sources pour cerner le risque volcanique, ce qui ne favorise pas l'élaboration d'une perception claire et complète du risque.

2.3 Des messages jugés complexes

Deuxième explication, les messages communiqués sont jugés très complexes par les répondant·e·s. Il suffit d’interroger les habitant·e·s sur la manière dont ils lisent une affiche (Motulsky et al., 2015) pour mesurer combien il y a ici d’obstacles à franchir pour limiter l’incompréhension des messages déjà diffusés. De nombreux indices vont dans ce sens.

Une proportion non négligeable de répondant·e·s (14 % des habitant·e·s interrogé·e·s qui ont répondu à cette question) assume de ne pas comprendre les messages montrés : « pour vous dire la vérité, je ne les ai pas trouvés compréhensibles » (femme 50 ans, femme au foyer, Alto Selva Alegre). Quelquefois, les messages sont jugés compréhensibles, mais à un tel niveau de généralité que cela ne sert pas vraiment aux habitants. « Que pensez-vous que les messages signifient ? ». « Qu'il faut faire attention au volcan » (femme, 47 ans, femme au foyer, Sachaca).

D’autres fois encore, l’image de l’affiche donne lieu à une mauvaise compréhension, en particulier en raison des connotations du rouge : « je me souviens qu'il s'agissait du volcan et de la ville où l'on peut voir presque la moitié d'Arequipa peinte en rouge, je pense que cela signifiait que tout serait en lave si le volcan entrait en éruption » (femme, 50 ans, femme au foyer, Alto Selva Alegre).

Loin d’être anecdotiques, ces difficultés de lecture se traduisent par des erreurs dans l’évaluation des risques. Ainsi, cet habitant qui panique auprès de ses collègues lors d’un signalement d’un lahar déversant des pentes éloignées de la ville en mars 2020 parce qu’il pense qu’un lahar se traduit par une coulée de lave : « oui, j'ai entendu les nouvelles, quand j'étais au travail, j'ai entendu les nouvelles et cela m'a inquiété, m'a appelé à la maison [...] Je travaillais au terminal terrestre en faisant mes activités quotidiennes quand un collègue m'a dit que le volcan était en éruption et que la lave allait tomber sur sa maison » (homme, 23 ans, ouvrier, Alto Selva Alegre).

En matière de gestion de risque, la compréhension des messages de prévention est en effet essentielle. Cette interprétation dépend de leurs connaissances des symboles et des vocabulaires employés. Une carte des risques, une couleur, une forme, ne donnent pas d’interprétation uniforme mais une compréhension différenciée suivant leurs expériences passées (Mac Eachren, 1995 ; Perkins et al. 2011 cités par Thompson et al. 2017, p. 631).

Or, comme l’a constatée une enquête de psychologie expérimentale lors d’une campagne de prévention d’un risque de santé, quand les patient·e·s ne savent pas interpréter le message présenté sous forme de probabilité (8% de risque d’AVC sur cinq ans, est-ce peu ou beaucoup ?), ils fondent leurs décisions sur d’autres informations (Hsee et al., 1999). Ici, si les habitant·e·s d’Arequipa ne comprennent pas les consignes données, par exemple parce qu’ils les jugent trop complexes, le risque est qu’ils prennent des décisions à partir d’autres critères, d’autres sources d’informations (familles, voisins, ami·e·s).

3. Sur quels ressorts communicationnels jouer ?

Quels contenus privilégier pour résoudre les multiples problématiques communicationnelles mises en lumière dans cette recherche ? En cas de petite coulée saisonnière vaut-il mieux – pour faciliter la compréhension des habitant·e·s du district d’Alto Selva Alegre – envoyer un tweet qui parle de « coulée de débris » et réserver le terme de « lahar » aux coulées qui pourraient créer de sérieux dégâts, principalement lors d'éruptions et d'avalanches de débris (Cadag, Driedger, Garcia, Duncan, Gaillard, 2017) ? En d’autres termes, faut-il privilégier des messages simples, quitte à être réducteurs ? Et si oui, jusqu’à quel point ? Faut-il, par ailleurs, jouer sur les émotions ou privilégier des arguments chiffrés ?

Plusieurs pistes communicationnelles doivent être creusées. Les unes concernent la forme des messages, les autres le fond.

3.1 Quels contenus diffuser ?

3.1.1 Quelles images choisir ?

Déchiffrables de plus loin que les textes et slogans des affiches, l’importance des images ne doit pas être sous-estimée ; ce que souligne bien ces remarques d’habitant·e·s de Sachaca qui préconisent des images plus grandes, associant la taille de l’image à l’importance qu’ils lui accordent. Q. : « Les messages étaient-ils compréhensibles pour vous ? ». R. : « Oui, mais avec des images plus grandes » (homme, 23 ans, opérateur, Sachaca).

Certaines images sont-elles plus efficaces pour faire agir ? Faut-il montrer un aléa ou plutôt les conséquences ? Le volcan ou des habitations ? Premier élément de réponse : des images plus réalistes voire plus explicites seraient plus marquantes :

Q. : « La campagne de communication vous a-t-elle convaincu ? »

R. : « En partie parce que je pense que vous devez ajouter de vraies photos au moins sur les maisons car la plupart d'entre elles sont faites de matériaux nobles et la photo montre une maison en adobe » (homme, 65 ans, commerçant, Sachaca).

R. : « Oui, mais je voudrais que les couleurs et les images soient plus fortes, qu'elles attirent l'attention, que les images soient plus réelles et qu'elles montrent que cela peut faire plus de mal » (femme, 50 ans, femme au foyer, Alto Selva Alegre).

R. : « Je pense que l'affiche est adéquate, mais les conséquences de la pollution agricole causée par les cendres sont absentes » (homme, 40 ans, taxi, Sachaca).

La vue du volcan ne suffit pas. Certes, elle attire l’attention : « Le volcan est l'image qui ressort le plus pour moi » (femme, 47 ans, femme au foyer, Sachaca). Mais l’image d’un volcan ne suffit pas quand les images choisies ne montrent pas les conséquences traumatiques d’un aléa volcanique : lahars dévalant les pentes basses du volcan, effondrement des toits, pluies de cendres.

Ne pas expliciter visuellement les conséquences d’un lahar ou d’une pluie de cendres ne facilite pas la connaissance des risques occasionnés par une éruption. D’ailleurs, 21 répondant·e·s sur 76 (voir infra) s’attendent à de grandes coulées de lave plutôt qu’à de la cendre dont les dangers ne sont pas connus. Quels comportements vont adopter des habitant·e·s quand ils constateront lors d’une éruption que leur peur de la lave est infondée ? Vont-ils encore accepter d’évacuer quand on leur signalera un écoulement important de boues mêlées de roches et de cendres volcaniques ? Si la mauvaise compréhension des campagnes d’affichage accroît le risque de sous-estimation des risques, comment augmenter la bonne compréhension des campagnes de communication menées ?

Des photographies dévoilant des conséquences réalistes d’une éruption du Misti ont l’avantage d’étayer une campagne d’arguments visuels immédiatement compréhensibles. D’autant qu’il est possible de choisir des photographies de catastrophe non voyeuristes. Comme le fait – par exemple – la photographe Sophie Ristelhueber, il est tout à fait concevable de photographier la catastrophe, « des cataclysmes politiques […] les marques physiques de la guerre ou de l’occupation militaire, les blessures […] le cratère de bombe, l’explosion, le feu, la ruine » sans montrer les victimes, la souffrance humaine, le désespoir (Solomon-Godeau, 2020, en ligne). Qui plus est, une représentation plus concrète de l’aléa a des avantages communicationnels incontestables. De fait, dans le cas des risques d’inondations par exemple, des photos de maisons inondées amplifient la perception que les résident·e·s d’une zone inondable ont du danger car ces images suscitent une émotion – celle de la peur ou du danger, une réaction en réponse à cette émotion (Keller et al., 2006). Cette réaction n’est pas obligatoirement positive : face à une information de danger encourageant un individu à changer de comportement (ne plus fumer) ou à agir (se faire tester en situation épidémique), celui-ci peut soit décider d’agir ou de ne rien faire. Il peut agir s’il ne veut plus être en situation de dissonance cognitive en mettant en conformité ses actes (ce qu’il fait) avec sa pensée (ce qu’il sait devoir faire) (Festinger, 1955). Il peut, à l’inverse, « chercher à contrôler [sa] peur par ce qu’on nomme des mécanismes de défense psychologiques[que sont]le déni (cela ne m’arrivera pas), l’évitement (« c’est trop horrible, je préfère ne pas y penser »), et la pseudo reconquête de la liberté (« ils essaient de me faire peur, je vais les ignorer »)[4]. Dans tous les cas, l’émotion ressentie favorise une réaction – sinon une action – des habitant·e·s. Étudiant la perception que la population a du dérèglement climatique, Van der Linden a – de manière similaire – notée que les informations sur les causes du dérèglement (cycle carbone, etc.) contribuent moins au changement de perception que les messages sur l’impact que ces changements ont sur les gens, en particulier ceux chargés d'émotion (2015). Ceci est conforme aux travaux de Miceli et al. (2008) pour les inondations ou de Dooley et al. (1992) pour les tremblements de terre qui mettent en avant l’existence d’une corrélation entre sentiments d’inquiétude et l’adoption de comportements protecteurs. « Les composantes émotionnelles de la perception du risque, contrairement aux composantes cognitives, ont une relation directe avec l'acte » (Miceli et al., 2008, p. 165). C’est d’ailleurs pourquoi « la représentation visuelle du risque est couramment utilisée » (Rakow et al., 2015).

Dans ces conditions, pourquoi ne pas plus communiquer à partir de photographies de catastrophes ? Car, et c’est un autre élément à prendre en compte, l’utilisation optimale de ces photographies nécessite des conditions particulières qui ne sont pas toutes réunies à Arequipa. Dans son analyse de la dimension cognitive de la connotation des photographies, Roland Barthes fournit des explications qui éclairent sur la complexité de ce choix. La connotation cognitive d’une photographie peut se définir de la façon suivante : devant tel paysage (une rizière), je sais que je suis devant la vue de de tel continent (l’Asie). Autrement dit « la lecture dépend étroitement de ma culture, de ma connaissance du monde ; et il est probable qu’une bonne photographie […] joue aisément du savoir supposé de ses lecteurs, en choisissant les épreuves qui comportent la plus grande quantité possible d’informations de ce genre » (Barthes 1961, p. 136). Or, il n’est pas possible d’utiliser une photographie de catastrophe volcanique à Arequipa dont la force reposerait sur sa connotation cognitive (« rappelez-vous, c’est déjà arrivé »), car il s’agirait de décrire une réalité dont les traces photographiques ne sont pas suffisamment fortes (la dernière éruption de 1985 était de faible intensité, comme toutes celles du 20ème siècle) ou inexistantes (pour la dernière grande éruption du 15ème siècle). C’est pourquoi ici – comme ailleurs indique également Roland Barthes – les photographies proprement traumatiques sont rares, car en photographie, « le trauma est entièrement tributaire de la certitude que la scène a réellement eu lieu » (Barthes, 1961, p. 137).

Faute de pouvoir s’appuyer sur une histoire photographique récente du risque volcanique local, les campagnes de communication ne peuvent donc ni s’appuyer sur l’effet de mémoire visuelle (par une photographie traumatique), ni bénéficier d’une sensibilité de la population acquise par l’expérience. Dans ces conditions, il est plus intelligible de comprendre pourquoi la communication publique sur le risque volcanique ne repose pas ici sur des arguments visuels concrets, réalistes et éventuellement traumatisants pour générer une plus grande réaction. Même si, pour ces mêmes raisons, il est plus difficile pour les habitant·e·s de concevoir les risques qu’une explosion du Misti occasionnerait sur leurs maisons, leurs poumons, les yeux et les raisons pour lesquelles il est nécessaire de se préparer à cette éventualité.

3.1.2 Rouge et gris : deux couleurs inappropriées pour expliquer la nature des dangers représentés par le volcan Misti

Thompson et al. (2015) ont montré qu'il est important de prendre en compte la connotation des couleurs dans la constitution d’une carte des risques. Le constat est le même pour des affiches de communication, ce qui est d’autant plus important que chaque choix chromatique a d’incontestables inconvénients. Quelle couleur privilégier ? Première possibilité : le rouge. C’est la couleur du danger au Pérou[5]. L’association entre rouge et danger est immédiate, transparente, comme en témoigne cet habitant de Selva Alegre :

Q. : « Que pouvez-vous percevoir des affiches ? ».

R. : « Ce que je vois qui ressort des images, c'est le risque que peut causer le volcan et, dans l'autre image, le risque causé par les tremblements de terre. Ce qui pourrait être amélioré dans l'affiche, c'est de placer les images plus grandes et en rouge pour qu'elles aient un plus grand impact sur les gens, car la couleur rouge représente le danger pour la plupart des gens » (femme, 32 ans, assistance agricole, Alto Selva Alegre).

C’est aussi une couleur qui attire l’attention : couleur de grande longueur d’onde[6], elle est plus rapidement visible à l’œil que des couleurs dites « froides », d’où son utilisation fréquente dans des logos. Pour autant, cette couleur doit être utilisée avec parcimonie ici au risque sinon de renforcer une erreur courante chez de nombreux interrogés qui placent la lave comme le premier risque encouru. Dans ce cas, les significations habituelles du rouge introduiraient « un potentiel de mauvaise communication » (Monmonier, 1996 ; Brewer, 1994). Deuxième possibilité : le gris. C’est la couleur de la fumée et de la cendre, celle qui a été privilégiée par l’affiche diffusée par les organismes de surveillance du volcan. Mais, la connotation du gris n’est pas celle du danger. Au Pérou, le gris symbolise la neutralité (ce qui valorise les autres couleurs), le pragmatisme, le respect ou encore la stabilité[7]. Sur une affiche, une chute de cendres ne paraît pas aussi dangereuse qu’une coulée de lave, au risque que les habitant·e·s se demandent pourquoi évacuer en cas d’alerte car « les habitants locaux peuvent être réticents à évacuer pendant une crise si les signes d'alerte traditionnels ou les signaux qu'ils connaissent font défaut, s'ils ne reçoivent pas d'avertissement à la fois traditionnel et officiel, et parce qu'ils risquent de perdre leurs moyens de subsistance. » (Lavigne et al., 2017, p. 108). Chromatiquement, aucune solution n’est donc satisfaisante et communiquer sur les dangers du Misti en est d’autant plus ardu.

3.1.3 Une communication rendue difficile faute de mémoire directe du risque

La période de l’événement sur lequel s’appuie l’affiche a-t-elle une réelle importance ? Les jugements de ces habitant·e·s sont clairs : « les images de catastrophes récentes devraient être affichées » (femme, 30 ans, cosmétrice, Sachaca).

Ces jugements sont concordants avec un constat déjà opéré par Sjöberg et al. (2004) suivant lequel les personnes octroient un intérêt plus limité aux risques qui leur semblent lointains qu’à ceux qui leur paraissent proches. L’imminence du risque en accroît l’importance. Pour des raisons similaires et de manière complémentaire, le caractère récent de l’aléa augmente aussi l’intérêt accordé à la question. Cela tient à l’heuristique de disponibilité selon laquelle plus nous avons d'images disponibles pour un événement, plus nous jugeons cet événement probable (Keller, Siegrist et Gutscher, 1991). « Dans la plupart des cas, [les gens] doivent s’appuyer sur des inférences fondées sur ce dont ils se souviennent, ce qu’ils ont entendu ou observé à propos du risque en question (Slovic et al., 1979, p. 15). Leur perception du risque est donc liée à leurs souvenirs des aléas passés et à l’anticipation des aléas futurs. Si « la disponibilité mémorielle d’une catastrophe peut (aussi) décroître assez vite » (Flanquart, 2016, p. 87), cette disponibilité peut être ravivée par une actualité culturelle (film), mémorielle (date anniversaire d’un événement), médiatique (couverture par la presse d’un aléa similaire se passant ailleurs) (Kermisch, 2010). « Ceci souligne l’influence exercée par les médias dans la perception du risque et du biais de disponibilité » (Verlynde, 2018, p. 133).

Ainsi, quand des habitant·e·s d’Arequipa regrettent que la campagne de communication qui leur est montrée ne s’appuie pas suffisamment sur des événements récents, ce regret peut s’expliquer par la plus grande attention habituellement apportée aux aléas récents. Or, même lors de l’éruption de 1985 « aucune explosion de grande ampleur n’avait été observée[8] ».

Comment résoudre cette autre équation communicationnelle ? Une piste consiste à valoriser l’expérience d’habitant·e·s qui ont connu cet aléa, notamment parce qu’ils viennent de zones dans lesquelles d’autres volcans ont récemment connu des éruptions explosives (notamment le volcan Ubinas, en 2019 ou le volcan Sabancaya). C’est ce que suggèrent ainsi ces deux répondants : « avez-vous des souvenirs de l'activité volcanique ? ». « Non, je n'ai pas vécu, juste vu le volcan Sabancaya, qui de temps en temps commence à jeter beaucoup de fumée » (homme, 57 ans, professeur, Sachaca) précise un répondant. Pour le dire autrement, en l’absence d’apprentissage expérientiel direct (Bradford et al., 2012, cités par Verlynde, 2018, p. 477), il est toujours imaginable de favoriser l’apprentissage indirect, par témoignage, notamment dans les médias. En effet, faute d’expérience directe, les habitant·e·s d’un territoire confronté à un risque naturel doivent s’ouvrir à d’autres sources. Pendant des périodes de haut risque, les médias deviennent les premières sources d’informations sur lesquelles les personnes concernées se fondent pour obtenir des informations pouvant être utilisées pour rétablir l'ordre (Lachlan, Spence et Seeger, 2009). Cet usage des médias augmente le sentiment de contrôle et réduit celui d’incertitude (Berger, 1987). Aussi, renforcer les conseils donnés de témoignages diffusés dans les médias – et dans les autres supports de communication – apporterait un élément de réponse à cette lacune.

3.1.4 Une méconnaissance des actions à entreprendre en cas d’aléa en raison d’explications jugées plus techniques que pratiques et concrètes

Sur quelle argumentation est-il préférable d’insister : la vigilance des organismes de surveillance et le nombre d’appareils de surveillance à leur disposition ? Le mécanisme de fonctionnement du Misti ? Les conséquences graduées d’une éruption ? Les actions concrètes à entreprendre en cas d’aléa ? Interroger de manière ouverte les habitant·e·s sur ce thème apporte de précieuses connaissances sur les informations qu’ils et elles souhaitent, celles qu’ils et elles attendent sur ce sujet, celles également qui leur manquent. Les avis recueillis sont d’autant plus intéressants qu’ils concordent sur un point, le manque de conseils concrets :

Q. : « Que faire en cas de risque volcanique ? ».

R. : « Je ne sais pas ce qu'il faut faire en cas d'éruption, car cela ne s'est jamais produit, puisqu'elle se produit dans l'air à cause des gaz » (homme, 53 ans, construction civile, Sachaca).

R. : « Cela dépend de l'endroit où je me trouve à ce moment-là, si je travaille près du volcan Misti, je ne sais pas si je vais être touché, mais si je suis à la maison, nous devons attendre les recommandations qu'ils nous donnent à ce moment-là, parce qu'à l'heure actuelle, il n'y a pas de propagande qui dit : "Vous, de la zone de la jeune ville Victor Maldonado dans le district de Sachaca, vous êtes à une distance de ... mètres, donc on va vous recommander d'être évacué à "tel endroit", donc je ne pourrais pas donner une explication sur ce que je pourrais faire à ce moment-là, parce que je n'ai pas cette information » (homme, 38 ans, professeur, Sachaca).

R. : « J’ai l’impression qu’il manque plus de choses comme d’informer où il va jouer, où nous devrions aller et comment nous devrions agir ».

R. : « Il serait bon qu'ils donnent des informations réelles pour que nous puissions assumer la réalité dans laquelle nous vivons et nous préparer à une éruption volcanique » (homme, 55 ans, commerçant, Sachaca).

R. : « Je pense qu'il manque un accent plus fort sur les évacuations » (homme, 32 ans, taxi, Alto Selva Alegre).

Ainsi, un nombre significatif d’habitant·e·s interrogé·e·s explique ne pas savoir quoi faire en cas d’aléa (cf. partie 2) alors que quelques gestes simples peuvent considérablement réduire la vulnérabilité. Cette méconnaissance rend de surcroît le risque moins concret et favorise l’inaction (Verlynde, 2019, p. 313). Dans des zones soumises à un risque d’inondation, il a par exemple été constaté que lorsque ce risque n’était pas perçu par les habitant·e·s, lorsqu’il engendre peu d’inquiétudes, ces derniers et dernières n’avaient pas tendance à se préparer (Verlynde, 2019, p. 213). C’est également ce qu’indiquent Grothmann et Reusswig (2002, cités par Wachinger et al. 2013, p. 1053) qui montrent que – faute de savoir quoi faire – les individus ne font rien. Prendre des mesures de précaution – telles que se renseigner sur les routes d’évacuation, préparer une mallette de secours, etc. – nécessite d’avoir les ressources adéquates pour agir que sont le temps, l’argent nécessaire, mais aussi les connaissances requises.

3.2 Les bénéfices complémentaires d’une stratégie de communication hiérarchisée

L’autre piste est stratégique. Une bonne stratégie de communication implique de savoir prioriser ses objectifs. Les habitant·e·s comprennent-ils bien l’information principale que les instituts de surveillance veulent qu’ils et elles retiennent prioritairement ? Pour une partie des répondant·e·s, la confusion prime :

Q. : « Les messages étaient-ils compréhensibles pour vous ? ».

R. : « Pas d'information, claire, juste la répétition des mêmes choses : utiliser des torches et se préparer au désastre » (homme, 23 ans, opérateur, Sachaca).

R. : « L'image ne me dit rien sur les tremblements de terre et les volcans, parce qu'en analysant l'image je peux voir que c'est une maison en adobe, qui est détruite, et la maison qui est après, qui a des matériaux nobles, je peux voir qu'elle est bien. Le message que je peux tirer de l'image est donc de ne pas construire avec des matériaux en adobe, en ce qui concerne le tremblement de terre. Dans la partie inférieure de l'image, vous pouvez voir un volcan qui pourrait être le volcan Sabancaya et vous pouvez voir une fumée qui pourrait être toxique en fonction des personnes qui l'entourent, comme les personnes, les animaux et les plantes » (homme, 38 ans, enseignant, Sachaca).

Q. : « Quelles améliorations apporteriez-vous à l'information et à la conception de cette affiche ? ».

R. : « Des informations plus claires, des caractères plus grands et plus de couleurs » (homme, 80 ans, construction civile, Alto Selva Alegre).

Ces réactions sont révélatrices de deux problématiques communicationnelles classiques.

La première touche au caractère intrinsèquement polysémique des images (ce répondant qui voit dans l’affiche l’illustration de l’idée qu’il ne faut pas construire des maisons en pisé). Hormis les images fonctionnelles (signalisation routière, pictogrammes visuels, etc.), les images – et en particulier les photographies offrent potentiellement des interprétations multiples (Bardin, 1975, p. 99), seulement réduites par une légende, un texte, une explication qui en canalisent le sens (Barthes, 1964). Car « le code iconique est surtout esthétique, séducteur, qu’il frappe l’imaginaire, l’affectif, l’irrationnel, et que ses fortes charges connotatives favorisent la multiplication des interprétations » (Bardin, 1975, p. 99). Cette polysémie entraîne une interrogation sur le sens à donner à l’image « dont le lecteur peut choisir certains et en ignorer d’autres » (Barthes, 1964, p. 44). Une dimension incertaine de l’interprétation de l’image contre lesquels les publicitaires ont l’habitude de lutter en choisissant des contenus visuels – personnages, expressions des visages, activités – les plus lisibles et aux significations les plus convergentes possibles.

La deuxième tient au difficile mais nécessaire travail de simplification. Là où la complexité augmente les risques de perdre les récepteurs et les réceptrices, la simplification du message permet d’en toucher un plus grand nombre. La compréhension d’un message passe toujours par l’adoption d’un vocabulaire adéquat, à la fois suffisamment précis pour informer sans déperdition mais également suffisamment connu pour être compris du grand public. Or, malgré des définitions intégrées aux plaquettes diffusées, le vocabulaire employé peut sembler complexe pour une partie des habitant·e·s visé·e·s. « Les messages étaient-ils compréhensibles pour vous ?». « Oui, je comprends les mots qui sont en grosses lettres, le reste je ne comprends pas trop parce que je ne sais pas ce que certains mots veulent dire » (femme, 57 ans, femme au foyer, Alto Selva Alegre). Le vocabulaire constitue donc un obstacle de communication supplémentaire à prendre en compte.

Bien entendu, il n’est pas simple de simplifier sans appauvrir le contenu du message, être précis dans les recommandations. Mais, l’accès simplifié au contenu est un gage de plus grande compréhension, en particulier dans le domaine de la communication scientifique auprès du grand public. Non seulement « la communication d'informations scientifiques à des publics non scientifiques était plus efficace si l'on s'efforçait d'adapter le langage » (Shulman et al., 2020, p. 590), ce qui est très bénéfique quand on cherche à engager le public visé à entreprendre des actions de prévention. Mais, plus important encore, employer des termes trop techniques peut créer une réaction de rejet de l’explication scientifique de la part de la partie du public qui ne comprend pas ces informations scientifiques (Shulman et al., 2020). Cette recherche montre de manière complémentaire que définir les concepts utilisés ne résout pas cette difficulté. Seule la rédaction de textes simples et compréhensibles a augmenté l’intérêt du public cible (ibid.).

Dès lors, la réaction de ces habitant·e·s pose la question de la simplification, au risque sinon non seulement d’une mauvaise compréhension mais, surtout, de réactions de refus des messages diffusés.

Comment faire ? Ces deux objectifs – lutter contre la polysémie des images et le manque de lisibilité du message – sont complémentaires. Ils sont atteignables par des inflexions sur la forme comme sur le fond des campagnes de communication volcaniques.

Que ce soit par le vocabulaire, les couleurs, la longueur des phrases, le choix des images, la réaction de ces habitant·e·s pose la question de la simplification de la forme. Les travaux portant sur la simplification visuelle des graphiques représentant des données sur le risque ont montré l’intérêt d’éviter les images parasites qui détournent l’attention de l’information principale, de supprimer les données redondantes, de mettre en avant les données les plus importantes (Lipkus et al., 1999, p. 159).

Faciliter la compréhension des messages diffusés est potentiellement plus efficace encore sur le fond. Dans le cas d’un nombre complexe d’informations, communiquer clairement implique de savoir prioriser ses messages : face au risque volcanique, quelles informations essentielles (Thompson et al., 2017) la population doit-elle voir, comprendre et retenir en priorité dans les messages diffusés ?

Or, il suffit de se concentrer sur l’affiche pour constater que deux messages différents sont présentés en une page. La partie haute traite du risque de séisme et la partie basse du risque volcanique. Institutionnellement, cette option d’une communication multi-aléa se comprend. L’organisme initiateur de cette campagne – l’OVS IGP – est chargé de la surveillance de plusieurs risques et notamment des activités sismiques, volcaniques et des phénomènes liés aux changements climatiques[9]. Il en est de même de l’INGEMMET.

En matière de gestion de risque, l’approche en termes de multi-aléas se justifie pleinement. Elle ne considère pas de manière indépendante chaque aléa. Elle cherche au contraire à disposer d'une vision globale des aléas, de leur association ou croisement, dans des municipalités partiellement et parfois entièrement confrontées à deux ou à trois phénomènes naturels menaçants. L'absence d'une vision multi-aléas satisfaisante peut avoir des conséquences négatives en termes de préparation et prévention » (Mosquera Machado, 2002, p. 93). D’ailleurs, « les travaux sur la résilience se veulent multi-aléas (terrorisme de masse, pandémies, séismes, inondations, etc.[10]) ».

Mais, ce qui est bénéfique sur un plan institutionnel ou scientifique ne l’est pas sur un plan communicationnel. En multipliant les messages de prévention, le risque – comme l’atteste cette recherche – est que la population mélange les recommandations qui relèvent de la prévention des volcans et des séismes et, finalement, n’en retient aucune.

Conclusions

Au terme de cette recherche, les campagnes de communication publiques sur les risques volcaniques parviennent-elles à sensibiliser les habitant·e·s concernés ? La réponse est largement négative et ce travail montre toutes les difficultés à sensibiliser une population locale au risque volcanique.

Malgré de nombreuses opérations de communication opérées depuis des années, ce travail montre en premier lieu que les risques volcaniques et les comportements de prévention à adopter sont très largement méconnus des habitant·e·s d’Arequipa. Interrogé·e·s sur les risques liés aux volcans, 21 répondant·e·s sur 76 s’attendent à de grandes coulées de lave plutôt qu’à de la cendre. Seuls 3 mentionnent les coulées de boue (lahars) dont les dangers ne sont pas connus. Seuls 24 répondant·e·s sur 76 s’attendent à des retombées de cendres. Résultats : peu savent quoi faire en cas d’éruption volcanique importante.

Cette étude montre en deuxième lieu que les causes de cette méconnaissance sont multiples. Un premier ensemble d’explications relève du vécu et de la situation sociale et urbaine des personnes : pas d’expérience directe préalable du risque volcanique, et des risques concurrents bien plus présents (inondations, glissements de terrain, gestion urbaine défaillante, insécurité). Cette méconnaissance est renforcée par l’ancienneté de la dernière grande éruption du volcan même si le Misti est toujours actif. L’adoption de comportements de prévention n’est alors pas facilitée par la mémoire d’un aléa transmis de génération en génération.

L’enquête révèle aussi des difficultés de lecture des campagnes de communication déjà diffusées. Pour améliorer cette compréhension, les problèmes communicationnels à résoudre sont nombreux.

Une partie de ces problèmes tient au choix des images. Faute de pouvoir s’appuyer sur une iconographie photographique catastrophique du risque volcanique local, les campagnes de communication s’appuient sur des images récentes de nuages de cendres et de fumées du volcan. Ces campagnes de communication ne peuvent donc pas s’appuyer sur un effet de mémoire visuelle du risque de catastrophe favorisé par l’utilisation de photographies traumatiques. Elles ne peuvent pas, par ce biais, bénéficier de l’heuristique de disponibilité selon laquelle plus nous avons d'images disponibles pour un événement, plus nous jugeons cet événement probable.

Une autre partie de ces difficultés communicationnelles tient aux couleurs et aux mots employés. Le rouge y est choisi pour illustrer le danger. Le public interrogé y voit, lui, la confirmation de sa crainte d’un risque – pourtant inexact – de coulée de lave. Quant à la couleur grise des nuages des cendres volcaniques, sa connotation symbolique est trop neutre pour évoquer aussi fortement qu’il le faudrait aux yeux des habitant·e·s interrogé·e·s la couleur du danger. Par ailleurs, le parti pris d’une communication technique et scientifique rend les explications – et le vocabulaire employé – trop complexes pour une partie significative des personnes interrogées. La place accordée à ces explications volcaniques diminue celle attribuée aux conseils concrets (que faire en cas d’éruption ?), conseils pourtant fondamentaux pour réduire le nombre de morts en cas d’aléa important.

Comment, alors, augmenter la bonne compréhension des campagnes de communication en tirant parti de la perception des risques des habitant·e·s, de la multiplicité de leurs préoccupations et en s’appuyant sur leurs attentes ?

Prenant en compte les données produites par les études sur la communication volcanique, cette recherche développe des premières pistes formelles. Certaines portent sur les images. Des photographies dévoilant des conséquences réalistes de l’éruption d’un volcan du type du Misti fourniraient à ces campagnes de communication des arguments visuels immédiatement compréhensibles. En ce qui concerne le vocabulaire, mettre des définitions ne suffit pas aux répondant·e·s. Ces résultats ont montré que la connaissance du vocabulaire choisi doit être préalablement testée auprès du public. Formellement, une autre voie se concentre sur la dimension temporelle. Plus les campagnes de communication s’appuient sur des événements récents, plus les publics indiquent être intéressés par les messages diffusés. Une quatrième solution consiste à valoriser l’expérience de Péruvien·ne·s qui ont connu cet aléa, notamment parce qu’ils et elles viennent de zones dans lesquelles d’autres volcans ont récemment connu des éruptions explosives. Car, en l’absence de connaissance directe de l’aléa, il est toujours imaginable de favoriser l’apprentissage indirect par témoignage. Enfin, les habitant·e·s interrogé·e·s insistent sur le besoin de conseils concrets.

Hiérarchiser plus fortement les informations portant sur le « comment faire en cas d’aléa » permettrait d’augmenter la lisibilité de ces campagnes de prévention. Il faut en effet prendre acte des limites communicationnelles d’une communication multi-aléas. Légitime scientifiquement et institutionnellement, la communication multi-aléas constitue cependant un frein en matière de compréhension des risques volcaniques dans la mesure où l’enquête montre la nécessité de lutter contre des messages interprétés de manière polysémique.

Voici sous forme de tableau-synthèse (tableau 3), ces principaux résultats.

Tableau 3

Tableau-synthèse des résultats

Tableau-synthèse des résultats

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Ainsi, cette recherche menée sur le terrain d’Arequipa contribue à l’avancement des connaissances sur la réception des campagnes de communication publiques sur le risque volcanique.

Enfin, comme l’indiquent les premiers retours des communicant·e·s péruvien·ne·s des instituts de surveillance des volcans informés des résultats de cette recherche, ce travail contribue au renouvellement des réflexions des professionnel·le·s sur leurs pratiques, que ce soit sur les messages à développer ou les stratégies à mettre en œuvre.