Abstracts
Résumé
S’inscrivant dans le champ des crisis informatics, cet article met en avant de quelles manières les citoyens élaborent collectivement du sens au moyen des médias sociaux lors d’un phénomène particulièrement incertain, la pandémie de COVID-19. Nous avons conduit une analyse qualitative mobilisant un travail ethnographique mené sur les pages de l’encyclopédie en lien avec la pandémie et des entretiens avec des contributeurs wikipédiens et un membre de la Fondation Wikimédia-France. Nous montrons ainsi comment les savoir-faire des contributeurs du site permettent de proposer aux lecteurs une lecture sur l'évènement dramatique en cours, vecteur d'incertitude, et nous soulignons les spécificités relatives à la crise sanitaire au regard d’autres crises dites de sécurité civile. Spécifiquement, la construction de sens relative à la pandémie requiert une réorganisation inédite des manières de faire, notamment en fonction des stades successifs de la pandémie et face au phénomène de désinformation associé à la crise.
Abstract
Framed in the field of crisis informatics, this article focuses on the ways citizens have been collectively making sense through social media to the COVID-19 pandemic. We conducted a qualitative investigation mobilizing an ethnographic analysis of the Wikipedia's pages related to the pandemic as well as interviews with its contributors and a member of the Wikimedia Foundation-France. We show how the Wikipedians' know-how allows to offer a reading of the current dramatic event, vector of uncertainty. We also shed light on the specificities of the health crisis compared to others so-called civil security crises. Specifically, the construction of meaning related to the pandemic has been requiring an unprecedented reorganisation of their ways of editing and publishing these pages. Particularly, they took into account the successive stages of the pandemic and the related disinformation phenomenon.
Keywords:
- social media,
- COVID-19,
- sense-making,
- citizens,
- Wikipedia
Article body
Introduction
La pandémie de COVID-19 que nous traversons aujourd’hui constitue une crise sanitaire majeure en ce sens qu’elle engendre une « grave perturbation du fonctionnement [de la] société, provoquant de très nombreuses pertes humaines, matérielles ou environnementales qui dépassent la capacité de la société touchée à y faire face au moyen de ses propres ressources » (DHA, 1992). En d’autres termes, il s’agit d’une situation d’exception qui, au-delà des aspects sanitaires, mérite d’être étudiée et interrogée par des experts et chercheurs des sciences humaines et sociales, notamment en communication ou en gestion de crise. Dans cet article, nous nous proposons d’étudier les médias sociaux, et plus précisément Wikipédia, comme des lieux de socialisation où les citoyens cherchent à donner du sens à un événement inédit et incertain en cours. Paquienséguy (à paraître) fait en effet le constat d’un nouveau paradigme en sciences de l’information et de la communication qu’elle qualifie de « digital ». Ce nouveau paradigme se caractérise par la démultiplication des techniques pour une action donnée qui engendre une confusion de ces techniques et une profusion des modalités d’interaction positionnant par là-même la fonction de communication/connexion au centre des pratiques. Nous empruntons ainsi à l’autrice ce cadre conceptuel afin d’étudier les médias sociaux comme un
lieu de socialisation de l’Homme par la technique, à partir de laquelle le groupe social transforme progressivement ses pratiques et ses règles, jusqu’à ce qu’elle en soit le liant et le dispositif constitutif ouvrant sur les différentes actions sociales fondamentales : communiquer, partager, apprendre, voir, écouter, archiver, etc. (s.p)
Ce faisant, notre démarche s’inscrit également dans le champ pluridisciplinaire des crisis informatics qui est apparu et s’est progressivement construit de manière simultanée à la mobilisation des technologies de l’information et de la communication en gestion de crise par les acteurs des sphères publique (par exemple, États et citoyens) et privée. Les crisis informatics étudient comment les technologies numériques en réseau, en particulier les médias sociaux à partir des années 2000, interagissent avec la gestion de crise, à partir d’une sensibilité relevant à la fois des sciences sociales et des sciences informatiques, notamment par les sciences de la donnée (Palen et al., 2007, 2016, 2020). La littérature dans ce domaine met en évidence les modes de faire par lesquels les médias sociaux deviennent, pour et par les citoyens, le moyen et le lieu où prendre des nouvelles de ses proches, trouver ou échanger des informations, des recommandations, des opinions, organiser une réponse à un ou plusieurs des aspects de la crise sur le court, moyen et long terme.
La pandémie de COVID-19 présente des spécificités, en comparaison avec d’autres crises (catastrophes naturelles, crises urbaines ou technologiques), dont la plus significative pourrait être sa cinétique lente qui l’inscrit dans le moyen-long terme. Néanmoins, depuis qu’elle a débuté, elle suscite une mobilisation forte des médias sociaux. Ainsi, dans cet article, nous appréhendons les médias sociaux comme des plateformes où du sens est collectivement créé en réponse à la pandémie (Starbird, 2020). En effet, les médias sociaux recoupent différents outils aux fonctionnalités spécifiques tels que les micro-blogs pour diffuser de l’information, les réseaux sociaux pour gérer et interagir avec ses relations, les wikis pour collecter de l’information et créer de la connaissance suivant une logique collaborative, etc. (Reuter et al., 2012). Plus précisément, nous nous intéressons à la plateforme Wikipédia et aux mécanismes spécifiques qui y sont mis en place lorsqu’un événement majeur traverse l’actualité. Il a été mis en évidence que dans ce contexte, sa fonction principale de création de connaissance collaborative se combine à la fonction secondaire de réseau social, à travers les pages de discussion relatives à l’événement (Hocquet, 2015 ; Bubendorff et Rizza, 2020). Rappelons avant tout que Wikipédia est une encyclopédie collective élaborée bénévolement par des volontaires. Disponible en plusieurs langues, elle constitue un exemple unique d’élaboration collaborative de savoir. À ce titre, de nombreuses recherches en sciences humaines et sociales se sont intéressées à ce fonctionnement collaboratif (par exemple Cardon et Levrel, 2009 ; Jullien, 2012; Barbe et al., 2015 ; B. C. Keegan, 2015 ; Joubert, 2021), mais l’encyclopédie a plus rarement été appréhendée comme un outil mobilisable par les citoyens en temps de crise.
Les analyses proposées s’inscrivent dans le projet de recherche MACIV « La gestion des citoyens et des volontaires: l’apport des media sociaux en situation de crise » Projet financé par l’Agence Nationale de la Recherche Française (n°ANR-17-CE39-0015) et par le Comité analyse, recherche et expertise (CARE) du ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation) pour son volet « Médias sociaux lors de la crise de Covid-19 » qui s’intéresse spécifiquement à la manière dont l’information est créée et circule sur ces médias lors de la pandémie en se focalisant, entre autres, sur l’usage de Wikipédia. En nous appuyant sur une méthodologie mixte d’entretiens semi-directifs et d’analyse ethnographique des pages de l’encyclopédie en lien avec la pandémie de COVID-19, nous montrons de quelles manières les savoir-faire en matière de recherche et de vérification de l’information des contributeurs à l’encyclopédie sont mobilisés en temps de crise pour proposer un sens à l’événement en train de se dérouler.
Le cas du traitement de l’information pendant la pandémie permet de mettre en avant les manières dont les initiatives citoyennes sont vectrices de sens lors des crises et peuvent s’organiser de manière délibérative, sans intervention des organisations traditionnelles ou historiques. L’analyse de ce matériel permet non seulement de mettre en lumière la manière dont l’information émerge et circule sur les médias sociaux, mais surtout d’observer comment ces informations sont débattues, sélectionnées, structurées, mises en forme (Keegan et al., 2013). Observer ce processus de légitimation de l’information révèle celui sous-jacent de « produite du sens » (sensemaking) lors d’une crise. D'ailleurs, il a été démontré que, malgré leur fonctionnalité spécifique et leur rythme de diffusion de l’information différents, lors d’événements majeurs, certains médias sociaux comme Twitter et Wikipédia sont utilisés avec le même sérieux et la même attention (Bubendorff, Rizza et Prieur, 2021). Cependant, la spécificité de Wikipédia par rapport aux autres médias sociaux réside dans la recherche d’un consensus entre ses différents membres. Il s’agit de proposer un état des savoirs à un instant donné -t, même si cela suppose de faire coexister différentes « narrations » (Starbird et al., 2019) autour d’un même événement. Dans le cas de la pandémie de COVID-19, cette manière de faire est particulièrement intéressante à prendre en compte dans le cas d’une crise émaillée de controverses et de débats auxquels n’échappent pas les échanges sur l’encyclopédie. Elle permet de montrer comment les délibérations, les échanges entre auteurs sont autant de mécanismes mis à l’œuvre entre citoyens profanes lorsqu’il s’agit de traiter les informations en lien avec une crise.
1. Cadre théorique
1.1 Donner un sens à la crise au moyen des médias sociaux
Les médias sociaux sont des plateformes ou applications Web 2.0 qui permettent à leurs utilisateurs de créer du contenu en ligne, de l’échanger, de le consommer et d’interagir avec d’autres utilisateurs ou leur environnement en temps réel (Kaplan et Haenlein, 2010 ; Luna et Pennock, 2018 ; Reuter et al., 2020).
D’une manière générale, les médias sociaux permettent à leurs utilisateurs de communiquer et d’interagir de selon les manières différentes et souvent combinées suivantes : la création et diffusion d’informations, la gestion des relations, la communication et l’expression de soi. Sur la base de ces activités, on peut ainsi distinguer (Reuter et al., 2012) :
-
les wikis : pour la collecte d’informations et la création de connaissances selon une logique collaborative ;
-
les blogs et micro-blogs : pour la publication d’information ou l’expression de soi ;
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les réseaux sociaux : pour la gestion des relations, l’expression de soi et la communication, ainsi que la collecte d’information ; et
-
les systèmes de partage et d’indexation de contenu : pour la création et l’échange d’informations multimédia (photos, vidéos).
Cette catégorisation permet ainsi de différencier les médias sociaux selon leurs fonctions principales : Twitter en tant que micro-blog permet de diffuser ou de collecter de l’information ; Facebook est un réseau social qui permet l’interaction entre « amis » ou au sein d’une communauté « groupe » ; Wikipédia est une plateforme de création collaborative de connaissance (Kaplan et Haenlein, 2010). Cependant, un contexte de crise, d’urgence ou de controverse donne lieu à des utilisations spécifiques des médias sociaux où souvent on observe une combinaison des fonctions principales d’une plateforme avec d’autres fonctions nécessaires dans ce contexte : ainsi les pages de discussion de Wikipédia sont le lieu d’échanges au sein de la communauté des contributeurs au même titre qu’un réseau social (Bubendorff et Rizza, 2020). Par ailleurs, il existe des plateformes spécialisées en gestion de crise : on pense par exemple à Crisis Mapper (déclinaison d’Open Street Map) permettant de cartographier des zones touchées par un événement majeur.
Le champ des crisis informatics (Palen et al., 2007 ; 2016 ; 2020) s'est largement penché sur l’utilisation des médias sociaux dans leurs fonctions de « partage d’information » (ex. Twitter) ou de réseau social (ex. Facebook) en temps de crise (voir Reuter et Kaufhold, 2018). Ces études démontrent le rôle de ces outils dans les processus de résilience collective ou individuelle qui permettent à la fois de répondre à l’événement, et notamment dans l’élaboration de sens autour d’événements majeurs (Starbird, 2020), mais également de le dépasser lorsqu’il est terminé (Dufty, 2012). La notion de « sense making » ou « produire du sens » collectivement a beaucoup été mobilisée par les sciences de la gestion (Maurel, 2010 ; Weick et al., 2005) à partir d'une perspective organisationnelle. Pour Boersma et al. (2020), cette notion désigne un processus de construction sociale qui vise rétrospectivement à rationaliser l’action des individus en période de grande incertitude — c’est-à-dire marquée par de l’information, des compétences et des ressources incomplètes, ainsi que des mesures publiques dont on ne connaît pas les effets. Les crisis informatics s'emparent également du concept de sensemaking et étudient les processus en ligne par lesquels les individus s’organisent lors d’une crise pour répondre aux incertitudes qu’elle génère. Pour les citoyens, l’une des manières de répondre à ces incertitudes consiste à agréger des informations (Heverin et Zach, 2012 ; Jurgens et Helsloot, 2018). Les médias sociaux jouent un rôle central dans cette démarche, aussi bien pour les personnes directement touchées par les événements que par une plus large communauté se sentant concernée. Eismann, Passega et Fischbach montrent que « partager et obtenir des informations factuelles sont les principales fonctions des médias sociaux et ce quel que soit le type de crise » (Eismann, Possega et Fischbach, 2016, p. 7). Ce faisant, chercher et partager de l’information sur les médias sociaux lors d’une crise « permet de construire une image globale de ce qui est en train de se passer » (Heverin et Zach, 2012, p. 44). Cette utilisation des médias sociaux permet de « faire face » aux événements (Yates et Partridge, 2015) notamment en améliorant la « connaissance de la situation » comprise comme le processus qui consiste idéalement à collecter l’ensemble des connaissances accessibles sur une situation incertaine pour en tirer une image cohérente et l’évaluer (Vieweg et al., 2010).
Paradoxalement, l’incertitude liée à la pandémie s’accompagne d’un phénomène « d’infodémie », telle que décrite par l’OMS, lors de laquelle les médias sociaux sont le support de débats, d’échanges et de diffusion d’informations, mais également de rumeurs ou de fausses informations. Ce phénomène de désinformation se combine au caractère anxiogène de la pandémie et l’accentue (Starbird, 2020). Les rumeurs doivent être comprises différemment de la désinformation : si les premières sont le plus souvent inhérentes à la crise et résultent d’une absence d’informations fiables ou de communication institutionnelle sur l’événement en cours (Bubendorff, Rizza et Prieur, 2019), les campagnes de désinformations témoignent d’une volonté de déstabilisation politique en répandant un type de narration s’élevant contre le discours majoritairement relayé (voir par exemple Starbird et al., 2019). Les auteurs mettent le plus souvent ce type de contenu en lien avec les théories conspirationnistes (par exemple Tandoc, Lim et Ling, 2018), les controverses devenant structurantes dans une période d’incertitude exacerbée.
Dans ce contexte, l’observation et l’analyse du traitement de la pandémie de COVID-19 sur Wikipédia, média où les controverses sont fréquentes (voir par exemple Détienne et Becker, 2018), éclairent la manière dont ce dispositif numérique est mobilisé pour réduire l’incertitude inhérente à la crise.
1.2 Les propriétés des espaces discursifs de Wikipédia en temps de crise
À de nombreuses reprises, les études au sujet de Wikipédia ont montré à de nombreuses reprises son rôle significatif dans l’accès à l’information et à la connaissance sur Internet notamment lors de phénomènes d’actualité, dont les crises (Singer et al., 2017). Comme le souligne Waller (2011), le bon référencement de l’encyclopédie sur les moteurs de recherche contribue à sa popularité par un double mouvement. D’une part, ce référencement rend Wikipédia très accessible aux internautes ; d’autre part, il témoigne de la confiance et de la fiabilité conférées par les internautes à Wikipédia. Certaines études montrent une extrême réactivité du média social à l’actualité : en témoigne la rapidité de la création d’une page liée à l’événement (Keegan et al., 2013) et le nombre plus important de modifications très rapidement après la création de la page, en comparaison aux articles traditionnels mettant une année à atteindre ce niveau de participation (Bubendorff et Rizza, 2020). De même, les articles les plus consultés sur Wikipédia sont ceux en lien avec l’actualité (Keegan et al., 2013). Ces pics de consultations et de collaborations en lien avec l’actualité se traduisent par l’intensification des échanges, des interactions, des débats et des controverses au sein des différentes pages de discussions de l’encyclopédie (Keegan, 2015).
Les études sur l’utilisation de Wikipédia lors de crises se sont longtemps limitées à sa dimension collaborative d’élaboration de la connaissance. Certaines enquêtes se sont spécifiquement centrées sur l’utilisation d’autres applications basées sur la même technologie : le wiki (Palen et Liu, 2007). Cependant, en s’attachant à l’analyse de ses espaces discursifs, l’encyclopédie peut être comprise comme un réseau social numérique (Bubendorff et Rizza, 2020), c’est-à-dire une plateforme qui permet la collecte d’informations, la communication entre wikipédiens et la gestion de leurs interactions. L’encyclopédie présente ainsi les mêmes propriétés que les dispositifs numériques habituellement analysés pour leur contribution à la résilience des populations, en favorisant « la diffusion et l’accès rapide » aux informations (Chan, 2014) et la sélection des informations dans un contexte de profusion d’informations contradictoires et de rumeurs (Starbird et al., 2020). L'observation des espaces de débats et d’échanges que proposent l’encyclopédie en ligne permet d’accéder à la manière dont un sens est construit ou donné à un événement. Ces pages sont associées à des articles ou à des profils de contributeurs et hébergent les interactions autour de l’actualité relatée. Elles donnent la possibilité aux chercheurs d’accéder aux processus de discussions délibératives au sens d’Habermas (Habermas, 1981/1987, 1985/2013).
1.3 La question de l’autorité et de la légitimité autour de l’événement
Lors de crises, les manières de faire sur Wikipédia sont réorganisées (Keegan, 2015 ; Bubendorff, Rizza et Prieur, 2019). Les contributions augmentent : de nombreuses créations d’articles se combinent à une participation exponentielle d’auteurs plus ou moins familiers aux règles d’écriture de l’encyclopédie.
Pour les contributeurs, l’objet même de Wikipédia est de fournir aux lecteurs une synthèse des informations et de la connaissance traitant d’un sujet, en relation ou non avec un événement d’actualité ou une crise (Bubendorff, Rizza et Prieur, 2019). Il s’agit pour eux de résumer et d’agréger les savoirs afin de les mettre à disposition du plus grand nombre. Pour garantir la fiabilité de la synthèse proposée, ils sont appelés à référencer les informations qu’ils ajoutent sur les articles. Ce travail de référencement est essentiel sur Wikipédia et constitue « l’une des clés de voûte du modèle éditorial wikipédien » (Sahut, 2014, p. 109). Il assure le sérieux et la fiabilité du modèle collaboratif de l’encyclopédie en ligne et est l’objet de multiples recommandations sur les pages d’aides à la contribution. Des règles simples de référencement leur sont proposées et les usages sur Wikipédia tendent à importer des critères d’autorité établis en dehors de l’encyclopédie (publications académiques, presse, etc., voir notamment Ford et al., 2013; Sahut, 2016). Ce mécanisme de recours à des sources traditionnelles sur Internet est déjà identifié en dehors des périodes de crise (Rebillard, 2006), mais la prédominance de citations renvoyant à des articles de presse sur Wikipédia a été mise en avant dans le cadre spécifique d’études relatives aux crises urbaines d’origines naturelles ou technologiques (Bubendorff, Rizza et Prieur, 2019). Le rythme avec lequel la presse traite et analyse l’événement correspond alors à celui engagé par les contributeurs.
Cependant, malgré les efforts consentis par la communauté de Wikipédia pour établir un consensus autour des règles simples de référencement (Sahut, 2016), l’autorité et la légitimité des sources citées restent encore l’un des sujets les plus débattus entre eux. Comme le rappelle Doutreix (2018), la difficulté de statuer sur cette légitimité doit être en partie imputée à l’un des principes fondateurs de Wikipédia. Rapidement après sa création, Wikipédia a en effet mis de l’avant la nécessité de recenser non pas l’information vraie, mais vérifiable : dès lors qu’une information est citée par une source extérieure, elle peut figurer dans Wikipédia ; dans l’idéal wikipédien, les articles devraient de ce fait couvrir l’ensemble du champ de la connaissance à propos d’un sujet. Ainsi, la perception de la connaissance est tout à fait particulière sur Wikipédia, puisque le problème de l’impartialité de l’information est résolu en préconisant la présentation de l’ensemble des points de vue exprimés sur un sujet. De même, pour l’autrice, cette perspective évite de se prononcer définitivement sur la qualité des sources, leur vérifiabilité tenant lieu de principe régulateur (Doutreix, 2018, p. 99).
Lors de crises ou plus largement de controverses, ces principes à la base du fonctionnement de l’encyclopédie sont mis en tension. Des outils de régulation (Cardon et Levrel, 2009) permettent aux wikipédiens de garantir les processus de synthèse des informations. Ils sont particulièrement mobilisés lors d’une crise : des avertissements sous forme de bandeaux apposés en en-tête de la page permettent de prévenir le lecteur des limites de l’article (instabilité due à un événement en cours ou à une controverse, manque de sources, etc.) ; les contributions des articles peuvent être temporairement limitées à certains utilisateurs ; des rappels à l’ordre et des menaces de sanction sont utilisés à l’égard de ceux ne respectant pas les règles éditoriales (vandalisme, Cardon et Levrel 2009). Ces outils habituellement usités lors de débats particulièrement vifs sur des articles propices aux controverses sont systématiquement présents sur les articles traitant d’une crise en cours (Bubendorff, Rizza et Prieur, 2019).
Ces garde-fous proposés par la plateforme sont complétés par la spécialisation de certains contributeurs à la rédaction d’articles de crise : ils sont nombreux à intervenir dans plusieurs articles concernant la même thématique de crise (attentats, sanitaire, météorologique, voir Bubendorff, Rizza et Prieur 2019). Leur présence amène à une correction plus rapide des erreurs (volontaires ou non) que lors de la création d’articles ordinaires (Keegan, 2015) ainsi qu’à un effort de retenue dans le rythme des publications (Bubendorff et Rizza, 2020). Cette gestion du rythme de contributions est couramment évoquée par les wikipédiens les plus chevronnés, habitués aux débats et aux événements exceptionnels venant perturber la routine wikipédienne. Dans les pages de discussions, ils rappellent les règles éditoriales de l’encyclopédie, suppriment les informations non référencées et initient des discussions sur des caractéristiques propres aux articles de Wikipédia (respect de l’orthographe, longueur et découpage de l’article, caractère encyclopédique des informations présentes).
Ainsi, les espaces discursifs de l’encyclopédie sont d’autant plus intéressants à prendre en compte qu’ils regroupent les négociations à propos de l’utilisation de sources. Ils hébergent également les réflexions menées par les contributeurs en période de crise et permettent d’accéder à la manière dont les éléments qui se déroulent sont appréhendés à l’aune des règles collaboratives mises en œuvre sur l’encyclopédie.
2. Méthodologie
Afin de comprendre de quelle(s) manière(s) les contributeurs de Wikipédia participent à conférer du sens à la pandémie de COVID-19, nous avons procédé à un travail d’ethnographie en ligne sur une sélection d’articles en lien avec la pandémie (voir Tableau 1).
Deux critères de sélections ont motivé la sélection de ces articles : d’une part, la chronologie — ces pages sont les premières à être publiées et captent de ce fait les contributions dès le début de la pandémie ; d’autre part les controverses dont elles traitent — nous avons retenu arbitrairement au moment du travail de terrain la page de Didier Raoult et celle relative au test diagnostique. Afin d’observer et de collecter le contenu publié sur Wikipédia au moment de la pandémie, nous avons pour chacun de ces articles analysé et comparé les historiques des articles (leur date de création, les principales périodes et types de contribution) ainsi que la liste de leurs auteurs. Dans ce dernier cas, nous avons extrait les listes complètes des contributeurs afin de comparer différents types d’articles (sanitaires, actualité) et de repérer des « catégories » de contributions sur l’encyclopédie. Nous avons également analysé leurs autres contributions afin d’affiner leur typologie.
Pour ce faire, nous avons utilisé les outils collaboratifs proposés par Wikipédia (archivage exhaustif de l’historique des pages) et par la Fondation Wikimedia (notamment Xtools donnant accès à des données statistiques sur les articles).
Nous avons par ailleurs réalisé des observations directement sur ces articles. Elles permettent en effet de comprendre spécifiquement comment les sources validant les informations sont commentées et débattues entre contributeurs et de prendre en compte Wikipédia comme « dispositif socio-technique encadrant les interactions » (Jouët et Le Caroff, 2013). Le caractère délibératif de Wikipédia s’incarne davantage dans les pages « annexes » aux articles : les pages de discussions et le « bistrot ». Les pages de discussions sont attachées à l’article principal (sous la forme d’un onglet) et rassemblent les discussions entre contributeurs. Ce forum est principalement utilisé pour résoudre différents conflits d’édition (allant de la syntaxe de l’article aux types d’informations devant figurer dans l’article). Les pages « bistrot » rassemblent quotidiennement des discussions sur les actualités du monde et du site. Lorsque les événements en cours sont particulièrement importants, comme c’est le cas pour la pandémie, des discussions à propos de leurs traitements sur le site se retrouvent également dans cette section du site. Ces échanges se poursuivant parfois directement sur les pages de discussions des utilisateurs, nous avons également prêté attention aux discussions ayant lieu sur les pages personnelles de certains des auteurs les plus actifs.
Enfin, nous avons également analysé les pages de discussions relatives à certaines des pages d’aides aux utilisateurs de Wikipédia et contenant des interactions entre contributeurs en lien avec notre problématique : l’Observatoire des sources ; Citez vos sources ! ; Sources fiables.
Pour l’ensemble de ces pages, nous avons réalisé des captures d’écrans afin de procéder à des analyses au moyen du logiciel Atlas.ti. Nous avons codé certaines parties des discussions menées afin de mettre en avant les processus de délibération à l’œuvre sur ces pages.
Ce corpus est enrichi d’un entretien avec un membre de la Fondation Wikimédia, de la consultation et de l’analyse de documents de travaux élaborés par la fondation dans le cadre de la pandémie (Wikimedia Fondation, 2020) et d’entretiens avec certains des auteurs d’articles relatifs à des crises urbaines (attentat de Charlie Hebdo et du 13 novembre 2015 en France) ou à la pandémie de COVID-19 (Tableau 2). Les répondants ont été contactés de deux manières, directement via le service de messagerie offert par Wikipédia ou par l’intermédiaire du membre de la Fondation Wikimédia. Nous devons souligner que ces entretiens ont été menés en deux temps, une première phase relative aux crises urbaines, puis une deuxième phase focalisée sur la pandémie. Ces entretiens permettent d’ancrer les observations ethnographiques dans les réalités socio-démographiques des contributeurs de Wikipédia particulièrement actifs sur des sujets relatifs aux crises ou événements majeurs. Ils ont été codés et analysés à l’aide des mêmes grilles d’analyse et logiciel que les ethnographies menées en ligne.
3. Résultats : la construction de sens lors de la pandémie de COVID-19
Une première observation du traitement de la pandémie révèle qu’il présente les mêmes caractéristiques immédiates que le traitement d’une crise : les auteurs de l’encyclopédie sont très nombreux et ils s’emparent très rapidement de cette thématique. Ainsi, le premier article sous le titre « L'épidémie de pneumonie en Chine 2019-2020, également connue sous le nom de pneumonie de Wuhan » est créé dès le 19 janvier 2020. Aujourd’hui appelé « Pandémie de COVID-19 », il compte plus d’un millier de personnes — quand le nombre moyen de contributeurs se situe habituellement autour de 7 pour l’ensemble des articles de l’encyclopédie (Auray et al., 2009) (Voir Tableau 1). Cependant, la pandémie de COVID-19 se caractérise par une cinétique lente qui conditionne fortement la manière dont elle est traitée par les wikipédiens. Ainsi, l’installation progressive de la crise sanitaire dans la durée et la multiplication de ses conséquences sur la quotidienneté des citoyens permettent, sur Wikipédia, une observation particulièrement détaillée de la construction du sens autour de cet événement incertain par la réorganisation des manières de faire des contributeurs.
Les résultats de la première section mettent en évidence la dynamique en deux temps du traitement de la pandémie sur Wikipédia : 1) un travail d’archivage des événements afin de suivre leur chronologie dans le temps et l’espace 2) un travail de documentation des analyses relatives à la pandémie face à sa complexification. La section 2 met en évidence l’adaptation des mécanismes habituels à l’œuvre dans Wikipédia, une mobilisation accrue des outils de vigilance fournis par la plateforme ainsi qu’une prise en charge inédite de la désinformation relative à la pandémie.
3.1 Produire du sens en deux temps
3.1.1 Archiver les événements
Dès l’apparition des premiers cas en Chine, le sujet est pris en charge par les contributeurs francophones avant même que l’État ne considère publiquement les faits comme préoccupants (cf. Tableau 1). L’ampleur à venir de la crise est en quelque sorte anticipée par les internautes et son archivage au niveau local est lancé dès la fin du mois de février 2020 dans un article dédié aux événements en France. L’existence de cet article n’est pas discutée ou remise en question alors qu’habituellement, pour respecter la finalité encyclopédique de Wikipédia, la création d’articles en lien avec l’actualité occasionne des débats durant lesquels est discuté le caractère historique de l’événement. À titre de comparaison, l’article concernant les attaques terroristes en Île-de-France en novembre 2015, créé le soir même des fusillades, avait été supprimé à plusieurs reprises avant d’être stabilisé. Dans le cas de la pandémie, dès le début de l’année 2020 et alors qu’elle n’est encore qualifiée comme telle par aucune instance officielle, l’article qui lui est consacré en France propose aux lecteurs un recensement des faits se déroulant sur le territoire national quotidiennement mis à jour (répertoire des cas importés, des hospitalisations, des prises de paroles des membres du gouvernement). L’article se résume à un historique organisé autour du rapatriement des Français, de la propagation du virus, et des mesures sanitaires prises à l’égard de certains ressortissants rapatriés sur le territoire national. Dès sa création, l’article est accompagné d’une carte nationale monitorant la présence du virus sur le territoire (voir figure 1).
Première étape d'un processus de création de sens, cet article constitue pour les contributeurs à ce moment de la crise un repère se voulant exhaustif et permettant à tous les lecteurs d’accéder à l’évolution de la pandémie et des connaissances à son sujet dans une période où les chiffres quotidiens et les indicateurs épidémiques n’étaient pas publiés par les autorités de santé.
3.1.2 Documenter la complexification de la pandémie
Au fur et à mesure de l’aggravation de la situation sanitaire au niveau mondial, l’article se complexifie. Le choix du titre de l’article en est le premier exemple marquant. La page d’origine « L'épidémie de pneumonie en Chine 2019-2020, également connue sous le nom de pneumonie de Wuhan » est ainsi renommée successivement en « Épidémie de Covid-19 » puis en « Pandémie de Covid-19 » dès début mars. Loin d’être anecdotiques, ces changements témoignent d’une réflexion sur les contours de la crise entreprise par les contributeurs de cette page peu après sa création. Ainsi, la première mention en faveur d’un changement a lieu dès le 26 janvier 2020. Un consensus est trouvé et aboutit au nom définitif de l’article le 2 mars 2020. Au fur et à mesure de la crise, ce type d’exemples se multiplie. Plusieurs points de l’actualité donnent lieu à des controverses et à des échanges fouillés. Dans certains cas, les sujets de discussion suivent de près ceux fortement présents dans les médias : la personnalité publique de Didier Raoult et la place dont il doit bénéficier dans le traitement de l’information, l’hydroxychloroquine et la manière dont cette molécule doit être décrite, ou non, comme un traitement au virus dans Wikipédia. En cela, l’encyclopédie n’échappe pas aux débats qui prennent place dans l’espace public et médiatique.
Ces éléments illustrent la manière dont la synthèse proposée sur les pages relatives à la pandémie crée ou y donne un sens. Au-delà des controverses auxquelles les auteurs de Wikipédia sont familiers, d’autres discussions sont encore plus révélatrices de leur volonté de réduire l’incertitude autour de la pandémie. Il s’agit notamment du choix de la présentation des données chiffrées liées à la pandémie et à sa progression. Une vaste discussion intitulée « le principal critère à considérer toujours absent… » est par exemple engagée à propos de l’article « Pandémie de COVID-19 » sur la nécessité de fournir uniquement des chiffres décrits comme « parlants ». Cette discussion se focalise sur l’absence du taux d’incidence des différents pays parmi les chiffres proposés dans l’article alors que les seules données quotidiennement mises à jour par les rédacteurs sont celles des cas diagnostiqués et des décès. Le taux d’incidence est décrit par les contributeurs à cette discussion comme ayant un « critère primordial » ou « bien plus pertinent » pour la compréhension de l’épidémie et de sa propagation. Les six contributeurs engagés activement dans l’échange partagent tous ce point de vue, leurs discussions portent plutôt sur la définition de ce taux et notamment sur le fait qu’il puisse être ou non présenté dans l’article comme un bon indicateur de la propagation de la maladie dans les différents pays alors touchés. Malgré le consensus de départ, la conversation s’interrompt lorsque deux d’entre eux débattent de la possibilité de corréler taux d’incidence et dangerosité de vivre dans un pays donné. Le taux d’incidence est cependant ajouté à la liste des données régulièrement mises à jour à la suite de cette discussion.
Ces exemples mettent en évidence les processus discursifs qui étayent la construction de l’information sur les articles de Wikipédia. Ainsi, la dénomination même de l’article ou le choix des indicateurs dépend de la signification accordée par les contributeurs aux termes et aux chiffres. Ils témoignent de la compréhension de l’événement : a-t-il des frontières nationales ? Implique-t-il l’ensemble de l’humanité ? Comment est-il possible de comparer la situation des différents pays ? En échangeant leurs points de vue, en comparant des sources, les contributeurs aux articles de crises de l’encyclopédie ne se contentent pas d’agréger des informations, mais entament ainsi le processus d’élaboration de la connaissance sur les événements. Ces échanges contribuent à réduire l’incertitude, non seulement pour ceux qui y prennent part, mais également pour les lecteurs de l’article. La Figure 2 permet de voir que c’est précisément ce processus qui est salué.
Dans l’exemple ci-dessus, un contributeur habitué des articles de crise prend la parole afin de remercier les rédacteurs (soulignement bleu) de l’article tout en insistant sur son utilité auprès d’un public de lecteurs, éloignés des processus de contributions sur Wikipédia (soulignement rouge). Il est remercié à son tour par d’autres contributeurs au moyen des « +1 » en réponse à son message. L’analyse de cette interaction met en avant la poursuite d’une création de sens autour d’un événement, le motif des félicitations étant bien ici l’utilité de l’article face à l’incertitude de la situation.
3.2 Les spécificités du traitement de la pandémie sur Wikipédia
3.2.1. La mobilisation accrue des outils de vigilance
Les wikipédiens sont habitués à construire la synthèse d’une information lors d’un événement de crise (Keegan, 2015 ; Bubendorff, Rizza et Prieur, 2019). Cependant, l’analyse des pages relatives à la pandémie montre qu’elle met à l’épreuve ces manières de faire et en tension les habitudes de contribution des rédacteurs.
L'ampleur de la pandémie (c’est-à-dire son temps long et la profusion des événements et débats associés) complexifie le travail de synthèse des rédacteurs et entraîne un déploiement inédit des outils à leur disposition. Ainsi, cette difficulté est reconnue par l’encyclopédie et signifiée aux lecteurs par différents moyens. La multiplication des recours aux outils de régulation peut être envisagée comme la première notification de la difficulté des rédacteurs à proposer une synthèse jugée satisfaisante des événements. Des bandeaux d’avertissements sont incrustés en en-tête de plusieurs articles traitant de la pandémie. De même, tous sont au moins temporairement verrouillés pour y limiter le nombre de modifications. Certains contributeurs ont également multiplié leurs actions de modération afin de contribuer à la stabilité du contenu. Ces interactions visent notamment à rappeler aux rédacteurs des articles qu’il est nécessaire de référencer les informations ajoutées (Figure 3).
L'amplification des activités de modération de la part des contributeurs plus avertis témoigne de leur volonté de ralentir le rythme des modifications dans le but de renforcer la fiabilité des articles. L’un d’entre eux explique vérifier quotidiennement les modifications réalisées sur les articles liés aux crises. Il souligne :
Mais effectivement sur les articles liés aux actualités là beaucoup de contributeurs les suivent, de contributeurs expérimentés j’entends, et donc effectivement à ce niveau-là c’est…les théories du complot ont du mal à se répandre, c’est vrai que c’est une des forces de Wikipédia. (ID1)
Ce choix est fait au détriment des mises à jour plus fréquentes des articles qui pourraient corriger la présence d’informations ou de chiffres obsolètes. Comme l’illustre le message présenté en Figure 2, certains se lancent alors dans un travail de sensibilisation afin de stabiliser les informations et de construire la connaissance encyclopédique, faisant face par là-même au rythme soutenu de sa création et de son évolution dans Wikipédia.
Par ailleurs, ce processus perdure dans le temps dans le cas de la pandémie et de la désinformation associée.
3.2.2 Un traitement inédit de la désinformation relative à la pandémie vue par et depuis Wikipédia
La pandémie qui s’étend mondialement porte avec elle son lot de rumeurs et de désinformations. Cette « infodémie » ou profusion informationnelle impose aux rédacteurs un travail encore plus minutieux de triage et de filtrage. L’un des contributeurs interrogés souligne la difficulté de procéder à ce tri lors d’actualités décrites comme « brûlantes » :
On sait que sur des sujets aussi sensibles que ça, c'est-à-dire une pandémie, il faut faire très attention y compris aux chiffres. On sait que les chiffres issus de certains pays, je vais pas les mentionner, mais sont pas du tout fiables. C'est-à-dire que le nombre de morts, le taux de mortalité, le taux de morbidité sont en fait faux. Malheureusement c’est tout ce qu’on a. et en plus c’est une information…le fait que ce soit une information officielle est une information en soi. Donc on ne peut pas l’ignorer au motif qu’on a des doutes […]. On peut juste prendre des précautions en disant « tel pays d’Asie annonce qu’ils ont eu deux morts et qu’eux s’en sont très très bien sortis », donc on le dit, on le dit comme ça. […] Dans ce genre de sujet il faut pas qu[e les lecteurs] soient trompés. C'est-à-dire qu’on essaie d’éviter qu’ils soient trompés donc on va dire les choses avec précaution. (ID 5).
Comme le montre cet extrait, la difficulté réside dans l'apport d'informations de qualité au lecteur.
3.2.2.1 Un article dédié
Les principes fondateurs de Wikipédia rappellent qu’il ne s’agit pas de proposer des analyses originales où les auteurs jugeraient par eux-mêmes de la véracité des faits autour d’un événement. Le « travail inédit » est ainsi interdit sur Wikipédia et la « neutralité de points de vue » atteinte par une description équivalente de l’ensemble des opinions sur l’objet d’un article. Cependant, pour la première fois, un article uniquement consacré à la désinformation pendant un événement est publié sur Wikipédia. Initialement publié sur Wikipédia anglo-saxon puis traduit dans sa version francophone, il intègre les rumeurs et les campagnes de désinformation dans l’histoire de l’événement, comme constitutives même de son historique, en listant l’ensemble des fausses informations ayant été infirmées par des médias ou des analystes. Il propose une catégorisation du type de fausses informations et de rumeurs en fonction de leur origine ou de leur thématique. L’existence de l’article ne fait pas l’unanimité et est sujet à débat : sur la page de discussion associée, certains initient un vote afin de juger de sa pertinence, appelant à sa suppression en raison de l’absence de caractère encyclopédique de la démarche. Les seize contributeurs en faveur de son maintien soulignent dans leur argumentaire le travail de qualité de l’article : des sources « fiables » sont présentes, « il sert l’intérêt de la communauté », « la désinformation en médecine est un souci majeur ». S’attaquant à la question de la désinformation, Wikipédia réaffirme cette volonté d’aider à la construction rationnelle de sens autour d’un événement. Comme le souligne le contributeur interrogé, en mentionnant les chiffres officiels de certains pays, la désinformation fait partie intégrante de l’information et il s’agit de la prendre en compte, de la recenser pour comprendre les événements dans leur globalité.
Au cours de la pandémie, Wikipédia a d’ailleurs été soupçonné par certains médias et internautes d'être touché et traversé par cette campagne de désinformation à l’occasion de la suppression de l’article consacré à Karine Lacombe. Cette suppression a été perçue comme une volonté d’effacer certains aspects de la gestion de la pandémie, c’est-à-dire une volonté de travestir le déroulement des événements. La suppression n’a cependant pas été attribuée à une entité bien définie comme le rappelle le rapport publié par la fondation Wikimédia au sujet de la pandémie de COVID-19 :
Sa biographie constituée d’une seule phrase a immédiatement été supprimée, ce qui a très vite été relayé sur les réseaux sociaux. Des internautes y ont vu l'intervention de Karine Lacombe, d'autres du gouvernement, voire un coup de la Banque mondiale parce que la directrice générale de Wikimedia Foundation y a travaillé. Wikimédia France a immédiatement décidé de réagir en rappelant dans un billet de blog le fonctionnement de Wikipédia et apporter une réponse aux rumeurs. La suppression de l'article fait suite à l'application des critères de notoriété de la Wikipédia en Français.
Si l’encyclopédie se targue de ne mettre en avant que des informations vérifiables et de ne pas faire d’entorses à ses principes de fonctionnement, notre analyse montre que la pandémie fragilise quelque peu cette position.
3.2.2.2 Un travail supplémentaire sur les sources
Outre cette prise de parole de la fondation dans l’espace public, la création d’un article intitulé « Observatoire des sources » formalise des critères de légitimité jusqu’alors plus tacite entre les contributeurs.
Comme nous le soulignons plus haut, si les échanges à propos des sources et de leur légitimité sont nombreux c’est justement parce qu’elles sont laissées ouvertes à discussions. Jusqu’à très récemment, aucun document ne statuait in fine sur la qualité des revues scientifiques, éditeurs ou journaux de presse. Les débats se tenaient autour de sources précises, entre contributeurs d’une page ou dans le cas de controverses spécifiques. La qualité des sources relevait, comme le rappelle la page d’aide « Citez vos sources », du « principe de bonne foi » et de bonne volonté de chaque contributeur. Dans cet article, la fiabilité de divers médias, de revues académiques, d’émissions télévisées est discutée afin de proposer un état des lieux des sources pouvant être mobilisées dans Wikipédia. Par ailleurs, la page de discussion associée à l’« Observatoire des sources » comporte une section réservée aux « revues prédatrices » c’est-à-dire des revues qui ne soumettent pas les articles au processus d’évaluation par les pairs en double aveugle ou dont la publication des articles est conditionnée à un paiement de l’auteur. Cette discussion s’initie autour de la publication d’un canular dans Asian Journal of Medicine and Health et de l’inscription de cette revue dans la liste principale de l’article comme une revue non fiable. Rapidement, elle se poursuit autour du statut même des articles scientifiques et de leur caractère encyclopédique. La rapidité des publications scientifiques autour de la pandémie de COVID-19 conduit à interroger la fiabilité de ces publications au même titre que pouvaient l’être jusque-là les publications médiatiques.
La publication de l’article « Observatoire des sources » marque à notre sens l’un des plus importants changements engendrés par la pandémie : l’extraordinaire des événements du fait de leur complexité, de leur durée et de leur faisceau de conséquences a rendu nécessaire la formalisation de critères de qualité à la fois plus fins et explicites. Alors que les sources académiques sont, pour les contributeurs de Wikipédia, garantes de fiabilité, la pandémie de COVID-19 a remis en cause cette autorité. La publication et la reprise massive dans les médias d’articles scientifiques rapidement contredits ou non évalués par les pairs ont en quelque sorte remis en question cette certitude et entamé une discussion sur le statut de ces sources.
4. Discussion et conclusion
Les résultats présentés dans cet article soulignent de quelle manière le savoir-faire des Wikipédiens, mobilisé notamment en temps de crise pour proposer un sens à l’événement en train de se dérouler, est mis à l’œuvre lors de la pandémie de COVID-19.
Précisément, nous avons montré dans cet article comment les mécanismes propres au traitement d’une crise sont employés par les contributeurs de Wikipédia pour réduire l’incertitude relative à la pandémie de COVID-19. Son ampleur conduit à des spécificités dans leurs manières de faire. L’analyse de la construction des articles et pages relatifs à la pandémie montre la dynamique en deux temps adoptée par les contributeurs. « Produire du sens » face à la pandémie passe successivement par un archivage des événements puis par une documentation de leurs analyses proposées à divers endroits de l’espace public (médias et champ académique). Nous avons détaillé de quelle manière cette pandémie implique des basculements dans la manière de traiter l’information sur l’encyclopédie. D’une part, le climat particulièrement incertain qui l’accompagne oblige à une mobilisation accrue des outils de vigilance traditionnellement mobilisés sur Wikipédia, de l’autre la construction de sens autour d’elle oblige les contributeurs à prendre en charge la problématique de la désinformation d'une manière inédite. Alors que l’encyclopédie s’attèle habituellement à proposer un état des savoirs et des narrations autour d’un même événement, la pandémie de COVID-19 émaillée de controverses et de débats amène les citoyens profanes à pousser à l’extrême ces mécanismes de traitement de l’information de la plateforme.
La diversité des impacts sociaux de la pandémie, le nombre de controverses qui en émergent ainsi que sa durée aboutissent ainsi à une organisation inédite des articles que nous qualifions de crise.
Les modes de fonctionnement de Wikipédia se sont forgés autour de la participation et des controverses. La pandémie de COVID-19 ne fait pas exception et son traitement s’appuie sur l’expérience des contributeurs chevronnés de Wikipédia. Alors que pour la majorité des événements majeurs, un retour à la normale se manifeste rapidement après un pic de crise, la pandémie de COVID-19, caractérisée par sa longueur dans le temps, connaît non un pic, mais un plateau de crise caractéristique de sa durée. Alors, il s’agit non seulement pour les contributeurs d’être endurants dans l’effort de réorganisation de leurs savoir-faire, mais également de couvrir l’ensemble des sujets liés à la pandémie. Ainsi apparaissent de nombreux articles sur ces différents aspects : sanitaires, économiques, thérapeutiques, politiques, etc. Une catégorie thématique constituée autour de la pandémie elle-même, habituellement fruit d’un long travail de la part d’une poignée de contributeurs sur l’encyclopédie, se construit progressivement et simultanément autour de ces articles.
Par ailleurs, l’incertitude alimentée par la désinformation et les rumeurs autour de la pandémie cristallise les enjeux du référencement des informations, thématique sous-jacente de Wikipédia. Alors que jusqu’à présent, les discussions sur la fiabilité des sources et leur utilisation avaient lieu ponctuellement autour de sujets bien précis, tout se passe comme si la pandémie entraînait un besoin de formalisation de ces éléments pour les contributeurs. Dans le cadre de la pandémie, créer du sens autour de l’événement passe par des discussions plus formelles sur l’origine et la qualité des sources mobilisées.
Finalement, alors que l’importance des pages de discussion lors de la création des articles Wikipédia ordinaires a été démontrée dans la littérature (Laniado et al., 2011 ; Viégas et al., 2007), nous avons montré que les discussions relatives à la création ou non d’un article dédié à un événement majeur positionnent l’encyclopédie en ligne comme le lieu du débat permettant la synthèse de l’information. De plus, comme Cardon et Levrel (2009) l’ont illustré, cet exercice peut être compris comme une application de forme d’agir communicationnel tel que développée par Habermas (1987). Ces articles incarnent ce qu’un débat démocratique devrait être de l’avis des utilisateurs de Wikipédia et les échanges qui y ont lieu réunissent dans leur grande majorité les caractéristiques de ce que Habermas définit comme une « situation idéale de parole » comme l’ont montré en détail Hansen, Berente et Lyytinen (2009) : les échanges ayant lieu sur l’encyclopédie supposent ainsi la bonne foi de l’ensemble des utilisateurs, la force du meilleur argument est garantie par les règles éditoriales de l’encyclopédie, les discussions sont inscrites sur le temps long et sont, en principe au moins, ouverte à tous les individus disposant d’une connexion internet. Cet éclairage habermassien devient d’autant plus pertinent pour comprendre la rédaction des articles liés aux événements majeurs de Wikipédia (voir aussi Bubendorff, Rizza et Prieur 2021) en cela qu’elle constitue l’occasion de saisir le langage comme « medium d’intercompréhension non tronqué » (Habermas, 1987, p. 111) à l’œuvre sur l’encyclopédie. Les différents participants à cet échange « se rapportent à quelque chose à la fois dans le monde objectif, social et subjectif, afin de négocier des définitions communes de situations » (ibid). Durant la crise, l’utilisation des outils de Wikipédia permet de s’inscrire dans un processus de faire sens collectif qui englobe le traitement de l’information et les émotions qu’elle suscite. La communication organisée autour de la recherche d’un consensus devient alors le garant d’un élan émancipatoire et Wikipédia constitue une plateforme « digitale » au sens de Paquienséguy (à paraître) : il est à la fois le moyen et le lieu des interactions sociales et des négociations de sens autour de l’événement.
Plus particulièrement, nous proposons de comprendre le recours aux outils de vigilance comme une volonté de préserver ces conditions idéales de discours. Le recours à ces mécanismes est compris par Hansen, Berente et Lyytinen (2009) comme la transposition d’un idéal dans la pratique : la censure de certains contributeurs ou le verrouillage temporaire des modifications sur un article vont à l’encontre des caractéristiques de libre accès de chacun décrit comme indispensables dans le cadre de l’agir communicationnel par Habermas. Comme ils rappellent très justement, Habermas construit sa définition de l’agir communicationnel comme un idéal-type wébérien (Habermas, 1987) dont la réalisation pratique suppose des aménagements. À notre sens, lors des moments de crise, ces mécanismes de régulation sont au contraire des garants des possibilités d’agir communicationnel en cela qu’ils permettent la proposition rapide d’une synthèse des informations. À ce titre, il serait intéressant dans un temps plus long d’analyser les effets de ces mécanismes lors de la survenue d’autres crises ou controverses sur Wikipédia et de voir si les conclusions sur les sources, les réorganisations des contributeurs seront à nouveau mobilisées pour les traiter et leur donner du sens. Notons que l’accumulation progressive des règles et des normes d’éditions bien décrites dans la littérature récentes (voir par exemple Joubert, 2019 ; Sahut, 2016) nous semble peut-être plus en cause dans la remise en question d’une autre caractéristique de ces conditions idéales de discours : celui de la possible participation au débat de l’ensemble des individus. Ainsi, face à la complexification des procédures et des subtilités techniques de contributions sur Wikipédia, les néo-contributeurs sont confrontés à la nécessité d’acquérir un vrai savoir-faire technique afin d’ajouter du contenu à l’encyclopédie en ligne, nécessité que la crise liée à la pandémie semble avoir accentuée encore.
Appendices
Note
-
[1]
Projet financé par l’Agence Nationale de la Recherche Française (n°ANR-17-CE39-0015) et par le Comité analyse, recherche et expertise (CARE) du ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation) pour son volet « Médias sociaux lors de la crise de Covid-19 »
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