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Créé en 1991 par Marie-Bernadette Charrier et Christophe Havel, l’ensemble Proxima Centauri a fêté ses 30 ans en 2021. Un anniversaire marqué par la création d’un spectacle et par une grande tournée qui a mené l’ensemble français à Québec et à Chicoutimi, aux côtés de l’ensemble strasbourgeois hanatsumiroir et de l’ensemble montréalais Paramirabo. Comme le soulignait alors Jeff Stonehouse, directeur artistique de Paramirabo : « Nous voulions créer un moment d’échanges entre la France et le Québec, et c’est ce qui s’est produit[1]. » Une actualité qui nous invite à revenir ici sur ces 30 années de découvertes musicales et sur nos nombreux échanges outre-atlantique.
Dès l’origine, Proxima Centauri est un projet de musique de chambre à cinq musiciens, ayant pour ambition le développement d’un nouveau répertoire original pour une formation mixte. L’idée était de proposer une formation présentant un équilibre instrumental susceptible d’intéresser les compositeurs : deux instruments mélodiques (flûte et saxophone) et deux instruments percussifs (piano, percussion) associés à un dispositif électroacoustique considéré comme un instrument à part entière, ce qui fait la particularité de Proxima Centauri. Au cours de ces 30 années, la formation est restée stable à cinq musiciens, dans un esprit de musique de chambre, c’est-à-dire d’ensemble non dirigé. À cette époque, le paysage de la musique contemporaine en France – et, plus largement, en Europe – était principalement constitué d’ensembles de 10 à 20 musiciens (souvent solistes) dirigés par un chef. Les ensembles spécialisés de musique de chambre étaient marginaux, à l’exception bien sûr des Percussions de Strasbourg et d’Accroche-note, tous deux basés à Strasbourg. Évidemment, d’autres musiciens se joignent à l’ensemble pour la réalisation d’oeuvres plus conséquentes et une sorte de compagnonnage s’est peu à peu installé au fil des ans à travers des collaborations régulières.
L’envie de participer activement à la vie musicale contemporaine, à travers un ancrage fort dans le champ de la création et une ouverture sur les nouvelles technologies, a présidé à la formation de cet ensemble. Cette motivation reposait également sur la mise en place d’une structure suffisamment souple et légère pour être à la fois attractive et économiquement viable.
Ensemble à géométrie variable, il réunit à ses débuts, après quelques ajustements, Marie-Bernadette Charrier aux saxophones, Christophe Havel aux sons électroniques, Sylvain Millepied aux flûtes, Hervé N’Kaoua au piano et Clément Fauconnet aux percussions. Présenté à sa création comme un petit frère de l’Ensemble Musique nouvelle Bordeaux Aquitaine de Michel Fusté-Lambezat, l’ambition de mettre en valeur de nouveaux compositeurs contemporains transparaît dès le premier concert. Présenté en septembre 1991 au capc musée d’art contemporain de Bordeaux lors de l’exposition Daniel Buren, son programme relaie l’exposition des oeuvres de compositeurs confirmés (Steve Reich, Giacinto Scelsi, Étienne Rolin, François Rossé) à celles de la jeune génération d’alors (Didier-Marc Garin, Christophe Havel, Christian Lauba)[2]. Pour s’intégrer complètement dans l’esprit de Buren, les musiciens étaient vêtus de costumes à larges bandes verticales. Cette attention portée au visuel et à la scénographie deviendra une des caractéristiques fortes de l’ensemble, comme nous le verrons plus loin.
Sensible dès ses débuts à la question de la transmission, l’ensemble sera partie prenante du Mois de la musique contemporaine, éphémère évènement girondin. Il y exercera notamment des actions de sensibilisation à destination des scolaires, visant à « privilégier la relation entre public et compositeur afin de démystifier la musique d’aujourd’hui[3] », comme l’explique alors Marie-Bernadette Charrier.
Très tôt, Proxima Centauri souhaite ainsi développer un véritable répertoire contemporain. La politique de commande d’oeuvres s’étoffe au fur et à mesure des années, à travers des collaborations aussi bien nationales, internationales que locales. En 1997, Marie-Bernadette Charrier atteste qu’« une dizaine de musiciens sont en train d’écrire pour nous[4] », dont Régis Campo ou encore Robert H. P. Platz. D’autres compositeurs croisent la route de l’ensemble bordelais, comme José Luis Campana, Iannis Xenakis ou encore Hans-Joachim Hespos. Ce dernier composera trois pièces pour Proxima Centauri en 1998, en apportant toujours une attention particulière à leur médiation avec le grand public, comme en témoigne le travail réalisé avec des associations culturelles telles que Éclats, à Bordeaux[5].
Si l’ensemble se produit déjà à l’international, notamment en Espagne et en Allemagne, le premier déplacement outre-Atlantique aura lieu en 1998 en Australie et Tasmanie pour une tournée de dix concerts associés à des classes de maître et conférences. En 2000, à l’occasion du 12e Congrès mondial du saxophone à Montréal, Marie-Bernadette Charrier s’associe avec le Nouvel Ensemble Moderne (nem) pour la création de Waaij, de François Rossé[6]. Le congrès sera suivi d’une participation, toujours avec le nem, au Festival international de Lanaudière.
L’année 2000 sera également l’occasion – le changement de millénaire n’y est sans doute pas étranger – d’une réflexion des musiciens sur leur pratique de la scène :
Nous sentions qu’il fallait changer quelque chose dans notre manière de nous présenter sur scène, qu’il fallait quitter le rituel du musicien derrière son pupitre et proposer une mise en situation plus en accord avec les esthétiques musicales que nous défendions. Et, plus précisément, rechercher pour chaque oeuvre que nous interprétions la présentation scénique qui lui convenait, plutôt qu’une disposition fixe et statique pour l’ensemble du concert.
Une résidence au Molière Scène d’Aquitaine, lieu culturel bordelais géré par l’Office Artistique de la région Nouvelle-Aquitaine (oara), en donnera l’occasion. Profitant des moyens techniques du lieu mis à la disposition, deux artistes sont invités à collaborer pour préparer un spectacle s’appuyant sur le programme musical : Michel Schweizer et Jean-Pascal Pracht. Le premier, scénographe venant du milieu de la danse déjà largement reconnu à l’échelle nationale, a accompagné la remise en question de la présence scénique et de la relation avec le public en interrogeant chaque musicien sur sa relation entre le geste visuel et le geste musical. Le second, créateur lumière travaillant principalement dans le milieu du théâtre, développe les conditions d’une écoute focalisée sur l’essentiel grâce à des jeux d’éclairages, valorisant souvent le geste musical. La collaboration avec ces deux artistes se poursuivra de manière très régulière jusqu’à nos jours ; tous deux ont d’ailleurs participé à la célébration des 30 ans de Proxima Centauri.
En 2001, pour fêter ses 10 ans d’activité, l’ensemble organise son premier festival à Bordeaux, intitulé « Rencontre de la création musicale », au Tout Nouveau Théâtre (tnt), lieu atypique de la scène bordelaise installé dans une ancienne manufacture de chaussures. Pendant trois jours, il joue dix-sept oeuvres, dont les deux tiers en création, et invite plusieurs ensembles français et étrangers pour une quinzaine de concerts au total[7]. Ce sera également l’occasion de continuer le travail récemment entrepris avec Michel Schweizer et Jean-Pascal Pracht, la totalité du lieu étant réaménagé en différents espaces pour la durée du festival.
Désormais acteur culturel bordelais reconnu, l’ensemble s’illustre par sa participation annuelle au festival des arts de la scène Novart, donnant à chaque édition un coup de projecteur sur une esthétique ou un compositeur marquant de la deuxième moitié du xxe siècle (Stockhausen, Ferrari, Cage…), et proposant des collaborations avec des artistes comme Benjamin Millepied et sa compagnie l.a. Dance Project ou encore le duo de beatboxers Bionicologists.
Un nouveau pas sera franchi en 2005 lorsque le groupe lancera sa propre saison musicale, au cours de laquelle alternent représentations de l’ensemble et invitations d’artistes[8]. Cette saison permit de mettre en place une importante dynamique d’échanges entre Proxima Centauri et d’autres ensembles, d’abord majoritairement européens, et rejoints peu à peu par des formations originaires d’autres continents (principalement des Amériques et d’Asie) – ce qui favorisa le développement de la présence de l’ensemble à l’international.
En 2009, les deux directeurs artistiques sont missionnés par l’oara pour trouver des partenaires potentiels au Québec afin de réaliser un échange dans le cadre du jumelage entre les deux régions. Cette mission débouchera en 2010 sur le projet Métissages, spectacle réunissant Proxima Centauri et l’Ensemble Contemporain de Montréal (ecm+) autour des oeuvres du Français François Rossé et du Québécois Michel Gonneville dans le but de créer « un brassage des cultures nord-américaine et européenne et de musiques savantes et populaires[9] ». Le lien avec le Canada ne cessera de se renforcer, notamment lors d’une nouvelle tournée quelques mois plus tard, entre Montréal et Sudbury.
D’autres tournées, notamment en Asie (Chine, Thaïlande, Japon) et en Amérique du Sud (Chili, Pérou, Mexique, Brésil, Argentine), viennent compléter les nombreuses collaborations à l’étranger de l’ensemble. À chaque tournée, l’attention portée à la transmission et à la sensibilisation se traduit par des rencontres, des classes de maître ou encore des ateliers. Toujours à la recherche de collaborations innovantes, l’ensemble se produit avec les ensembles Musicatreize et l’Itinéraire, dans le cadre de « Marseille-Provence 2013 », évènement consacrant la ville comme capitale européenne de la culture. Proxima Centauri se lance également, avec ces mêmes partenaires, dans une grande odyssée dans l’espace, aux côtés de 350 choristes issus de 9 choeurs amateurs aquitains[10].
Compagnon de route depuis plusieurs années du Studio de Création et de Recherche en Informatique et Musiques Expérimentales (scrime) de l’Université de Bordeaux, Proxima Centauri en devient ensemble associé en 2020.
Comme le note Anne Montaron, « depuis 30 ans, Proxima Centauri essaime et veille à ne surtout pas “rester dans sa bulle” […] Proxima Centauri est partout ![11] » C’est dans cette optique d’exploration que l’ensemble lance en 2020 un festival dédié aux musiques de création, màd, pour « Musiques à Découvrir, Défendre, Déguster et Diffuser ». Reflet de la vitalité musicale actuelle, le festival est une nouvelle opportunité d’élargir le panel des projets accompagnés par Proxima Centauri, « du plus minimal au plus théâtral, d’écriture en improvisation, à travers un vaste spectre d’expressions sonores[12] ». Toujours désireux de devenir acteur de la création, l’ensemble met en place en 2021 mixte, une académie internationale de création musicale pour compositrices, compositeurs et interprètes souhaitant développer leur pratique de la musique mixte, et qui associe ensemble instrumental et dispositif électronique. Conçue comme un laboratoire d’expérimentation, cette académie offre un lieu et un temps où les musiciens et musiciennes stagiaires, entouré·e·s de professionnel·le·s du monde musical et scientifique, se rencontrent, s’écoutent, échangent et créent ensemble. Les deux projets se rejoignent, les compositrices et compositeurs accompagné·e·s étant amené·e·s à présenter leur création lors de la prochaine édition de màd. Offrir aujourd’hui ce cadre d’échange et de diffusion aux futurs musiciens et musiciennes est indispensable et vital pour maintenir la dynamique de la création, depuis toujours au coeur du travail de Proxima Centauri.
Appendices
Note biographique
Proxima Centauri bouscule les codes de la musique de chambre, notamment en intégrant l’électroacoustique comme membre à part entière de la formation. L’ensemble porte une démarche artistique pluridisciplinaire, alliant création musicale et arts visuels. Placé sous la direction artistique de Marie-Bernadette Charrier, l’ensemble pratique une politique de commande active et crée de nombreuses oeuvres de compositeur·trice·s de ce siècle, en alternance avec l’interprétation de grands maîtres du xxe. Marie-Bernadette Charrier (saxophone), Hilomi Sakaguchi (piano), Sylvain Millepied (flûte), Benoit Poly (percussions) et Christophe Havel (électronique) constituent actuellement l’ensemble.
Notes
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[1]
Daniel Côté (2021), « Confluences : une scène, trois ensembles et 14 musiciens », Le Quotidien numérique, 3 octobre, www.lequotidien.com/2021/10/31/confluences-une-scene-trois-ensembles-et-14-musiciens-5f24240963566b10894ffb453c20f5a0 (consulté le 9 février 2021).
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[2]
Anonyme (1992), « Musique contemporaine – Le petit dernier », Sud Ouest, 3 février.
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[3]
Bertrand Roch (1997), « Le creuset et la création », Sud Ouest, 15 janvier.
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[4]
Anonyme (1997), « Musique contemporaine – Les moyens de sa curiosité », Sud Ouest, 12 mai.
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[5]
Catherine Darfay (1998), « Musique contemporaine – Un vrai feu d’artifice », Sud Ouest, 23 novembre.
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[6]
François Rossé (1998), Waaij, direction Lorraine Vaillancourt. Création le 9 juillet 1998 à l’Université du Québec à Montréal.
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[7]
Bertrand Roch (2001), « Une constellation musicale », Sud Ouest, 21 octobre, p. 4.
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[8]
Luc Bourrousse (2005), « Les saisons de Proxima », Sud Ouest, 10 mars, p. 18.
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[9]
Alexandra Perron (2005), « Scène classique : métissage musical au Palais Montcalm », Le Soleil, 25 mai , www.lesoleil.com/8cddd34e6905c923404e2512c30a87fd (consulté le 21 février 2022).
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[10]
Sévérine Garnier (2014), « Odyssée dans l’espace : 350 voix pour Sapphô à l’Auditorium de Bordeaux », Sud Ouest, 25 juin, p. 19.
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[11]
Anne Montaron, plaquette de la saison 2021-2022 de Proxima Centauri, août 2021.
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[12]
David Sanson (2021), « La belle éveillée », Junk Page, octobre, p. 12.