Circuit
Musiques contemporaines
Volume 21, Number 1, 2011 Du spirituel dans l’art ?
Table of contents (13 articles)
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Éclairages sur l’au-delà : introduction
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La transcendance en musique selon John Burke : parcours et entretien
Sylvia L’Écuyer
pp. 11–21
AbstractFR:
Le labyrinthe, un symbole millénaire qui se retrouve encore aujourd’hui sur les sols de pierre des cathédrales, est devenu pour le compositeur John Burke une sorte de laboratoire pour trouver l’essence de la démarche de la musique classique occidentale. Dans sa recherche de la transcendance, il s’est intéressé au labyrinthe tel que décrit dans l’ouvrage de Lauren Artress, Walking the Path, dont il a suivi les ateliers à San Francisco. Influencé par les ouvrages du mythologue américain Joseph Campbell, en particulier The Hero’s Journey, il a également exploré cette autre conception du voyage intérieur. Sur les traces de musiciens du xxe siècle comme Stockhausen et Boulez qui ont voulu évacuer l’expérience du concert classique avec les musiciens d’un côté et le public de l’autre, John Burke propose donc un espace musical où son langage classique infusé de philosophie orientale invite les musiciens et le public à entreprendre un voyage musical et spirituel très personnel.
EN:
The labyrinth, a millennial symbol still found on stone floors of cathedrals, has for composer John Burke become a kind of laboratory in his quest to discern the essence of classical music experience in the West. His research on transcendence led to an interest in the labyrinth via workshops he attended by Lauren Artress in San Francisco, and as described in her book, Walking the Path. Influenced by the works of the American mythologist Joseph Campbell, in particular The Hero’s Journey, he also explored this other notion of the inner journey. And continuing the thrust of 20th century musicians Stockhausen and Boulez to alter the classical concert with musicians and audience on different sides, John Burke used language replete with Eastern philosophy to describe a musical space that invites musicians and audience to embark on a very personal musical and spiritual journey.
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Seuils. Autour du triptyque …auf… de Mark Andre
Laurent Feneyrou
pp. 23–35
AbstractFR:
Compositeur français, Mark Andre est l’auteur d’une oeuvre au questionnement religieux inquiet. Ce sont d’abord, au cours des années 1990, les écrits de Jean Duns Scot, sa notion de compossible, sa définition de Dieu comme ens infinitum et une insistance sur sa toute-puissance, qui déterminent une interprétation de l’Ars subtilior, du renouveau de la notation introduit par les théories de Francon de Cologne et des conséquences de l’art mensuraliste sur l’oeuvre propre de Mark Andre. À la théologie succèdent peu à peu des sources bibliques, le plus souvent réduites à quelque particule. Dans le triptyque …auf…, convoquant le modèle de la Résurrection et une dialectique latente, trois typologies sonores traduisent le fond obscur de la déité et la percée de la mystique rhénane, dans les formes musicales comme dans la diversité des modes de jeu. Enfin, la convolution qui affecte les pliages électroniques du troisième volet se charge d’une signification existentielle, métaphysique et religieuse.
EN:
French composer Mark Andre is author of a work dealing with religious questioning. It was initially the writings of Duns Scotus which influenced the mensuralist art of Mark Andre begininng in the 1990s, through his notion of the compossible, his definition of God as ens infinitum and his insistence on divine omnipotence, thereby determining an interpretation of Ars subtilior, a revival of the notation introduced by the theories of Franco of Cologne. Slowly, often in small fragments, biblical sources succeeded theology. In the triptych …auf…, an evocation of the Resurrection model and a latent dialectic, three sound typologies are used to depict an obscure deity and the entry of Rhine mysticism through musical forms and various modes of playing. Finally, the convolution affecting the electronic entanglements of the third section yields an existential, metaphysical and religious meaning.
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De l’esprit au spectre : mysticisme et spiritualité chez les compositeurs du courant spectral
Pierre Rigaudière
pp. 37–44
AbstractFR:
Si le scientisme dont témoignent les écrits théoriques des initiateurs du courant spectral ne surprend guère dans le contexte qui a vu naître ces écrits, il maintient dans l’ombre certaines des motivations fondamentales qui ont pu guider les compositeurs concernés, ou, pour le formuler en des termes kandinskiens, déterminer leur nécessité intérieure. Dans le cas de Gérard Grisey, les écrits qui relèvent de la sphère privée (lettres, extraits de journal intime) révèlent une facette de sa personnalité que le compositeur, par pudeur peut-être, préférait ne rendre visible qu’à ses proches. On y découvre une ferveur mystique accompagnée de doutes, d’angoisses mais aussi d’états de grâce, d’euphorie et de certitudes, notamment celle d’être investi d’un don de Dieu, et par conséquent d’une mission à laquelle il était inconcevable de se dérober. Cependant, le mysticisme de l’adolescent et du jeune adulte semble progressivement s’ouvrir à une spiritualité que l’auteur de cet article s’attache à présenter comme une « spiritualité de l’immanence ».
EN:
While it is no surprise that scientism suffuses the theoretical writings of the initiators of the spectral movement in the context that engendered these writings, it nonetheless overshadows some of the fundamental motivations that guided these composers, or, in Kandinskian terms, that determined their inner necessity. In the case of Gérard Grisey, his private writings (letters, excerpts from personal diaries) arose from that facet of the composer’s personality that he, possibly due to modesty, preferred to show only to those closest to him. They reveal a mystic fervour beset with doubt and anxiety but also states of grace, euphoria, and certainties, notably the sense of being invested with a gift from God, and hence a mission it would be inconceivable to abandon. However, the mysticism of the adolescent and young adult seems to widen progressively to a spirituality that the author of this paper proposes as a “spirituality of immanence”.
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Symbolic Chiasm in Arvo Pärt’s Passio (1982)
Mark Vuorinen
pp. 45–59
AbstractEN:
Passio, is Arvo Pärt’s first large scale vocal-instrumental work in the tintinnabuli style and remains today one of his most significant compositions. In this setting of the Passion text according to St. John, Pärt codifies procedures of tintinnabuli that will remain his principle means of musical communication for years to come while implying a very important perspective of Johannine theology. His compositional design utilizes both small-scale and large-scale chiastic constructions and gives prominence to John’s observance in Chapter 18, verse 4, that Christ knows all that will occur in the events leading to his crucifixion. Seen in this light, the Passion narrative unfolds according to a pre-ordained plan; it is this subtle perspective of the Gospel that Arvo Pärt reveals musically in his Passio. This paper approaches a musical analysis of Passio in relation to John’s perspective that Christ knew all that was to follow. It illustrates that virtually every note is linked in some way to Pärt’s musical pilgrimage to the cross. With a microscopic lens, the analysis connects Pärt’s use of melody, texture, inversion and tintinnabuli to a poignant marriage of music and the biblical text. And on a macroscopic level, it is shown that musical events unfold over time to reveal the inevitability of the crucifixion. It is revealed that within the work’s tonal centres, large-scale textural procedures, pedal points and the music of the Exordium and Conclusio the path to the cross is present from beginning to end. In this way, the listener is taken through the narrative only to realize afterward that the Gospel’s outcome was present from beginning to end.
FR:
Passio est la première grande fresque pour voix et orchestre d’Arvo Pärt dans le style tintinnabulant et demeure encore aujourd’hui l’une de ses oeuvres les plus significatives. Dans cette mise en musique du texte de la Passion selon saint Jean, Pärt codifie les procédures du tintinnabulement, qui restera son principal moyen de communication musicale pour les années à venir, tout en illustrant une très importante perspective de la théologie de Jean. Le design compositionnel de Pärt utilise, à petite et à grande échelle, la figure du chiasme et met ainsi de l’avant l’observation de Jean dans le chapitre 18, verset 4, que le Christ connaît à l’avance tous les événements qui mèneront à sa Crucifixion. Vue sous cet éclairage, la narration de la Passion se déroule selon un plan préétabli; c’est cette subtile perspective de l’Évangile de Jean qu’Arvo Pärt révèle musicalement dans sa Passio. Cet article propose une analyse musicale de la Passio en relation avec la perspective de Jean que le Christ savait tout ce qui devait suivre. Il illustre que virtuellement chaque note est liée d’une manière ou d’une autre au pèlerinage musical de Pärt vers la Croix. À travers une lentille microscopique, l’analyse démontre comment l’utilisation que fait Pärt de la mélodie, des textures, des inversions et du tintinnabulement, crée un poignant mariage entre musique et texte biblique. Sur le plan macroscopique, elle fait voir comment les événements musicaux se déroulent dans le temps pour révéler l’inévitabilité de la Crucifixion. Elle révèle comment dans le plan tonal de l’oeuvre, le développement des textures à grande échelle, les pédales et la musique des Exordium et Conclusio, le chemin de croix est présent du début à la fin. Mais l’auditeur est conduit à travers la narration de façon à ce qu’il ne prenne que rétrospectivement conscience que le point de vue particulier de l’Évangile de Jean était présent du début à la fin.
Enquête
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Musique de création et spiritualité : forum à sept voix
Maxime McKinley, Sandeep Bhagwati, Frans Ben Callado, Julie-Anne Derome, Wolf Edwards, André Hamel, Nicolas-Alexandre Marcotte and Rodney Sharman
pp. 61–74
AbstractFR:
Cette enquête sur les rapports entre musique de création et spiritualité, qui se veut avant tout un espace de réflexion, prend la forme d’un forum à sept voix, présenté et commenté par l’auteur. Sept musiciens de générations, pratiques et esthétiques variées ont accepté de répondre, par courriel, à l’automne 2010, aux questions mises au point par la rédaction de Circuit. Il s’agit de Sandeep Bhagwati, Frans Ben Callado, Julie-Anne Derome, Wolf Edwards, André Hamel, Nicolas-Alexandre Marcotte et Rodney Sharman. Le champ lexical du questionnaire, particulièrement polysémique (« spiritualité », « sacré », « transcendance », « absolu »), a stimulé des réponses d’une frappante variété de points de vue. Toutefois, des constantes se détachent, notamment l’absence presque complète de la foi dans les propos tenus. On peut ainsi penser que les acteurs de la musique de création, en phase avec leur époque, tendent vers une « spiritualité sans Dieu », telle que décrite par le philosophe André Comte-Sponville.
EN:
This investigation of the relationship between the music of creation and spirituality is primarily a reflection set as a forum in seven voices, including remarks by the author. In the fall of 2010, seven musicians from different generations, practices and aesthetics agreed to answer by email the questions drawn up by Circuit’s editorial board. The musicians were Sandeep Bhagwati, Frans Ben Callado, Julie-Anne Derome, Wolf Edwards, André Hamel, Nicolas-Alexandre Marcotte and Rodney Sharman. The questionnaire’s lexical field, particularly polysemic (“spirituality”, “sacred”, “transcendence”, “absolute”), elicited a striking range of viewpoints. But certain constants stand out, notably the almost total absence of faith in the views held. Apparently, the practitioners of the music of creation, in tune with their times, defer to a “spirituality without God” as set forth in the philosophy of André Comte-Sponville.
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Entre liturgie et rituel : Feldman et Messiaen : dialogue imaginaire sur la spiritualité dans la musique
Simon Bertrand
pp. 75–79
AbstractFR:
La spiritualité en musique se limite-t-elle à la représentation d’un dogme et l’utilisation des diverses composantes de sa liturgie, ou s’agit-il aussi d’une certaine approche du son que l’on peut retrouver dans les stratégies compositionnelles du compositeur ? Telle est la question que veut poser cet article, où il est souhaité de générer, par l’interprétation de certains de leurs écrits, une sorte de dialogue imaginaire entre le « compositeur théologique » Olivier Messiaen et le « mystique agnostique » Morton Feldman. Il est aussi souhaité de réfléchir sur les rapports entre spiritualité et musique en général dans la musique du xxe siècle, ainsi que sur les diverses implications qu’une quête spirituelle peut avoir sur la production et la pensée esthétique d’un compositeur, que celui-ci soit croyant ou non, et que cette quête se concrétise par des oeuvres dites « sacrées » ou « profanes ».
EN:
Is spirituality in music confined to the representation of a dogma and the use of liturgical components, or is it also a certain approach to sound inherent to the composer’s compositional strategies? This paper raises this question in hopes of generating a kind of imaginary dialogue between the ‘theological’ composer Olivier Messiaen, and the ‘agnostic mystic’ Morton Feldman by interpreting some of their writings. A further aim is to consider the relationship between spirituality and music in general in 20th century music, and the implications of a spiritual quest on a composer’s production and aesthetic thinking, whether or not the composer is a believer, and how this quest is actualized in works called “sacred” or “profane”.
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Réflexions sur l’art et ma musique
Simon Martin
pp. 81–84
AbstractFR:
Reprenant plusieurs notions clés d’esthétique contemporaine, l’article propose une vision désacralisée de l’art – duquel est évacuée toute trace de transcendance et de métaphysique – tout en réaffirmant son lien obligatoire avec la pensée critique et philosophique. Précisément, sur le plan formel, l’art peut être considéré comme un processus immanent en ce qu’il se transforme par un tel retour critique, caractérisé par des remises en question successives de sa propre existence. D’un point de vue global, l’art apparaît comme une conséquence immanente contingente de nécessités humaines, c’est-à-dire une activité quelconque, parmi d’autres, qui pourrait ne pas exister et qui répond, néanmoins, à des besoins inhérents au fait d’être humain. L’auteur, lui-même compositeur, expose quelques éléments de sa propre réponse artistique découlant de cette vision.
EN:
Revisiting several key concepts in contemporary aesthetics, this article advances a desacralized vision of art – one that removes all traces of transcendence and metaphysics – while reaffirming its necessary link with critical and philosophical thinking. Art can be formally defined as an immanent process of transformation through critical reflection, characterized by a successive questioning of its very existence. From a global perspective, art appears to spring from a human need, an activity, among others, that might not exist but for this inherently human response. The author, himself a composer, demonstrates several facets of his own artistic response that spring from this vision.
Actualités
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Nouveautés en bref
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Jimmie LeBlanc, Luigi Nono et les chemins de l’écoute : entre espace qui sonne et espace du son. Une analyse de No hay caminos Hay que caminar… Tarkovskij, per 7 cori (1987), Paris-Montréal, L’Harmattan, 2010, 140 p.
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André Villeneuve, Ouvrier d’harmonies, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 2010, 312 p.