Abstracts
Résumé
Si les spéculations idéologiques concernant les différences biologiques entre les sexes persistent dans le domaine de la création, elles ont été mises en valeur dès 1970 par des écrivaines et plasticiennes pour oeuvrer en fonction de mythes spécifiques touchant à leur féminité, au corps de la femme chargé de stigmates, afin qu’émerge un « art féminin ». D’une certaine manière, des compositrices vont emprunter cette voie en affirmant entretenir un rapport différent de celui des hommes à l’écriture musicale. Selon elles, leur sensibilité spécifique et leur situation d’être au monde les poussent à travailler autrement, à partir de thématiques « existentielles » inspirées de leur condition sociale et culturelle. De telles circonstances ont provoqué cette quête identitaire par l’invention d’un style artistique particulier qui, paradoxalement, use de ce qui était considéré par un féminisme radical comme les pièges de la féminité. Cet article tente de montrer que ces spécificités, du moins ces constantes relevées par les créatrices expliquant leur démarche, sont le résultat de recherches esthétiques pour caractériser une création universelle au féminin, et non le produit de diktats biologiques.
Abstract
Although ideological speculations over the biological differences between the sexes continue to haunt the field of music composition, as early as 1970, women writers and visual artists were heavily engaged in discussions of myths about femininity and a heavily stigmatized female body. They did this to promote the emergence of “women’s art.” To some extent, women composers also embraced this, by affirming that their relationship to composition was much different from their male counterparts. These essentialist feminists posited that a specifically female sensibility and place in the world pushed them to work differently—to be rooted in “existential” themes inspired by their social and cultural condition. These circumstances opened up the question of identity, through the invention of a particular artistic style that, paradoxically, reclaimed what radical feminists viewed as women’s pitfalls. This article reveals that essentialist features of women’s music—at least as women composers defined them—resulted from a desire to delineate the universally feminine in art, and were not the product of biological dicta.
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Appendices
Note biographique
Sophie Stévance
Artiste lyrique, altiste et musicologue, Sophie Stévance s’intéresse à l’interdisciplinarité, aux pratiques musicales alternatives et à la place des femmes dans la création contemporaine. Elle est l’auteure de plusieurs articles (Neuwirth, Léandre, Canat de Chizy, Scelsi, Tessier, Sibelius ou Bayer) et notices biographiques (MGG), d’un livre sur l’Itinéraire (prix de l’Académie Charles Cros) et multiplie les conférences spécialisées en historiographie (Ircam ; Ehess), épistémologie (Rouen), esthétique (Sorbonne) ou analyse (Montréal). Après avoir obtenu, en 2000, deux premiers prix du Conservatoire en interprétation, elle soutenait sa thèse de doctorat en musicologie sur les rapports de Marcel Duchamp à la musique (livre à paraître sous le titre Duchamp, compositeur) à l’Université de Rouen, où elle a enseigné l’histoire de la musique des xviiie et xxe siècles. Chercheure à l’OICCM, récipiendaire des bourses de recherches postdoctorales de la Fondation Singer-Polignac (2005) et du CRSH (2007), elle enseigne à la Faculté de musique de l’Université de Montréal depuis 2006.
Notes
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[1]
Réaction qui n’a d’ailleurs pas d’équivalent lorsque ne sont programmées que des oeuvres d’hommes, tout comme l’on ne s’étonne jamais de voir figurer ces dernières à l’affiche des activités musicales régulières des saisons officielles.
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[2]
Véronique Lacroix constate, en effet, qu’un « vide générationnel » creusé par le faible nombre de compositrices québécoises francophones nées entre 1965 et 1985 est étrange et mériterait une observation attentive du phénomène.
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[3]
On citera encore le témoignage éloquent de Joëlle Léandre (2008, p. 113-114) : en tant que « femme musicienne, contrebassiste, jouant ici et là, dans le monde, sans contrainte esthétique et, qui plus est, dans un monde d’hommes, rien n’a changé. Les femmes qui sont là travaillent toujours dix fois plus pour être entendues ! Il n’y a pas autant de femmes que d’hommes sur les scènes des musiques créatives. Je l’ai souvent dit et je le répète : où sont mes soeurs ? Nous sommes toujours trop peu. Il y a des loups qui sont là et qui ne te laissent pas de place, c’est la jungle. […] Je mène cette vie depuis plus de trente ans. Donc tu imagines bien que j’ai pu observer beaucoup de choses […] C’est une vie d’hommes entre hommes. »
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[4]
De même, les films des réalisatrices Catherine Breillat ou Virginie Despentes montrent diverses formes de sexualité féminine proches de la « pro-pornographie », entre violence, domination et soumission.
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