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La tradition des numéros « Cinélekta » se poursuit avec ce neuvième volume, lequel, comme il est de mise avec ces numéros, offre une perspective éclatée sur la recherche actuelle en études cinématographiques. L’hétérogénéité des approches, objets d’étude et épistémologies que renferme un tel numéro ne se veut certes pas rédhibitoire, comme elle le serait dans un dossier ayant pour projet de développer une thématique. Pas de projet d’ensemble ici, si ce n’est celui de privilégier des trajets. En laissant donc momentanément de côté le projet d’ensemble du bien connu « dossier thématique » afin de favoriser davantage les trajets, Cinémas souhaite mettre de l’avant les différents processus et diverses postures de recherche qui oeuvrent à l’intérieur de notre champ d’études en perpétuelle transformation. « Cinélekta » est donc un symptôme, un indice de la vitalité d’un champ qui n’a rien d’une carrière ou d’un sépulcre voué à la stase et à l’autocongratulation. Différentes trajectoires donc, qui, chacune à sa façon, dresse le tableau d’un champ qui, depuis plusieurs années, se démarque par sa diversité, certes, mais aussi et surtout par sa complexité heuristique.
Nous rencontrons cette complexité tant au coeur d’analyses qui agencent des intuitions philosophiques transhistoriques – de Benjamin à Kant – à la dimension spirituelle et existentielle du cinéma d’Agnès Varda (JiaoJiao Xia), qu’au travers des études des stratégies déictiques véhiculées par les différentes transcréations de la prose d’Anne Hébert (Marie Pascal). Cette complexité est également heuristique, en ceci qu’elle révèle toute la richesse épistémologique d’un cinéma, voire d’une production audiovisuelle populaire ayant trop longtemps figuré dans l’angle mort de la recherche académique. Qu’il s’agisse d’analyser les performances de Clint Eastwood sous l’angle de la nouvelle masculinité (Antonio Cantos Ceballos), l’adhésion spectatorielle aux séries télé antépisodiques de type thriller (Anne-Sophie Gravel), l’écho social des films de zombies (Emilio Audissino) ou l’expressivité politique au sein de la science-fiction brésilienne (Alfredo Suppia), un même geste théorique se manifeste : celui qu’instaure, en premier lieu, le labeur de la pensée à l’aune du dialogue des genres, des approches et des épistémès. À ces dialogues se joignent des études qui approfondissent de manière originale et inédite des contributions théoriques et philosophiques d’auteurs bien connus, comme Stanley Cavell (Benjamin Lesson), ou des savoirs qui ne demandent qu’à être revisités à nouveaux frais, comme ceux entourant les dispositifs de propagande coloniale en Afrique (Vincent Bouchard). Cette neuvième édition de « Cinélekta » souhaite ainsi, comme les huit précédentes, proposer un polaroid de la recherche scientifique au sein des études cinématographiques actuelles.
Je ne peux conclure cette introduction sans annoncer une autre conclusion. Ce numéro s’avère être le dernier paraissant sous ma direction. Directeur de la revue Cinémas depuis 2016, j’ai eu l’immense plaisir d’être témoin des recherches les plus enthousiasmantes et d’avoir assisté de près à l’élaboration de projets tous plus passionnants les uns que les autres. Ces huit années à la direction de l’une des revues francophones d’études cinématographiques les plus réputées au monde n’ont cependant pas été de tout repos. Les profonds changements au sein de l’écosystème des revues savantes ont amené Cinémas à simplifier son modèle de diffusion et à embrasser le mouvement de la science ouverte et du libre accès. La revue a poursuivi sa mission avec succès, malgré les obstacles que la pandémie a mis dans son chemin, et c’est sans arrogance que l’on peut affirmer qu’elle demeure une publication de premier plan dans le champ de plus en plus élargi des études cinématographiques.
J’ai également eu l’immense privilège de poursuivre le travail de direction entamé par le cofondateur de Cinémas, Michel Larouche (1990-1999), prolongé par mon distingué collègue André Gaudreault (1999-2015). C’est avec humilité que j’ai tenté de perpétuer la mission de la revue, tout en respectant la rigueur, la scientificité et la passion héritées de mes prédécesseurs. C’est aussi avec confiance, et le coeur léger, que je confie la direction à Viva Paci. Non seulement Viva connaît bien la revue – pour y être associée comme membre du Comité éditorial depuis de nombreuses années –, mais elle est aussi habitée d’une passion certaine pour le cinéma, la recherche et la diffusion, ce qui fera d’elle, j’en suis profondément persuadé, une grande directrice. Je lui souhaite la bienvenue à bord, et ne peux que lui signifier ma grande joie de savoir Cinémas entre de si bonnes mains.
Je profite de ces dernières lignes pour remercier celles et ceux sans qui Cinémas ne saurait fonctionner. Merci aux organismes subventionnaires (CRSH et FRQSC) et à l’Université de Montréal. Merci aux membres du Comité éditorial et du Comité international. Merci à l’équipe – Marnie Mariscalchi, Xavier Curtenaz – et à tous nos collaborateurs. Merci aux auteurs et aux évaluateurs. Merci surtout à vous, lectrices et lecteurs, sans qui Cinémas ne pourrait exister.
Longue vie à Cinémas !