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L’éclatement contemporain du « cinéma » remet en cause ses définitions habituelles. Va-t-on appeler « cinéma » la consommation de séries télévisées sur Netflix, ou d’autres services de vidéo sur demande, dont la qualité de filmage et de scénario va produire pour les spectateurs une « expérience cinématographique » (impression de réalité et plaisir spectatoriel généralement attribués au cinéma, par exemple) parfois supérieure à celle d’un film en salle ? Va-t-on appeler « cinéma » le filmage d’un happening artistique insitu par un téléphone mobile immédiatement téléversé sur une plateforme audiovisuelle en ligne, pour être ensuite regardé sur un autre mobile ? Et ainsi de suite. L’une des pistes de définition que nous avons proposée (Soulez 2015, 240-45) est de séparer nettement (pour mieux les articuler) la notion de média de celle de médium afin d’envisager le rôle du média dans l’évolution des formes prises par le médium. Défini comme organisation sociale (et professionnelle) de diffusion culturelle, le média, dans cette perspective, peut être envisagé comme cause formelle (ce que nous appelons le « levain » des médias), permettant de comprendre comment un média peut agir sur un médium, lequel est alors défini comme la composante matérielle, technique et formelle qui est donnée à voir et à entendre aux spectateurs.

Pour ce faire, il a été nécessaire de mettre à plat, de déplier ce qu’on a coutume d’appeler le « dispositif » (du cinéma, de la télévision, etc.) pour distinguer ces deux dimensions (média versus médium), mais aussi pour décomposer le « médium » lui-même afin d’observer sur quelle dimension – régime formel, matériau et/ou support[1] – le média se mettait à agir (Soulez 2015, 246-49). À la lumière du célèbre DomJuan de Marcel Bluwal (1965), nous pouvons alors expliquer les articulations parfois complexes (souvent nommées « hybridations ») au sein des objets audiovisuels pris entre plusieurs médias. Incarnant la vocation culturelle du média télévision, empruntant au reportage et à la présentation télévisuelle certains de ses codes, tout en étant, d’un point de vue matériel, tourné avec des acteurs de cinéma, en 35 mm, mais également inspiré, d’un point de vue formel, du western et du Septième sceau (Ingmar Bergman, 1957), cette dramatique d’un nouveau genre s’approprie le médium du cinéma pendant le tournage tandis que, en sens inverse, la télévision (comme média) impose sa marque dans le tissu même du film. Infine, le dernier mot de l’analyse reste alors aux spectateurs qui fabriquent eux-mêmes le sens médiatique, en fonction de leur appréhension de chacune des deux instances, avec des surprises lorsque les écarts temporels se font importants – marquant des modifications fortes de la littératie médiatique[2].

En dépliant ainsi le dispositif, nous avons laissé de côté un temps son caractère contraignant. Pour réintroduire dans l’analyse le caractère heuristique de ce concept qui permet notamment d’expliquer comment se lient des dimensions hétérogènes (matérielles et idéologiques, techniques et formelles, etc.), nous proposons ici de retravailler une première théorie du dispositif, celle de Pierre Schaeffer (1970). Celle-ci a été mise au point en 1967, avant la proposition faite par Jean-Louis Baudry en 1975, qui fut préfigurée en 1970 par la notion d’« appareil de base » (Lochard 1999), et qui est encore aujourd’hui l’un des points de départ des discussions pour penser le devenir du cinéma à l’ère numérique (la « querelle du dispositif »), au risque d’un certain dialogue de sourds (Gaudreault et Marion 2013, 35-37). Comme nous allons le voir, la notion de dispositif est liée à une pensée de l’emploi et de l’usage hic et nunc chez Schaeffer. Elle permet ainsi de comprendre comment le dispositif a une fonction opérationnelle d’articulation, de liaison entre le média et les différentes dimensions du médium. En fixant un point d’analyse synchronique, elle permet de compléter l’hypothèse d’une cause formelle du média sur le médium en se distinguant, d’une part, d’approches diachroniques (évolution historique des pratiques culturelles ; histoire des inventions techniques ; théorie des « séries culturelles »), tout en s’opposant, d’autre part (et par avance, puisqu’elle est antérieure), à des approches descendantes (ou top-down) du « dispositif » – inspirées par le panoptique de Foucault – dans la théorie du cinéma ou des médias, qui ne prennent pas en considération cette logique de l’emploi ni la dimension foncièrement historique des médias[3].

Comme d’autres théories du dispositif, celle de Schaeffer est bien, en effet, sous-tendue par une théorie de l’évolution des médias : il propose une « génétique des mass media » originale, méconnue, qui, en s’articulant avec sa théorie du dispositif, et en s’appliquant aux productions (dites « expérimentales ») dont il a eu l’initiative et la responsabilité au sein du Service de la Recherche de la RTF (qu’il a créé et dirigé de 1960 à 1974), permet de trouver des solutions théoriques fort utiles pour penser le rôle du dispositif aujourd’hui (notamment en pensant une innovation « à rebours » d’un standard installé, et non pas comme une étape première qui fait ensuite l’objet d’une standardisation). Après avoir montré la force – et donc la pertinence – de l’usage pour penser des situations intermédiales instables (ou non institutionnalisées) comme des jeux sur les catégories (le cas de la « TV d’Orange »), nous choisissons deux cas d’étude (l’émission Enseignants-Enseignés et le webdocumentaire Fort McMoney) qui, tout en étant situés à des époques distinctes, nous paraissent emblématiques, à la fois, de questions d’instabilité médiale (médium) et médiatique (média), et de la façon dont, envisagée autrement, la notion de dispositif permet d’en rendre compte. Nous verrons ainsi qu’un dispositif peut être pensé comme un lieu d’articulation entre des logiques d’usage différentes, voire contraires, et pas seulement comme un système stabilisé selon une postulation dominante, ou comme un système surdéterminant la relation au spectateur.

En réélaborant et en clarifiant ici ce qu’on peut entendre par « dispositif », notre thèse est alors que cette notion est utile pour décrire la situation contemporaine d’« éclatement », car elle permet de voir comment le dispositif peut être au coeur de simples ajustements (qui maintiennent les conventions et les usages associés à des standards), ou révèle, au contraire, des conflits d’échelle entre plusieurs niveaux en jeu (que les expérimentations ont souvent pour effet de rendre visibles). En complexifiant le dépliage entre médium et média, la notion de dispositif entendue en ce sens débouche en effet sur une analyse scalaire des relations intermédiales qui permet de mieux situer où ont lieu les changements, voire les éclatements, du cinéma aujourd’hui.

De nouvelles expériences ?

Une déstabilisation généralisée du « cinéma » et de la « télévision »

On est, certes, frappé par les ressemblances entre les formes contemporaines du « cinéma » (numérique, transmédia, interactif, consommé sur les mobiles…) et le cinéma dit « des premiers temps » (avec le retour de l’attraction ou de l’« animage » [Gaudreault et Marion 2013, 211 et ss.]), ou le cinéma sériel des années 1910-1950 (le cinéma a presque toujours été sériel), ou encore les premières expériences d’interactivité (comme le Sensorama de 1962, inventé par Mortin Heilig, cabine de cinéma immersif équipée d’un siège vibrant en fonction de l’action, diffusant des odeurs, considéré par certains auteurs comme l’ancêtre des casques de réalité virtuelle[4]). Or, si l’on retient cette définition purement technique du « dispositif » comme appareillage, on sait bien que l’on perd le rôle essentiel des stabilisations culturelles et des contextes médiatiques au sein desquels viennent se loger ces appareils : s’il y a une leçon à tirer des recherches des trente dernières années, c’est qu’il faut étudier ensemble média et dispositif.

Il importe en particulier de ne pas perdre de vue que la même déstabilisation des repères contemporains touche la télévision du fait de son absorption par Internet (on parle de « fin de la télévision » [Missika 2006] tout autant que de « fin du cinéma ») : ces mêmes séries Netflix, proposées d’un coup en ligne, et consommées sur d’autres écrans qu’un téléviseur, sont-elles encore de la télévision ? Les expériences de direct (live) en salle (pièces de théâtre, concerts, opéras, manifestations sportives…) relocalisent-elles (Casetti 2012, 14-16) la télévision dans une salle, en mettant fin à la caractéristique télévisuelle de la réception domestique, ou proposent-elles une nouvelle expérience de cinéma, précisément opposée au home cinema, car elle permet de retrouver l’expérience collective ? Etc. Cette double déstabilisation offre l’intérêt de nous pousser à penser ensemble cinéma et télévision, comme le montrent exemplairement les deux aspects de la sérialité et du direct[5] qui ont migré dans les deux sens d’un domaine à l’autre. Elle permet ainsi d’élargir le champ considéré, que certains médias agissent dans les deux domaines ou que la comparaison des domaines fasse apparaître des fonctions spécifiques, ce qui évite une approche centrée sur un seul média.

Partir des usages pour penser l’interaction entre médium et média

L’alignement des planètes qui fait que le même nom est donné au média, au médium et au dispositif (« cinéma » ou « télévision ») est à envisager comme un cas particulier de stabilisation culturelle qui superpose, voire écrase, les différentes dimensions en jeu, pour les considérer d’un seul tenant comme produisant en effet une seule et même expérience (« voir un film », « voir une émission de télévision »), laquelle peut être indépendante de la stabilisation dite « institutionnelle » (Gaudreault et Marion 2013, 149 et ss.) du média. Ainsi, en 2008, l’opérateur historique de téléphone en France, France Télécom, devenu Orange au cours des années 2000 (après le rachat d’une filiale anglaise portant ce nom), lance cinq chaînes thématiques accessibles par satellite et télévision numérique terrestre (TNT), la « TV d’Orange », sous la bannière « Orange Cinéma Séries » (puis OCS), en assimilant donc séries et cinéma, conformément aux pratiques cinéphiliques et plus généralement spectatorielles qui, au cours des années 1990-2000, tendent à les mêler dans les usages de collection ou d’échanges (Kasprowicz 2008, 88-135 et 280-82). On peut donc distinguer le média (Orange comme nouvel opérateur culturel et la « TV d’Orange » comme le nom de son offre culturelle – équivalent à celui d’une chaîne de télévision) du médium composé du support technique et du dispositif de visionnage (OCS peut être consommé sur tous les écrans), ainsi que des formes proposées qui rapprochent dans une même catégorie films (de cinéma) et séries (de télévision), en les redistribuant selon cinq axes plus ou moins thématiques ou stylistiques (action, famille, grand spectacle et stars, patrimoine, cinéma indépendant).

On pourrait s’étonner ici de la discordance catégorielle entre cinéma et séries, puisque cinéma s’oppose à télévision, et séries à films, mais la logique de l’usage, on le voit, s’impose à l’opérateur qui aspire les séries pour les assimiler au cinéma, et les séparer du reste de la télévision. Des ciné-série-philies mixtes existent également, en particulier celle qui mêle cinémas « de genre » et séries de genre (fantasy, science-fiction, policier, aventure, etc.), sans doute parce qu’ils partagent davantage – notamment en tant que médium – que la séparation médiatique entre cinéma et télévision ne le laisse accroire. Inversement, si l’idée d’un « orangenaute[6] » avancée en 2008 par un critique ne prend pas, dans la mesure où la technique et la relation commerciale seules ne peuvent pas rendre compte de la relation qui s’instaure avec quelque chose qui reste « du cinéma » ou « de la télévision », l’idée d’une « TV d’Orange » a survécu. L’instabilité et du cinéma et de la télévision n’empêche ainsi pas du tout les usages d’articuler (et de nommer) des médias et des médiums les uns par rapport aux autres.

Penser en synchronie : usages, dispositif et « génétique des médias »

Pierre Schaeffer : une autre théorie du dispositif…

Partir des usages spectatoriels (pratiques de visionnage et modes de lecture) pour envisager de façon synchronique la situation contemporaine a des conséquences importantes pour l’analyse des formes audiovisuelles : cette approche garantit une forme de prudence dans l’examen des situations médiatiques à considérer au présent de l’usager[7]. Si l’on part, comme nous le proposons, de la discussion sur les standards, et plus généralement sur les conventions dont les standards sont la forme figée, en tant qu’ils sont révélateurs de notre relation aux médias, on trouvera des pistes en ce sens chez Pierre Schaeffer, qui combine une réflexion sur le dispositif à une réflexion sur la « genèse » ou la « génétique » des médias. Se situant en amont de la façon dont le dispositif a été pensé après Baudry, c’est aussi la théorie a posteriori[8] d’un professionnel de la radio, du cinéma et de la télévision, qui cherche à connecter l’ouverture des possibles à l’expérimentation professionnelle et à la compréhension des mécanismes de réception du public. Pour Schaeffer, la notion de « dispositif » a un sens d’abord opérationnel ; avant même l’« invention » de la « musique concrète », ses expérimentations personnelles, dans les années 1930, portent en particulier sur la spatialisation du son (Kaltenecker et Le Bail 2012, 18) : selon l’emplacement des micros mais aussi des haut-parleurs, l’expérience musicale est modifiée, le support technique et l’organisation concertée des différents éléments de production et de réception du son – ou dispositif – font varier le matériau sonore lui-même (tel que fabriqué et tel que reçu)[9]. Or, Schaeffer est très tôt conscient du fait que l’auditeur de radio ne peut goûter cet élargissement du paysage sonore que si cette recherche est situable pour lui par rapport à des repères qui lui sont familiers, l’un des mouvements fondamentaux de sa pensée étant de passer du « rêveur à l’usager[10] » : l’usage décide en dernier ressort.

La réflexion sur le dispositif fait alors retour dans la théorie de Schaeffer au cours des années 1960 (en particulier avec la formule « cinéma et télévision ne sont pas des genres, ce sont des dispositifs[11] ») en incluant plus nettement la question de la diffusion culturelle des simulacres audiovisuels : Schaeffer élargit la notion de « dispositif » à l’ensemble de la situation culturelle (le fait que le cinéma se donne à voir en salle relève de son « dispositif »), sans quitter son acception opérationnelle (logique d’emploi) initiale. Si l’on veut « déconditionner » le spectateur par rapport à ses habitudes pour qu’il puisse participer à l’ouverture des possibles proposée par les créateurs (ceux-ci devant, réciproquement, se déconditionner des pratiques professionnelles sclérosantes), il faut prendre en compte cette « nouvelle culture » dans laquelle radio, cinéma et télévision se donnent sous des formes standard, bien identifiées par les auditeurs, spectateurs ou téléspectateurs. Le pari du Service de la Recherche (désormais « le Service ») – dont Machines à communiquer I. Genèse des simulacres, en 1970, propose aussi un premier bilan[12] – est d’amener le public lui-même à prendre la mesure des standards qu’il utilise par habitude et donc des écarts intéressants que les productions du Service peuvent lui proposer en vue d’élargir sa sensibilité et sa compréhension du monde, de sa propre place dans ce monde, et des simulacres audiovisuels du même mouvement. De petits ou grands déplacements rendent visibles les articulations entre formes, médium, dispositif et média. Par exemple, le Service encourage les films fondés sur le mouvement image par image, qu’il s’agisse d’animation expérimentale ou de films photographiques – comme La jetée de Chris Marker (1962), coproduit par le Service – dans la mesure où le type d’expérimentation proposé rappelle qu’il y a du dessin sous le film d’animation, ou de la photographie sous le film en vues réelles[13]. Remonter la génétique des médias à l’envers est l’un des moyens de faire voir le dispositif (qui inclut ce que nous attendons d’un film d’animation, ce que nous attendons d’un film narratif, voire ce que nous attendons d’un film… expérimental).

… articulée à une autre génétique des médias

Les cinq phases de la « génétique des médias » (Schaeffer 1970, 28 et ss.) sont alors les suivantes : « phase zéro ou de retransmission » ; « phase un : moyen d’expression original » ; « phase deux : instrument de recherche » ; « phase trois : élaboration d’une nouvelle culture » ; « phase quatre : naissance d’un pouvoir ». Anticipant sur la notion de « remédiation » de Bolter et Grusin, Schaeffer considère que la phase zéro (quand la télévision des débuts diffuse du cabaret, du théâtre ou du cinéma, par exemple) est « déjà incluse dans la phase suivante » : « On diffuse l’acquis. On n’aperçoit ni les transformations de l’expression, ni la modification de la communication. » En revanche, avec le gros plan ou les émissions en direct, qu’il s’agisse d’information, de sport ou de dramatiques, le cinéma et la télévision explorent (phase un) leur propre moyen d’expression. Le plus original est à venir : Schaeffer considère que la phase « expérimentale » vient après : c’est la phase deux qui permet « l’examen des processus de création et […] de communication » au sein du « studio de diffusion qui se révèle être un laboratoire expérimental ».

Si nous laissons de côté la phase quatre (ce sont des questionnements qui relèvent du « quatrième pouvoir » accordé aux médias), à rebours donc des histoires des médias qui considèrent que la phase « expérimentale » est première (au sens où elle correspondrait à la mise au point technique par des ingénieurs et à l’invention de programmes par des pionniers de la création), Schaeffer met l’accent sur l’expérimentation qui a lieu une fois que le média est installé, comme une deuxième phase de découverte, plus fondamentale, car elle remonte jusqu’aux processus eux-mêmes, à la racine de ces processus, pour explorer les possibles laissés de côté en raison de la direction prise, à un moment donné, par le média dans sa course historique. On voit l’intérêt de l’approche schaefférienne d’une histoire des formes médiatiques pratiquées, qui vise à mettre l’accent sur des moments logiques (« phases ») et à observer en synchronie la superposition des dynamiques qui fabriquent, « génèrent » tout à la fois le média et ses formes (nouvelles, standard, expérimentales). Or, cette phase deux est elle-même prise dans la phase trois : il est déjà trop tard, en quelque sorte, cinéma et télévision sont devenus parties prenantes d’une « nouvelle culture », avec ses « habitudes culturelles ». L’expérimentation doit donc se battre sur deux fronts : remonter aux possibles non advenus, tout en luttant contre les habitudes déjà standardisées du public. Si on la systématise un peu plus que ne le fait Schaeffer lui-même, on voit donc que, dans la pensée schaefférienne, dispositif, habitudes, conventions et recherche sont intimement liés de façon complexe et dialectique. En effet, au cours de la phase trois, l’analyse du dispositif (par le professionnel ou le spectateur) permet la remise en cause des habitudes (ou « déconditionnement ») sous la forme d’un nouveau dispositif (ou « dispositif de recherche ») qui remet lui-même en cause – expérimentation ou phase deux – les conventions stabilisées (ou fossilisées) par un réagencement des différents paramètres et/ou parties prenantes d’un ou de plusieurs dispositifs figés, en explorant notamment tout ce qui n’a pas été découvert en phase un. La notion de dispositif sert ainsi davantage à pratiquer et à penser le changement que la fixité.

Du dispositif schaefférien à l’analyse des dispositifs en situation intermédiale

Une étude de cas : Enseignants-Enseignés

Bien qu’ingénieur, Schaeffer met donc l’accent non sur la technique mais sur le programme et les formes elles-mêmes comme produits d’un dispositif technico-culturel qui conserve les caractères du jeu et de la plasticité : alors même qu’un certain dispositif est installé, qui donne une place à chacun (le créateur, le producteur, le public), il est encore possible de jouer sur les agencements propres au dispositif pour créer de la surprise, de l’intérêt, une prise de conscience pédagogique ou philosophique. Ainsi, en 1973, dans l’émission Enseignants-Enseignés, qui cherchait à établir un nouveau type de dialogue entre élèves et professeurs, le dispositif habituel (en l’occurrence celui du « débat télévisé » standard des années 1970) est décomposé, y compris sur un plan scénographique, en conservant le côté des élèves et le côté des enseignants sur le plateau de télévision. En premier lieu, en l’absence de leurs professeurs, on enregistre les réactions d’élèves à un film d’animation de Peter Foldès sur le progrès technique et l’avenir de l’humanité (Plus vite, Service de la Recherche, 1968), fondé sur des transformations à vue, tout en faisant défiler les images de droite à gauche (une voiture devient une fusée, etc.). Puis on enregistre les professeurs en l’absence des élèves, avant de confronter les uns et les autres aux enregistrements de la partie d’en face. Cela produit un « débat » bien différent, chacun des deux groupes étant confronté aux représentations que l’autre groupe se fait de lui. De ce fait, les téléspectateurs se rendent compte invivo, d’une part, que les standards du débat télévisé peuvent nuire à l’échange réel des points de vue (jeux de rôle sociaux et dichotomie des points de vue déterminés par la scénographie et le présentateur), d’autre part, que la vidéo est toujours un enregistrement (dimension que tend à faire oublier la continuité de l’échange), ce que le dispositif explicite et utilise ici pour produire un « court-circuit », c’est-à-dire un jeu sur le dispositif attendu (ou standard). Il s’agit, enfin, comme souvent en réalité, d’un emboîtement de dispositifs qui permet des réagencements à l’intérieur d’un dispositif cible donné (ici, le débat télévisé traditionnel), d’autant que le jeu avec le dispositif permet un jeu sur la programmation (qui fait partie du dispositif télévisuel sous la forme, notamment, de rendez-vous avec le public) : le film, en effet, est donné à voir en intégralité aux téléspectateurs – c’est donc bien un film diffusé à la télévision. Enseignants-Enseignés mêle donc trois types d’émissions : la diffusion de films à la télévision, le magazine thématique (ou l’émission-dossier) et le débat télévisé, qui sont confrontées elles-mêmes à un quatrième dispositif, non télévisuel (mais qui utilise l’audiovisuel) : la diffusion-débat d’un film en classe.

Il ne s’agit pas du simple aménagement d’un dispositif donné, mais bien d’un réagencement de celui-ci dans la mesure où la place du spectateur est aussi transformée : ce dispositif expérimental a, en particulier, pour fonction de lui rappeler que c’est pour lui que deux groupes sont séparés. On observe également que ces émissions à « dispositif conceptuel » (Flageul 1999, 124-25) ou « dispositifs de recherche » (terme du Service) ont pour fonction d’attirer l’attention du spectateur sur la dimension technique, matérielle (y compris le matériau humain) du dispositif. L’un des signes frappants de ce changement est que le présentateur – d’habitude au milieu, symétriquement à la position des téléspectateurs, au centre d’un jeu de champ/contrechamp – est ici obligé de se trouver du côté d’un groupe, puis de l’autre, cette bizarrerie (Flageul parle de « brouillage », de « trouble » et de « malaise » [127]) marquant clairement, acontrario, le caractère construit de l’agencement standard.

Penser les enchâssements : conventions, dispositifs et intermédialité

Dans le cadre d’une génétique des médias qui observe l’évolution à l’endroit et à l’envers, chaque étape ouvre de nouvelles possibilités d’expression et d’expérimentation sur les formes déjà installées, ce qui est plus proche de la réalité de l’expérience professionnelle et de la sédimentation des expériences des spectateurs. Elle permet aussi d’échapper à une généalogie purement technique et substitue l’innovation, nécessairement culturelle et culturalisée, à l’invention technique. La logique de l’emploi de Schaeffer est donc l’inverse de celles de Baudry et de ses successeurs qui définissent le « dispositif » de façon descendante, selon un point de vue qui est celui du pouvoir ou de l’ordre symbolique qui organise la relation (de domination) entre l’appareil (idéologique) et le positionnement spectatoriel, comme le souligne Kessler[14]. En revanche, ce que partage Schaeffer avec les théoriciens du dispositif qui se situent dans la perspective foucaldienne d’un agencement organisé d’éléments hétérogènes, c’est la présence de plusieurs niveaux enchâssés – depuis la disposition spatiale des micros jusqu’à l’existence d’un réseau de salles ou de téléviseurs domestiques – qui font sens ensemble. Cependant, l’approche plus opérationnelle du théoricien du Service est précisément de montrer qu’il est possible de changer des paramètres à chaque niveau d’enchâssement : le jeu est ouvert, et une grande part du plaisir spectatoriel consiste à jouer avec les dispositifs à travers les formes audiovisuelles.

Dans cette perspective, les conventions fonctionnent comme des régulations sémiotiques et pratiques : elles témoignent de la relation entre le média et le médium à un moment donné (d’où les batailles de définition ontologique qui ont lieu dans des moments critiques), mais, on l’a peut-être moins observé, elles sont aussi la face visible de la façon dont le dispositif régule en interne les relations entre matériau, régime formel et support. De même que Sganarelle, dans le DomJuan de Bluwal, devient une sorte de présentateur (ou disons d’anchorman pour marquer son rôle d’ancrage) dans une dramatique en plein air, de même la voix intérieure d’un témoin de l’histoire qui densifie le regard du spectateur est une forme qui appartient au régime « classique » du cinéma hollywoodien, mais qui, transposée dans les formes sérielles, apparaît « innovante » en se combinant avec la sérialité (avant Desperate Housewives [2004], on en trouve un essai bien identifié dans le pilote d’Ally McBeal [1997], par exemple, même si ce n’est sans doute pas la première série fictionnelle à l’employer). Ce que la théorie du dispositif a bien perçu, c’est le rôle structurant du dispositif ; mais en le dé-historicisant et en l’isolant de ses emplois, elle a pris le résultat pour la cause. Or, la situation contemporaine nous montre que les dispositifs bougent. Si je peux regarder un film sur mon téléphone mobile, consommer une saison sérielle en deux jours, naviguer dans un film-interface, ou « aller au cinéma » pour voir un opéra en direct, c’est que les dispositifs actuels nous proposent d’articuler autrement les supports, les matériaux et les régimes formels pour maintenir une relation entre médium et média. À travers la discussion des conventions, les spectateurs ont accès, en réalité, aux adaptations ou aux transformations des dispositifs : il nous faut donc porter l’analyse « à rebours » en remontant aux dispositifs qui font trembler ces conventions.

L’approche schaefférienne permet ainsi de combiner le pluriel empirique et historique des dispositifs à l’enjeu théorique du dispositif au singulier comme pensée de l’emploi. Pour y voir clair, on peut donc, après avoir fait cette coupe synchronique qui permet l’analyse des réagencements au sein de dispositifs attestés qui stabilisent provisoirement les relations entre média et médium, proposer une approche scalaire des relations intermédiales en essayant d’identifier à quel(s) niveau(x) du dispositif se jouent les réagencements, et pour quel usage. Il s’agit alors de prolonger la démarche de Schaeffer en la combinant avec la décomposition du médium et son articulation avec le média que nous avons proposées dans nos travaux sur le « levain », le dispositif étant, en fonction de tout ce que nous venons d’étudier, la dimension du médium qui noue ce dernier à un média donné. D’où une approche qui va nous permettre de distinguer différents niveaux du médium au sein desquels la logique de l’emploi peut être analysée dans le cadre des bouleversements contemporains qui font se télescoper plusieurs médiums et plusieurs médias.

Pour une approche scalaire des relations intermédiales

Au carrefour de plusieurs dispositifs : le webdocumentaire

Parmi les objets émergeant ces dernières années, le webdocumentaire offre un terrain d’étude particulièrement riche. Les webdocumentaires se trouvent, en effet, généralement en ligne sur des sites de médias déjà identifiés (Arte.fr, ONF.ca, LeMonde.fr, etc.), mais l’articulation qu’ils mettent en avant entre média et médium relève d’un autre dispositif que celui, traditionnel, du média dans la mesure où les webdocumentaires proposent des interfaces qui non seulement font changer de support (lire ou voir en ligne, au lieu de tenir le journal ou de regarder un film en salle ou sur son téléviseur chez soi), mais poussent aussi à interagir avec l’objet audiovisuel, via le clavier de l’ordinateur ou, plus récemment, via l’écran tactile, ce qui change le régime formel et la matérialité du médium. De plus, si l’on s’en tenait à l’interface, il serait possible de considérer qu’il n’y a qu’un (seul) changement de dispositif, lié à l’interactivité ; or, le fait que ces interfaces soient en ligne plonge les webdocumentaires dans l’espace d’Internet lui-même, ouvrant sur d’autres dispositifs en lien avec des réseaux sociaux, des plateformes vidéo, d’autres sites d’information, des blogues, etc.

De façon concertée et explicite, conçu comme un outil de mobilisation contre la « green fatigue » (ou démobilisation des citoyens pour les luttes en faveur de l’environnement), le jeu webdocumentaire Fort McMoney (www.fortmcmoney.com), lancé en novembre 2013 et fondé sur une enquête au sein de l’industrie pétrolière (l’internaute avance dans l’interface en posant des questions qui ouvrent des documents écrits, visuels, audiovisuels, etc.), a proposé une solution intéressante pour organiser ces articulations potentiellement centrifuges. Chaque dimanche, un vote entre joueurs-enquêteurs décidait de l’avenir de ce double ludique de la ville pétrolière de Fort McMurray (située au nord-est de l’Alberta, au Canada), favorisant la discussion publique autour des enjeux liés à l’extraction des sables bitumineux, et par suite la consultation de sites externes à l’interface (presse, sites d’ONG, sites militants, sites officiels, etc.) dans la partie « Débats » de cette dernière. Le dispositif d’un webdocumentaire de ce type repose donc sur un enchâssement (situé et contrôlé) entre un dispositif interfaciel qui, tout en changeant de support, remplace le dispositif habituel du film documentaire du point de vue matériel et formel, mais aussi s’articule à un autre dispositif qui est celui de l’information en ligne, lequel a ses propres lois formelles (comme la spreadability – ou logique de dissémination – par exemple [Jenkins, Ford et Green 2013, 1-46]). Mais il est intéressant de constater que l’expérience de Fort McMoney ne peut fonctionner que si le joueur revient vers l’interface pour continuer la partie, ce qui a d’ailleurs eu pour conséquence d’augmenter la durée de chaque navigation (ou « visite ») au sein de ce webdocumentaire par rapport à la durée moyenne. Fondés sur le modèle du livre dont vous êtes le héros (ou gamebook), les webdocumentaires utilisent des moyens internes pour guider l’internaute au sein des arborescences de l’interface (qui ne sont pas en nombre infini), ce qu’on peut appeler l’effet flipper (les flippers renvoient la balle vers l’intérieur) : on voit ici que la partie « Débats » de Fort McMoney joue le même rôle, mais sur le plan de l’articulation entre dispositifs ; elle joue le rôle de porte de sortie mais aussi de porte de retour par rapport au reste du Web.

Pour une analyse scalaire

Si l’on considère donc une échelle qui va de la dimension la plus matérielle du dispositif (technique utilisée) à la dimension la plus médiatique (diffusion d’une offre), on peut observer que les nouveaux phénomènes qui donnent le sentiment d’un changement, d’un bouleversement, voire d’un « éclatement » du cinéma peuvent s’analyser à différents niveaux de cette échelle. Cela nous permet de rendre raison de ce sentiment qui peut varier selon les époques et les milieux, tout en indiquant les réelles lignes de fracture qu’on peut identifier.

De même que le fait de voir un film à la télévision, ou le fait de pouvoir interrompre le flux et changer de chaîne, n’est pas apparu aux usagers ordinaires comme un « éclatement » du cinéma ou de la télévision mais comme une extension des possibles de ces médias en matière d’offre ou par leur migration sur d’autres supports, de même le changement de support du cinéma ou de la télévision, quand on les trouve sur le Web ou sur le mobile sous une forme quasiment identique à celle que nous trouvons habituellement (un déroulement continu d’un certain régime formel), ne « détruit » pas l’alignement entre média et médium, mais produit une forme d’ajustement lié à l’intégration d’un nouveau support dans un ancien dispositif médiatique. C’est autre chose qui se joue dans les formes d’innovation ou d’expérimentation qui visent à transformer un moyen de communication en nouveau moyen d’expression[15] en profitant d’autres dimensions non vues du dispositif ou des nouvelles possibilités offertes par un dispositif novateur qui s’articule à un ancien. Il nous paraît donc nécessaire de bien situer à quel endroit du dispositif la mutation a lieu : la relation médiatique peut demeurer stable (le home cinema, par exemple, maintient l’offre que proposent habituellement en salle les majors, tout en y ajoutant celles que proposent les chaînes de télévision et les nouveaux fournisseurs de contenus audiovisuels), tandis que le dispositif de diffusion peut être modifié (voir le film chez soi plutôt qu’en salle). Ou le contraire : le dispositif de diffusion (la salle de cinéma) reste le même, mais on y introduit des éléments venus d’un autre dispositif, sur les plans technique (le live de l’opéra en salle), formel (la voix présentatrice de l’opéra qui vient introduire le spectacle live à la manière d’une présentation télévisuelle), etc.

Dans cette perspective, une part du sentiment contemporain de bouleversements massifs vient sans doute de la surabondance de l’offre (la « peak TV », le « anything anywhere anytime » d’Amazon, etc.), qui tend à diffuser l’idée que l’offre prime sur les dispositifs (la part médiatique des dispositifs, plus précisément, celle qui vise à organiser l’offre sous forme de services publics ou commerciaux), mais on peut penser que les consommateurs s’y retrouvent assez bien (les médias devenant des marques qui organisent des franchises). Un deuxième type de bouleversement se produit, qui consiste à « brancher » une composante d’un dispositif sur un autre, par substitution. C’est le genre de changements qui peut alerter les « puristes », ceux qui tiennent à une formule intangible associant tel type de matérialité à tel type de régime formel, et à tel dispositif – comme le montrent les débats qui ont eu lieu autrefois lors de la diffusion de la musique à la radio, ou du cinéma à la télévision, ou ceux qui ont eu lieu plus récemment à propos du webdocumentaire considérant que l’absence de montage (et, par suite, de « regard d’auteur ») faisait basculer la dimension liée au genre « documentaire » du côté du reportage, c’est-à-dire de la télévision –, mais ce changement ne produit pas non plus de sentiment d’« éclatement » pour autant.

De l’éclatement… à la racine du dispositif

Extension et ajustement, ou prime de l’offre et substitution ne paraissent pas pouvoir expliquer jusqu’ici le sentiment d’« éclatement » ; c’est plutôt le troisième phénomène suivant qui est en cause : un télescopage se produit entre des composantes de même niveau. Par exemple, Fort McMoney, s’appuyant sur la « culture Internet », renforce la dimension ludique de l’interface, si bien que le fait que l’interface arborescente se substitue au montage documentaire (substitution qu’on trouve déjà dans Prison Valley) se trouve alors en conflit avec une autre logique formelle de l’interface dominante sur Internet : celle du jeu vidéo. Le régime formel du documentaire sur lequel s’appuie ce webdocumentaire (issu pour l’essentiel du cinéma direct, en particulier le choix de restituer le point de vue des habitants avec leurs propres paroles) peut-il supporter ce télescopage ? Ou se trouve-t-il happé par un autre régime qui serait celui du jeu, le tissu documentaire se trouvant alors dispersé, désarticulé, sous forme de fragments-prétextes qui permettent de jouer (avec la réalité) ? « Peut-on jouer avec des interviews ? » est ainsi une question qui a émergé avec FortMcMoney. Le « cinéma éclaté » nous paraît donc désigner ces moments limites de conflits liés à des jeux d’échelle entre dispositifs. Dans certains cas – par exemple lorsqu’on a besoin de catégoriser un objet audiovisuel dans un contexte économique, juridique, ou simplement pour en jouir pleinement –, on peut avoir le sentiment de devoir choisir, par exemple : ou bien un documentaire, ou bien un jeu. Ainsi, au milieu des ajustements multiples que nous effectuons ces dernières années, apparaissent parfois des télescopages plus critiques qui nous obligent à nous interroger sur nos catégories d’appréhension elles-mêmes : ils mettent au jour la logique d’emploi, qu’on tend à naturaliser, à travers des problèmes surgis au sein des usages. On voit bien l’intérêt de la problématique schaefférienne ici pour rendre l’analyse morphologique capable d’appréhender ce genre de phénomènes. En d’autres termes, nous sommes conduits à réenvisager tel dispositif (considérer le cinéma direct comme une parenthèse indicielle et valoriser la dimension interactive et ludique de tout film), à l’abandonner (ce n’est plus du cinéma documentaire puisque ces séquences fonctionnent dans le cadre d’un autre dispositif), etc. Il nous paraît donc de bonne méthode de compléter une approche historicisée des dispositifs par une pragmatique de la lecture intermédiale de ces mêmes dispositifs (en particulier : les modes de lecture que mettent en oeuvre les spectateurs en fonction de tel ou tel dispositif et média quand ils doivent choisir entre plusieurs options) en partant des usages et des noms donnés aux usages.

Ainsi, une fois qu’on a pu faire la critique historique, contextuelle ou formelle de la notion de dispositif, il reste donc une chose qu’on ne peut lui enlever : le dispositif est un système de réglage. Pensée intermédiale (entre cinéma et radio ou entre cinéma et télévision), l’approche de Schaeffer permet de ce point de vue d’articuler cette dimension de réglage à une prise en compte de la complexité de chaque dispositif singulier, sans replier ni écraser l’une ou l’autre. Levain (l’action formelle d’un média sur un médium associé à un autre média) et dispositif (comme réglage entre un certain média et un certain médium) jouent l’un contre l’autre. En associant le nom d’un média et le nom d’un médium à travers une articulation verticale entre différents niveaux, le dispositif permet en réalité, en réglant des rapports entre des composantes de tous ordres, de donner le même nom à des variables différentes[16]. Les dispositifs sont les colonnes vertébrales des médias, le squelette dont le médium est la chair. Le « retour » de repères comme les conventions de genre signale acontrario que certains dispositifs aujourd’hui sont perçus comme déréglés, ou que les dispositifs n’assurent plus que partiellement cette fonction. C’est pourquoi, à côté de nouveaux appareils (comme les GoPro ou les casques de réalité virtuelle) qui ne constituent pas les colonnes vertébrales de nouveaux « médias » (au sens d’organisations proposant une offre de produits culturels : films, programmes, etc.), les noms d’« anciens » médias demeurent (« cinéma », « télévision »), mais ils ont dans certains cas perdu le lien avec les dispositifs qui leur correspondaient traditionnellement (le fil, même imaginaire ou mental, est rompu), si bien que, à la suite de cet éclatement, les médiums semblent parfois flotter aujourd’hui, en attente d’ancrage à un média ou à un autre. L’analyse scalaire nous apprend donc que ce n’est pas en cherchant à définir cinéma et télévision par leur médium (définition matérielle ou formelle) qu’on parviendra à rendre compte de leur avenir, mais en s’interrogeant sur les nouvelles réarticulations de leurs dispositifs.