Cinémas
Revue d'études cinématographiques
Journal of Film Studies
Volume 29, Number 1, Fall 2018 Le cinéma éclaté. Formes et théorie Guest-edited by Guillaume Soulez
Table of contents (8 articles)
Dossier
Le cinéma éclaté. Formes et théorie
-
Présentation
-
Médium ou média ? Film ou cinéma ?
Laurent Jullier
pp. 13–31
AbstractFR:
Cet article a pour objectif de clarifier la distinction entre médium et média, notamment lorsqu’elle est utilisée comme outil heuristique, en prenant comme exemple de son application celui du cinéma. La discussion s’y déroule en trois temps. D’abord, une mise au point terminologique montre qu’un certain flou entoure les catégories de médium et de média, ce qui rend leur emploi quelque peu problématique dans un cadre scientifique. Ensuite, une stratégie qu’on pourrait qualifier de « soustractive » est examinée, celle de la « spécificité du médium », couramment employée dans le champ de la critique, mais peut-être pas aussi efficace qu’on le pense dans le cas de notre exemple, celui du cinéma. La difficulté à énoncer des définitions d’essence ayant été montrée, on se tournera alors vers les définitions d’usage, ce qui suppose d’observer, parmi les pratiques quotidiennes du commerce avec les films, celles qui semblent articuler la différence entre médium et média.
EN:
The goal of this article is to clarify the distinction between medium and media, particularly when the distinction is used as a heuristic tool, by taking as an example of its application the cinema. The author’s discussion proceeds in three stages. First, he makes a terminological clarification, showing that a degree of haziness surrounds the categories medium and media, rendering their usage somewhat problematic in a scholarly context. Next, he examines a strategy which could be described as “subtractive,” that of the “specificity of the medium,” commonly used in the field of criticism but perhaps not as effective as believed in the present case, that of cinema. The difficulty of establishing essential definitions having been demonstrated, the article will turn to usage definitions, which involve observing, among the everyday ways in which films are used, those which appear to articulate the difference between medium and media.
-
« Bélinographisation », télécinéma et vidéocinéma
André Gaudreault and Philippe Marion
pp. 33–49
AbstractFR:
L’arrivée de la télévision a été l’élément déclencheur d’une des plus grandes crises « existentielles » qu’ait connues le cinéma – une crise qui se termine à peine maintenant que la suprématie du « vidéocinéma » (défini comme le phénomène qui réunit tout ce qui relève de ce cinéma qui s’offre en dehors des cadres classiques délimités par la projection) est assurée par la domination qu’exerce le numérique sur l’ensemble des médias audiovisuels. Après avoir associé ce « vidéocinéma » à une possible « troisième naissance » du cinéma et évoqué les réflexions entourant le « télécinéma » dans les années 1940-1950, les auteurs de cet article proposent d’ériger le bélinographe (qui fut l’un des premiers appareils à permettre la transmission de photographies à distance de façon simple et rapide) en point de repère emblématique pour appréhender – dans le cadre, notamment, d’une « archéologie de l’image décomposée » – la télévision, la vidéographie et, plus largement, l’image numérique.
EN:
The arrival of television is the event which set in motion one of the greatest “existential” crises the cinema has known—a crisis which is barely coming to an end now that the supremacy of “videocinema” (defined as a phenomenon which brings together everything pertaining to this cinema, located outside the classical framework delineated by projection) is ensured by the domination of the digital over all audiovisual media. The authors of this article, after having associated this “videocinema” with a possible “third birth” of cinema, with reference to debate around the “telecinema” of the 1940s and 50s, propose to raise up the bélinographe (one of the earliest devices for transmitting photographs across distances in a fast and simple manner) as an emblematic benchmark for understanding television, videography and, more broadly, the digital image as part of an “archaeology of the deconstructed image.”
-
The Multiple Dispositifs of (Early) Cinema
Frank Kessler
pp. 51–66
AbstractEN:
In recent debates regarding the effects of digitalization on cinema, the concept of dispositif is generally used to refer to a model of spectatorship that was defined in the 1970s by Jean-Louis Baudry. Consequently, when theorists affirm that there is an “explosion” of the cinematic dispositif in the twenty-first century, they partake in this monolithic conception, which does not acknowledge the fact that watching films in the twentieth century occurred in a variety of ways, both diachronically and synchronically. Critiquing such a view, this article proposes to understand the concept of dispositif from the perspective of a historical pragmatics and to use it as a heuristic tool to analyze the vast range of moving image dispositifs that have existed historically, as well as the new dispositifs that emerge in today’s digital mediascape.
FR:
Au cours des débats récents concernant les effets de la numérisation sur l’institution cinématographique, la notion de dispositif est généralement évoquée pour désigner le type de positionnement du spectateur défini dans les années 1970 par Jean-Louis Baudry. Par conséquent, quand il est question de l’« explosion du dispositif cinématographique » au xxie siècle, on reprend cette conception monolithique qui ne tient pas compte des différentes manières dont les spectateurs ont pu voir des films au cours du xxe siècle, diachroniquement aussi bien que synchroniquement. En critiquant une telle conception, cet article propose d’aborder le concept de dispositif dans une perspective de pragmatique historique et de l’utiliser en tant qu’outil heuristique pour analyser tout l’éventail des différents dispositifs cinématographiques qui ont existé historiquement ainsi que les nouveaux dispositifs qui émergent aujourd’hui.
-
Dispositif, médium, média. Pour une analyse scalaire du « cinéma éclaté » avec Pierre Schaeffer
Guillaume Soulez
pp. 67–87
AbstractFR:
Nous distinguons médium de média pour comprendre comment un média (organisation sociale de diffusion culturelle) peut agir sur un médium (composante matérielle, technique et formelle), mais il importe également de comprendre le rôle du « dispositif » au sein de cette perspective. Pour ce faire, cet article propose le réexamen de la réflexion mal connue de Pierre Schaeffer sur cette notion. Elle permet de faire le lien entre média et médium à la fois d’un point de vue opérationnel (« logique de l’emploi ») et du point de vue de l’usage par des spectateurs. Après avoir montré la force de l’usage au sein du « cinéma éclaté » contemporain, nous prenons deux cas d’étude emblématiques d’instabilité médiale (médium) et médiatique (média) pour montrer : 1. qu’un dispositif peut être envisagé comme articulation entre logiques d’usages différentes ; et 2. que la triade « dispositif, médium et média », telle que nous pouvons la redéfinir, permet d’envisager une analyse scalaire des relations intermédiales pour distinguer les simples ajustements des conflits d’échelle à l’oeuvre aujourd’hui.
EN:
We distinguish between medium and media as a way of understanding how media (the social organization of cultural dissemination) can act on a medium (the media’s material, technical and formal elements), but it is important also to understand the role of the “dispositif” in this perspective. To accomplish this, the present article proposes to re-examine Pierre Schaeffer’s little-known ideas on this concept, which make it possible to connect medium and media both from an operational point of view (the “logic of use”) and from the point of view of how it is used by viewers. After demonstrating the power of usage within contemporary “exploded cinema,” we will take up two emblematic case studies of medial (medium) and media instability to show that (1) a dispositif can be seen as the linking of the logic of different usages; and (2) the triad “dispositif, medium and media,” as it can be redefined, makes it possible to conceive a scalar analysis of intermedial relations in order to distinguish mere adjustments from the scalar conflicts at work today.
-
Vers un cinéma neuronal. Lunettes, verres de contact, implants
Olivier Asselin
pp. 89–109
AbstractFR:
L’immersion a toujours été un programme central, tant dans la recherche et le développement des images techniques que dans la consommation. Comme l’indiquent certains développements technologiques et biotechnologiques récents (les masques, les lunettes et les interfaces faciales, les verres de contact et les interfaces cornéennes, les implants oculaires et les interfaces cristallines ou rétiniennes, les implants cérébraux et les interfaces neuronales), l’horizon de ce programme pourrait bien être la disparition de l’écran et l’incorporation de l’interface – ce que nous pourrions appeler une sorte de cinéma neuronal. Il pourrait nous obliger à mettre en question les notions mêmes de média, de médiation et d’image. Mais il convient en retour d’interroger l’utopie biotechnologique qui le sous-tend.
EN:
Immersion has always been a central program, in both the research and development of technical images and their consumption. As seen in various recent technological and biotechnological developments (masks, eyeglasses and facial interfaces, contact lenses and cornea interfaces, ocular implants and crystalline or retinal interfaces, cerebral implants and neuronal interfaces), the horizon of this program could well be the disappearance of the screen and incorporation of the interface, or what we might call a kind of neuronal cinema. It may oblige us to call into question the very concepts media, mediation and image. At the same time, we should interrogate the biotechnological utopia underlying it.
Hors dossier / Miscellaneous
-
La mère abjecte dans la transcréation québécoise
Marie Pascal
pp. 113–131
AbstractFR:
Si les champs de la sociologie et de la psychanalyse se sont intéressés à la thématique de l’abjection, à ce jour, peu d’études ont été consacrées à ses formes artistiques, soient-elles littéraires ou cinématographiques. Dans cet article, nous évaluons les représentations de la mère abjecte entre quatre paires de textes et films de la transcréation québécoise : Un homme et son péché (Grignon 1933 ; Binamé 2002), Le torrent (Hébert 1950 ; Lavoie 2012), Le collectionneur (Brouillet 1995 ; Beaudin 2002) et Borderline (Labrèche 2000 ; Charlebois 2008). Pivot de la thématique de ces romans, la mère apparaît comme cause de marginalité et lieu honni pour les personnages qui tentent de s’en éloigner. Or les films tirés de ces ouvrages ne se contentent pas de représenter les sèmes abjects de la mère à l’écran : ils transcréent cette thématique qui investit en conséquence les différentes strates filmiques. À partir de la narratologie d’André Gaudreault, nous considérons tour à tour, dans quatre micro-analyses (portant sur les prégénériques, les effets de tournage, de cadrage et de montage), différents visages de l’abjection disséminée entre images, textes et sons.
EN:
Although sociology and psychoanalysis are interested in the topic of abjection, few studies to date have been devoted to its artistic forms, whether literary or cinematic. This article evaluates representations of the abject mother through four pairs of texts and films in Quebec transcreation: Un homme et son péché (Grignon 1933 ; Binamé 2002), Le torrent (Hébert 1950 ; Lavoie 2012), Le collectionneur (Brouillet 1995; Beaudin 2002), and Borderline (Labrèche 2000; Charlebois 2008). Pivotal to the theme of these novels, the mother is represented as the cause of marginality and the site of abhorrence for the characters trying to distance themselves from her. The films based on these books are not content, however, to depict abject mother semes on screen: they transcend this theme, which as a result invests the various filmic strata. Drawing on André Gaudreault’s narratological theories, the article considers in turn, in four micro-analyses (on pre-credit sequences, filming effects, framing, and editing), different faces of abjection disseminated through images, texts and sounds.