Dans le contexte actuel, s’intéresser à l’oeuvre de Jean-Christophe Averty semble aller de soi. Le brouillage des frontières entre les divers types de production audiovisuelle a modifié irréversiblement notre horizon médiatique. La distinction entre le haut et le bas semble définitivement compromise, tandis que l’écart entre le majeur et le mineur s’amenuise. Désormais, un vidéoclip peut proposer à son auditeur-spectateur une expérience interactive, des nouvelles télévisées parodiques peuvent être présentées par des personnages de synthèse, un film d’auteur peut être projeté en stéréoscopie à des spectateurs chaussés de lunettes spéciales, la visite d’un musée peut se faire sur Internet ou dans une salle de cinéma , etc. L’horizon médiatique qui est désormais le nôtre est disparate. En tout cas, il est multiforme. Un peu comme l’oeuvre de JCA , qui date de plus d’un demi-siècle et qui mérite d’être exhumée, ne serait-ce que parce qu’elle nous montre que télévision a pu rimer avec émancipation populaire et liberté dans l’acte de création. Il y a une quinzaine d’années, Thierry Jousse et Olivier Joyard (2001, p. 51) soulignaient déjà le décloisonnement constitutif du geste d’Averty : Il est vrai qu’au temps du « premier » Averty, la télévision, à peine naissante, n’était pas encore sclérosée, et que certaines productions du nouveau média étaient empreintes des plus grandes aspirations. Profondément imbue de sa mission de service public, diversifiée et intelligente, la télévision n’était pas encore soumise aux lois du commerce. C’est dans cette télévision-là que Jean-Christophe Averty a exercé ses dons de créateur (doublés parfois de ceux d’un saboteur). Des reportages des années 1950 — Les images et les jours (1953), [En direct des…] Jeux olympiques de Melbourne (1956), À vous de juger (1958) — jusqu’aux « biopic-follies » des années 1980 — Georges Brassens unique (1979), Montant d’hier et d’aujourd’hui (1980), Dalida idéale (1984), Je suis comme je suis : Juliette Gréco (1991) —, les émissions de JCA ont couvert plusieurs décennies de la télévision française. Averty a réalisé des actualités filmées, des émissions pour enfants, des vaudevilles et des variétés, des documentaires sur des sujets nouveaux (le jazz, par exemple), des génériques d’émissions et des habillages d’intervalles télévisuels, des dramatiques sui generis, tout en occupant aussi à l’occasion les planches du théâtre et souvent les ondes de la radio. Entre pataphysique et performance, entre chorégraphie et graphisme — ou « chorégraphisme », pour reprendre l’expression d’Anne-Marie Duguet (2002, p. 108) —, Averty n’est le disciple d’aucune école, et il n’a pas, non plus, fait école. On retrouve son empreinte ça et là, à peine évoquée ou parfaitement assumée, de l’illustration (Hara-Kiri) au vidéoclip (Dayton et Faris), comme incitation à la libération des formes télévisuelles imposées ou encore tout simplement comme défouloir. Les articles des auteurs réunis dans le présent dossier de Cinémas nous permettent de découvrir l’oeuvre injustement méconnue (notamment en raison des difficultés de circulation des matériaux télévisuels anciens) d’un grand créateur d’images en mouvement. Ces auteurs nous guideront dans le réseau des relations et des renvois qu’Averty, en bon « léonardien » qu’il était, savait tisser dans ses créations, en inventant par la même occasion des moyens de repousser les limites de la machine. Afin de reconstruire l’itinéraire — un peu mystérieux — de ce Méliès de la télévision, les contributions rassemblées ici couvriront surtout la première période de ce qu’est la télévision… selon Jean-Christophe Averty. En plus de permettre une plongée dans une oeuvre protéiforme et dans la réflexion sur la nature du média que cette oeuvre véhicule, notre dossier aidera à reconstruire le contexte historique et médiatique, particulièrement riche, de l’émergence d’un média nouveau, …
Appendices
Bibliographie
- Assayas 1981 : Olivier Assayas, « Les variétés. Fun, fun, fun » [1981], dans Thierry Jousse (éd.), Le goût de la télévision. Anthologie des Cahiers du cinéma, Paris, Cahiers du cinéma / INA, 2007, p. 618-621.
- Averty 1963 : Jean-Christophe Averty, « Les variétés », Télé-Ciné, no 111, 1963, s. p. (numéro spécial sur « Les rapports du cinéma et de la télévision »).
- Averty 1976 : Jacques Siclier, Un homme Averty (entretiens de Jacques Siclier avec Jean-Christophe Averty), Paris, Jean-Claude Simoën, 1976.
- Blanchard 1969 : Gérard Blanchard, « J.-C. Averty : l’héritage de la page imprimée », Communication et langages, no 2, 1969, p. 59-65.
- Boyle 1997 : Deirdre Boyle, Subject to Change: Guerrilla Television Revisited, Oxford, Oxford University Press, 1997.
- Duguet 1991 : Anne-Marie Duguet, Jean-Christophe Averty, Paris, Dis Voir, 1991.
- Duguet 2002 : Anne-Marie Duguet, Déjouer l’image. Créations électroniques et numériques, Paris/Nîmes, Centre national des arts plastiques / Éditions Jacqueline Chambon, 2002.
- Jousse et Joyard 2001 : Thierry Jousse et Olivier Joyard, « Cette télé n’est plus pour ma gueule » (entretien avec Jean-Christophe Averty), Cahiers du cinéma, no 555, 2001, p. 51-61.
- Labarthe 1966 : André S. Labarthe (propos recueillis par Gilbert Salachas), « Cinéastes de notre temps », Télé-Ciné, no 128, 1966, p. 4-10.
- Le Péron 1981 : Serge Le Péron, « Médium impur par excellence… » [1981], dans Thierry Jousse (éd.), Le goût de la télévision. Anthologie des Cahiers du cinéma, Paris, Cahiers du cinéma / INA, 2007, p. 42-46.
- Wyver 1988 : John Wyver, « Video Art and Television », Sight and Sound, vol. 57, no 2, 1988, p. 116-121.