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  • Christa Blümlinger

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  • Christa Blümlinger
    Université Paris 8

L’attrait pour les archives qu’on constate aujourd’hui au sein des études cinématographiques est comparable en importance à celui qui suivit le tournant de l’historiographie du cinéma marqué par le congrès de Brighton à la fin des années 1970. Mais il ne s’agit pas cette fois d’une nouvelle façon d’aborder l’histoire en reconsidérant ses objets ou ses approches. Ce sont les archives elles-mêmes qui retiennent l’attention, sans que celle-ci soit toujours circonscrite de manière très claire : c’est souvent de « l’archive » en général qu’il est question, ou encore, en termes institutionnels, du « patrimoine ». Les archives ne sont plus réservées aux études génétiques, historiennes ou économiques, mais gagnent aussi le domaine de l’esthétique du cinéma. Il suffit de penser à la redécouverte, dans le contexte de l’histoire des expressions gestuelles et de l’étude de la migration des images (d’abord dans l’espace germanophone, puis en Italie, en France et ailleurs), d’Aby Warburg — et par là du paradigme de la survivance et de l’anachronisme, appliqué par la suite dans le champ de l’audiovisuel —, ainsi qu’à la présence croissante de son atlas mnémosyne sur la scène de l’art contemporain . Dans la mesure où une suggestion combinatoire reste énigmatique, le geste de création des voisinages devient lui-même aujourd’hui auratique : voilà ce que l’historien d’art Wolfgang Ullrich (2013) constate de façon polémique. Des ouvrages récents révèlent la diversité et la complexité d’un objet d’étude qui s’inscrit au sein d’une transformation culturelle et technique rappelant les mutations de la fin du xixe siècle, elles-mêmes dues à l’émergence de nouvelles techniques de reproduction des images et à leur industrialisation. Si les auteurs d’ouvrages collectifs couvrent souvent un vaste domaine de recherche afin de dresser un état des lieux global (Bordina, Campanini et Mariani 2012, Habib et Marie 2013) ou d’aborder un thème précis — telle la présence de l’humain dans l’archive, témoignant de ce que Berthet et Vernet (2011, p. 13) appellent la « fertilité des archives » —, ils esquissent parfois une analyse de leur propre logique heuristique, rejoignant ainsi l’élan des artistes, des cinéastes et des commissaires d’exposition qui font aujourd’hui de l’archive une sorte de question fondamentale. Un tel souci semble entraîner non seulement une reconsidération des technologies et des savoirs permettant d’établir des rapprochements entre des éléments hétérogènes de l’archive, mais aussi une nouvelle conscience des modes de temporalité, d’historicité et de mémoire propres aux matériaux archivistiques. Il s’agit, dans ce numéro, de mesurer la dimension épistémologique des archives et de leur transformation : ce qui est ou devient visible (au sens de Michel Foucault) dépend des dispositifs organisant la place, l’institutionnalisation, l’accessibilité et l’expérience de ces archives. Les archives ne sont pas des lieux abstraits ou immatériels (bien que le passage au numérique entraîne, à différents niveaux, divers degrés d’immatérialisation) et ne constituent pas une masse inerte d’énoncés, d’images ou de documents ; au contraire, elles sont vivantes, elles s’organisent et se réorganisent en permanence. Elles font l’objet d’un travail de transformation, d’indexation, de restauration et de conservation, mais aussi d’une discursivité qui régit en partie telle ou telle apparition ou disparition d’un film, voire l’existence même d’un éventuel enregistrement audiovisuel. On ne peut pas ne pas citer ici Jacques Derrida (1995, p. 34), qui souligne l’importance de la pensée des supports de l’archive (ce en quoi il rejoint certaines hypothèses radicales de Friedrich Kittler), en parlant, à propos des technologies numériques, d’un « séisme archival » produisant d’importants effets hypomnésiques : « […] la structure technique de l’archive archivante détermine aussi le contenu archivable dans son surgissement même et dans son rapport à l’avenir. …

Appendices