Présentation[Record]

  • Raphaëlle Moine and
  • Geneviève Sellier

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  • Raphaëlle Moine
    Université Paris 3

  • Geneviève Sellier
    Université Bordeaux 3

L’identité de ce dossier tient à la fois à son objet — le genre cinématographique, les cinémas de genre, les ensembles et les étiquettes génériques qui en dessinent les contours — et à son choix méthodologique interprétatif — les gender studies, l’approche « genrée » des genres filmiques, tant sur le plan des représentations qu’ils proposent que de leur(s) réception(s). En effet, à cause de son fort impact auprès du public, par son appartenance à la culture de masse, parce qu’il s’inscrit dans une logique de catégorisation sexuée et parce qu’il repose sur des effets de répétition et de variation, le genre est un puissant vecteur de la construction des identités et des rapports sociaux de sexe, terme que nous préférerons ici à « identités et rapports de genre » par souci de clarté, pour lever toute ambiguïté liée à l’homonymie des deux notions dans la langue française. Qu’on le considère comme un espace symbolique et ambivalent où s’expriment de manière codifiée les conflits et les tensions socioculturelles ou, au contraire, comme un espace où sont réitérées les relations traditionnelles de domination, le genre est le creuset de représentations récurrentes qui travaillent à reproduire, modifier ou renouveler les normes sexuées. L’étude des genres cinématographiques comme lieux spécifiques de construction des identités et des rapports de sexe est une des composantes importantes des études cinématographiques anglo-américaines depuis une trentaine d’années : en réaction à la politique des auteurs formulée d’abord en France dans les années 1950 par les Cahiers du cinéma, puis exportée aux États-Unis par Andrew Sarris sous le terme d’auteurism, les chercheurs anglo-saxons ont commencé dès les années 1970 à s’intéresser aux genres cinématographiques, dans leurs dimensions socioculturelles, idéologiques et historiques ; dans le courant des années 1980, et plus encore dans les années 1990, la réflexion sur les genres se diversifie et donne lieu notamment à de nombreuses relectures des genres hollywoodiens au prisme des gender studies : citons, parmi cette floraison de travaux novateurs, deux d’E. Ann Kaplan (1978) et Frank Krutnik (1991) pour le film noir, de Mary Ann Doane (1987) et Christine Gledhill (1987) pour le woman’s film, de Robert Lang pour le mélodrame (1989 et 2008), de Linda Williams (1989) pour le film pornographique, de Carol J. Clover pour le slasher (1992), d’Yvonne Tasker (1993) pour le film d’action, etc. La situation est totalement différente dans la recherche française, où l’ignorance des théories, approches et analyses développées par les gender studies (sinon leur rejet) s’ajoute au peu de légitimité du cinéma de genre dans le champ universitaire : à la domination des approches esthétiques, qui valorisent la dimension artistique et formelle des oeuvres au détriment de leur dimension socioculturelle, s’ajoute en effet la prégnance du modèle de lecture cinéphilique, qui privilégie la singularité créatrice de l’artiste, et ne s’intéresse souvent aux films de genre que pour les détacher de leur ancrage générique sous prétexte qu’ils en transcenderaient les formules convenues. Enfin, si la sociologie et l’histoire culturelle ont indéniablement permis le développement de l’analyse des représentations filmiques et des pratiques sociales et culturelles de production et de réception, force est pourtant de constater que ces deux approches se concentrent davantage sur les dimensions sociales et politiques, au sens traditionnel du terme, que sur la dimension genrée des films. Nous avons commencé à explorer d’un point de vue théorique, socioculturel et historique la dimension genrée des genres, en particulier en ce qui concerne le cinéma français classique (Burch et Sellier 1996 ; Moine 2005 ; Moine et Beylot 2009), et le présent numéro de Cinémas a l’ambition de permettre à …

Appendices