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  • Laurent Le Forestier

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  • Laurent Le Forestier
    Université Haute Bretagne – Rennes 2

Pour la plupart des disciplines des sciences humaines, l’époque est, semble-t-il, à l’ébranlement. Si, pour certaines, les symptômes se situent plutôt du côté de l’enseignement (en France, les départements universitaires de lettres connaissent une inquiétante désaffection), pour d’autres, ce sont les fondements épistémologiques qui chancellent. Ainsi, on n’en finit plus d’évoquer depuis plusieurs années la « crise de l’histoire » (Noiriel 2005), et certains se demandent même : « l’histoire de l’art est-elle finie ? » (Belting 1989). Il y a peu, Cinémas a contribué à ce scepticisme ambiant avec son numéro intitulé La théorie du cinéma, enfin en crise (Odin 2007). Qu’en est-il alors de l’histoire du cinéma ? En apparence, tout va bien : le cinéma « meurt » (Cherchi Usai 2001), mais on continue d’en écrire sereinement l’histoire. On chercherait en vain, dans les rayons des bibliothèques et des librairies, des ouvrages sur l’histoire du cinéma promettant à la discipline une apocalypse prochaine, voire la constatant . Mieux : certains des historiens les plus éminents se réjouissent de l’état de l’histoire du cinéma. Ainsi, il y a quelques années, Gian Piero Brunetta (2003, p. 211) ouvrait un article consacré à l’« Histoire et [l’]historiographie du cinéma » par ce constat clairement positif : « L’histoire du cinéma est une discipline autonome dans le domaine des études sur le spectacle. Jeune encore, mais ayant désormais atteint sa majorité, elle est en croissance constante et elle fait désormais partie — de plein droit et de façon de plus en plus significative — de l’histoire du monde contemporain. » Cependant, cours et textes sur l’historiographie du cinéma se multiplient partout dans le monde universitaire, comme autant de signes que l’histoire du cinéma s’interroge ou, à tout le moins, interroge ses procédures. Et, à en croire certains, ce questionnement s’impose comme une nécessité, tant la discipline paraît peiner à accéder à la scientificité qu’on serait en droit d’attendre d’elle. Doit-on voir là les premiers symptômes d’une crise, que l’analyse historiographique pourrait contribuer à mettre en lumière ? En ouverture d’un récent numéro anniversaire de la revue 1895, François Albera a ainsi esquissé un bilan très critique du renouveau historiographique français qui innerve les études cinématographiques depuis une trentaine d’années. Il y fait le choix de ne pas placer sa réflexion sous le signe de l’épistémologie et le justifie par l’état même de la discipline : En affirmant explicitement qu’il serait « flatteur » pour l’historiographie actuelle du cinéma (en France) de se lancer dans des « considérations épistémologiques » comparables à celles qui agitent la discipline « Histoire », Albera sous-entend que l’écriture de l’histoire du cinéma — au moins telle qu’elle se pratique en France — n’a pas encore atteint un niveau d’épistémologisation (si l’on peut dire) suffisant, du moins comparable à celui de l’Histoire, ou de l’histoire de l’art. Mais son appel implicite à une épistémologisation à venir (comme un écho au manque de « rigueur épistémologique » de la pensée sur le cinéma à l’université déploré par Odin [2007], ces deux remarques dessinant en creux le portrait d’une discipline « cinéma » globalement en crise) est lui-même contredit par certains historiens, qui ne voient pas d’écart sur ce point entre Histoire et histoire du cinéma. C’est la position adoptée par l’un des spécialistes français de l’histoire culturelle, Pascal Ory. Selon lui, « le mouvement suivi par l’histoire du cinéma est une frappante métonymie du mouvement historiographique général » (Ory 2004, p. 7). S’il ne développe guère son propos sur les enjeux et conséquences (épistémologiques, justement) de cette inscription de l’histoire du cinéma au sein de l’évolution …

Appendices