Cinémas
Revue d'études cinématographiques
Journal of Film Studies
Volume 18, Number 1, Fall 2007 Mémoires de l’Allemagne divisée. Autour de la DEFA Guest-edited by Philippe Despoix and Caroline Moine
Table of contents (10 articles)
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Présentation
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L’ouverture des camps et les gestes d’attestation cinématographique des Alliés (1944-1945)
Christian Delage
pp. 13–27
AbstractFR:
Les Alliés — Russes, Américains et Britanniques — sont confrontés en 1944-1945 à la vision des camps d’extermination et de concentration nazis. Ce qu’ils entreprennent alors tient du geste documentaire de l’enregistrement filmique, mais également de la tentative d’imaginer les conditions de détention et de mise à mort des déportés. La sidération première fait place à différentes pratiques tenant d’une volonté d’attestation : la substitution (le remplacement des images nazies détruites ou inexistantes par celles des Alliés) et la confrontation directe des Allemands aux crimes commis dans les camps, par exemple. C’est, entre autres, le cas de Samuel Fuller à Falkenau, qui mène là-bas une expérimentation annonciatrice des préoccupations techniques, esthétiques et éthiques du néoréalisme italien.
EN:
The Allies—Russian, American and British—were confronted in 1944–45 with the image of Nazi extermination and concentration camps. The result was a desire to document and record on film, but also an attempt to imagine the conditions under which deportees were detained and put to death. The initial shock gave way to various attempts to provide testimonials, from the substitution and replacement of destroyed or non-existent Nazi images to directly confronting Germans with the crimes committed in the camps. This was the case of Samuel Fuller’s experience at Falkenau, a precursor in its technical, aesthetic and ethical concerns to Italian Neo-realism.
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Ruines, décombres, chantiers, archives : l’évolution d’une figure dans le cinéma en Allemagne (1946-1993)
André Habib
pp. 29–52
AbstractFR:
Dans le présent article, l’auteur se penche sur le rôle qu’occupent les « ruines » en tant que figure privilégiée de la médiation cinématographique de la mémoire de l’après-guerre en Allemagne, de Die Mörder sind unter uns (Wolfgang Staudte, 1946) et d’autres Trümmerfilme de la jeune DEFA, à un bref épisode de Zweite Heimat (Heimat II, 1993) — deuxième chapitre de la chronique-fleuve d’Edgar Reitz. En comparant les différents traitements des ruines dans ces films, il s’agira avant tout de les envisager comme des objets de mémoire et de temps paradoxaux qui s’inscrivent au coeur de la mutation, non seulement de l’imaginaire de la ruine au xxe siècle, mais plus fondamentalement du cinéma lui-même.
EN:
This article wishes to address the role of “ruins,” in post-war Germany, as an essential figure of the cinematic mediation of the memory, from Die Mörder sind unter uns and other early DEFA Trümmerfilme, to a short excerpt of Edgar Reitz’s Zweite Heimat (1993). In comparing the different modes of figuration of ruins in those films, they will be envisioned as paradoxical objects of time and memory, deeply inscribed, not only in the transformation of the imaginary of ruins in the 20th century, but more fundamentally in the mutation within cinema itself.
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Germans Suffering in Spain: Cold War Visions of the Spanish Civil War in Fünf Patronenhülsen (1960) and Solange du lebst (1955)
Stefan Soldovieri
pp. 53–69
AbstractEN:
Since 1989 connections between the once geopolitically divided German movie industries have received increasing attention. This article considers how two films of the early post-war period—one produced in East Germany and one from the West—mobilized in different ways figurations of German suffering and sacrifice. The author argues that despite their diverging politics, the two films participate in a trans-German discourse of suffering that persisted in historically variable ways throughout the Cold War period.
FR:
Depuis 1989, les liens entre les industries cinématographiques de ce qui avait été jusque-là deux Allemagnes géopolitiquement divisées, attirent de plus en plus l’attention. Le présent article propose d’étudier comment deux films d’après-guerre — l’un produit en Allemagne de l’Est, l’autre en Allemagne de l’Ouest — représentent de différente façon la souffrance et le sacrifice allemands. L’auteur défend l’idée que malgré leurs horizons politiques opposés, les deux films participent d’un discours de la souffrance qui transcende la dualité de l’Allemagne et qui, au-delà de ses transformations historiques, demeure constant tout au long de la guerre froide.
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Entre deux fronts : Allemands et Russes dans les films de guerre de la DEFA. Un panorama historique
Ralf Schenk
pp. 71–90
AbstractFR:
Le panorama des productions cinématographiques de l’Allemagne de l’Est esquissé dans cet article illustre les changements thématiques dans le cinéma de la DEFA en ce qui a trait aux relations entre Russes et Allemands. Pendant plusieurs années, le soldat russe, comme personnage de fiction, est absent du cinéma est-allemand. Les représentations concrètes de la Deuxième Guerre mondiale ne réapparurent seulement qu’en 1954. À l’époque de la guerre froide, les films proposent une image déformée des Russes. Ce n’est que durant la période du « dégel» que les réalisateurs réussirent peu à peu à surmonter le tabou de la représentation de l’hostilité entre Allemands et Russes. Des films comme Die Russen kommen (Heiner Carow, 1967), qui a été interdit en RDA, ou Ich war neunzehn (Konrad Wolf, 1968), qui dépeignait la peur des Allemands à l’approche de l’Armée rouge, témoignent de l’aboutissement, même timide, de ces efforts.
EN:
This panorama of film production in East Germany shows the gradual thematic changes in DEFA films regarding the relationship between Russians and Germans. For a number of years the Russian soldier was missing as a fictional figure in East German cinema. Direct representations of the Second World War reappeared only in 1954. In the Cold War era, film productions included distorted depictions of the Russians. Only during the “thaw” did directors slowly circumvent the taboo of portraying Germans and Russians as hostile parties, culminating in the making of films such as Heiner Carow’s Die Russen kommen (1967), which was forbidden in the GDR, or Konrad Wolf’s Ich war neunzehn (1968), in which German fear of the approaching Red Army is shown.
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On the Road to the New Beginning: History and Utopia in Frank Beyer’s Karbid und Sauerampfer (Carbide and Sorrel)
Thomas Lindenberger
pp. 91–107
AbstractEN:
Today, the film Carbide and Sorrel, by the eminent and recently deceased DEFA director Frank Beyer, is a valuable retrospective look at the construction of the new Germany. Through the story of a worker tossed by his workmates onto the country’s roads in search of carbide in the summer of 1945, this 1963 comedy, made two years after the construction of the Berlin Wall, is a portrait of German society in the grip of the future protagonists of the Cold War. The protagonist’s comic peregrinations between the American and Soviet occupiers are an oblique depiction, reinforced by popular songs of the day, of a utopian existence beyond the dominant political powers.
FR:
Carbure et oseille de Frank Beyer (éminent réalisateur de la DEFA récemment disparu), apparaît aujourd’hui comme un précieux témoignage documentant de manière rétrospective la construction d’une nouvelle Allemagne. À travers le parcours d’un ouvrier jeté sur les routes à l’été 1945 par ses camarades en quête de carbure, cette comédie de 1963 — produite deux ans après la construction du Mur de Berlin — esquisse le portrait d’une société allemande aux prises avec les futurs protagonistes de la guerre froide. Les pérégrinations bouffonnes, entre occupants américains et soviétiques, du protagoniste y évoquent de manière détournée, soutenue par une ingénieuse utilisation d’airs populaires, l’utopie d’une existence au-delà des blocs politiques dominants.
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Holocaust Film before the Holocaust: DEFA, Antifascism and the Camps
David Bathrick
pp. 109–134
AbstractEN:
The period prior to the 1970s has frequently been portrayed internationally as one of public disavowal of the Jewish catastrophe politically and cinematically and as one in which there was a dearth of filmic representations of the Holocaust. In addition to the Hollywood productions The Diary of Anne Frank (1960), Stanley Kramer’s Judgment at Nuremberg (1961) and Sidney Lumet’s The Pawnbroker (1965), one often spoke of just a few East and West European films emerging within a political and cultural landscape that was viewed by many as unable or unwilling to address the subject. This article takes issue with these assumptions by focusing on feature films made by DEFA between 1946 and 1963 in East Berlin’s Soviet Zone and in East Germany which had as their subject matter the persecution of Jews during the Third Reich.
FR:
Très peu de films représentant l’Holocauste ont été produits avant les années 1970. Cette période a souvent été considérée, sur le plan international, comme une période de désaveu, tant politique que cinématographique, de la catastrophe ayant frappé les Juifs. Outre les productions hollywoodiennes The Diary of Anne Frank (George Stevens, 1960), Judgment at Nuremberg (Stanley Kramer, 1961) et The Pawnbroker (Sidney Lumet, 1965), on a souvent fait remarquer que peu de films est- ou ouest-européens ont émergé de ce paysage politique et culturel, ce qui a été perçu par plusieurs comme une incapacité ou une réticence à traiter du sujet. Le présent article fait de cette présomption son principal enjeu en s’intéressant à des films tournés par la DEFA entre 1946 et 1963, dans la zone soviétique de Berlin-Est et en Allemagne de l’Est, et qui ont pour objet la persécution des Juifs sous le Troisième Reich.
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Un passé resté hors champ ? Mémoire et oubli dans les documentaires de la DEFA (1961-1990)
Caroline Moine
pp. 135–151
AbstractFR:
Dans une société est-allemande avant tout appelée par le discours officiel à se mobiliser pour contribuer à un avenir meilleur, quelle place fut accordée à la réflexion sur l’histoire et à la mémoire de la Seconde Guerre mondiale ? L’étude de la production documentaire des studios étatiques de la DEFA, au cours de la période allant de la construction du mur de Berlin jusqu’à sa chute — de 1961 à 1990 —, permet de saisir le jeu complexe qui se développa entre le discours officiel, fondé sur la doctrine de l’antifascisme qui devait légitimer le régime, et celui des réalisateurs. Issus de générations différentes, et donc nourris d’expériences diverses de la guerre et de ses séquelles, les trois documentaristes étudiés ici — Karl Gass, Karl-Heinz Mund et Jürgen Böttcher — ont suivi la ligne officielle tout en laissant parfois percer timidement une parole plus nuancée et personnelle. Entre souvenir et oubli, une autre mémoire, en gestation, s’est développée : par le biais d’images d’archives ou d’images tentant de capter dans le présent les traces du passé, ou grâce à la parole individuelle de témoins. La rupture de 1989-1990 fut essentielle pour que l’image documentaire puisse être libérée et aider à rassembler dans l’Allemagne réunifiée les bribes encore éparses des mémoires d’un passé commun.
EN:
What was the role of thinking about history and of the memory of the Second World War in East German society, called upon by official discourse most of all to mobilize for a better future? The study of documentary films produced by the state studio DEFA between the construction of the Berlin Wall in 1961 and its dismantling in 1990 reveal the complex relations that developed between official discourse, whose doctrine of antifascism served to legitimate the regime, and the work of the country’s filmmakers. The three documentary filmmakers discussed here—Karl Gass, Karl-Heinz Mund and Jürgen Böttcher—were of different generations and thus had different experiences of the war and its consequences. Between remembrance and oblivion, another, embryonic memory nevertheless developed, through archival images or images which tried to capture traces of the past in the present; or through the recollections of individual witnesses. The historical rupture of 1989–90 was essential to the liberation of the documentary image and to bringing together in a reunified Germany the still scattered fragments of memories of a common past.