Abstracts
Résumé
« Ceci est l’histoire d’un homme marqué par une image d’enfance. » Tel est l’intertitre qui annonce l’aventure singulière du héros de La jetée de Chris Marker. Prisonnier dans les souterrains de Chaillot après la Troisième Guerre mondiale (qui a rendu inhabitable la surface de la terre), un homme va devenir l’objet d’une expérimentation troublante et cruelle : un voyage forcé dans d’autres espaces-temps à partir de la force d’attraction qu’exerce sur lui une image de femme sur laquelle, depuis l’enfance, son esprit s’est fixé. Une fois le héros projeté définitivement dans le monde de son enfance, ce n’est pourtant pas cette jeune femme dont il a gardé la marque visuelle qui sera au rendez-vous, mais la mort, refoulée, qui le regarde et le retient au travers de ce visage. Au-delà de cette histoire extraordinaire que raconte ce film de (science-)fiction, l’auteur du présent article montre que l’histoire de chaque homme (ou presque) pourrait peut-être s’écrire à la manière de celle du héros de La jetée. En effet, toute mémoire individuelle, pour ne pas dire toute fiction subjective, charrie de l’enfance ce que Freud nomme des souvenirs-écrans : des images indélébiles, inexactes ou recomposées au regard de la « vérité historique » qui voilent une « vérité subjective » : la castration. Dès lors, de la fixité de l’image filmique à la fixation du sujet sur un souvenir, de l’écran cinématographique où se tisse la fiction à l’écran subjectif que constitue le fantasme, de la mort du héros dans l’image à la castration du sujet dans la perception visuelle, il n’y a peut-être qu’un pas, que nous invitent ici à franchir l’oeuvre et la doctrine. La lecture psychanalytique de La jetée que propose l’auteur cherche ainsi à montrer en quoi la visée du procès poétique fictionnel au cinéma peut être de toucher, dans l’imaginaire diégétique, un bout de réel.
Abstract
“This is the story of a man marked by an image of his childhood.” With this intertitle begins the strange adventure of the hero of Chris Marker’s La jetée. Held prisoner in the underground workings of the Palais de Chaillot after the Third World War (which rendered the surface of the earth uninhabitable), a man becomes the subject of a cruel and disturbing experiment: a forced journey through other space-times using the image of a woman which has obsessively attracted him since childhood. Once the hero is definitively projected into the world of his childhood, he encounters not the young woman whose image he has remembered but rather death; this repressed death sees and holds him through the woman’s face. Beyond the extraordinary story told by this (science-)fiction film, the author of this article demonstrates that the story of every person (or almost) could perhaps be written like that of the hero of La jetée. All individual memory, if not all subjective fiction, carries with it since childhood what Freud called screen memories: indelible, inexact or recreated images which, with respect to “historical truth,” conceal a “subjective truth”: castration. It may be a short step from the fixity of the film image to the fixing of a subject in memory, from the film screen on which the fiction is told to the subjective screen which creates the fantasy, from the death of the hero in the image to the castration of the subject in visual perception, one the film and the doctrine invite us to take. The psychoanalytical reading of La jetée presented by the author thus seeks to show how the aim of cinema’s fictional poetic process may be to touch, in the diegetic imagination, a piece of reality.
Appendices
Références bibliographiques
- Bensmaïa 1988 : Réda Bensmaïa, « Du photogramme au pictogramme : à propos de La jetée de Chris Marker », Iris, vol. 8, 1988, p. 9-31.
- Dubois 2002 : Philippe Dubois, « La jetée ou le cinématogramme de la conscience », Théorème, vol. 6, 2002, p. 9-44.
- Freud 1990 : Sigmund Freud, « Sur les souvenirs-écrans », dans Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1990, p. 113-132.
- Freud 1998 : Sigmund Freud, « La tête de Méduse », dans Résultats, idées, problèmes, tome 2, Paris, PUF, 1998, p. 49-50.
- Lacan 1966 : Jacques Lacan, « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je », dans Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 93-101.
- Lacan 1973 : Jacques Lacan, Le séminaire. Livre XI. Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973.
- Lacan 1994 : Jacques Lacan, Le séminaire. Livre IV. La relation d’objet, Paris, Seuil, 1994.
- Odin 1981 : Roger Odin, « Le film de fiction menacé par la photo et sauvé par la bande-son (à propos de La jetée de Chris Marker) », dans Cinémas de la modernité. Films, théories, lectures, Paris, Klincksieck, 1981, p. 147-171.
- Rosolato 1975 : Guy Rosolato, « Souvenir-écran », Communications, no 23, 1975, p. 79-87.