Abstracts
Résumé
En deçà ou au-delà des pouvoirs de fascination ou de capture anesthésiante propres aux mauvais films, d’où provient la puissance singulière des images cinématographiques, capables d’offrir « le » monde, entendu comme ouverture sur un dehors qui serait à la fois extérieur à notre expérience quotidienne et pourtant doté de sens, donc perceptible et descriptible ? Comment, entre tous les arts de l’image, le cinéma parvient-il à nous libérer des images toutes faites, des clichés, pour nous rendre à un tel dehors ? Ces questions constituent le fil directeur que l’on peut trouver au double ouvrage, L’image-mouvement et L’image-temps, que Gilles Deleuze a consacré au cinéma : montrer comment l’histoire du grand cinéma, et non simplement tel ou tel film, peut articuler un projet-de-monde d’inspiration phénoménologique et une « manière de faire des mondes » d’inspiration plus analytique ; autrement dit, montrer combien le cinéma peut nous éveiller à l’unité du monde tout en le reconstruisant techniquement et à la manière propre de son réalisateur dans chaque film singulier. Pour donner au fil conducteur traversant l’ouvrage de Deleuze toute son extension, il nous faut toutefois voir à quoi il se rattache. D’abord, en montrant en quoi la cinéphilie moderne peut effectivement être considérée comme une nouvelle « iconodulie », au sens byzantin du terme : une sauvegarde du monde par l’image. Ensuite, en montrant de quelle manière, chez Deleuze, un tel monde, étrangement donné et fabriqué à la fois, un et multiple, en vient de lui-même à changer de sens, en particulier en se constituant non plus à partir de l’espace mais du temps, non plus à partir des choses mais des signes, non plus à partir des communautés nationales mais des devenirs minoritaires. Enfin, en montrant que le cinéma est par conséquent justiciable de bien davantage que d’une nouvelle esthétique : d’une nouvelle ontologie, d’une nouvelle pédagogie et d’une nouvelle politique.
Abstract
Beyond the power of fascination and the anaesthetizing effect of bad films, where does the singular power of film images come from? These images are capable of offering us “the” world, understood as an opening onto an outside which is both external to our everyday experience and yet laden with meaning, and therefore perceptible and describable. How is the cinema, of all the image arts, able to liberate us from ready-made images and clichés and to take us to this outside? These questions are the guiding threads of Gilles Deleuze’s two-volume work on cinema, The Movement-Image and The Time-Image: to show how the history of cinema as a whole, and not just one film or another, can articulate a world-project inspired by phenomenology and a more analytical “way of making worlds.” In other words, to show to what extent the cinema can awaken us to the unity of the world while at the same time technically reconstructing it according to each director’s style in every single film. To give the guiding thread of Deleuze’s work its complete ramification, we have to see what it is attached to. First, by showing how cinephilia today can be seen as a new form of “iconoduly,” in the Byzantine sense of the term: the world saved by the image. Next, by showing how in Deleuze’s work such a world, strangely rendered and fabricated at one and the same time, singular and multiple, comes itself to change meaning, in particular by establishing itself no longer out of space but rather out of time, no longer out of things but rather out of signs, no longer out of national communities but rather out of minority situations. Finally, by showing as a result that the cinema is amenable to much more than a new aesthetic: it is open to a new ontology, a new pedagogy and a new politics.
Appendices
Références bibliographiques
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