Abstracts
Résumé
Tout exercice de la pensée présuppose une « image de la pensée ». C’est du moins ce que Gilles Deleuze tente de montrer dans ses écrits, depuis Différence et répétition jusqu’à Qu’est-ce que la philosophie ? D’une image de la pensée comprise comme présupposé subjectif, au « plan d’immanence », tout système philosophique se construit en corrélation avec l’image que la pensée se donne d’elle-même. En philosophie, Deleuze entend par image de la pensée l’ensemble des présupposés à partir desquels on désigne ce que signifie penser. Son statut s’avère être bien particulier car cette image de la pensée est à la fois nécessaire et inhérente à la philosophie tout en étant non philosophique. C’est sur la base de cette ambiguïté que les liens entre image de la pensée philosophique et image cinématographique sont mis au jour. Il est en effet évident pour Deleuze que le cinéma a la capacité de modifier les présupposés nécessaires à la création d’une nouvelle image de la pensée philosophique qui réévaluerait les rapports entre matière et pensée. À cet effet, Deleuze s’inscrit bien sûr dans le sillage de la réflexion amorcée par Henri Bergson, mais il se pose également en héritier de Gilbert Simondon, qui n’a cessé d’interroger la question de la « modulation » de la matière dans ses travaux. Or le cinéma, pour Deleuze, est justement « modulation de la matière », c’est-à-dire in-formation de la matière à travers un moule variable et temporel. En dernière instance, c’est à la question des rapports entre sémiologie et cinéma que Deleuze s’attarde, à l’aune des travaux du linguiste Gustave Guillaume, qui conçoit une « matière pré-linguistique ». Celle-ci entre bien entendu en résonance avec la définition du plan d’immanence donné par Deleuze et Guattari dans Qu’est-ce que la philosophie ?
Abstract
Every thought process presupposes an “image of thought.” This at least is what Gilles Deleuze attempts to demonstrate in his writing, from Difference and Repetition to What Is Philosophy? Every philosophical system is built out of an image of thought understood as a subjective supposition on the “plane of immanence” in correlation with the image thought gives of itself. This image’s status is very peculiar, because it is both necessary and inherent to philosophy while at the same time not being philosophical. On the basis of this ambiguity, the links between the image of philosophical thought and the cinematic image are revealed. It is clear that the cinema, for Deleuze, has the ability to modify the necessary suppositions for the creation of a new image of philosophical thinking which would re-evaluate the relation between matter and thought. In this sense, Deleuze certainly follows the direction set out by Henri Bergson, but he is also the heir to Gilbert Simondon, who constantly enquired into the “modulation of matter” in his work. Cinema, for Deleuze, is precisely a “modulation of matter,” or matter in-formation through a variable and temporal mould. In the final instance, Deleuze is concerned with the relations between semiology and the cinema in light of the work of the linguist Gustave Guillaume, who conceived of a “pre-linguistic matter.” This matter, naturally, resonates with the definition of the plane of immanence given by Deleuze and Guattari in What Is Philosophy?
Appendices
Références bibliographiques
- Bellour 1995 : Raymond Bellour, « Penser, raconter le cinéma de Gilles Deleuze », dans Olivier Fahle et Lorenz Engell (dir.), Le cinéma selon Deleuze, Weimar/Paris, Verlag der Bauhaus-Universität Weimar/Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1995, p. 22-40.
- Bergson 1993 : Henri Bergson, Matière et mémoire, Paris, PUF, 1993.
- Deleuze 1968 : Gilles Deleuze, Différence et répétition, Paris, PUF, 1968.
- Deleuze 1970 : Gilles Deleuze, Proust et les signes, Paris, PUF, 1970.
- Deleuze 1983 : Gilles Deleuze, Cinéma 1. L’image-mouvement, Paris, Minuit, 1983.
- Deleuze 1985 : Gilles Deleuze, Cinéma 2. L’image-temps, Paris, Minuit, 1985.
- Deleuze et Guattari 1991 : Gilles Deleuze et Félix Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ?, Paris, Minuit, 1991.
- Heidegger 1999 : Martin Heidegger, Qu’appelle-t-on penser ?, Paris, PUF, 1999.
- Hême de Lacotte 2005 : Suzanne Hême de Lacotte, « Epstein et Deleuze, cinéma et image de la pensée », Chimères, no 57, 2005, p. 75-88.
- Sauvagnargues 2002 : Anne Sauvagnargues, « Le concept de modulation chez Gilles Deleuze, et l’apport de Simondon à l’esthétique deleuzienne », dans Stéfan Leclerq (dir.), Concept, hors série, 2002, p. 165-199.
- Sauvagnargues 2005 : Anne Sauvagnargues, Deleuze et l’art, Paris, PUF, 2005.