Abstracts
Résumé
On examinera ici ce qu’a de particulier la lecture faite par Gilles Deleuze de la notion du dehors et de l’impuissance de la pensée chez Blanchot, qu’il subvertit en quelque sorte — l’usage deleuzien de Blanchot n’étant guère blanchotien — en appuyant sa lecture sur celle de Michel Foucault, puis en faisant ici et là un détour par Henri Bergson et saint Augustin, dont il reprendra l’idée de la multiplicité des présents (présents du passé, du présent, du futur). On verra aussi, conséquemment, comment le rôle joué par l’« attracteur étrange » que représente Maurice Blanchot dans la pensée que développe Deleuze dans L’image-temps sert à colmater une ligne de fuite qui traverse tout le dispositif de l’image-temps et fait vaciller la possibilité d’inscrire l’image dans le temps. En opposant dehors et dedans, visible et non-visible, présent et devenir, on arrivera aux conclusions suivantes, à savoir que le cinéma ne rend pas le temps visible, mais qu’il rend au contraire perceptible le mouvement par lequel le temps échappe à l’image, que l’attrait du dehors fait du paradoxe du mouvement (visible et non visible, continu et continûment discontinu) le principe même de l’image cinématographique, et que l’image-temps, enfin, est traversée par le mouvement d’un devenir qui, en prenant le nom de « pensée du dehors », met en jeu la pensée elle-même. À l’aide d’un film de Jean-Luc Godard intitulé Éloge de l’amour, dont le principe d’organisation peut être considéré comme une illustration de la conception deleuzienne du temps, on verra enfin comment la logique du devenir, qui rend tout présent impossible, détermine le rapport de toute image au temps, comment le dehors, suivant cette idée d’un temps en devenir et à la linéarité rompue, empêcherait le temps en même temps qu’il en annoncerait l’éventuel avènement.
Abstract
This article examines the peculiarities of Gilles Deleuze’s reading of the concepts of the outside and the powerlessness of thought in the work of Blanchot. Deleuze subverts these concepts, in a sense—his use of Blanchot is not particularly Blanchot-like—by basing his reading on that of Michel Foucault and then by referring here and there to Henri Bergson and Saint Augustine, whose idea of the multiplicity of presents (past presents, present presents and future presents) he takes up. We will also see, as a result, how the role played by the “strange attractor” that Maurice Blanchot represents in Deleuze’s thinking in The Time-Image serves to block a line of flight which runs through the entire time-image system and unsettles the possibility of inscribing the image in time. By contrasting outside and inside, visible and non-visible, present and becoming, we arrive at the following conclusions: the cinema does not make time visible—rather, it makes perceptible the movement through which time eludes the image; the attraction of the outside makes the paradox of movement (visible and non-visible, continuous and continually discontinuous) the very principle of the cinematic image; and the time-image, finally, is run through with the movement of a becoming which, in taking the name “thought from the outside”, puts thought itself into play. With the help of Jean-Luc Godard’s film Éloge de l’amour, whose organizing principle can be seen as an illustration of Deleuze’s conception of time, we will see, finally, how the logic of becoming, which makes any present impossible, determines the relation of all images to time and how the outside, following this idea of a time of a broken linearity in the process of becoming, prevents time from happening and, at the same time, announces its possible advent.
Appendices
Références bibliographiques
- Badiou 2005 : Alain Badiou, « Du cinéma comme emblème démocratique », Critique, nos 692-693, 2005, p. 4-13.
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- Blanchot 1986 : Maurice Blanchot, Michel Foucault tel que je l’imagine, Saint-Clément, Fata Morgana, 1986.
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- Foucault 1966 : Michel Foucault, « La pensée du dehors », Critique, no 229, 1966.
- Foucault 1973 : Michel Foucault, Ceci n’est pas une pipe, Saint-Clément, Fata Morgana, 1973.