Abstracts
Résumé
La valeur anthropologique unanimement reconnue au cinéma, c’est d’avoir permis de rendre compte en temps réel de l’action humaine. On s’est moins souvent interrogé sur la valeur du cinéma en général pour rendre compte du monde non vivant : celui des choses. Cet article examine trois modes d’apparition d’un objet dans des films : l’objet trouvé, c’est-à-dire tout ce qui permet au cinéma de choisir un objet, de le montrer efficacement, de le rendre expressif ; l’objet utile, c’est-à-dire tout simplement l’objet mis en scène, devenu accessoire de la dramaturgie ; enfin, l’objet investi, soit l’objet devenu signifiant (par métaphore ou autrement). À ces trois espèces d’objets filmiques, on oppose le cas, plus abstrait et plus rare, où un film cherche dans l’objet ce qui relève de la choséité, de la « chose en soi », par définition inatteignable à notre perception et à notre intellection, mais que l’on peut évoquer ou suggérer par un travail d’ordre figuratif.
Abstract
The anthropological value of film is unanimously recognized as its capacity to account for human action in real time. Less attention has been dedicated to the general value of film in accounting for that which is non-living: the world of things. This article examines three modes of the appearance of an object in film: the found-object—in other words, everything which allows the cinema to choose an object, to show it effectively and to render it expressive; the useful-object—quite simply, the mise-en-scène of an object which becomes an accessory of the dramaturgy ; and finally, the charged-object, which (metaphorically or otherwise) becomes a signifying object. Opposed to these three types of filmic objects is a rarer and more abstract type in which a film seeks in the object that which belongs to its “thing-ness,” or to the “thing-in-itself:” by definition something unattainable to our perception or intellection, but which may be evoked or suggested by the work of a figurative order.
Article body
Le cinéma comme art d’attention
Sans doute le cinéma s’est développé, à partir des inventions initiales d’Edison et de Lumière, par-dessus tout comme un art dramatique. Ce qui y a intéressé des générations de spectateurs, de critiques et aussi de créateurs — fût-ce pour s’y opposer véhémentement — c’est le drame, c’est-à-dire les attitudes, les gestes des figures humaines que les films ont fabriquées et mobilisées, et, sous ces gestes et ces attitudes, les sentiments de ces êtres de fiction que, depuis la plus ancienne théorie du drame, puis de la littérature, on appelle des personnages.
Pourtant, le cinéma, dont la part visible socialement reste bien celle-là, s’est aussi, plus obscurément peut-être, tout aussi profondément à coup sûr, construit comme un art de la description. Qu’est-ce que décrire, pour qui voudrait le faire à l’aide d’images mouvantes ? A priori, l’outil est trop parfait, presque encombrant dans sa capacité à tout rendre de la réalité qu’il observe — capacité sans cesse augmentée par l’invention de techniques grossières ou raffinées, ajoutant le son, la couleur, mais aussi, moins ostensiblement et plus essentiellement, une netteté absolue et égale de l’image, que les plus conscients des cinéastes documentaristes n’ont pas manqué de relever comme embarrassante.
Le cinéma, la photo avaient été accueillis — avant que d’autres techniques les rejoignent et les dépassent — comme l’apogée du savoir-faire humain en matière de rendu des apparences ; lorsque l’État français, envisageant d’acheter le procédé de Daguerre, fit procéder à une expertise par les plus grands noms de la science européenne, l’anthropologue et explorateur allemand Alexander baron von Humboldt ne put dissimuler son enthousiasme devant la minutie automatique de la reproduction (mieux que l’oeil humain) : « J’ai pu voir une vue intérieure de la cour du Louvre avec les innombrables bas-reliefs. — Il y avait de la paille qui venait de passer sur le quai. En voyez-vous dans le tableau ? — Non. Il me tendit une loupe et je vis des brins de paille à toutes les fenêtres [2]. » Tout le problème de la photographie, du cinéma lorsqu’ils prétendirent à devenir des arts (presque tout de suite) fut d’échapper à la malédiction de ce brin de paille qu’ils ne pouvaient s’empêcher d’enregistrer mieux que l’oeil et malgré lui. L’objectif photographique avait poussé à son degré extrême la capacité de l’oeil du sujet à saisir le monde comme ses images. Il resterait à opérer le mouvement inverse, et à rendre l’art du film, l’art de la photo en mesure de faire droit à cette autre nature d’image qui ne se cadre pas, ne se saisit pas, ne s’approprie pas — ces images dont Kafka (cité dans Recht 1989, p. 152) a pu dire : « Le regard ne s’empare pas des images, ce sont elles plutôt qui s’emparent du regard. Elles noient la conscience. »
L’invention des caméscopes numériques, avec leur redoutable pouvoir de tout fixer indifféremment et minutieusement d’une réalité rendue à l’optique avant même d’avoir consisté, n’a rien arrangé : l’image automate, c’est sa malédiction, ne choisit pas [3]. Depuis Epstein et son essai L’Intelligence d’une machine (1946), nous savons que le cinéma pense — « le » cinéma c’est-à-dire l’ensemble vaste et complexe des machines et des machineries successivement inventées sous ce nom, vidéo incluse. Si cet être technique, au psychisme élémentaire mais immaîtrisable, veut pouvoir décrire quoi que ce soit, il faut donc d’abord qu’il apprenne le choix, et pour cela l’attention.
Je ne dispose d’aucune théorie générale — psychologique ni simplement logique — de l’attention, et mon but plus modestement est d’examiner certaines déterminations et peut-être certaines modalités de l’attention que le cinéma — le cinéma en général, donc, sans acception ni de genre ni d’époque — peut porter à l’objet — l’objet en général, quitte à définir un peu ce que pour les besoins de la présente réflexion j’entends par là.
L’objet et la chose
Un art du regard — et de l’écoute, mais je n’en parlerai pas ici — comme le cinéma est attentif immédiatement, par définition, à ce que le monde nous offre sous le nom d’objet. Ob-jet : ce qui est posé là, devant moi ; ce qui n’existe qu’à être devant moi, devant quelqu’un. Il n’y a d’objet qu’à raison et en raison de la conscience d’objet, c’est-à-dire, à proportion du sujet. L’objet est une catégorie des philosophies du sujet, l’un et l’autre concept ne peuvent se prendre qu’ensemble, définis l’un par l’autre, renvoyant l’un à l’autre, et sans le sujet qui en garantit l’existence attentionnelle, voire intentionnelle, comment l’objet existerait-il ?
Epstein, je le rappelais à l’instant, a voulu faire du cinéma un personnage, et dans le rôle d’un philosophe ; si l’on s’en étonnait, il répondait que rien n’empêche une machine, dans la somme de ses usages possibles, d’élaborer une philosophie — laquelle n’est jamais au fond qu’un système suffisamment cohérent d’aspects du monde articulés.
Toute philosophie est un système fermé sur lui-même, qui ne peut contenir de vérité qu’intérieure. […] La difficulté apparaît lorsqu’on prétend juger qui est le plus vrai […] car il faudrait un critère extérieur aux systèmes comparés, une commune mesure empruntée à la réalité. […] De quel droit exigerait-on du philosophe-robot cinématographique plus que ce que fournissent les philosophes-hommes et qui consiste en une représentation de l’univers, ingénieuse et à peu près cohérente, ouverte au jeu de l’interprétation des apparences, à condition de rester fidèle à ses lois organiques, c’est-à-dire exempte de trop graves contradictions internes ?
Epstein 1975, p. 322
Ce philosophe toutefois, pour ce qui est de l’objet, a du mal à apercevoir et à appréhender autre chose que l’objet empirique ou en termes kantiens le phénomène — même si l’objet transcendantal parfois l’attire (mais il n’a pas de noumène correspondant), et même si la chose en soi est sa limite (c’est en un sens tout ce que j’aurai à dire). Le cinéma, c’est une remarque souvent faite, semble être un art d’apparence et de phénomènes, et le rapport qu’il a aux objets du monde est celui de la « conscience éveillée », dont les objets sont « les seuls dont on puisse parler » (Merleau-Ponty 1945, p. 35). L’objet au cinéma, l’objet de film, n’est isolable et identifiable que s’il est objet d’attention, objet de soins, objet de regard, objet de conscience (le cinéma dramatique tout entier comme art de la représentation de contenus de conscience, acclimatant dans ce sens-là jusqu’à certains modes de l’informel, tel le mélange d’images que fabrique la surimpression).
En cela l’objet au cinéma se différencie de la chose, et toute la philosophie spontanée du cinéma, de ce philosophe-robot rêvé par Epstein, se résume à reprendre mon expérience du monde réel, du monde des objets, en la répétant — mais comme pour mieux démontrer sa capacité à en tirer d’autres conséquences que moi. Comme mon regard (ou mon écoute), la caméra peut tourner autour de l’objet pour le découvrir dans son extension ; comme mon esprit, elle peut même — c’est encore la thèse d’Epstein — déduire les aspects cachés de ceux qui sont actuellement visibles, construire l’idée de l’objet à partir de certains de ses aspects ; mais en outre, le cinéma est doté d’une perspective temporelle, qui lui permet de pratiquer autrement que moi, de façon plus variée, plus illimitée, cette construction. Le philosophe-cinéma peut transformer l’inanimé en vivant, le simultané en successif ; il peut penser le monde réel selon une conscience plus riche que la mienne, moins soumise à la variante la plus réaliste de l’empirisme. Mais ces différences, et tout le pouvoir qu’avec elles acquiert le cinéma, de fabriquer des mondes invus, ne fait pas qu’il puisse avoir affaire à quoi que ce soit d’autre que des objets, et même, des objets dans leur eccéité (Jediesheit), pour parler comme Heidegger [4]. L’objet n’est pas la chose, l’objectité n’est pas la choséité : la limite kantienne n’est pas franchie.
Comment accéder à l’intimité de la chose ? La réflexion scientifique de l’entre-deux-guerres, qui a tant fait pour changer nos idées à ce sujet, a imposé le modèle d’une intimité atomique et quantique de la matière, mais les idées alors inventées, puis rapidement popularisées, à propos de l’espace matériel comme à propos du temps, n’étaient guère accessibles à notre expérience vécue [5]. Le modèle, théoriquement fécond, d’un espace principalement fait de vide, d’un espace-temps habité par la vitesse de charges électriques ou de particules, n’aide pas à penser la chose ; à la même époque où Russell, Eddington ou, plus tard, Gamow vulgarisaient ce modèle, Husserl proposait un modèle sophistiqué de la conscience, dans lequel l’opération de la réduction aboutissait à rejeter dans l’inconnaissable ou l’impensable tout ce qui n’était pas transformable en « vis-à-vis », tout ce qui n’était pas visable par la conscience, par le « moi pur ». La chose ne se regarde pas, n’est pas objet d’attention, ne se comprend pas. Mate, butée, elle relève au mieux de l’hypothèse scientifique ou métaphysique : elle n’engage avec moi aucun rapport, ne peut entrer en relation avec rien ni personne, elle demeure chose, dans son être de chose.
J’aimerais donc risquer, à propos du cinéma et de l’objet, l’hypothèse suivante. Le cinéma a, avec l’objet, un rapport d’immédiateté, presque trop naturel et constitutif ; à partir de ce rapport — qui va de la simple attention portée à un objet que l’on singularise et désigne, sur lequel on focalise, à la plus grande signification ou importance que l’on peut lui accorder —, le cinéma peut viser un rapport à la chose, à l’être-chose, et souvent a été tenté de le faire. Simplement, la chose qui, dans le monde, représente en quelque sorte l’état primitif, brut, non travaillé de ce que l’activité et la conscience humaines ont transformé en objet, est au cinéma le terme peut-être inaccessible d’un travail à rebours, d’un complexe labeur, forcément réflexif et théorique, sur l’apparence de l’objet, son usage et sa substance. Si l’humanité s’est faite en donnant le statut d’objet à certaines choses et plus essentiellement en créant, avec le concept d’objet, l’idée d’un rapport subjectif entre moi et le monde, le cinéma au fond inverse cette évolution, en se découvrant capable de dés-anthropiser l’objet, pour le rendre à la chose.
Seulement ce n’est pas n’importe quel film qui accomplit ce travail : avant de pouvoir désigner quelque exemple le moindrement abouti, je parcourrai d’abord un chemin, très simple et empirique, qui me mènera de la constitution (fabrication ou, plus souvent, découverte-élection) de l’objet, à sa mise en scène, puis éventuellement à sa mise en signe. Pour décrire l’objet, pour y prêter attention, le cinéma doit commencer par le trouver, puis trouver sa place dans un « bloc d’espace-durée [6] », le mettre en scène, au risque d’en faire un personnage, donc de l’investir d’une valeur elle aussi dramatique. La chose, alors, s’obtient forcément par soustraction.
L’objet trouvé : l’élection de l’objet
Il y a des objets partout (et n’importe où) : peut devenir objet tout ce qui est isolé assez nettement et assez longtemps, par un geste, un regard, un rapport instauré. Si l’objet se définit comme objet de mon attention, celle-ci ne fait pas entrer en ligne de compte genre, classes, voire nature d’objets : c’est la liberté du sujet qui fait l’objet, qui le trouve ou mieux, l’élit. (Grand thème empiriste : mon attention est comparable à un projecteur, dont la lumière ne change pas s’il éclaire ici ou là, ceci ou cela.)
N’importe quoi a pu, au cinéma, devenir objet — puisque l’attention et la singularisation sont des propriétés de l’appareil cinématographique, non des fictions auxquelles il se prête. Lumière avait élu, tour à tour, la plupart des objets même banals de son décor quotidien : le train qui l’amenait à sa maison de campagne, aussi bien que la carriole avec ses valises (et aussi, tant qu’il y était, le domestique déférent qui portait les valises dans la carriole), ou le chat familier, le bocal de poissons rouges. En bon manipulateur, Méliès a beaucoup fait pour ajouter à cette liste. Il faudrait ici avoir le temps de revoir des films comme L’Homme à la tête de caoutchouc, Le Mélomane ou Le Bourreau turc, où l’objet le plus banal, en même temps le plus improbable au titre d’objet, est produit : la tête humaine, transformée en boule manipulable, jetable, accrochable, à moins qu’elle ne devienne ballon de baudruche. La peinture avait, bien sûr, déjà accoutumé à l’idée d’une tête détachable, décollable comme celle de saint Jean le Baptiste, mais le cinéma sur ce terrain comme sur d’autres l’a prolongée, en mettant aussitôt en évidence ce que la peinture avait voilé par ses fictions : que c’est le dispositif représentatif même qui peut élire l’objet, le faire, le distinguer [7]. Quatre-vingts ans après Méliès, dans Quoi où, Samuel Beckett s’est souvenu de la leçon, et a inventé un agencement un peu différent, mais qui aboutit au même, faire d’une tête un objet, qui apparaît et disparaît au gré des sortilèges d’un grand manipulateur, une espèce de Mabuse peut-être aveugle qui flotte, gigantesque, lui-même figuré comme une tête objet, au-dessus du jeu.
Trouver en général un objet filmable est l’une des premières tâches du cinéaste, et des époques, des styles, des attitudes de cinéaste ont pu se définir comme recherche d’objets. Qu’a fait Vertov sinon inventer un cinéma dans lequel éclate la joie à filmer une chose nouvelle [8], à donner de chaque objet l’image la plus inattendue et à la fois la plus juste ? Qu’ont fait Lang ou Buñuel sinon donner aux objets tout leur poids de présence et d’étrangeté très inquiétante — simplement en les produisant au bon moment, souvent sans avoir même à les faire commenter par le drame ?
« Le » cinéma — cette personnalité abstraite et générique, mais néanmoins pensante, dotée d’intelligence et de psychisme donc d’attention — jette trop évidemment de ces coups de projecteur qui sont comme mon attention. Dix fois, les théories du cinéma ont comparé la caméra à un oeil, le cadrage à un regard : sans doute le jeu du cadre mobile, de la découpe variable du champ phénoménal, est le premier geste qui instaure un rapport d’attention entre le cinéma et « son » objet. Comment désigner un objet ? En l’isolant, et pour cela le cadre semble être le premier outil, surtout dans le jeu de ce qu’on a d’abord appelé « premier plan », puis « gros premier plan », puis « gros plan » et qui fait l’objet exister imaginairement près de moi, tout près (« ce n’est pas vrai qu’il y ait de l’air entre nous », dit Epstein de son rapport littéralement cannibale au gros plan). Cependant, le gros plan, parce qu’il est, quasi inévitablement, aussi un plan gros, a presque toujours une puissance de monstruosité, d’énormité, et, passez-moi le mot, d’inquiétance. Cela aussi a été très tôt reconnu, et de Vachel Lindsay à Arnheim et d’Epstein à Eisenstein, on a loué ou vitupéré le gros plan pour ce pouvoir d’étrangéification [9].
L’élection de l’objet a donc plus souvent avantage à ne pas être manifestée par sa simple et comme mécanique venue au premier plan, toujours menacée par ce grossissement excessif. La première parade contre les pouvoirs abusifs du plan (en tant que plan gros, mais aussi, virtuellement, en tant que plan tout court), c’est bien sûr de ne pas laisser le plan agir seul, de l’insérer dans une chaîne, si l’enchaînement est le plus sûr moyen de maintenir l’objet dans sa fonctionnalité ou sa limitation. Une bonne partie de l’art du cinéma comme dramaturgie consiste à faire circuler des objets (je vais y revenir dans un instant), à les rendre sans cesse à nouveau praticables, à les motiver et à les justifier en renouvelant à chaque instant leur existence dramatique. Mais cette propension du cinéma à la chaîne, à la succession et à l’articulation peut aussi s’affirmer hors de la dramaturgie. L’attention pure à l’objet, sa désignation sans qu’il serve un usage théâtral, sont au principe même, à l’époque où régnaient les objets du design, du Ballet mécanique de Fernand Léger et Dudley Murphy (1924).
Le film de Léger est presque trop facile à commenter, avec sa thématisation de l’oeil jusqu’au clin d’oeil, avec son kaléidoscope et son faux choix d’objets dont on souligne à plaisir l’insignifiance et comme l’indifférence d’ustensiles ménagers — à une réserve près : ce qui n’indiffère pas, et les fait élire, c’est leur plastique (luisance, géométrie des formes, répétabilité et mise en série — qualités qu’évidemment le kaléidoscope amplifie en même temps qu’il les ironise). L’évident analytisme de ce film produit une sorte de décomposition du tissu filmique, selon ses objets particuliers (mais ressortissant tous au même genre), et aussi selon ses propriétés sensibles, que l’on nous offre comme isolées, autonomisées (par exemple le mouvement d’avant en arrière présenté séparément du mouvement de haut en bas). C’est une belle illustration du pouvoir qu’a le cinéma-philosophe de comprendre l’objet autrement que ma conscience, de lui donner une vie, ou au moins un milieu — cependant, en le maintenant sous un regard.
L’enchaînement dramaturgique est d’un autre ordre, il repose moins sur l’autonomisation de chaque élément que sur l’insertion commune et réglée des éléments dans un bloc d’espace-durée. L’objet dramatique peut se regarder, s’isoler sous le projecteur de l’attention du cinéma, mais il n’est pas besoin pour cela de l’isoler matériellement, de le cercler comme faisait le cinéma muet avec ses vignettes et ses iris, ni de l’amener à la monstruosité du grossissement extrême. Il suffit par exemple de laisser opérer le plus puissant moyen d’action qu’ajoute le drame : le temps. L’objet regardé longtemps est transformé, et nous connaissons bien cette esthétique du plan prolongé qui, de Akerman à Monteiro ou de Bergman à Straub, a démontré ce que peut le simple maintien sous le regard. Soit un magnifique exemple de plan long, où ce pouvoir est lui-même réfléchi, par sa fictionnalisation : le dernier plan de Stalker (Andréi Tarkovski, 1979), où la fillette au pouvoir télékinésique, posée face à nous, en vis-à-vis direct de notre regard, pose en vis-à-vis du sien le verre que son attention va déplacer, pousser, faire finalement tomber, tandis que sa tête, lentement inclinée vers l’horizontale, va devenir en retour un autre objet.
L’attention portée à un objet ne peut pas se prolonger indéfiniment, elle bute toujours sur le risque d’une perte : telle est la leçon métaphorique de ce morceau poétique, mais aussi très théorique, de cinéma. Ce qui est mis en avant ici, c’est le suspens du temps ou sa prolongation (suspens du temps vécu, prolongation d’un temps mémoriel ou projectif) — ce qui pour Tarkovski (1989, p. 64) relève d’une définition véritablement première du cinéma : « L’image est cinématographique si elle vit dans le temps et si le temps vit en elle. Aucun objet, même “mort”, aucune table, aucune chaise, aucun verre, ne peut être filmé isolément dans un plan comme s’il se trouvait en dehors du temps. » Notre conscience peut abstraire l’objet de son espace (pour le « réduire » à son essence) — mais le cinéma s’y prend autrement, puisqu’il n’y a pas d’abstraction temporelle possible, dans ce système (radicalement opposé en cela, faut-il le souligner, à celui d’Epstein).
Est-ce un hasard si dans le second de mes exemples on a affaire plutôt à l’objet élu, tandis que dans le premier, c’est l’objet trouvé qui se présente à nous ? Sans doute pas : les deux cinéastes cités sont, le second un esprit religieux, le premier un constructiviste ; mais peut-être faut-il déjà y voir un peu davantage, une propension double du cinéma, à contempler l’objet au risque de son absorption dans la méditation sur la chose, ou au contraire à l’évacuer à peine vu et choisi, au bénéfice d’un discours, d’une chaîne.
L’objet utile : mise en scène de l’objet
En trouvant ou en élisant son objet, le film le manifeste comme objet d’attention, donc il mime forcément, plus ou moins, une conscience et un regard. L’objet est prêt à entrer dans le circuit du désir : à devenir un signifiant, à circuler de sujet en sujet. La tête monstrueuse et démiurgique de Bom, dans le film de Beckett, a transformé les têtes de Bam et Bem en objets pour mieux les manipuler, pour exercer visiblement son pouvoir sur elles (et sur eux). Le verre d’eau de Tarkovski est devenu le pivot matériel et visible autour duquel tourne toute une scène, tout un monde présent ou lointain.
Mise en jeu de l’objet, qui est le plus souvent au cinéma l’un des moments ou l’une des parties de cette activité plus générale qu’on appelle la mise en scène. Les objets peuvent fixer l’espace, en matérialiser provisoirement le centre ; ils peuvent apparaître et disparaître pour manifester un pouvoir singulier. Mais ils peuvent aussi — c’est le plus banal — être simplement ce qui s’échange, de personnage-sujet à personnage-sujet, ce qui double et conforte l’échange de la parole (et des regards).
Soit le début de La Huitième Femme de Barbe-Bleue (Ernst Lubitsch, 1938), la célèbre séquence de l’achat du pyjama. Tout, ici, tient exclusivement par la supposition et véritablement la description de la consistance imaginaire d’un objet comme intéressant (et de là, comme support du désir). Rien de plus trivial, de plus indifférent et banal, de plus inexistant qu’un pantalon de pyjama. Inexistant au point que le film trouve au moins trois moyens de nous signifier son inexistence (dans le comportement de Gary Cooper, par son absence sur les jambes du propriétaire du magasin, et dans la confidence du chef de rayon). Or c’est précisément autour de cet objet inexistant, dénué de valeur comme d’importance, que se noue d’abord la tresse d’une conversation où abondent les sous-entendus et les surdéterminations érotiques et politiques (« c’est le communisme » ; « moi c’est autre chose je dors avec seulement un foulard ») ; puis, plus spectaculairement encore, il est ce qui ancre la réplique d’entrée de Claudette Colbert, prononcée off, « j’achète le pantalon », qui est l’une des plus riches de sens condensés de Lubitsch — par ailleurs spécialiste de la condensation des répliques ; on y entend à la fois l’attrait érotique (et même, carrément sexuel) de la fille envers le garçon, le retour de la marchandise dans un circuit économique normal dont l’excentricité du jeune milliardaire avait failli l’exclure, enfin, la surprise que représente toute rencontre avec une personne inconnue, et l’arbitraire corrélatif qui est celui du raconteur d’histoires (lequel a le droit d’introduire un nouveau personnage à son caprice).
Les objets de cette sorte sont innombrables dans les films narratifs ; ils en sont, jusqu’à un certain point, la substance même, depuis que le cinéma a choisi la pente narrative de préférence à la pente épique (l’epos n’a pas besoin d’objets fictionnels, d’objets fonctionnels et praticables : il lui suffit de quelques emblèmes, toujours les mêmes et récurrents). Dans le même rayon vestimentaire que le pyjama de Lubitsch, on trouverait, pêle-mêle, l’étole verte de Marlene Dietrich dans Rancho Notorious, le peignoir jaune de Brigitte Bardot dans Le Mépris ou le blouson de Fox, la victime sous-prolétaire des exploiteurs capitalistes, dans Le Droit du plus fort de Fassbinder : métonymies, en même temps solides emblèmes, de relations où le sexuel et l’économique se nouent, c’est-à-dire de situations romanesques modernes.
De cet usage de l’objet comme signifiant du désir, qui informe les fictions cinématographiques classiques, un cinéaste s’est fait le virtuose : Hitchcock, dont l’oeuvre dans notre mémoire n’est rien d’autre qu’un catalogue d’objets, par eux-mêmes indifférents et aussi triviaux qu’un vulgaire pantalon de pyjama, mais investis — par la grâce du montage, du jeu sur le vu et le caché, du jeu magistral avec le temps et sa suspension, avec l’attente, la surprise et l’attente comblée, bref par l’art de les rendre intéressants pour la représentation des désirs et des affects — du pouvoir de signifier les ressorts les plus cachés, les plus intimes, les plus secrets et incompréhensibles des comportements humains. Dans ses Histoire(s) du cinéma, avec le passage de l’épisode 4a intitulé « Introduction à la méthode d’Alfred Hitchcock », Godard a résumé, en même temps qu’il leur rend hommage, ces objets hitchcockiens, notant bien leur stricte indifférence, en même temps leur importance, exactement proportionnelle à cette indifférence : plus l’objet est faible par sa charge propre, plus il est « nul », quelconque, plus est fort le pouvoir du cinéaste — lequel atteint, dans la phrase de Godard, au « contrôle de l’univers ».
L’objet dramatisé est le ressort élémentaire du récit, de la fiction, rôle central qui est largement confirmé par la logique de l’accessoire qui informe le cinéma classique. L’objet est tout autant, quoique plus souterrainement, le lieu de la picturalité cinématographique ; comme toute mise en scène, celle-ci est théâtre et peinture à la fois — mais l’objet concrétise, force, coagule cette picturalité. De ce point de vue, il n’est peut-être pas de cinéma où la présence de l’objet ait été plus forte que celui qui, inspiré de près ou de loin du cubisme, l’a glorifié visuellement et plastiquement sous les espèces d’une volumétrie excessive. Le film de Fernand Léger est réalisé en 1924, au moment des constructivismes et des avant-gardes [10]. Il est le contemporain des célébrations, dans l’éclat fugitif du cinéma soviétique, de l’objet industriel qui va supplanter, dans la main et dans l’idée de l’homme, l’objet naturel où se lit toujours trop le hasard, comme trace d’une soumission à des forces divines. Il est le contemporain des essais intrépides, fascinés par la luisance, la netteté, la fonctionnalité des objets du siècle — que ce soit pour en vanter l’utilité ou plutôt quelque chose de l’ordre de la beauté. L’objet dans tous ces films ne joue pas à proprement parler un rôle — ou alors, un rôle d’emblée rapporté à la socialité, un rôle dans la comédie sociale, dans le drame de la société et de l’Histoire. Les téléphones ou les tramways de L’Homme à la caméra n’intéressent pas par eux-mêmes (encore que l’assemblage de vitres et de métal de ces derniers, leur inimitable façon d’ébranler l’imaginaire en lui imposant l’image sonore d’un bruit de ferraille bringuebalant, sanglée dans de l’électricité, aient une forte présence) ; c’est leur fonction sociale, c’est plus fondamentalement leur contribution à une redéfinition de tout le social, qui importe. De même, dans les essais « abstraits » réalisés à Paris, la Marche des machines de Deslaw, les Cinq minutes de cinéma pur de Chomette, les cinégraphismes de Dulac, l’objet ne vaut que comme support de formes, de matières visuelles, d’événements de lumière-temps.
L’objet est donc aussi ce qui autorise le cinéma à expérimenter sa propre nature, son rapport d’art du visible au temps, et au mouvement (ces artistes ne s’intéressent jamais tant à l’objet que lorsqu’il tourne, lorsqu’il glisse ou coulisse, lorsque ses parties s’articulent, ou à tout le moins, lorsque ses formes parfaites, rondes ou polyédriques, dénoncent en lui l’artefact et l’industrie). Le cinéma parlant annula, en surface du moins et pour quelque temps, ce rapport de fascination, de joie et parfois de jouissance — mais il n’a cessé de revenir, des documentaristes anglais de l’école du GPO à l’underground new-yorkais, ou même, très déguisé et en quelque sorte détourné, dans certaine façon qu’ont les essais de Godard de dire, par l’objet, ce qu’il est impossible ou inutile de dire parce que cela est trop essentiel. (Je pense au tourne-disque de la Lettre à Freddy Buache, à cette parfaite et muette incarnation du mouvement, de la rotation, mais aussi et fondamentalement, du temps qui passe, cyclique et indifférent.)
L’objet investi : la mise en signe
Plus encore que son usage dramatique peut-être, l’attention visuelle et picturale à l’objet le souligne, le gonfle, le fait presque sortir de l’écran pour venir me chercher. Désigné à mon attention (et, comme aurait dit Bazin, à mon amour) par un geste de cadrage, offert à mon intention (et à mon désir) par sa mise en chaîne, l’objet est alors doté d’une personnalité grandissante, qui gagne de l’importance et de la consistance, il devient — comme encore l’avait si bien vu Epstein — personnage du drame intime qu’est toute vision d’un film.
C’est de cette consistance que provient la troisième capacité de l’objet : sa signifiance. Il est d’innombrables objets de cinéma (comme aussi bien, de peinture) qui valent surtout, ou seulement, par ce qu’ils nous suggèrent ou nous crient muettement d’un certain sens profond du monde ou de la vie. Symboles, emblèmes, allégories — mais je pense moins ici à tels objets trop délibérément conçus pour me renvoyer à un registre de signification, pour être assignés à des répertoires de sens, qu’à ceux qui l’évoquent légèrement, et pour ainsi dire, subsidiairement. Il est clair que la banane et la boîte de sardines de Genèse d’un repas, conçues et exécutées comme figurations d’un discours théorique — apodictique mais cohérent — sur l’impérialisme et l’économie de pillage, n’ont pas à proprement parler, dans le film de Luc Moullet, d’existence en tant qu’objet, mais en tant que genre ou classe d’objets, c’est-à-dire, en tant que concepts quasi purs. De même, chez Buñuel, l’objet se fétichise très ostensiblement — selon le double registre du religieux (une statuette de la Vierge en caoutchouc lavable dans L’Ange exterminateur) et du thanato-érotique (la paire de chaussettes affaissées sur les jambes d’une petite fille morte dans le Journal d’une femme de chambre). Le monde buñuelien se constitue d’ailleurs, dans plusieurs de ses films, autour d’une scène instauratrice qui noue ces deux registres (par exemple, le lavement des pieds au début de El), et lui-même en avait trouvé, avec le Christ à cran d’arrêt qui devait être le titre de ses mémoires, l’emblème parfait. Tout cela, presque trop limpide.
Je pense donc plutôt, ici, à ce que la peinture de vanités, par exemple, nous a habitués à accepter ou à trouver nécessaire : le sens caché, le « symbolisme déguisé », selon l’expression de Panofsky [11], et dont les exemples par lesquels j’ai introduit la présente réflexion étaient, aussi, d’évidentes manifestations. Il n’est que trop apparent que le verre de Stalker renvoie à une iconographie (en l’occurrence, picturale et religieuse) du verre d’eau : l’eau comme signifiant du baptême et symbole de pureté, le verre transparent, métonymie de la lumière qui le traverse (comme chez Van Eyck — d’ailleurs référence avérée quoique virtuelle de Tarkovski), etc.
Voici un autre exemple, double, de cette signifiance, où se lit plus crûment encore la valeur — et peut-être, la valeur originaire — d’une composition qui se souvient de la peinture. La scène d’ouverture de L’Homme au crâne rasé (André Delvaux, 1966) s’achève sur la contemplation d’une coupe de fruits, devant laquelle le protagoniste médite sur la pourriture, le temps, la mort. Ces fruits font un tableau de vanité, évidemment, ils disent la proximité de la mort jusque dans la plénitude du fruit, dans la plénitude du consommable. En même temps ils appartiennent pleinement à cette scène où règne presque sensoriellement une chaleur étouffante de coeur de l’été. Ce qui m’importe dans cette ouverture de film (c’en est le tout début), c’est donc qu’elle travaille en parallèle, et à égalité, le double registre de la scène et du sens, ou, pour parler comme Panofsky dans l’article de 1932 où s’élabore l’iconologie, le double registre du sens-phénomène et du sens-signification [12]. L’homme qu’on nous présente, pris à demi par le sommeil — lourde sieste de juillet —, pris entièrement par sa rêverie diurne, est donc doublement présenté comme fragile et menacé : le sommeil comme « singe de la mort », selon la forte image de Jarry, ou comme sa métaphore ; la rêverie du personnage est dangereuse et finalement létale, elle le mènera à l’autodestruction dont elle est la métonymie. Le regard qu’il jette sur la coupe de fruits à demi pourris est apparemment désengagé, désintéressé, il vient ponctuer une méditation amoureuse, une sorte d’exaltation à la pensée de la jeune fille aimée — mais cette méditation et cette exaltation sont elles-mêmes à demi pourries, cet amour est non seulement impossible mais malsain, et la belle jeune fille coïncidera bientôt dans le film avec l’image traditionnelle de la mort. Les fruits nous l’annoncent — sans ambiguïté, pourtant sans insistance excessive. L’objet fait sens en vertu de symbolismes bien établis (pourriture physique pour pourriture spirituelle, dégradation pour dégradation, imminence pour imminence et menace pour menace), mais aussi, parce que ces pommes et ces bananes, tout symboles qu’elles sont, ont été tout de même achetées au marché, disposées là par cette pauvre femme qu’on voit et qui sera bientôt abandonnée, destinées peut-être à cette petite fille qui elle non plus ne sait pas que sa vie va basculer, etc.
Cette réminiscence de genres picturaux — bien plus intéressante évidemment que les citations ou les pastiches — est un puissant courant de fond du cinéma. Dans L’Annonce faite à Marie (d’Alain Cuny), par exemple, les fruits et légumes disposés sur la grande table de la salle font une nature morte, heureuse celle-ci mais pourtant symbole tout autant que l’autre de vanité — la vanité des entreprises humaines, puisqu’elle apparaît au moment où Anne entreprend son voyage à Jérusalem et décide, catastrophiquement et aveuglément, de marier Violaine à Jacques ; c’est parce qu’il y a nature morte, parce qu’il y a allégorisme (à peine) déguisé qu’il peut y avoir l’équivalence, touchante et naïve ou jugée grossière, du poireau et du bébé, faisant également de l’eau, comme deux légumes. Dans le « cinéma d’art », mais aussi dans l’industrie hollywoodienne, dont les décorateurs souvent étaient issus d’écoles d’arts appliqués, la culture se manifeste volontiers par ce sort fait à l’objet : il ressortit à une iconographie.
L’objet chosifié : substance, matière, modèle
Dans toutes ces attitudes de cinéma devant l’objet, c’est le rapport humain à la chose qui est produit, souligné, travaillé. Un verre d’eau, une coupe de fruits n’existent que parce qu’un humain représenté les regarde, parce qu’ils permettent des relations entre représentations, et pour finir, parce qu’ils me sont destinés et parce que les regardant j’accepte leur offre de devenir des choses pour moi, entrant en relation avec moi — c’est-à-dire des objets. Mais lorsque, réfléchissant à ce qu’est un objet, j’évoque mentalement son état propre, dégagé de sa relation à moi, je sais bien que ce qui me vient à l’esprit, ce sont d’autres images ou plutôt une absence d’image : ou, mieux dit encore, la chose — la chose en soi, ce rêve sans cesse reformé d’une image impossible, de ce qui par nature me demeure inaccessible. Il y a donc encore, en cinéma, un autre choix envisageable quant à l’objet qui a été élu : ne plus le figurer comme ob-jet, mais tâcher de l’évoquer comme chose, comme un fragment de réel, de ce que nous ne pouvons connaître ni comprendre, de ce qui est « impossible ».
Ce choix est plus rare, plus difficile aussi, à cause de la propension du cinéma à s’identifier au regard, à la conscience. Le cinéma a souvent été conscient de cette conscience, et il a parfois tenté de lui échapper (c’est la fameuse équation de Deleuze : « le plan, c’est-à-dire la conscience », qui est faite pour préciser que cette conscience n’est pas la nôtre mais celle du philosophe-machine [13]). La fascination des avant-gardes muettes pour l’imagerie du rêve, et le recours à cette imagerie comme métaphore de l’enchaînement des images de film, dans la plupart des théories « spontanées » du cinéma, en témoignent. Le rêve, certainement, est un autre rapport à l’objet, manifeste une autre espèce d’intérêt qui lui est porté (non plus la conscience mais l’inconscient, pour le dire vite). Mais cet intérêt n’est plus l’attention, justement ; dans le rêve, ce n’est pas mon attention qui constitue l’objet en contenu de conscience, mais des enchaînements signifiants qui lui échappent, et constituent l’objet en contenu de manifestation de l’inconscient. La voie du rêve ne peut être, pour le cinéma, et n’a été qu’une inspiration poétique, une source d’images ou de procédures de montage, une imitation générique et un peu vague de certains enchaînements, une renonciation à l’attention, mais au profit d’une imitation de l’attention flottante.
Approfondir en direction de la chose relève d’une autre démarche, qui ne passe pas par le flottement de l’attention, mais au contraire par sa concentration, par son épuration et par une sorte de renonciation à son utilité. Les objets que nous avons rencontrés jusqu’ici relevaient tous, sans forcer, de l’enquête descriptive et interprétatrice telle qu’a pu la concevoir Panofsky dans son article de 1932. Un regard délibéré les avait choisis, sélectionnés dans le monde de la réalité, dans le sensible, pris tels qu’ils étaient ; une conscience appliquée en avait fait des signes, c’est-à-dire le tiers symbolique par lequel à la fois des personnages entraient en communication, et nous communiquaient quelque chose ; ils avaient tous un sens-phénomène, et presque tous un sens-signification (je laisse de côté le sens-document). Que se passe-t-il pour commencer si, au lieu de promener une attention semblable à un projecteur, au lieu de sélectionner certaines parmi les apparences, le cinéma devient une machine à fabriquer de l’apparence : si, au lieu de voir, et obéissant à un mot d’ordre de l’art du vingtième siècle, il fabrique du visible ?
Un film a superbement illustré cette problématique de la fabrique du visible (et du voir) — et ferait ici pendant au début du film de Lubitsch : c’est le début du Macbeth d’Orson Welles. Comme Lubitsch commençait son film par l’introduction, ludique mais extrêmement rationalisée, d’un objet qui allait jouer le rôle d’objet littéralement transactionnel, de même Welles commence son film en fabriquant sous nos yeux un objet qui va, lui aussi, à la fois engager le récit (permettre à l’histoire de commencer) et en donner le commentaire — en l’occurrence, un commentaire directement symbolique [14]. L’objet en question est la petite statue ou effigie à l’image de Macbeth, que les trois sorcières modèlent sous nos yeux, dans une matière qui a la plasticité de la glaise, mais qu’elles semblent avoir directement tirée de leur chaudron maléfique [15]. Est-ce un objet ? Je n’en jurerais pas. Le film suggère que c’est un morceau de matière informée — et il faut ajouter : magiquement informée —, donc que c’est un fétiche, un feitiço [16], une chose artificielle qui supporte la production du sortilège. Dans le rendu wellesien de cette célèbre scène de la tragédie de Shakespeare, les sorcières insistent sur le pouvoir modelant de la main et conjointement de l’esprit (c’est leur incantation, si rauque et inarticulée soit-elle, qui opère la transmutation, et peut-être la transsubstantiation). La figura qu’elles créent relève, exemplairement, des deux sens que nous a transmis le verbe fingo : la figurine, la statuette modelée (où se sentent encore la matière d’origine comme le geste de la main) ; la fiction. D’un fragment de matière, une chose a été fabriquée, que le film abandonnera avant même qu’elle devienne vraiment objet ; de la chose, cet objet gardera, de toute façon, la proximité à la matière, à l’épaisseur ontologique, à l’énigmatique qualité de matérialité.
Voilà la métaphore de cette attention à ce qui n’est pas l’objet — pas encore, pas assez ou trop ; voici maintenant en acte, dans un film dont c’est la visée expresse, ce qu’est l’attention à un tel objet qui n’est pas objet mais que tout le film aboutit à maintenir autant qu’il peut (autant que le peut une image) à l’état de chose. Sans doute, même dans cette version minimaliste, il y a un objet — élu, mis en scène puisqu’il est cadré, et qui même ne peut oublier sa force symbolique involontaire. Cet objet en effet est une roue de moulin, avec ses aubes, et il est difficile d’échapper à la dynamique symbolique qui s’attache, au cinéma et avant lui dans la littérature, à cet objet. La roue est symbole du temps qui passe, du destin, de l’essence mortelle de l’homme ; la roue mécanisée, avec ses pales qui scandent visiblement le temps, est en outre une métaphore figurative du dispositif du cinéma. C’est ainsi, par exemple, qu’a été lue, par plusieurs interprètes, la roue du moulin de Vampyr. C’est aussi de cette façon que l’on peut lire le mouvement vertical de barres horizontales, qui produit un effet stroboscopique proche du défilement, dans Roulement Rouerie Aubage de Rose Lowder.
En fait, ce qu’invente la cinéaste Rose Lowder, c’est ceci : l’objet est saisi dans sa matérialité — mais une matière toute différente de la glaise de Macbeth : une matière-lumière [17], une matière faite de grains, de grandes plages sombres, de luisances, bref, une matière optique, mais de cette qualité visuelle qui, elle aussi, dit quelque chose d’essentiel sur le cinéma : le temps y est donné directement sous forme lumineuse (une idée qui, justement à propos de Vampyr, est celle, centrale, de Jean Louis Schefer). La matière ici ne forme plus un objet, ne crée plus une figura objectale ; la matière est informée, mais sans passer par le modelage, sans passer par l’objet. En un sens, c’est bien la chose : l’objet représenté l’est comme chose filmique, et chose au moins en ceci qu’elle ne peut entrer dans un circuit d’utilisation, de mise en scène ou d’échange. Elle peut seulement affirmer son existence, son être-là ; elle peut être contemplée, et rien d’autre.
Je parlais en commençant d’objet trouvé ; il existe d’ailleurs du cinéma trouvé (found footage), qui pousse à une limite, celle de l’aléatoire, le refus de choisir l’objet. La chose de Lowder est autre : elle n’a pas été trouvée par hasard, par inadvertance ou abandon au « n’importe quoi [18] » moderniste. Elle a été vraiment élue. Tout le travail de la cinéaste consiste à la maintenir, durant le film, dans cet état d’élection, de choix permanent (donc forcément d’attention permanente, même si cette attention est d’espèce particulière). Lowder a décrit son objet, mais à un stade du descriptif où généralement la représentation (surtout cette représentation éminemment socialisée qu’est le cinéma) ne s’arrête pas : le stade du préiconographique, et même du préiconique, ce stade où l’éblouissement de la vision, où l’illusion même sont cultivés. L’image, à coup sûr, en reste interprétable : d’aucuns y ont perçu, qui des échos de l’imagerie médicale, qui une figuration des phosphènes.
Mais il y a dans ce film le désir de ne pas voir l’objet mieux qu’une vue affaiblie, atténuée, empêchée ou commençante ne saurait le faire, le désir de ne voir que ce qu’on voit avant de voir des objets, avant de bien distinguer, au moment même où la vision se forme, où s’esquisse l’intérêt à venir pour l’objet que l’on va par là délimiter. Je rappelais plus haut l’équation fréquente entre le cinéma et un art de la vue, du phénomène : il est donc temps d’ajouter que cela, bien sûr, n’en fait pas un art « phénoménologique », si l’on entend par là le référer à l’entreprise philosophique de Husserl ou de Merleau-Ponty. Au contraire, seuls des films comme celui de Rose Lowder (éventuellement, selon de tout autres modalités) peuvent évoquer quelque chose de ce stade préréflexif, « anté-prédicatif » de la perception, où la phénoménologie voit le fondement même du cogito. La succession et la durée prolongée des prises, dans ce film, serait en somme une des images possibles, en cinéma, de l’acte mental de la variation, par lequel Husserl, au début de son entreprise, définit les caractères nécessaires à définir l’essence (l’eidos) de chaque objet sensible : je peux, ou je ne peux pas, dans cet examen mental, supprimer tel trait de l’objet — et ceux qui ne peuvent disparaître sans que l’objet disparaisse avec eux, constituent son essence. De même ce film : que puis-je supprimer, que ne puis-je pas supprimer ? (Du mouvement de rotation qui semble consubstantiel à une rouerie, il démontre par exemple qu’il suffit de garder la scansion régulière.) La qualité sensible est habitée par une signification prégnante, qui nous est donnée dans l’acte perceptif : voilà ce que théoriquement et pratiquement nous dit Roulement Rouerie Aubage ; voilà comment le cinéma se propose d’approfondir ses représentations et notre perception en direction de la chose (« en direction », seulement : la chose, le préperceptible, est à jamais inaccessible aux représentations, qui la font disparaître derrière ses apparences [19]).
Théoriser, contempler
Au terme de ce parcours succinct, on a retrouvé certains partages accoutumés, à commencer par le vieux clivage du cinéma entre son état dramatisé et des états contemplatifs ou expressionnistes. L’un des apports majeurs, moins stylistique que théorique, de Jean-Luc Godard aura été de réintroduire dans le cinéma dramatisé le « moment » de la contemplation, et je ne pense pas tant ici à la vertigineuse, affolante et désespérante scène des cartes postales dans Les Carabiniers (plus rien à voir dans cette accumulation d’objets, l’encyclopédisme déraille, devient fou) qu’à de pures visions comme le ver de terre de Week-end ou la tasse de café de Deux ou trois choses que je sais d’elle. Gros plan l’un et l’autre, mais dans ce dernier, se disait au fond déjà, en résumé, ce dont Lowder donne la version extensive dans son film : regarder un objet comme s’il était une chose, c’est y découvrir un monde, parce que la sensation, si on cesse de la rapporter à un imaginaire pourvu de coordonnées cartésiennes, peut aussi ouvrir sur une topologie d’autre nature, où l’expressivité est à fleur de surface.
L’objet s’identifie, il circule et communique, il signifie, il est le masque humanisé, approprié à nos usages, converti en signes, de cette entité plus radicale et plus opaque, la chose (y compris la chose animale) — laquelle ne peut que consister. Dès qu’il s’arrête, dès qu’il met un frein à la circulation, le cinéma donne au « voir » une valeur inédite, tout autre que celle traditionnelle de la perfection picturale [20]. Toute apparence suppose une substance : en un sens, le cinéma est la prise au sérieux, logique et jusqu’au bout, de cette philosophie populaire. Comme l’a observé Jean Louis Schefer (1997, p. 13) :
Le cinéma n’a pas inventé le mouvement dans l’image. Il a appauvri et comme vidé les images de leur première substance symbolique, parce que ce que nous croyons être le mouvement a été l’introduction d’un soupçon de temps dans les images et cela selon un scénario immuable. Le héros du monde y a commencé par engager une lutte de vitesse avec la friabilité et l’instabilité du monde des images de choses. Or ce conflit passé inaperçu dans le scénario n’avait jamais existé comme tel ; jamais l’opposition dramatique du temps mangeant ou vieillissant les hommes et les choses à vue d’oeil, réduisant l’univers en poussières d’atomes, cela n’avait jamais été une image, tout juste une conscience poétique ou morale [21].
Paradoxalement, c’est peut-être alors dans ces états liminaux que le philosophe mécanique rêvé par Epstein et réactualisé par Godard arrive le mieux à atteindre à un pouvoir de description, ou au moins de désignation, de ce qui intéresse la sensation.
Si on se limite à décrire la réalité, on ne rencontre aucun obstacle. Mais le problème n’est pas de décrire la réalité, le problème consiste bien plus à repérer en elle ce qui a du sens pour nous, ce qui est surprenant dans l’ensemble des faits. Si les faits ne nous surprennent pas, ils n’apporteront aucun élément nouveau pour la compréhension de l’univers : autant donc les ignorer !
Thom 1983, p. 130
Sans ambitionner d’aller jusqu’à la compréhension de l’univers, allons, avec le cinéma, jusqu’à cette surprise, toujours renouvelée, toujours intéressante.
Appendices
Note sur le collaborateur
Jacques Aumont
Il est professeur à l’Université de Paris III et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Il dirige aussi le Collège d’histoire de l’art cinématographique à la Cinémathèque française. Il s’intéresse principalement à l’esthétique comparée et à l’analyse de film. Derniers ouvrages publiés : De l’esthétique au présent (1998), Amnésies. Fictions du cinéma d’après Jean-Luc Godard (1999), Les Théories des cinéastes (2002), Ingmar Bergman. « Mes films sont l’explication de mes images » (2003). Il prépare un essai sur la mise en scène au cinéma.
Notes
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[1]
À l’origine de ce texte, il y a une conférence prononcée en janvier 1998, à l’invitation de Christophe Carraud, à l’Institut des arts visuels (Orléans).
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[2]
Lettre à Carl-Gustav Carus, 25 février 1839, citée dans Recht 1989 (p. 10).
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[3]
Sa malédiction — et sa force, comme l’ont su tous les cinéastes qu’a exaltés la surhumanité de l’oeil de la caméra, de Vertov et Epstein jusqu’à Bresson louant son « indifférence scrupuleuse ».
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[4]
Cours de 1935-1936 consacré à Kant, publié en 1962 sous le titre Qu’est-ce qu’une chose ? (Heidegger 1971, p. 27).
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[5]
Soixante-dix ans après l’invention de la théorie quantique, celle-ci reste tout aussi rétive à l’imagerie intérieure. Alain Aspect — auteur contemporain d’une expérience cruciale de vérification de cette théorie — avoue lui-même : « Quand je travaille sur une expérience, je me fais une représentation intuitive des particules que je manie. Je me les imagine, suivant les besoins, sous forme ondulatoire ou sous forme particulaire. Par pure commodité » (cité dans Le Monde, 7 novembre 1998, p. 17).
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[6]
Au sens où l’entendit Gilles Deleuze dans sa conférence à la FEMIS de 1988.
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[7]
En 1998, en parallèle avec l’exposition Visions capitales, le Louvre a programmé plusieurs films consacrés aux têtes coupées, depuis Toby Dammitt de Fellini jusqu’aux Heads de Peter Gidal.
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[8]
Cf. les souvenirs de son frère Michaïl Kaufman, dans Vertova-Svilova 1976 (p. 72). Noter que Vertov a inventé l’idée du film comme « ciné-chose » (Sadoul traduit, à tort selon moi, ciné-objet).
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[9]
« Les lois de la perspective cinématographique sont telles qu’un cafard filmé en gros plan paraît sur l’écran cent fois plus redoutable qu’une centaine d’éléphants pris en plan d’ensemble » (Eisenstein 1974, p. 112).
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[10]
Cf. Léger 1960, qui développe les mêmes idées que chez Epstein, sur le soulignement de la chose par le gros plan.
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[11]
Dans son livre sur la peinture primitive néerlandaise, Early Netherlandish Painting.
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[12]
Voir Panofsky 1974.
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[13]
« Le plan est comme le mouvement qui ne cesse d’assurer la conversion, la circulation. Il divise et subdivise la durée d’après les objets qui composent l’ensemble, il réunit les objets et les ensembles en une seule et même durée. […] Et étant donné que c’est une conscience qui opère ces divisions et ces réunions, on dira du plan qu’il agit comme une conscience. Mais la seule conscience cinématographique, ce n’est pas nous, le spectateur, ni le héros, c’est la caméra, tantôt humaine, tantôt inhumaine ou surhumaine. […] Le plan, c’est-à-dire la conscience, trace un mouvement qui fait que les choses entre lesquelles il s’établit ne cessent de se réunir en un tout, et le tout, de se diviser entre les choses » (Deleuze 1983, p. 34).
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[14]
Dans la version imposée à l’époque par la firme Republic, qui produisit le film, ce prologue est d’ailleurs muni littéralement d’un commentaire, dit en voix off, et qui explicite de manière assez lourde le sens de cette sorcellerie.
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[15]
Georges Didi-Huberman m’a fait observer l’étrangeté du film de Welles, qui fait sortir une statuette de glaise d’un chaudron, alors que classiquement (et aussi, selon le vraisemblable), d’un chaudron ne peut sortir qu’une matière fusible — cire ou plomb, lesquels ont l’un et l’autre leur histoire dans les sortilèges et dans la figuration.
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[16]
Mot portugais qui est l’étymon du mot fétiche, et remonte lui-même au latin factitius. Feitiço veut dire, comme adjectif, artificiel, comme substantif, sortilège.
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[17]
Lisant ce texte, Rose Lowder commente ainsi cette expression : « Dans la matière-lumière de Roulement Rouerie Aubage, il y a le rôle de l’esprit contestataire, lorsque les images intentionnellement voilées deviennent des éléments fonctionnels de la part d’un auteur qui a vécu durant une décennie l’obligation de les bannir, au nom de l’acceptabilité des phrases visuelles ; puis, dans la matière faite de grains, l’esprit expérimentateur intervient pour filmer systématiquement avec diverses pellicules. » Rouerie, par exemple (toujours selon les indications de la cinéaste) a été filmé avec des pellicules de 80 et 250 ASA (avec une ouverture de f/1,5), et de 500 ASA (à f/4), cette dernière étant une pellicule pour la nuit, ici utilisée en plein soleil ; de même, Aubage est tourné avec une pellicule couleur de 64 ASA (à f/1,5, alors qu’il est prescrit de l’utiliser entre f/5,6 et 11).
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[18]
Je reprends l’expression de Thierry De Duve, dans Au nom de l’art.
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[19]
Et par ailleurs il est bien évident que je ne prétends pas, par cette remarque sommaire, rendre justice à tout de ce film, qui ne possède pas seulement une grande force théorique, mais une évidente, et immédiatement active, puissance plastique (laquelle le rend recevable même par des publics généralement réticents devant le cinéma « abstrait » ou « expérimental », notamment).
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[20]
« “Il faut voir comme tous les plis de tous les vêtements de cette figure et des autres sont vrais”. La formule est un lieu commun de la description classique et implique que la mimésis a atteint un degré de perfection dont le discours ne saurait rendre compte : il faut “voir” » (Arasse 1996, p. 269).
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[21]
J’ai pratiqué quelques coupes dans le texte sans les signaler – dans l’intérêt d’une lecture suivie.
Références bibliographiques
- Arasse 1996 : Daniel Arasse, Le Détail, Paris, Flammarion, 1996.
- Deleuze 1983 : Gilles Deleuze, L’Image-mouvement, Paris, Minuit, 1983.
- Eisenstein 1974 : Sergueï Eisenstein, « En gros plan » [1940], dans Au-delà des étoiles, UGE, 1974.
- Epstein 1975 : Jean Epstein, « L’intelligence d’une machine », dans Écrits, vol. 1, Paris, Seghers, 1975.
- Heidegger 1971 : Martin Heidegger, Qu’est-ce qu’une chose ?, Paris, Gallimard, 1971.
- Léger 1960 : Fernand Léger, « A New Realism — The Object » [1926], dans Lewis Jacobs, Introduction to the Art of the Movies, New York, Noonday Press, 1960, p. 96-98.
- Merleau-Ponty 1945 : Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945.
- Panofsky 1974 : Erwin Panofsky, « Sur le problème de la description et de l’interprétation d’oeuvres des arts plastiques » [1932], dans La Perspective comme forme symbolique, Paris, Minuit, 1974.
- Recht 1989 : Roland Recht, La Lettre de Humboldt, Paris, Christian Bourgois, 1989.
- Schefer 1997 : Jean Louis Schefer, Du monde et du mouvement des images, Paris, Cahiers du cinéma, 1997.
- Tarkovski 1989 : Andreï Tarkovski, Le Temps scellé, Paris, Éditions de l’Étoile/Cahiers du cinéma, 1989.
- Thom 1983 : René Thom, Paraboles et catastrophes, Paris, Flammarion, 1983.
- Vertova-Svilova 1976 : E. Vertova-Svilova (dir.), Dziga Vertov v vospominaniakh sovrémiénnikov [Dziga Vertov dans les souvenirs de ses contemporains], Moscou, Iskousstvo, 1976.