Si la réunion d’ouvrages dans une même collection dite « Médias et histoire » laisse supposer une proximité entre eux, les problématiques signalées par leur titre respectif soulèvent un doute quant à l’effectivité de ce lien. En effet, le titre du premier, La Suisse, les Alliés et le cinéma, renvoie à une période historique, la Deuxième Guerre mondiale, et se fonde sur un découpage national pour construire son objet. De beaux lendemains ? traite en revanche de phénomènes liés à un genre particulier, la science-fiction, dont l’importance au cinéma ou dans la littérature n’est plus à démontrer au regard de la quantité d’oeuvres s’y inscrivant et du succès qu’elles rencontrent. C’est donc bien plutôt du côté de la méthode et des approches auxquelles recourent les auteurs qu’il convient de rechercher une cohérence. Prolongeant des enseignements donnés à l’Institut d’histoire économique et sociale de la Faculté des sciences politiques de l’Université de Lausanne, ces deux livres rassemblent une série d’articles partageant en effet un même souci d’inscrire des productions culturelles dans un contexte sociohistorique et s’efforcent de développer, à partir de lecture d’oeuvres, une analyse de la société les ayant vues naître et circuler. Plusieurs contributions à l’ouvrage La Suisse, les Alliés et le cinéma sont le fait d’étudiants avancés et de jeunes chercheurs ayant participé à un groupe de recherche animé par Gianni Haver (aussi responsable de l’édition). Quant à De beaux lendemains ?, il rassemble les actes d’un colloque dudit département, mené en collaboration avec la Maison d’ailleurs, Musée de la science-fiction, de l’utopie et des voyages extraordinaires, d’Yverdon, dont le directeur, Patrick Gyger, co-dirige la publication. Si ce livre s’appuie avant tout sur les contributions d’universitaires consacrant leurs recherches au cinéma, il intègre aussi une série de textes de spécialistes de la science-fiction se produisant dans d’autres domaines artistiques. Marquant un souci permanent d’interroger le rapport que des productions culturelles entretiennent avec les sociétés qui les ont vues naître, ces ouvrages s’appuient sur deux notions centrales, celles de représentation et de réception. L’ancrage conceptuel emprunte donc largement à des procédures et des méthodes développées dans les domaines de la sociologie et de l’histoire où ces concepts ont donné une impulsion à des courants appartenant à l’histoire culturelle, ou cultural studies. En situant au coeur du projet la représentation de la guerre au cinéma, de 1939 à 1945, et en cherchant à en cerner les spécificités nationales, La Suisse, les Alliés et le cinéma décline de différentes manières ces deux problématiques. Portant en fait sur trois cinématographies, américaine, anglaise et suisse, les auteurs ont préféré aborder un aspect particulier leur semblant révélateur de mouvements d’opinions et de croyances plus larges. Robert Jaquier a choisi d’analyser l’image des Asiatiques dans le cinéma américain. Pour ce faire, il passe en revue un important corpus de films qui laisse rapidement apparaître que les personnes identifiées comme Asiatiques sont directement placées dans une catégorie qui les identifie au « péril jaune », selon le titre d’un film de Wallace Mc Cutcheon, de 1908 (The Yellow Peril). Jaquier trouve en fait la trace de ce racisme antiasiatique dans des productions antérieures (comme Fun in a Chinese Laundry, 1897, entre autres, pour le cinéma) ou dans la littérature, et rappelle que certaines historiennes ou historiens en font remonter l’origine aux craintes liées aux invasions médiévales en Europe. Mais c’est avant tout en fonction du contexte américain que Jaquier analyse ces représentations, notamment en fonction des vagues d’immigration au xixe siècle, suivies des mesures discriminatoires (Exclusion Acts, de 1882) interdisant l’entrée de tout Chinois aux États-Unis pour …
Appendices
Références bibliographiques
- Boorstin 1948 : Daniel J. Boorstin, The Lost World of Thomas Jefferson, Chicago, Chicago University Press, 1948.
- Boorstin 1958 : Daniel J. Boorstin, The Genius of American Politics, Chicago, Chicago University Press, 1958.
- Ellis 1989 : Jack C. Ellis, The Documentary Idea, London, Prentice-Hall, 1989.
- Gledhill et Swanson 1996 : Christine Gledhill et Gillian Swanson, Nationalizing Feminity, Manchester, Manchester University Press, 1996.
- Haver 2003 : Gianni Haver, Les Lueurs de la guerre. Écrans vaudois 1939-1945, Lausanne, Payot, 2003.
- Jameson 1992 : Frederic Jameson, The Geopolitical Aesthetic : Cinema and Space in the World System, London, British Film Institute, 1992.
- Lant 1991 : Antonia Lant, Blackout : Reinventing Women for Wartime British Cinema, Princeton, Princeton University Press, 1991.
- Swann 1989 : Paul Swann, The British Documentary Film Movement, 1926-1946, Cambridge, Cambridge University Press, 1989.
- Taylor 1988 : Philipp M. Taylor, Britain and Cinema in the Second World War, London, Macmillan Press, 1988.
- Tocqueville 1951 : Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique [1835], Paris, Gallimard, 1951.