Ayant accompagné le cinéma depuis sa naissance jusqu’après l’avènement du parlant, le bonimenteur n’était pas seulement l’acteur d’un nouveau spectacle : c’était un avatar de figures théâtrales liées à des divertissements populaires (la lanterne magique, la fantasmagorie, la conférence illustrée, etc.), vieux pour certains de plusieurs siècles. Si le bonimenteur a survécu au cinéma muet, avance Lacasse, c’est en raison de la résistance qu’il opposait à une modernité uniformisante. En effet, il s’attachait à perpétuer des pratiques traditionnelles particulières. Ce n’est donc pas le parlant qui a rendu le bonimenteur caduc, mais plutôt l’accomplissement d’une certaine modernisation. Dans le premier chapitre, Lacasse passe en revue l’étymologie des mots ou expressions désignant le bonimenteur dans plusieurs cultures et en souligne la dimension sociale : la pratique du bonimenteur « conférencier » — que ce soit en Angleterre, au Québec ou en Allemagne — se veut « cultivée » (p. 31-36, 39-40), par opposition à celle du bonimenteur populaire appelé « conteur de cinéma » en Allemagne (p. 39). Dans le premier cas, la référence à la didactique manifeste une volonté de donner à l’entreprise un caractère scientifique, alors que, dans le second, l’accent mis sur la performance narrative indique bien l’importance accordée à l’expression orale. Le deuxième chapitre se présente comme une archéologie du boniment, ce dernier se rattachant au commentaire qui accompagnait les spectacles de lanterne magique depuis le xvie siècle au moins : le fatiste (celui qui fait, qui agit, celui qui rime des vers), le plus souvent appelé lanterniste ou illusionniste, serait l’ancêtre du bonimenteur (p. 30, 50-52). Ce dernier ne serait donc pas un acteur qui supplée au silence du cinéma primitif et à sa narration déficiente, mais plutôt l’agent d’une performance qui attendait le cinéma pour rendre visible le signifié de son discours « aveugle ». Dans les chapitres III et IV, on trouve une compilation d’informations et de réflexions sur l’histoire du boniment de par le monde, d’où la succession de courtes monographies portant sur le boniment en France, en Angleterre, en Russie, au Japon, au Zaïre, etc. (p. 68-102). Il s’agit donc d’une sorte d’état de la recherche. L’ordre apparemment fortuit de ces monographies souligne l’universalité du phénomène et remet en question les préjugés classificatoires auxquels on pouvait s’attendre : préjugés relatifs à l’aire culturelle ou géographique, à la langue ou au niveau de développement économique et industriel. La longueur inégale des monographies — la Corée se voit consacrer une demi-page (p. 98) et le Québec, un chapitre (p. 105-124) — et le choix des pays considérés semblent refléter l’inégalité du matériau disponible sur le boniment dans le monde, et son abondance dans la Belle Province. Germain Lacasse a d’ailleurs publié plusieurs livres sur le cinéma des premiers temps au Québec. Cependant, l’historien ne justifie pas la logique de l’espace accordé à chaque pays ni les critères d’organisation de ces chapitres. Par ailleurs, la subdivision du chapitre III — une section par pays — neutralise l’effet qu’aurait pu produire sur le lecteur cet impressionnant voyage en compagnie de bonimenteurs de toutes cultures. D’un côté, cette vue d’ensemble permet de saisir l’universalité du phénomène « cinéma » ainsi que la négociation entre tradition et modernité. Mais de l’autre, la subdivision selon un critère de nationalité — outre la répétition qu’elle produit, une même problématique valant parfois pour quelques pays — voile des distinctions plus fructueuses, telle la hiérarchie sociale et culturelle inhérente aux diverses appellations du bonimenteur. Par exemple, les considérations sur le boniment allemand étant réunies dans la même monographie, l’existence de deux termes pour désigner le bonimenteur outre-Rhin paraît simplement étrange (p. …
LACASSE, Germain, Le Bonimenteur de vues animées. Le cinéma « muet » entre tradition et modernité, Québec/Paris, Nota Bene/Méridiens Klincksieck, 2000, 230 p. [Record]
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Walid El Khachab
Université de Montréal