Cinémas
Revue d'études cinématographiques
Journal of Film Studies
Volume 4, Number 1, Fall 1993 Écrit/Écran Guest-edited by Mireille Calle-Gruber and Jean-Jacques Hamm
Table of contents (14 articles)
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Présentation
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L’Oubli du texte
Marie-Claire Ropars-Wuilleumier
pp. 11–22
AbstractFR:
La réécriture filmique d’une oeuvre littéraire nourrit un paradoxe : fonder l’invention du film sur l’oblitération du texte qui le fonde; mais l’origine graphique fait retour sous la forme de traces qui précipitent des courts-circuits dans la cohésion mémorielle du récit. Multipliant de telles « scènes d’écriture », l’oeuvre de Max Ophuls éclaire particulièrement les rapports que la réécriture peut nouer entre la dissimulation du texte originel et la mise en jeu d’une lecture-oubli.
EN:
Filming rewriting of a literary work engenders a paradox: the inventiveness of the film is based on the obliteration of the text that is its source. But the graphic origin returns in the form of traces that trigger short circuits in the memory cohesion of the story. By multiplying such "writing scenes," Max Ophuls clarifies particularly well the relationship that rewriting can create between the dissimulation of the original text and the activation of a forgetful reading.
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Barry Lindon démembré : la perte de l’histoire dans le film de Stanley Kubrick
Lara Fitzgerald and Christopher James Keep
pp. 23–33
AbstractFR:
Le film Barry Lyndon (1975) de Stanley Kubrick est peut-être l’oeuvre le moins appréciée du directeur américain. Reconnu pour sa valeur artistique, les critiques, néanmoins, condamnèrent Barry Lyndon pour l’opulence exorbitante du décor et pour « sa technique trop perfectionnée ». La présente étude propose de réexaminer l’excès de la méthode de Kubrick. Dans un premier temps, les auteurs établissent de quelle façon Kubrick s’abstient des conventions du cinéma réaliste afin de révéler l’altérité radicale du passé, et, par ailleurs, comment son obsession du détail historique finit par nous éloigner et non pas nous rapprocher du XVIIIe siècle. Étant donné cette impossibilité de re-présenter l’histoire dans la plénitude du présent, les auteurs examinent, dans un deuxième temps, comment Kubrick montre la violence du signe cinématographique. Dans Barry Lyndon, Kubrick opère une « inversion catastrophique » où la proximité de l’événement à l’écran si familière du cinéma réaliste est ressentie comme une intrusion étrange, comme une violente pénétration de l’espace.
EN:
The film Barry Lyndon (1975) by Stanley Kubrick is perhaps the least appreciated work by this American director. Though recognizing its artistic quality, critics nevertheless condemned Barry Lyndon for the exorbitant opulence of its decor and its "overly perfect technique." This study is a reexamination of excess in Kubrick's method. First the authors establish how Kubrick evades the conventions of realist cinema in order to reveal the radical otherness of the past and how his obsession with historical detail ends up distancing us from the eighteenth century rather than bringing us closer. Given the impossibility of re-presenting history with the fullness of the present, the authors secondly investigate how Kubrick displays the violence of the cinematographic sign. In Barry Lyndon, Kubrick executes a "catastrophic inversion" where the proximity of the events on the screen, so familiar in realist cinema, is experienced as a strange intrusion, a violent penetration of space.
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Le Voir-dire
Max Vernet
pp. 35–47
AbstractFR:
La question est celle du rapport du théâtre, du récit et du film à l’intériorité, question qui peut se poser à partir de trois textes : le Tartuffe de Molière, l’Onuphre de La Bruyère, et le Tartüff de Murnau. L’hypocrite est en effet pour le théâtre, art de l’extériorité et des relations, une boîte noire; il est exemplaire de la difficulté qu’a ce genre à voir l’intérieur, difficulté contre laquelle il invente la passion : mouvement visible en surface du mouvement de l’âme. Le récit classique, lui, dans sa forme romanesque, recueille les passions en un « caractère », qui est l’intériorité dite au service de l’enchaînement du récit progressant pas oscillation simple de l’intérieur (le caractère des personnages) à l’extérieur (leurs actes). L’examen de quelques plans de Tartüff peut montrer que le cinéma pourrait être interprété comme la synthèse sur ce point du théâtre et du récit, comme le lieu moderne de la tautologie passionnelle. Mais que, sur deux plans figés indécidables, il est également possible de croire que le cinéma, accueillant en lui sa négation, aurait su montrer l’événement.
EN:
The question of the relationship of theatre, story and film to interiority is posed on the basis of three texts: Molière's Tartuffe, La Bruyère's Onuphre, and Murnau's Tartüff. For the theatre, the hypocrite is in fact an art of exteriority and of relationships, a black box, an example of how hard it is for this genre to see the interior. To counter this difficulty, it invents passion — a surface movement making visible the movement of the soul. For the classic story in its novelistic form, the passions are incorporated in a character, an interiority said to serve the progress of the plot, moving it forward through a simple oscillation between the interior (the personality of the characters) and the exterior (their actions). An examination of a number of shots from Tartüff reveals that in this regard cinema may be considered a synthesis of theatre and story, the modern site of a passionate tautology. But two frozen undecidable shots also allow us to believe that the cinema, by accepting its own negation, has found a way to show the event.
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Le XVIIIe siècle à l’écran
Jean-Claude Bonnet
pp. 48–58
AbstractFR:
L’auteur présente ici quelques perspectives pour définir l’usage que le cinéma fait de la référence au XVIIIe siècle, à partir de deux thématiques privilégiées qui regroupent les oeuvres les plus marquantes : l’imaginaire du libertinage et la légende de la Révolution, deux objets complexes qui ont, dans les meilleurs des cas, contraint le cinéma à prendre ses distances et à s’émanciper d'une routine illustrative en inventant son propre cheminement singulier. L’importance de Diderot, qui a « parlé de cinéma » selon l’expression d’Eisenstein, et des conséquences pour les cinéastes qui se sont inspirés de ses oeuvres est ensuite mise en valeur.
EN:
The author examines several points of view in order to show how cinema makes use of references to the eighteenth century, selecting two thematics that characterize the most notable works. The imaginary of libertinism and the legend of the Revolution are two complex objects which have at the best of times forced cinema to keep its distance and to free itself from routine illustration and to invent its own particular methods. The importance of Diderot, who, as Eisenstein put it, "talked about cinema," and his impact on directors inspired by his works are stressed.
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Une reprise impossible? Effi Briest et la question de ses réécritures filmiques
Eberhard Gruber
pp. 59–71
AbstractFR:
Les quatre réécritures filmiques du roman de Fontane, Effi Briest, se trouvent confrontées aux éléments fondateurs des significations fontaniennes que sont : métaphore, temps, reprise. Chaque film les « traite » à sa manière. Ceux de Luderer (1970) et de Jugert (1955) éludent vite la question. Celui de Gründgens (1938) offre l’intérêt de se construire sur une théâtralité que le cinéma s’emploie à exhausser. Seul, le film de Fassbinder (1972) fait porter facture et interrogation filmiques sur la métaphore et le jeu face au réel. Assumant le statut littéraire du récit, le cinéma met dès lors en oeuvre un ensemble de processus spécifiques : fondu au blanc, reprise iconique, jeu de miroirs « glaçant » les personnages, effet de dissociation obtenu par la lecture off du texte ou par son inscription à l’écran. Le film, par suite, toujours déjà réécriture, entre oeuvre et reprise, élabore une polysémie architecturale que fonde tout un art de « rythmer les passages ».
EN:
The four film versions of Fontane's Effie Briest confront the basic elements of his signifying systems: metaphor, time and repetition. Each film "handles" these in its own way. The versions by Luderer (1970) and Jugert (1955) quickly evade the question. That by Grundgens (1938) is interesting in being constructed on a theauicality that the cinema strives to rise to. But only Fassbinder's version (1972) bases its technique and exploration on metaphor and play versus the real. Taking on the literary status of a story, the film mobilizes a number of specific procedures : fade to white, iconic repetition, mirrors that "freeze" the characters, a dissociation effect achieved by a voice-off reading of the text or by its inscription on the screen. The film then, already a rewriting, moves between work and repetition, and develops an architectural polysemy grounded in an art of "rhythming the passages."
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La Chimère du Modèle : Balzac, Dufour, Rivette
Mireille Calle-Gruber
pp. 72–87
AbstractFR:
Le Chef-d’oeuvre inconnu de Balzac raconte le drame du peintre Frenhofer, créateur devenu stérile, qui, par la rencontre d’une jeune modèle, croit pouvoir surmonter l’échec et réaliser « le » chef-d’oeuvre. Mais la toile devient écran illisible à force de repentirs et préfigure la mort du peintre. La Belle Noiseuse de Rivette, inspiré du texte de Balzac mais aussi des toiles de Bernard Dufour, met en scène le temps réel de la peinture et le temps fictif du cinéma : rejouant, avec la question de la mimèsis, l’aporie qui frappe le rapport du modèle à sa représentation et porte à l’image manquante du film. C’est celle de l’impossible tableau, c’est-à-dire de ce que l’art ne peut prendre à la vie que sous peine de mort.
EN:
LeChef-d'oeuvre inconnu (The Unknown Masterpiece) by Balzac tells the story of the painter Frenhofer, an artist gone stale, who meets a young woman model and believes that he can overcome failure and create the ultimate masterpiece. But through overwhelming regrets, his canvas becomes an unreadable screen which prefigures the painter's death. Rivette's La Belle Noiseuse, inspired by Balzac's story but also by the paintings of Bernard Dufour, portrays both the real time of painting and the fictive time of film, replaying, by raising the question of mimèsis, the aporia of the model's relationship to her representation, and bearing as well the missing image of the film. This is the impossible painting, that which Art connot take from Life without incurring the penalty of Death.
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Narration et temporalité dans Moderato cantabile
André Gardies
pp. 88–102
AbstractFR:
Raconter, à l’écrit comme à l’écran, c’est négocier un temps, celui des événements de l’histoire, dans un autre, celui propre à l’actif narratif. Cependant, du roman au film, en raison particulièrement des différences de matière de l’expression, les stratégies mobilisées affichent de notables particularités Moderato cantabile, le roman de Marguerite Duras et le film de Peter Brook, en fournissent un bon terrain d’analyse. L’image peut-elle reprendre à son propre compte le travail tout à fait singulier du livre de Duras sur la temporalité? C’est en opérant sur la durée, lieu où se manifeste pleinement la spécificité du cinématographique, qu’il pourra avancer ses propres réponses.
EN:
Telling a story, in script or on screen, means negotiating a passage from one time frame, that of the events recounted in the story, into another, that of the narrative act. However between novel and film, because of differences in expressive matter, the strategies employed exhibit notable discrepancies. Moderato cantabile, Marguerite Duras' novel and Peter Brooks' film, offers a promising site for the examination of these differences. Can the image alone perform the same remarkable work performs on temporality as Duras' book? It is by exploiting duration, where cinematographic specificity is fully apparent, that it manages to pose its own solutions.
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La Salle de bain : l’immobilité cinétique
Jean-Claude Sommier
pp. 103–114
AbstractFR:
L’étude de cas suivante, la comparaison entre le roman La Salle de bain et son adaptation cinématographique, tente de faire la part de l’autonomie et de la dépendance du film vis-à-vis du roman. Deux problématiques sont en jeu : une, de type pascalien, de l’individu, et une seconde, articulée sur la précédente, du rapport temps/mouvement. Il semble que dans le roman s’opère un glissement de l’une à l’autre pour privilégier la seconde alors que le film paraît privilégier la première. L’auteur explicite cette différence à la fois par la nature du médium et en terme d’instance(s) narratrice(s) : passage du roman en «je» au «il» imposé par la caméra.
EN:
This case study comparing the novel La Salle de bain and its film adaptation attempts to set out both the autonomy and the dependence of the film vis-à-vis the novel. Two problematics are considered: one, Pascalian, of the individual, and the second, articulated on the first, of the time/movement relationship. It appears that in the novel there is slippage from one to the other in order to privilege the second, while the film seems to privilege the first. The author explains this difference both by the nature of the medium and in terms of narrative instance(s): the passage from the "I" of the novel to the "he" imposed by the cinema.
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La Berlue et le mythe : S/K, ou de Stephen King à Stanley Kubrick
Jean-Pierre Vidal
pp. 115–129
AbstractFR:
L’auteur analyse ici Shining du point de vue de l’adaptation que fait Kubrick du roman de Stephen King. Il montre que la mise en images du roman représente un travail de surexposition et de distanciation de la lecture comme telle, donnant une réalité « objective » à des images sans contour que produit toute lecture, opérant dans le dévoilement de sa propre lecture une représentation concomitante du regard piégé du spectateur. Le travail sur le texte laisse ainsi apparaître comme piste de lecture un récit sans texte, une sorte de fantasme, le mythe peut-être de toute création artistique.
EN:
The author analyses Kubrick's The Shining, adapted from the novel by Stephen King. He shows that the filming of the novel represents a work of overexposing and distancing from reading as such, giving an "objective" reality to the formless images derived from any reading, producing through the revelation of its own reading a concomitant representation of the entrapped gaze of the spectator. The work on the text thus opens the way for the appearance as a reading path of a story without text, a sort of fantasy, perhaps the myth of all artistic creation.
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Fonctions et origines du bonimenteur du cinéma des premiers temps
André Gaudreault and Germain Lacasse
pp. 132–147
AbstractFR:
Le bonimenteur, cet « explicateur de vues » en direct, est devenu une figure quasi mythique de l’histoire du cinéma des premiers temps. Il avait, semblait-il, laissé peu de traces. Tant et si bien que, sur le plan international, on ne l’a redécouvert qu’il y a une quinzaine d’années. Mais des recherches plus poussées ont permis de découvrir que, sur le plan national, il avait eu une importance plus grande qu’ailleurs. Il s’agira ici d’effectuer un survol historique des origines du bonimenteur, tout en tentant d’expliquer le rôle et les fonctions de cet adjuvant narratif dont on commence enfin à comprendre qu'il fut essentiel, du moins au Québec, pour l’exploitation locale de films qui, presque sans exception, venaient d’ailleurs.
EN:
The barker, a man who "explains the moving pictures," bas become a quasi-mythical figure from the earliest period of cinema history, one that seems to have left few traces. Because of this it was only fifteen years ago that he was rediscovered internationally. But further research has revealed that he had an even greater national importance in Quebec than elsewhere. This is a study of the origins of the barker and, at the same time, an attempt to explain the role and functions of this narrative adjunct whose existence, we are beginning to see, was essential, at least in Quebec, for the marketing of films that, almost without exception, came from elsewhere.