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« Je suis Freaky. Je suis une femme autochtone qui a grandi dans une communauté du Centre-du-Québec. Parmi mes cousins-cousines, je suis la seule qui ai grandi sur la réserve. Je m’identifie en utilisant les pronoms féminins, “elle / she” par rapport à mon identité de genre. Mais je suis plus flexible sur mon identité sexuelle. Si je veux être le plus exacte possible, je dirais que je suis pansexuelle, mais c’est pour moi un détail. Une personne pansexuelle est une personne dont l’attirance physique, émotionnelle ou romantique n’est pas guidée par le genre (homme, femme, personne bispirituelle ou autre) mais tout simplement par la personne et ce, sans considération de l’expression de genre ou du sexe attribué à la naissance.
Depuis 2007, je pratique la suspension corporelle et fais partie d’un groupe (une organisation à but non lucratif) qui offre ce type d’expérience. L’objectif principal de la suspension corporelle, c’est d’abord d’insérer des crochets sous la peau d’une personne qui va ensuite être soulevée dans les airs grâce à du cordage relié aux crochets. Nous faisons des événements à l’intérieur et dehors, dans la nature. Nous faisons aussi des performances et différentes installations artistiques. L’organisation de voyages de formation à l’étranger fait aussi partie de notre mission. À ce titre, j’ai eu l’occasion de faire de nombreux voyages en Amérique du Nord et en Europe. Au-delà de mon implication comme organisatrice, je suis impliquée comme personne suspendue. Également, je suspends des gens (rig), je fais du perçage (piercing), du coaching, et je procure différents soins physiques et émotionnels après les séances (post/aftercare), etc.
Freaky, c’est mon nom de scène dans la communauté de suspension corporelle. Je suis connue ainsi au Québec et ailleurs. Je ne mentionne pas ma nation car je viens d’une petite réserve et je serais facilement identifiable. Je veux surtout éviter que ma famille ait des questions inconfortables ou inutiles auxquelles répondre. Ma mère ne veut pas gérer cela. Elle est pas mal informée de ce que je fais. Elle comprend vraiment mon cheminement et mon processus. Et cela, même au niveau spirituel. »
Primitifs modernes ou mouvements néo-primitifs
Cet article examine les pratiques de Freaky, telles que la suspension corporelle par crochets et les modifications corporelles à travers de sa propre expérience comme jeune artiste autochtone. Il s’agit de dégager différents enjeux de ce mouvement dit de « Primitifs modernes » ou « néo-primitifs » du point de vue d’une personne confrontée à l’appropriation potentielle d’éléments de culture autochtone et parfois aussi au rejet radical de leur utilisation. Dans cet article, Freaky partagera un certain nombre de réflexions liées à la corporalité et à la spiritualité en lien avec l’insertion de sa pratique dans un univers d’interprétation de l’histoire des peuples autochtones. Il s’agit de confronter l’expérience de Freaky avec la décolonisation des pratiques de mouvements sous-culturels qui établissent des liens avec des éléments dits « primitifs » des cultures autochtones matérielles et immatérielles.
Les « Primitifs modernes » sont un mouvement de sous-culture alternative qui a émergé dans les grandes villes de la côte ouest des États-Unis dans les années 1970. Il s’est particulièrement illustré aux États-Unis et au Canada depuis la fin des années 1980 (Atkinson et Young 2001 : 125; Klesse 2007 : 279-283; Rosenblatt 1997). Il est caractérisé, entre autres, par une approche dite extrême de la relation entre le corps, la spiritualité, la sexualité, l’image de soi ou l’appartenance à un groupe (Klesse 2007 : 280).
Il existe au sein de ce mouvement certaines divergences. En effet, le néo-primitivisme s’exprime de différentes manières selon les communautés de pratique qui, par exemple, peuvent être plus ou moins spirituelles ou avoir des pratiques totalement absentes de sexualisation ou au contraire, les envisager du point de vue de leur potentiel érotique. Certains sous-groupes participent à des communautés artistiques, entre autres, dans l’art performatif. Bien que cela ne soit pas le cas de l’ensemble des communautés de pratique, on retrouve également au sein des Primitifs modernes des sous-groupes de personnes s’identifiant à des sexualités, des identités ou des expressions de genre marginalisées telles des communautés BDSM (bondage, discipline, domination, soumission, sado-masochisme) et des communautés queer, gaies et trans.
Pour certaines personnes qui font partie de ce mouvement de pratiques, il s’agit, à travers des procédés de transformations et de mise à risque de leurs corps, de rejeter une culture matérialiste occidentale dans laquelle on oppose, entre autres, corps et esprit (Eubanks 1996). Dans la philosophie de ce mouvement, il faudrait mettre en place, à l’extérieur d’une société de consommation, des espaces sociaux et spirituels basés sur des cultures communautaires dites primitives qui permettent l’expression d’identités subversives (Pitts 2003 : 129-142). Fakir Musafar, un des représentants les plus connus de ce mouvement, avance qu’il s’agit là d’une manière de récupérer son corps traumatisé par les biais culturels d’une société occidentale (Jeffreys 2000 : 420-421). Certains de ces biais sont introduits par le binarisme de la pensée. Et, selon ce mouvement, cela a eu tendance à réduire la complexité des rapports sociaux et des rapports au corps. Cela a eu comme résultat que les pratiques de modifications corporelles ont été envisagées à travers un prisme réducteur qui ramène tout au jugement basé dans certaines valeurs dites « modernes ». À cet effet, on peut dire que ce mouvement participe à une définition d’identités particulières dans le contexte d’une modernité tardive (Jeffreys 2000 : 423; Klesse 1999).
Dans l’imaginaire des Primitifs modernes, il s’agit de libérer son corps en le transformant ou en le mettant à l’épreuve de manière radicale ou extrême. Vue comme un acte de résistance ou de transgression face à une société basée sur l’exclusion, la participation à ce mouvement peut équivaloir à une catharsis pour les personnes faisant face à divers traumatismes : la maladie, un handicap, la répression sociale, l’abus physique ou sexuel (Camps et al. 2015 : 693-694; Forsyth et Simpson 2008 : 371-374).
Ce mouvement fait circuler un discours qui présente les sociétés non-occidentales et celles dites pré-rationnelles comme étant libres d’inhibition, comme ayant accès à une expérience authentique, loin des facteurs d’exclusion qui génèrent marginalisation, violence sexuelle et transgressions (Klesse 1999 : 18-19). La participation à ce mouvement, lorsqu’elle est physiquement visible sur les corps, peut être ainsi apparentée à une déclaration d’identité, une manière de faire un « coming out », de révéler des aspects marginaux de son identité (Atkinson et Young 2001 : 131; Le Breton 2016 : 117-118).
À l’heure actuelle, ce mouvement, maintenant pratiquement global, s’illustre principalement par le biais de pratiques telles la suspension par crochets insérés sous la peau, par la modification corporelle, par l’ajout d’implants ou par incisions et scarifications ou encore par le perçage et le tatouage (Camps et al. 2015; Klesse 1999 : 16). On peut l’envisager comme une tentative de reconceptualiser la corporalité à travers une expression d’individualité. En effet, les modifications corporelles et les tatouages sont conçus par les individus pour les individus, tout en étant inscrits dans le cadre d’une communauté de pratiques. Ces modifications ont, tant que possible, un caractère unique et sont souvent accompagnées de gestes codifiés ou d’actes revêtant un caractère symbolique pour les personnes (Atkinson et Young 2001 : 130-131).
Dimitri della Faille (DDF) : Merci pour l’introduction. À ta demande, pour que les personnes qui lisent cet article aient une meilleure idée, j’ai dessiné deux des dispositifs qui sont utilisés dans la suspension corporelle par crochets. Ces crochets sont insérés sous la peau ?
Freaky (F) : Si on veut faire une description très rapide, je dirais que l’objectif est de positionner les crochets sous la peau, au-dessus des fascias, des muscles, etc. Une conception erronée est qu’on va dans la chair. En fait, nous n’allons pas si profond quand même (rires). C'est une question qu'on nous pose souvent, qui est reliée beaucoup à l’imaginaire que les gens ont des films d’horreur, au gore. Le fait que c’est dans la chair, les muscles et tout. On travaille à expliquer que c’est sous la peau, que cela reste « superficiel ». Malgré tout, ça semble profond et c'est surtout impressionnant les premières fois. Aussi, quand je dis suspension par le chest, je dis « chest » et pas « poitrine », car je ne veux pas créer de confusion, parce que des gens croient que c'est par les seins qu’on suspend. Ce n’est pas le cas, c'est vraiment le chest qu’on utilise comme zone pour placer les crochets.
Nous portons une attention particulière à de nombreux facteurs pour que le placement soit fort et sécuritaire, dont l’orientation du grain de la peau, la profondeur du placement, les angles, etc. Ensuite, nous connectons les crochets avec des shackles aux cordes de suspension. On appelle cette action rigger. Le tout est préparé selon le type de suspension que la personne veut faire et selon le niveau de complexité. Et ensuite, on va dans les airs !
DDF : Tu me disais qu’au sein du mouvement des Primitifs modernes, ta communauté de pratique, c’est celle de la modification corporelle, des tatouages, et des rituels physiques.
F : Oui, c’est cela. Mais, avant, je voulais rajouter que c’est bien important de comprendre que ce ne sont pas toutes les communautés qui érotisent ou qui sexualisent ces différentes pratiques. Quand j’explique à des gens de la communauté BDSM ce que je fais, je précise que je suis celle qui navigue entre les différents sous-groupes. Pour moi, c'est comme de changer de poste énergétique. Il n'y a pas de sexualisation du tout reliée à ma pratique quand il s’agit spécifiquement des crochets. C'est sacré, « connectif », artistique, mystique, etc. Mais ce n’est pas sexualisé. Je tiens à préciser parce qu’il y a plusieurs personnes qui ont vécu divers traumas en lien avec la sexualité. Donc, on conserve un safe space non-sexualisé où tout le monde peut être présent dans sa vulnérabilité.
Ma communauté est reliée d’assez près à la culture des shops de tattoos. Les pratiques sont intégrées de différentes façons dans différents sous-groupes. Chaque sous-groupe a différentes énergies. Il existe certains codes sociaux spécifiques. Il n’y a pas une seule manière de faire de la modification corporelle et des suspensions par crochets. C’est un peu une rencontre de différentes communautés, de différentes histoires et de normes différentes.
J’aimerais citer quelques extraits d’un texte de Louis Fleischauer, « Aesthetic Meat Front », un artiste allemand contemporain qui fait de l’art performatif avec les corps, les os, la chair et le sang[1].
Flesh Art Manifesto — Louis Fleischauer (extraits)
Flesh Art is the animal inside you that screams for survival, it is your body that longs to be explored, it is your mind hungry for change.
Flesh Art is pure, without dogma, ideologies or “illusion of morality”.
Flesh Art is the seductiveness of an open wound, a symphony of desires.
Nothing separates us further from ourselves than the neurotic need for Order and Control. We fear the unknown, the unpredictable, anything that is even closely related to the primal forces of chaos.
Ce texte me parle particulièrement. Je trouve qu'il y a une force de construction. C’est comme si on assiste aux forces qui ont créé la Terre mère. Au-delà de la mort, c’est cette force qui nous fait nous battre pour revenir. Et cela me touche vraiment. Cela fait le ménage. Le vieux « moi » meurt, il fait place au nouveau. Tu enlèves ta vieille peau pour aller vers une version améliorée de toi-même. Tu te débarrasses de tes souffrances et ton vieux « moi ». Les suspensions, cela tue quelque chose pour aller vers un autre soi. Dans la nature, la maman loup, elle tue des animaux pour nourrir ses petits. C’est une mort constructive. Alors, nous quand on suspend ou qu’on modifie notre corps, c’est une sorte de guérison de l’esprit qui passe par le corps. Tu nais avec un corps, une enveloppe physique, et les modifications corporelles que tu fais, c’est le faire évoluer. C’est vrai que les gens pourraient penser que c’est extrême. Mais il faut mettre les choses en perspective. C’est bien moins extrême que des chirurgies esthétiques. C’est bien moins invasif.
Nous, quand on fait des suspensions sur crochets, physiquement c’est superficiel mais l’effet émotionnel est durable et profond. Regarde les sourires que cela génère, et puis les gens « brillent » presque littéralement une fois dans les airs. C’est impressionnant. Ce que nous on fait, c’est bousculer les codes sociaux. On s’en va dans un autre domaine social, émotionnel et culturel. On est en dehors de ce que les gens sont habitués de voir. D’une certaine façon, c’est une critique de la société basée sur l’image, l’égo, l’individualisme et la consommation.
Être une jeune femme autochtone dans un milieu d’hommes
DDF : Qu’est-ce qu’une jeune femme autochtone fait dans un milieu rempli d’hommes qui mettent au défi, et en danger, leur corps?
F : Je suis ma vérité… Ça semble cliché mais c’est ça. La première fois où j’ai été exposée à la suspension sur crochets, ça été un calling. Ça m'avait toujours vraiment troublée comme pratique jusqu'à ce que je le voie de mes propres yeux. J’ai vu la lumière. J’ai vu ce que cela pouvait apporter aux gens. À partir de là, j’ai tout simplement su que je devais faire ça. Et j’ai mis les choses en place dans ma vie pour intégrer ça.
Je crois que dans mon cas, l’habitude de « jouer du coude » avec les hommes pour faire ma place a été grandement utile quand j’ai voulu passer de tâches de coordination dans l’équipe à un rôle actif, comme praticienne, comme personne qui met en oeuvre les suspensions (rigger) ou comme perceuse. Souvent, dans les groupes d’Amérique du Nord, les femmes étaient limitées à des rôles d’organisation et de soins. Mais moi, je voulais tout faire. Pas juste les tâches dites habituellement « féminines » … Et en ce sens, je sortais de la norme habituelle de ce qu’on voyait majoritairement avant, quand j’ai commencé en 2007. Depuis, il y a un beau travail qui a été fait au fil des années pour arriver à une représentation plus égalitaire. Il y a aussi une bien meilleure représentation de la diversité des identités de genre au-delà de la binarité homme-femme.
DDF : On peut dire que t’es quand même connue au niveau international. N’est-ce pas ? Peut-être que le fait d’être une femme rend ta trajectoire encore plus remarquable ?
F : Je ne peux pas vraiment répondre comme cela à ta question. En fait, dans notre équipe, nous mettons une attention particulière à la force du groupe et non à une représentation spécifique attribuée à un individu. Mon équipe existe depuis 2002, donc oui, on peut dire qu’elle est connue. C’était un milieu autrefois très masculin, un milieu géré par les hommes, surtout dans les communautés en Amérique du Nord. Mais j’ai vu une belle amélioration de la place faite aux femmes dans le domaine au fil des années. Maintenant, heureusement, il y a de plus en plus de femmes fortes et inspirantes qui motivent les autres à faire de même. Je ne dirais donc pas que je suis si unique ou remarquable. Mais définitivement, comme femme, il faut fighter parfois pas mal plus fort pour faire notre place.
Au fil de mes voyages, par contre, je dirais que les Norvégiens sont vraiment ceux qui m’ont paru le plus inspirants à ce point de vue. Culturellement, il y avait déjà une présence féminine forte au sein de l’équipe. C’est un des rares groupes ayant une femme dans leurs membres fondateurs aussi[2].
DDF : Et, si tu avais été un homme autochtone, est-ce que ton expérience aurait été différente?
F : J’aurais tendance à te dire que oui. Je pense que si j’avais été un homme, cela aurait été différent. Comme femme autochtone, je dois sortir du cadre deux fois. J’ai dû m'affirmer deux fois plus dans un milieu masculin principalement de descendance européenne. J’ai l’impression que le challenge m’a poussée à me développer plus loin, m’a obligée à être plus sûre de moi pour aller plus loin, à cause de tous les défis.
DDF : Est-ce que tu dirais que le fait que tu fasses partie d’un groupe de suspension et que tu modifies ton corps contribue à définir ton identité de genre ?
F : Définitivement ! Dans ces pratiques, je vais « définir » certains aspects importants pour moi et pour ma construction personnelle, comme par exemple, le fait de driver des projets, de créer, etc. Ce sont des choses qui sont plus souvent associées au caractère « masculin ». Je crois que souvent on considère le féminin comme étant « passif ». Alors en drivant des projets, cela me permet d’aller consolider des aspects de la confiance en moi. Comme quand je modifie mon corps. C’est vraiment une prise de possession sur soi. C’est quelque chose d’actif. Cela dit, dans les modifications que j’apporte à mon corps, dans mes choix de designs et de symboles, j’ai choisi une connotation féminine et mystique. C’est cela qui me rejoint et qui m’inspire.
Comme femme autochtone, j’ai été éduquée un peu différemment d’un gars. C’est vrai. Mais cela ne veut pas dire qu’automatiquement je suis plus spirituelle. Des gens peuvent penser que les femmes autochtones sont porteuses de la spiritualité. Mais je connais plein de gars autochtones qui sont au moins aussi spirituels que moi. Ce n’est pas parce que je suis une femme et que ce sont des gars. C’est le résultat de mon éducation propre, de mon parcours personnel. Mon corps de femme ne me donne pas un accès plus facile à la spiritualité que si j’étais née gars. Mais j’ai fait le choix personnel d’explorer cette dimension. Cela résonne en moi indépendamment du fait que je sois une femme.
Tu sais, je pense à tout cela mais je n’ai pas vraiment de réponse claire. J’ai fait une performance dans un événement public en Europe dans laquelle j’ai dû exposer mon corps plus que d’habitude. Cela me faisait potentiellement apparaître comme une personne « femme » car j’avais voulu utiliser plus de crochets et donc j’ai dû révéler mon corps plus qu’à l’habitude. Face à mon inquiétude, mon amie m’a dit qu’on est peut-être plusieurs choses à la fois, on n’est pas limités par la binarité. Alors, tu vois, mes réflexions par rapport au genre ne sont pas statiques ou figées. C’est vrai que sur la réserve, j’ai des fois des activités propres aux femmes comme faire les paniers, certaines danses et certains chants, etc. Mais, dans la communauté de suspension avec le temps, il n’y a plus vraiment d’activités qui seraient spécifiques aux femmes. Cela dit au fond, je reste une femme avec un corps de femme, mais une femme qui fait plein de choses sans limitations liées à son genre.
DDF : Comment exprimes-tu cette identité de genre dans cette communauté de suspension et de modification corporelles ?
F : Je crois qu’il y a plusieurs Premières Nations du Québec qui étaient matriarcales, du moins c’est ce qu’on m’a toujours raconté. On a une tradition orale qui va dans ce sens. La représentation des femmes autochtones pour moi, c’est celle de femmes fortes. Je le sais que c’est une tradition orale et cela vaut ce que cela vaut pour la science historique mais c’est comme cela qu’on m’a toujours parlé des Premières Nations avant la colonisation. On m’a parlé de femmes qui géraient les villages, qui prenaient des décisions. Oui, au niveau des « tâches » du quotidien, il y avait sans doute quelque chose de très genré, dans une forme classique.
En rencontrant des gens en Norvège, j’ai appris que là-bas c’est différent de ce que je connais de l’histoire de ma nation. En Norvège, les femmes aussi allaient à la guerre, par exemple. Ces différences culturelles par rapport aux rôles des femmes et à la féminité m’influencent dans la manière dont je vois mon rôle social. Comme femme, je n’ai pas de rôle prédéterminé. C’est moi qui décide comment je suis en tant que femme. Comme je le disais, cette idée a vraiment été renforcée par mes activités avec la communauté de suspension et modifications corporelles. Tu sais, cela fait au moins 13 ans que je suis dans cette communauté, alors je suis exposée à tous ces débats. J’ai aussi vu toute l’évolution de cette communauté. J’ai vu tous les nouveaux discours et débats sur le corps, la diversité de genre, les rapports de genre, le consentement, etc. Et cela m’influence beaucoup.
DDF : Dans ces communautés de suspension et de modifications corporelles, il existe certaines réflexions par rapport aux identités de genre et à l’orientation sexuelle au-delà de la binarité et de l’hétéronormativité. Comment cela te fait réfléchir à ton identité de genre?
F : Tu vois, j’ai eu la chance de grandir dans un environnement familial avec plusieurs représentations de genre différentes. J’ai vu à peu près toutes les expressions de genre dans ma famille. Donc, je crois que les doutes ou le besoin de me conformer à une identité de genre et ses caractéristiques étaient moins forts et que j’avais juste l’impression que je pouvais être moi-même, sans avoir à me questionner sur cet aspect spécifiquement.
Mais lorsque j’ai été confrontée à la communauté de suspension corporelle qui, à l’époque, était plutôt machiste, c’est certain que les défis étaient grands. Les hommes et les femmes avaient des tâches très genrées. Il a fallu que je m’affirme très fort pour faire autre chose que de la paperasse et de la gestion émotionnelle. Maintenant, les choses ont bien changé. Et je te dirais que nous autres, femmes, on a un rôle actif. Les rôles sont mieux distribués.
Et aussi, maintenant ces communautés permettent l’expression de différentes identités de genre. Je trouve cela très positif de remettre en question la binarité. Certes, je m’identifie comme femme mais je suis à l’aise d’exprimer différents éléments non-binaires de mon identité. Et je te dirais que c’est en continuité avec mon éducation dans ma famille. On a toujours été ouverts à la diversité de genre.
Ma mère est une femme très féminine mais qui était aussi très fière de m'acheter ma première chainsaw (rires). Ça donne une idée générale de l’environnement où j’ai grandi, disons. J'ai l’impression qu'il a été plus simple pour moi, de par le milieu familial, de me développer sans répondre strictement aux attentes classiques attribuées à chaque genre. D’un point de vue plus large, je crois que ça m’a aussi aidé à pousser plus dans ces communautés de suspension et de modifications corporelles pour prendre les tâches qui m’intéressaient et qui, cela donnait ainsi, étaient généralement faites par les hommes.
Comme je l’ai dit, au début du mouvement, c’était un milieu dominé par le genre masculin. Je dirais même plus que c’était un milieu masculin cisgenre, dominé par des hommes nés hommes. Mais il y a eu de plus en plus de femmes fortes qui ont fait leur place au fil des années. Des femmes qui ont commencé à diriger des groupes. Cela en a inspiré d’autres à faire pareil pour arriver à une représentation beaucoup plus égalitaire aujourd’hui, hommes-femmes, mais aussi une meilleure représentation de tous les genres et de leurs expressions au-delà de cette binarité.
Penser son rapport au corps et à la communauté
DDF : Est-ce que ce mouvement ne peut pas être une certaine manière de critiquer notre rapport au corps, de reconnaître le fait qu’on oublie trop souvent notre corps?
F : Définitivement! J’ai vécu et accompagné des moments d’humanité exceptionnels dans ce genre de contexte. La beauté du corps dans sa mécanique, sa puissance, son imperfection, etc. Je voudrais donner un exemple très proche de moi. Une amie qui a eu un enfant très jeune et qui a gardé des cicatrices sur le ventre. Elle voulait faire une « résurrection », donc elle devait enlever son gilet pour se faire percer. Elle a eu plus de mal à retirer son gilet que de se faire percer et de tenter la suspension. Sa grosse angoisse était de révéler ses cicatrices bien plus que les crochets. Depuis, elle m’a affirmé que ça avait changé sa vie, littéralement. Ses interactions avec ses partenaires, sa vision d’elle-même, etc. Il y a un moment de reconnexion brutal et profond avec l’être quand on fait ce genre de choses. Et c’est d’une beauté humaine exceptionnelle… Ça y est, j’ai l’oeil humide (rires). C’est tout un honneur d’accompagner les gens ainsi. Les gens me font beaucoup confiance. C’est fou !
DDF : Est-ce que ce mouvement ne permet pas de faire un lien entre son corps comme individualité et son identité collective ? Dans les modifications corporelles et les tatouages extrêmes, on affirme à la fois son individualité et son appartenance à une communauté.
F : Définitivement! Mon tatouage dans le cou en est un bon exemple. Car c’est en lien avec une pratique connue et documentée des Premières Nations d’ici et d’ailleurs. Cette modification, c’est sur mon corps mais c’est en lien avec l’histoire culturelle et identitaire des Premières Nations qu’on a cherché à effacer.
Je l’appelle moko, c’est comme cela que les Māori appellent leur tatouage dans le cou. Pour moi, c’est une manière d’affirmer que je n’ai pas honte d’être Autochtone. Cela fait référence en fait à l’ensemble des tatouages dans le visage qui étaient pratiqués dans bon nombre de nations en Amérique du Nord avant la colonisation. Si je l’appelle moko, c’est par simplicité, je sais que socialement et historiquement, c’est différent de mon tatouage. Cela dit, c’est pour moi, au-delà du nom, une manière d’affirmer par mon corps, dans mes interactions sociales, que je suis Autochtone.
DDF : Je constate depuis quelques années de plus en plus de jeunes femmes autochtones, principalement des Inuit et des Métis de l’Ouest canadien qui se font tatouer le visage. Dans ton cas, même si ce tatouage n’est pas directement inspiré de ta culture, n’est-ce pas une manière d’affirmer fièrement que les Premières Nations ont survécu?
F : Je te répondrais avec cette anecdote. L’été dernier, j’étais à Kitigan Zibi dans un Pow-wow. Alors une femme plus âgée m’a approchée. On a parlé de mon moko. Elle me disait qu’elle était trop timide pour affirmer son identité comme cela à la vue de tout le monde. Elle me disait qu’elle n’oserait pas l'assumer mais qu'elle trouvait ça beau de voir que de plus en plus de jeunes s'en foutent au final et osent!
Donc, je te dirais que oui, il y a définitivement une affirmation plus assumée maintenant depuis 2014 ou 2015. Je le constate aussi. C’est une manière de dire « c’est ce que nous sommes et si vous n’êtes pas contents, regardez ailleurs ! ». C’est nous. On est là pour rester.
DDF : Selon mes observations, ce sont surtout les femmes autochtones plus que les hommes qui se font tatouer le visage. Aurais-tu une explication ?
F : Je dirais que c’est probablement une conséquence technique. Simplement parce que les tatouages dans le visage les plus documentés étaient des tatouages de femmes. Les tatouages faciaux pour les hommes sont plus difficiles à trouver. L’information n’est pas aussi bien documentée. Chez les Inuit, c’est plus documenté que chez les Autochtones plus au Sud. Chez les hommes, on a avant tout documenté les tatouages sur le corps. Pas tellement sur le visage. Cela ne veut pas dire qu’il n’y en avait pas. Les religieux, souvent, dessinaient les Autochtones en omettant de dessiner les tatouages, car ceux-ci étaient considérés comme des symboles païens. On a perdu malheureusement beaucoup d’informations pour cette raison.
DDF : On parlait du lien entre l’individu et le collectif. Et il me semble qu’il y a une expérience quasi mystique à la suspension par crochets. Le corps est attaqué par la douleur, mais c’est en communion avec un groupe.
F : La suspension par le chest est un bon exemple. Les humains sont des créatures sociales qui ont un besoin d’appartenance à un groupe. Et cela est vraiment absent dans nos sociétés de consommation. Je comprends tout ça. Pour moi, quand je suspends ou que j’aide quelqu’un à se suspendre, j’ai vraiment l’impression de connecter avec ma vérité profonde, ma tribe. Ça a un effet rassurant. C’est groundant. Oui, c’est mon corps, mais cela passe par un travail d’équipe. Sans le groupe, ce n’est pas possible. Et on ne parle pas juste d’une question technique. C’est le groupe qui t’éduque. Il vient avec toute une expérience utile. Aussi, il t’accompagne. D’une manière ou d’une autre, il absorbe et relativise ta douleur.
DDF : C’est comme une spiritualité en partage avec une communauté sans que cela soit une religion organisée?
F : D’une certaine façon, je crois qu’on peut y voir des liens, oui. Je suis toujours très prudente quand vient le temps d’utiliser des mots comme « spiritualité » car il y a souvent plusieurs clichés associés mais ça en inspire beaucoup à créer du positif autour d’eux. C’est certain.
Dans ma communauté de suspension corporelle, plusieurs ont des expériences quasi spirituelles. Surtout quand on fait certains projets qui peuvent être plus mystiques que d'autres. Certains positionnements de crochets sont plus sujets à créer une expérience intense, comme le chest, les côtes ou le ventre. À chaque fois c’est une connexion mystique, c’est une manière de transcender l’extrême. Pour moi, c’est particulièrement le cas pour les suspensions face en l’air. Cela évoque le Sun Dance, la Danse au soleil de nombreuses Premières Nations des plaines. Les participants à ce cérémonial de plusieurs jours se font suspendre par la poitrine ou par le dos pour faire la preuve de leur bravoure et démontrer au village qu'ils sont sortis de l'enfance et qu’ils sont maintenant des guerriers. Alors, quand je fais cette suspension par le chest, je me connecte avec la force génétique de ceux qui ont fait cela avant moi. Pas juste leur souffrance mais aussi affirmer haut et fort leur combativité. Je souffre, mais il y a autre chose. C’est comme si mon corps était inséré temporairement dans cette longue histoire. Le corps a mal mais la conscience est ailleurs.
DDF : Tu aimerais voir ici une illustration d’une suspension du Sun Dance ? Alors, on a sélectionné plusieurs croquis de l’auteur et peintre étasunien du 19ème siècle George Catlin. Il a assisté à plusieurs cérémonies et les a documentées, par des écrits, en peinture et en dessin. Je m’en suis inspiré pour l’esquisse suivante. Ce peintre est un peu controversé pour avoir exagéré certaines pratiques. Mais ce qui est présenté dans la peinture que tu voulais utiliser est corroboré par d’autres documents.
DDF : Mais, le Sun Dance était réservé aux jeunes hommes. Non ?
F : Oui, c'était pour sortir de l'enfance et devenir un guerrier. Souvent les rituels pour les femmes étaient reliés au fait qu'on saigne tous les mois. Pour ma nation, par exemple, les femmes n’avaient pas besoin de faire le sweat lodge [hutte à sudation] car on se purifie tous les mois.
Pour moi, il n’y a pas d’incohérence à m’inspirer de cette pratique qui était alors techniquement réservée aux hommes. La force que je vais chercher, c’est une force personnelle. C’est ce que je cherche à démontrer, cette bravoure, cette force. En fait, cela ne m’a jamais vraiment dérangé que ce type de suspension était réservé aux hommes. Il faut que tu comprennes que, dans mon enfance, j’ai été exposée à plusieurs expressions de genre. Dans ma famille, c’est normal que tout le monde fasse tout. Et ce, peu importe son genre ou son expression de genre.
Être Autochtone et Primitive moderne
Pour expliquer un peu mieux d’où provient cette pratique importante pour la communauté de suspension corporelle de Freaky, il faut évoquer la carrière d’une des personnes les plus influentes de ce mouvement qui est, sans nul doute, Fakir Musafar (nom d’artiste de Roland Loomis, né aux États-Unis en 1930, décédé en 2018). Il pratiquait les modifications corporelles et suspensions par crochets en relation avec des rituels qu’il décrivait comme provenant de sociétés « tribales » (Klesse 1999 : 26; Lodder 2011 : 100). Par ses ouvrages et nombreuses photographies, Fakir Musafar a contribué à codifier esthétiquement ce mouvement. Il a aussi rendu explicite la notion de primitivisme et en la situant en relation avec la connaissance de rituels documentés par l’anthropologie culturelle et par l’histoire. Pour Fakir Musafar, la modification corporelle fait partie de l’histoire de l’humanité et il s’agit de retourner aux sources originales, à la magie de ce qui constitue l’être humain qui s’est perdue dans la rationalité, la consommation, la science et la négation des pulsions, sexuelles ou autres (Atkinson et Young 2001 : 132; Rosenblatt, 1997). Pour ce faire, Musafar fait référence, entre autres, aux pratiques corporelles historiques d’Asie, d’Océanie et des Premières Nations d’Amérique du Nord. C’est particulièrement vrai lorsqu’il a codifié les suspensions par crochets sous-cutanés qu’il lie à plusieurs rituels relativement bien documentés des Premières Nations d’Amérique du Nord (Atkinson et Young 2001 : 126; Liotard 2015; Polhemus 1998).
On peut penser qu’il peut s’agir là d’un bricolage au sens de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss (Atkinson et Young 2001 : 130). Puisqu’en effet, les Primitifs modernes utilisent la culture matérielle et immatérielle des Premières Nations, d’Asie et d’Océanie, dont ils imaginent faire revivre certains sens perdus. Dans ce processus d’interprétation et d’appropriation, les Primitifs modernes combinent un ensemble d’éléments épars mis à leur disposition par les documents historiques et anthropologiques. Certaines personnes pourraient même dire qu’il s’agit là de l’invention d’une tradition (Rosenblatt 1997 : 288).
F : Je ne suis pas vraiment d’accord sur le fait de dire que les Primitifs modernes aient inventé une tradition, dans le sens où il y suffisamment de preuves et qu’il y a des documents historiques disponibles pour qu’on sache que tous ces rituels étaient vraiment pratiqués par les anciens peuples de par le monde. Oui, le phénomène des Primitifs modernes crée une nouvelle tradition mais c’est sur des bases vraies et prouvées mille et une fois. Il faut qu’on le dise, par respect pour les peuples qui sont à l’origine de ce que l’on pratique.
DDF : Tu n’es pas sans savoir que certains comparent leur communauté à une tribu, en utilisant un langage qui semble faire référence à un passé dit pré-moderne, à une organisation qui s’inspire de l’histoire, peut-être imaginée, des Premières Nations. Est-ce que c’est une communauté pour toi?
F : C’est définitivement une communauté. Ma tribe, ma famille, on se serre les coudes, etc. Pour moi, le langage relié aux Premières Nations n’est pas un problème. L’humain est une créature sociale qui a besoin de connecter avec un groupe d’appartenance. Et l’usage du mot « tribu » reflète juste cela.
Je crois qu’il est sage et respectueux de se poser les questions des origines de nos pratiques mais je ne prône pas un retour au purisme total car ça nous couperait de plusieurs belles choses inspirantes dans l’humanité. Si on peut s’en inspirer pour dépasser la société de consommation, si on peut s’inspirer des Premières Nations, ce n’est pas mauvais. Nous savons d’où on vient mais on ne veut pas y retourner. C’est un beau rêve. Mais la vie ce n’est pas cela. Il faut se poser la question de l’avenir. Qu’est-ce qu’on fait avec ce qu’on a maintenant ?
DDF : Alors, qu’est-ce que cela t’inspire l’idée de « Primitifs modernes » et ce rapport aux dites anciennes traditions ?
F : Ouf... Grosse question… Et aussi, c’est très complexe… Une partie de moi est vraiment heureuse qu’un mouvement mette une lumière nouvelle sur des traditions qui avaient été relayées — pratiquement — au statut de pure folie par le clergé. Des traditions qui ont vraiment existé. En même temps, je me sens vraiment amère quand je vois des gens utiliser des symboles si importants pour les Premières Nations sans avoir pris leurs informations, sans respecter, sans mentionner les origines, etc. Je suis ambivalente sur la question.
DDF : Est-ce que les gens dans cette communauté de pratiques savent que tu es Autochtone ?
F : Oui, les gens le savent de plus en plus. Je l’ai tellement caché. Tellement eu honte. J’ai eu des conflits d’identité dans le passé. Maintenant, c’est terminé. Plus jamais je ne me cacherai de ce que je suis. J’ai entendu un jour cette expression « Our Existence is Our Resistance ». Juste d’être là encore. Nous sommes les descendants de générations d’humains qu’on a tenté d’exterminer par tous les moyens, sans que ça fonctionne. Je n’aurai plus jamais honte de ça (rires). C’est pour ça que j’ai choisi de me faire tatouer une variation du moko, le tatouage qui couvre mon cou.
DDF : Qu’est-ce qui a fait que tu n’as plus honte ?
F : J’ai décidé que j’en avais assez… C’est con de même. J’ai essayé, par toutes sortes de moyens, de me punir au fil des années, dans toutes sortes de comportements autodestructeurs, pour finalement me rendre compte que je ne devais pas avoir honte d’être qui je suis.
Ce n’était pas facile. Je ne pouvais pas vraiment me cacher, À l’école, j’étais la seule qui embarquait dans le bus scolaire depuis la réserve. En plus, je ne suis clairement pas dans la catégorie « blanche ». J’étais au primaire pendant la crise d’Oka (1990). Ce n’était pas beau, c’était horrible. J’ai vécu dans un milieu rural, très raciste. Quand les gens me demandaient d’où je venais, je nommais le village d’à côté plutôt que la réserve. À cause de la honte. Je ne me rappelle pas spécifiquement quand j’ai arrêté d’avoir honte. C’est un processus. J’imagine qu’à force de voir des Autochtones qui ont du succès, tu finis par te rendre compte qu’il y a une richesse dans ta propre culture.
Maintenant quand j’ai la chance d'interagir avec des Aînés, j’aime écouter les légendes, les connaissances qu’ils ont à apporter. Mais je trouve qu’il y a beaucoup d’informations sur notre histoire qui sont contradictoires. C’est difficile de savoir ce qui est vrai. Et en même temps, certaines personnes disent savoir mieux que nous. Je me suis déjà fait remettre à ma place par un non-Autochtone parce que je portais mes lunettes durant un rituel de purification. Durant le cercle d’ouverture, tout le monde était dans un mood spirituel et lui, il vient m’interrompre pour me dire ce que je dois faire.
Un de mes mentors m’a dit, à propos de notre spiritualité ancestrale, qu’on ne le sait pas vraiment, on n’était pas là. Je peux vous expliquer comment pêcher ou s’occuper des peaux. Cela, c’est bien documenté. Mais on n’a pas de notes sur notre spiritualité. Il n’y a pas de référence. Alors, quand j’ai la chance, j’écoute les Aînés. C’est comme cela que j’ai arrêté d’avoir honte de qui je suis. Cela ne s’est pas fait du jour au lendemain.
DDF : Pour revenir à la communauté de suspension et modifications corporelles, est-ce que tu as un traitement différencié parce que ce tu es Autochtone ?
F : Étrangement, oui et non. Mais dans certains cas, ça soulève quand même des réactions étranges (rires). Surtout chez les gens qui ont une touch mystique. Ces personnes cherchent un guide spirituel. Ces personnes se cherchent une amie qui a une certaine magie. Des fois on cherche à faire de moi la « sorcière officielle ». On me demande de brûler de la sauge et de remercier les quatre éléments. C’est un peu caricatural. Ça me fait plaisir de les aider, d'être la gardienne du mystique pour mes amis. C'est une tâche que je prends avec plaisir.
J’ai rencontré un Autochtone qui fait partie d’un collectif de suspension en Ontario. Avec lui, il y a un feeling qu’on reconnaît. Un non-dit, un bon respect l’un pour l’autre. Son groupe est vraiment respectueux de l’histoire de la pratique et des communautés qui ont fait ça avant eux. Ils évitent tous les clichés liés aux Autochtones. Quand ils font une suspension par le chest, ils ne font pas référence au Sun Dance. J’ai un très gros coup de coeur pour eux autres.
Une bonne amie est Navajo du Sud-Ouest mais, contrairement à moi, elle n’a pas grandi sur une réserve. On a fait des beaux projets pour mettre en valeur nos communautés respectives. On a fait une oeuvre de performance à New York en utilisant différents éléments de nos cultures. On a fait attention de rester dans une logique d’art de performance, en essayant de ne pas être trop traditionnels. Cela a été bien reçu. On a un peu volé le show selon ce qu’on m’a dit. Cela dit, on n’a pas pu faire brûler de la sauge à l’intérieur car l'organisateur trouvait que cela puait (rires)!
Pour des gens, cela ne fait rien du tout que je sois Autochtone. Mais il y a des gens de la communauté de suspension et modifications corporelles que cela dérange vraiment. Ils me demandent « C’est-tu vrai ? As-tu tes papiers ? ». Cela confronte quelque chose en eux. Ils me remettent en question. Si tu dis que tu es de telle ou telle origine, est-ce que les gens vont te demander tes papiers ? Par contre, quand tu dis que tu es Autochtone, oui, tout le temps, les gens vont te demander des preuves.
Vers une décolonisation des Primitifs modernes
Certaines personnes pourraient dire que les Primitifs modernes font de l’appropriation culturelle. Car, en effet, l’appropriation culturelle est un processus par lequel des personnes utilisent des éléments culturels caractéristiques d’un ou plusieurs groupes sociaux qui leur sont étrangers à des fins de croissance personnelle, de divertissement ou de production culturelle (Matthes 2016 : 346-354; Shand 2002 : 52-59; Young 2010 : 1-31). Pour les Primitifs modernes, il s’agit, par exemple, de caractéristiques physiques ou de rituels, qui sont isolés de leur contexte social, politique et économique d’origine et leur complexité est ignorée (Le Breton 2016 : 113; Pritchard 2000 : 341).
On peut parler d’appropriation lorsque ce processus est en relation avec des rapports historiques de pouvoir, de discrimination et de marginalisation et les Primitifs modernes sont inscrits dans ces rapports (Klesse 2007 : 280). Souvent, ces liens historiques sont marqués par des relations coloniales directes ou indirectes. Dans ce sens, il n’est pas nécessaire d’établir les intentions à l’origine de l’appropriation culturelle puisque l’utilisation des divers marqueurs culturels contribue à renforcer l’inégalité de traitement du groupe social dont les marqueurs sont appropriés. C’est vrai même quand les personnes qui appartiennent au mouvement des Primitifs modernes attribuent des caractéristiques positives et désirables aux cultures « tribales » et qu’elles ont conscience qu’elles ne deviennent pas littéralement des Autochtones (Pitts 2003 : 133-134).
Dans le cadre de cette définition, l’usage de tatouages dits tribaux, de rites dits ancestraux, de mystiques ou de spiritualités autochtones par les Primitifs modernes ainsi isolés de leur contexte est de l’appropriation culturelle. Cela contribue à renforcer des idées préconçues sur les Peuples Autochtones ou les Premières Nations, vues comme essentiellement différentes, ayant des particularités non accessibles au plus grand nombre. Souvent, les marqueurs dits tribaux du néo-primitivisme sont présentés comme appartenant à des sociétés disparues. Cela place les Premières Nations à l’extérieur de la contemporanéité que, dans une inversion apparente du colonialisme, les néo-primitifs veulent valoriser à l’encontre de la culture dominante (Klesse 1999 : 26). Cette utilisation de marqueurs culturels par les Primitifs modernes en Amérique du Nord est insérée dans une relation de pouvoir et ne peut pas être isolée de l’éradication ou de l’exclusion des Premières Nations de leurs territoires et de la gouvernance de ceux-ci. C’est également vrai pour l’utilisation que font, par exemple, les Primitifs modernes des marqueurs appartenant aux peuples colonisés du sous-continent indien et des populations Aborigènes d’Océanie et Indigènes du détroit de Torrès (tatouages, modifications corporelles, mysticisme, etc.). C’est vrai puisque l’Amérique du Nord anglo-saxonne fait partie d’un ensemble culturel, politique et économique appartenant à l’entreprise de colonisation britannique dont l’établissement de colonisation a bénéficié, avant tout, aux populations blanches d’Amérique du Nord dont sont issues, en très grand nombre, les personnes pratiquant le néo-primitivisme.
DDF : Inspirées par un certain mouvement de pensée dit anticolonial ou décolonial, certaines personnes pourraient dire que tu participes à la reproduction de la violence du colonialisme de peuplement (settler colonialism) à l’encontre des Premières Nations parce que tu donnes de la légitimité au discours des Primitifs modernes qui utilisent ainsi l’histoire de ces mêmes nations. Qu’est-ce que cela te fait de participer à une activité qui représente les Peuples Autochtones comme ayant des pratiques corporelles inhabituelles ?
F : Je suis ambivalente. C’est de la fierté. Mais c’est mélangé. Tu vois, comme Autochtones on est confrontés habituellement à deux clichés. D’un côté, le cliché de l’« Indien », le guerrier avec les cheveux dans le vent sur son cheval et, d’un autre côté, l’ « Indien » saoul mort. Il faut que je deal avec ces deux clichés constamment.
Aussi des fois, les gens sont surpris d’apprendre que les Premières Nations sont encore en vie. Ils s’imaginent qu’on est des peuples disparus. Pour certaines personnes, il y a comme une mystique, c’est vrai. En particulier pour les gens perdus dans la vie. Les personnes confrontées à la société de consommation qui base tout sur le matériel. Le matériel et la consommation, cela ne nourrit pas l’âme. Donc, l’image mystique de l’Autochtone résonne chez ces personnes. Pour certaines personnes, cette image, c’est celle d’un temps autre durant lequel nous étions connectés avec les rythmes de la Terre.
Comme Autochtones, oui, on est différents. Oui, du point de vue de nos cultures, de nos croyances. J’ai juste appris à en faire une force créatrice, je crois. Et à en tirer de la force de tout ça.
DDF : Alors, que penses-tu que les gens devraient se poser comme question ?
F : Je pense que les gens devraient se demander pourquoi ils font ce qu’ils font : comment aligner ça sur votre vérité tout en respectant ce qui a existé par le passé. Tout en respectant tous ceux qui partagent réellement ces traditions dans leur culture et leur histoire.
Je pense que c’est colonialiste quand les gens s’embarquent dans un mix and match de concepts… C’est colonialiste quand ils choisissent un peu au hasard, ici et là. Cela me fait penser à un roi assis sur son trône qui choisit ses sujets en pointant du doigt. Ça c’est colonialiste.
Je t’ai déjà parlé de l’affiche d’un événement européen que tu n’aimerais vraiment pas (rires). C’était un mélange ridicule et insultant. Avec des images collées les unes contre les autres de spiritualités hindoues, des Premières Nations, etc. C’était n’importe quoi. Il faut y aller avec une approche. Par exemple, ne pas utiliser les termes « spirituel » et « chamanique » avec n’importe quoi. Il faut de la cohérence avec une culture, ne pas mettre ensemble plein de cultures qui n’ont pas de rapport. Cela manque de respect. Comme l’affiche dont je te parle, c’est un mix and match spirituel. Et c’est malheureusement très à la mode ces temps-ci. On peut s’inspirer mais il faut rester prudents quand il s’agit de savoir comment on le fait.
Il faut faire un choix, il faut avoir un minimum de ligne de pensée articulée autour d’une approche. Soit, tu es inspiré par la spiritualité nordique des Vikings, soit par le yoga, si cela te parle. Mais pas un mélange.
Quand cela devient une spiritualité de type « buffet », ça c’est du colonialisme à mes yeux. Je n’ai pas la prétention d’avoir la vérité, mais c’est ce qui me semble le plus logique comme approche tout en restant réaliste avec le monde de globalisation dans lequel on vit maintenant.
DDF : Est-ce que tu penses que, comme Autochtone, tu as plus le droit que d’autres d’utiliser des éléments culturels d’autres Premières Nations (comme par exemple ton moko)? Toi, appartenant à une culture marginalisée et qu’on tente de faire disparaître, quand tu te fais tatouer un moko, tu ne reproduis pas ce rapport de domination mais tu isoles quand même ce tatouage de son sens profond.
F : La réponse facile à ta question ce serait de dire oui, c’est confortable ainsi. Oui, sans doute que je ne reproduis pas de rapport de pouvoir. C’est probablement la réponse que tu veux entendre. Mais la vraie réponse c’est que tout le monde devrait faire ses recherches et respecter les cultures.
Le moko, traditionnellement, dans la culture Inuit, c’est une femme qui le donne à une autre femme quand elle est capable d’être un pilier pour le groupe. Mon moko, c’est une femme forte qui me l’a tatoué. Elle n’est pas Autochtone ou Inuit, mais je l’ai informée. Moi, je vois sa force. Elle savait l’histoire. C’est une femme forte. Cela me rappelle le contexte et l’importance du moko. Aussi, j’ai changé le design pour respecter le fait que je ne suis pas Inuit ou Maori et pour éviter de reproduire des éléments trop personnels ou individuels, en ne copiant pas. Le but n’est pas de reproduire. Les tatouages Maori sont des signatures individuelles. Cela fait référence à des familles, à des îles spécifiques. Si on le refait tel quel, c’est une insulte. Mais, on peut s’inspirer dans une logique positive.
Malheureusement, je n’ai pas trouvé suffisamment d’information sur ma nation. Je sais qu’on avait des tatouages dans le visage mais il n’y a pas d’information. Alors je suis allée voir ailleurs. C’est sans doute différent chez les Inuit. Tout en m’informant, en respectant, en comprenant leur sens, j’ai pu l’adapter à ma personne, à mon individualité. Je ne pense pas que c’est une réponse parfaite. Je ne te dirais pas « oui, t’as le droit de tout faire si t’es Autochtone » ou « t’as le droit de rien faire si tu l’es pas ». Il faut se renseigner. Il faut rendre hommage. Je dois être cohérente dans la logique. On est en 2020, les humains bougent sur toute la planète. Avoir une notion plus puriste de chaque culture, cela ne fait plus de sens maintenant.
DDF : Tu es consciente que ta réponse peut ne pas plaire à tout le monde?
F : Le consensus, c’est l’histoire de ma vie. J’ai grandi sur une réserve. Je suis habituée à déranger. J’existe, je dérange. Alors, ne soyez pas d’accord avec moi. Cela ne me dérange pas (rires). Je n’affirme pas « LA » vérité mais uniquement ce qui me semble le plus logique face à la réalité actuelle.
Cela dit, je ressens une connexion viscérale envers my people, les autres Autochtones. J’ai une sorte de culpabilité à faire cette affirmation évidemment. Mais, je ne vois pas d’autre manière de penser dans ma logique de renseignement et de respect. Cela crée quand même beaucoup de questionnements.
DDF : Personnellement, d’un point de vue de l’authenticité, cela ne m’importe pas beaucoup que les Premières Nations s’inventent ou s’approprient des traditions. Comme par exemple, les Pow-wow sont maintenant populaires en Amérique du Nord d’une manière différente des spécificités historiques des régions qui les ont vus naître. Si cela permet aux Premières Nations de trouver un sens de communauté et de se reconstituer une identité dans le contexte de ce qu’on peut qualifier de génocide culturel, qui suis-je pour juger de l’authenticité historique de la pratique?
F : Pour les Pow-wow, oui, je suis un peu de ton avis. Encore là, le problème est le manque d’informations chez les Autochtones ou non-Autochtones. Savoir que non, les costumes et vêtements n’étaient pas comme ce qu’on voit dans les Pow-wow mais que c’est un dérivé de « concours » et, peut-être, d’images d’Hollywood. Certains habillements que l’on voit dans les Pow-wow viennent plutôt des plaines que des régions de l’Est. On a modifié aussi les aspects compétitifs qui ont un peu disparu.
Les Primitifs modernes c’est un peu la même chose. On ne peut pas demander que tout reste statique. Ce n’est pas ça la vie. Mais on doit prendre le temps de chercher les informations. Prendre le temps de rester à l'affût et ne pas prendre ce qu’on croit pour acquis.
DDF : Ce que tu suggères, c’est que si cela permet de raviver des pratiques bannies ou éteintes, tant que c’est sincère et bien informé, il ne faut pas les balayer entièrement du revers de la main ?
F : Exact. Le but, c’est de se servir de sa tête et du gros bon sens, qu’on soit Autochtone ou non. C’est ce qui me semble le plus logique. C’est mon raisonnement.
DDF : Quels conseils tu donnerais à une personne autochtone qui désire participer à une communauté underground dans laquelle l’expression de l’identité de genre, de la sexualité et des pratiques corporelles qui sortent de l’ordinaire voire même, qui sont extrêmes ?
F : Il y a des défis, je dirais. Surtout quand la différence est visible. Moi, quand j’arrive dans un groupe, je ne tombe pas dans la catégorie « blanche ». Il y a des Autochtones qui paraissent plus blancs que moi, ils n’ont pas les mêmes défis que moi ou que des Autochtones du Nord ou des Inuit, par exemple, qui ont une différence visible. Les Autochtones n’ont pas tous l’air de la même chose. Selon la nation, on peut être plus ou moins typés, plus ou moins métissés. Cela amène des réalités différentes.
Je dirais, si les gens ont un calling, un désir profond, et bien, qu’ils le fassent, en se protégeant eux-mêmes. En faisant attention avec qui ils travaillent. Il faut que cela soit positif. Il faut que cela te parle. Cherche des gens avec qui bien connecter. Fais tes recherches!
Dimitri della Faille : Pour finir, est-ce que tu peux tirer ta langue que tu as fait diviser au centre pour que je puisse la dessiner ?
Freaky : Oui, pour finir sur une note plus légère. On philosophe et pense à des choses bien sérieuses, mais il faut également avoir de l’humour dans la vie. Ne faut pas se prendre au sérieux trop longtemps.
Appendices
Notes biographiques
Dimitri Della Faille (il/lui) est sociologique et professeur en développement international à l’Université du Québec en Outaouais (UQO). Entre autres, il s’intéresse à l’analyse du discours et aux questions de culture et de genre. Il est directeur du Pôle UQO du Centre interuniversitaire d’études et de recherches autochtones (CIÉRA). Il a plus de 30 ans d’implication dans diverses communautés sous-culturelles. Il est également artiste certifié en perçages corporels.
Freaky (elle/la) a grandi au sein d’une communauté autochtone, dans un environnement très traditionaliste. Exposée aux divers savoirs et pratiques ancestrales depuis son plus jeune âge, elle a 15 ans d'expérience dans la suspension corporelle. Freaky travaille depuis de nombreuses années avec le Collectif de suspension de Québec. Elle a également participé à de nombreux événements et conventions à l’international en lien avec la suspension sur crochets, des performances, des suspensions privées ou semi privées, etc.
Notes
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[1]
Pour plus de détails concernant cet artiste, veuillez consulter le lien suivant : http://louisfleischauer.com/.
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[2]
Pour plus de détails concernant ce groupe, veuillez consulter le lien suivant : https://wingsofdesire.org/.
Bibliographie
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