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Retraité de l’Université du Québec à Rimouski, le géographe Clermont Dugas s’est fait connaître avantageusement par ses publications sur le Québec régional à la faveur d’une utilisation très soignée des données de Statistique Canada. Le lecteur à qui ses écrits sont familiers retrouvera donc dans ce récent volume le même souci qu’a toujours eu l’auteur de fournir des informations chiffrées sur les réalités socioéconomiques de nos régions. On comprendra Marc-Urbain Proulx, responsable de la collection Science régionale, de ne pas cacher son enthousiasme dans la préface en associant l’ouvrage à la Politique nationale de l’aménagement du territoire, mise de l’avant il y a quelques années, à laquelle on vient d’ajouter la dimension architecturale[1].
Le volume comprend six parties qui se partagent treize chapitres lesquels, à mes yeux, pourraient intéresser de façon sélective, d’une part, les enseignants en économie régionale et, d’autre part, les acteurs de terrain au sein de différentes instances telles les municipalités régionales de comté, les fonctionnaires et élus municipaux et leurs vis-à vis à l’échelon provincial, en plus des organismes liés au secteur associatif et syndical (UPA), etc. Les uns et les autres apprécieront le caractère succinct des chapitres, dont les multiples sections ont pour effet d’agrémenter la lecture.
Avec ses données démographiques sur nos régions, les trois premiers chapitres qui composent la première partie, « Le territoire et son peuplement », intéressera les deux catégories de lecteurs. La deuxième partie, « Le problème des disparités territoriales et sociales », touchera davantage les étudiants dans la mesure où les professeurs leur fourniront des références que l’auteur a évité d’insérer. En effet, dans certains chapitres, il se fait avare de références malgré les sept pages que compte sa bibliographie. On déplorera deux grands absents : Bernard Vachon pour le monde rural et Gérard Beaudet pour le monde urbain. Si le premier se mérite une allusion à un article publié en 1988, ses quelques ouvrages publiés depuis lors sont ignorés. Quant au second, auteur prolifique et habitué des grands quotidiens, il n’apparaît même pas en bibliographie. De toute évidence, Dugas a consacré l’essentiel des dernières années à l’écriture. Le caractère vieillot des publications essaimées ici et là obligera les enseignants à puiser dans leurs lectures des 10 dernières années.
Avec le chapitre V, l’auteur démontre sa sensibilité à l’égard des moins favorisés de notre société en traitant de l’épineux problème lié à la pauvreté. Curieusement, il accorde une importance démesurée à une bien curieuse loi adoptée en 2002 à une époque où le gouvernement de Bernard Landry, au bas fond dans les sondages, ne savait plus où donner de la tête. Alors, l’enfer étant pavé de bonnes intentions, en réponse au lobbying d’un regroupement d’organismes communautaires, le gouvernement adopta la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Cela a fait dire à un ministre récalcitrant : « Pourquoi ne pas adopter une loi interdisant plus de trois jours consécutifs de pluie ? » Il va sans dire que, 20 ans plus tard, comme le souligne Dugas, la loi n’a pas contribué à endiguer l’importance de la pauvreté. Or, personne ne conteste auprès de la Cour suprême le non-respect de la loi. Le chapitre VI, sur les causes des disparités territoriales, apporte d’intéressants propos sur la Politique de la ruralité et de la gestion gouvernementale, même si ses sources brillent à nouveau par leur absence. J’en veux pour exemple son allusion au mouvement coopératif et à l’économie sociale qui « ont contribué et contribuent encore à structurer la vie socioéconomique de nombreuses petites communautés » (p. 127). On ne peut ici que regretter l’absence de références aux travaux des chercheurs du Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES) publiés sur le sujet aux Presses de l’Université du Québec (PUQ).
Le chapitre VII, portant sur le Bureau d’aménagement de l’Est du Québec (BAEQ), est à oublier, considérant l’abondance de publications sur le sujet. Pour les étudiants comme pour les acteurs de terrain, il importe de savoir ce qui se fait ou devrait se faire à court terme. Heureusement, là-dessus, le lecteur sera bien servi dans ce qui suit.
La quatrième partie, « Les multiples aspects de l’aménagement du territoire », intéressera grandement la deuxième catégorie de lecteurs mentionnée plus haut. Dans ces pages, Dugas fait la preuve qu’en plus d’être un lecteur attentif de la documentation gouvernementale, il se présente comme un fin observateur de la gouvernance institutionnelle. Avec le débat soulevé au printemps 2022 sur l’étalement urbain par opposition à la densification des centres-villes, on comprendra tout l’intérêt du chapitre XI qui aborde la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, en plus d’une autre loi incontournable, soit la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles. Cette dernière est vue, avec raison, par l’auteur comme étant à la fois trop centralisatrice et fort contraignante. Cette loi fait l’objet de la cinquième partie, qui ne comprend que le chapitre XII où Dugas répète à plusieurs reprises que, contrairement aux légendes urbaines, beaucoup de projets de développement n’ont rien à voir avec un empiètement sur de bons sols agricoles. À ses yeux, une plus grande souplesse de la loi permettrait l’essor de nouvelles activités à la périphérie de villages dont l’avenir se trouve compromis par le vieillissement de la population.
La dernière partie, également à chapitre unique, traite des nouvelles approches de développement territorial. L’auteur avance ses recommandations sur ce qu’il faudrait faire ou ce qui devrait être fait. Curieusement, pour les régions éloignées, il plaide en faveur de l’instauration de parcs industriels plutôt que de revendiquer le retour des centres locaux de développement (CLD) que l’administration Couillard a fait disparaître pour des motifs purement idéologiques.
D’aucuns déploreront l’absence de cas concrets ayant pu servir d’illustrations sous la forme d’encadrés ou de sous-sections. Le lecteur doit se contenter des trois exemples (p. 317-319) concernant des décisions douteuses de la Commission de protection du territoire agricole.
Mis à part certains oublis, il n’en demeure pas moins que l’ouvrage saura susciter l’intérêt des lecteurs, jeunes et moins jeunes.
Appendices
Note
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[1]
Mieux habiter et bâtir notre territoire, Politique nationale de l’architecture et du territoire, Gouvernement du Québec, 2022.