Comptes rendus bibliographiques

JOURDAIN-ANNEQUIN, Colette et CLAVAL, Paul (2022) Penser la Méditerranée. Hier et aujourd’hui. CNRS Éditions, 330 p. (ISBN 978-2-271-12632-0)[Record]

  • Bertrand Lemartinel

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  • Bertrand Lemartinel
    Université de Perpignan

L’ouvrage, richement illustré, est constitué de neuf chapitres de taille décroissante : les quatre premiers, qui parcourent le temps, comptent 173 pages, quand les cinq derniers, plutôt consacrés à l’espace de la Mésogée, n’en occupent que 107. Malgré cette répartition thématique, les auteurs expliquent (p. 10) ne l’avoir voulu « ni essai de géographie, d’histoire ou même de géohistoire » ce qui, dès l’introduction, suscite surprise et curiosité. Effectivement, dans la première partie du volume, ils s’intéressent à la façon dont se constitue la Méditerranée, progressivement découverte mais avant tout formalisée par les légendes et les mythes qu’elle inspire à ses riverains septentrionaux. Les cartes qui la décrivent, même tardivement comme celle d’Hereford (XIIIe siècle), en font une transcription symbolique qui oppose ses rivages aux confins barbares, occupés par des peuples qui « ne savent pas parler grec » (p. 37). Le texte nous les dit « troglodytes » ; peut-être voulait-il évoquer leur absence de polyglossie. La question des milieux et des paysages est ensuite abordée, même si les Anciens s’intéressaient plus aux monuments qu’ils y bâtissaient et étaient plus sensibles à la diversité des lieux et à la variété des agricultures qu’à l’unité supposée au XIXe siècle par Vidal de la Blache (p. 67). Il est vrai, et c’est ici largement souligné, que les pratiques agricoles avaient une dimension religieuse autant qu’économique. Quant à la mer éponyme, elle paraît moins importante, car elle est jugée dangereuse durant la plus grande partie de l’année. C’est sans doute cette contrainte environnementale qui semble la plus significative : il était bon de le souligner. Le chapitre suivant – « Méditerranée, terre des origines » – est consacré à la naissance des écritures alphabétiques (p. 100), dont la variété contredit à nouveau le présupposé de l’unité méditerranéenne (p. 110). Le long développement (30 p.) qui traite de chaque espace linguistique est plus didactique qu’original, même s’il insiste avec justesse sur la « séduction de l’oralité », fait le lien avec les monothéismes des Livres et effectue des sauts dans le temps, jusqu’à considérer, en la matière, la politique de l’État hébreu actuel. La Méditerranée existe-t-elle parce qu’elle est un « espace de mobilité » ? C’est l’occasion d’une longue mise au point des thèses qui traitent des voyages d’Ulysse, des Argonautes et des lointains travaux d’Héraclès. Même si elle est illustrée par des cartes ramenant au réel géographique, l’étude montre l’effacement de ce dernier devant les légendes héroïques. À l’inverse, l’exposé, appuyé sur une solide synthèse des recherches archéologiques récentes (p. 161-185), donne à la colonisation grecque et aux comptoirs qui l’appuient un rôle structurant dans la perception d’un espace méditerranéen mieux affirmé. Cela est d’autant plus vrai que ces établissements littoraux, parfois rendus nécessaires par des difficultés surgies dans la Grèce péninsulaire, ont favorisé des formes d’acculturation nées des échanges réguliers : la viticulture qui se développe alors en est un bel exemple. La seconde partie du volume, plus courte, est aussi plus tournée vers les questionnements cruciaux qui fondent les conceptions actuelles d’un monde dit méditerranéen. Il est clair que le chapitre qui se préoccupe des racines méditerranéennes de l’Occident, même s’il ne fait que 19 pages, est très nécessaire en un moment où cet Occident est critiqué – et souvent secrètement envié – au nom d’un islam rigoriste ou d’un panslavisme qui oublie manifestement ses racines grecques. Il est certain que l’expansion des monothéismes judéo-chrétiens hors du foyer méditerranéen a eu, en Europe et outre-Atlantique, des conséquences géopolitiques majeures. Ces conséquences ont paradoxalement conduit à l’émergence romantique de l’orientalisme, mais d’un orientalisme très centré sur le Sud …