Article body
Tiré de sa thèse d’ethnologie, soutenue en 2013 à l’Université Laval, cet ouvrage de Joseph Ronald Dautruche est publié dans la collection « Patrimoine en mouvement ». La peinture, le vodou (selon la graphie choisie par l’auteur), le rara (fête et musique festive jouée dans les défilés) et le carnaval sont les attraits touristiques originaux d’Haïti qui prédominent dans ce volume. D’entrée de jeu, l’auteur présente le tourisme comme un levier, un espoir de développement économique d’Haïti. Pour se justifier, il introduit l’ouvrage par un extrait du discours de l’ancien président haïtien Durmarsais Estimé, prononcé le 15 juillet 1948 : « Le tourisme, le grand espoir d’Haïti (…) qu’il ne faut pas seulement compter sur l’agriculture ». Ce volume va plus loin que de présenter le tourisme culturel haïtien comme un support économique du développement. Il associe la culture et le patrimoine – matériel ou immatériel – trop souvent négligé, à des éléments favorisant non seulement la préservation et la valorisation de la culture et de l’identité haïtiennes, mais aussi la reconstruction du tourisme pour faire d’Haïti de nouveau une destination touristique, comme c’était le cas dans les années 1950.
Le volume s’organise en cinq chapitres. Le premier traite du paysage touristique du pays et des principales étapes de sa construction. On y explore en profondeur les deux éléments culturels vodou et peinture, qu’on établit comme les marqueurs touristiques de la destination Haïti. Avant d’aborder les étapes de la construction, l’ouvrage revient sur une synthèse documentée de concepts théoriques qui sont régulièrement utilisés pour décrire un pays : culture et identité. Cette partie est la moins originale du volume, dans la mesure où elle repose sur des extraits de textes littéraires et de déclarations d’auteurs. Néanmoins, elle nous donne une perspective croisée de sources scientifiques (citations, livres et articles), de déclarations d’hommes politiques et d’anthropologues, ainsi que d’emprunts aux arts, à l’ethnologie et au patrimoine. Il faut aussi mentionner quelques originalités, telles que l’énoncé sur la culture et l’identité au regard d’Haïti, la construction du vodou comme principal marqueur culturel et touristique, de même que la construction d’une peinture haïtienne (p. 16 à 37).
Le deuxième chapitre, « De l’exposition internationale aux différents plans de l’État haïtien », brosse un tableau historique de la construction du tourisme haïtien. Ce sont parmi les lignes les plus originales de l’ouvrage. On y présente un portrait historique spatiotemporel des phases de la construction de l’attraction touristique haïtienne, marquée par des moments glorieux tout comme par des moments de turbulences. L’histoire part de la première exposition internationale de Port-au-Prince (1949) après la Seconde Guerre mondiale, puis retrace la construction de plusieurs hôtels de grande classe (1950-1955), celle d’un nouveau stade (1952) pour diversifier l’attraction touristique et la vie sportive, ensuite le congrès international de philosophie qui a réuni des universitaires du monde entier à Port-au-Prince (1955), les crises politiques de l’ère de François Duvalier (1964) et le plan national de développement touristique (1972), sans oublier le plan directeur du tourisme (1996), actualisé en 2007 et en 2008.
Le troisième chapitre traite de manière spécifique du patrimoine touristique à Jacmel. Par sa localisation, ses plages dorées, son architecture ancienne et d’autres attraits, cette ville serait à l’origine du développement du tourisme haïtien. Ici, l’auteur colle vraiment à l’esprit de la collection « Patrimoine en mouvement », tout en rehaussant l’intérêt de certaines attractions touristiques du pays, dont son patrimoine architectural et sa culture. Partout au monde, chaque ville touristique est connue pour ses attraits particuliers. À Jacmel, Joseph Ronald Dautruche ne rate pas l’occasion de parler, entre autres, du carnaval et des festivités de rara qui ne cessent d’attirer les visiteurs à Haïti.
Le quatrième chapitre s’inscrit dans la continuité du précédent, sauf que la ville en vedette est Léogane. Le principal patrimoine que fait ressortir l’auteur est, là aussi, la traditionnelle fête de rara, l’une des activités culturelles les plus anciennes de toute la République d’Haïti. Cette tradition attire de plus en plus les touristes de la diaspora haïtienne désireux de retrouver la mémoire ou la culture de leur terre natale. L’auteur n’hésite pas à en faire une marque d’identité et de fierté pour les Léoganais. Il montre également les réalités et les expériences du tourisme sur le terrain, ainsi que la conception des pratiques culturelles de cette région.
Enfin, dans un dernier chapitre intitulé « Vodou et tourisme aux Gonaïves », Joseph Ronald Dautruche montre le vrai visage de son ouvrage en présentant un autre patrimoine culturel d’Haïti, cette fois le vodou. Connu comme une tradition culturelle variée et populaire, le vodou fait l’objet de grands débats. Certains observateurs considèrent que le couple tourisme-vodou n’est pas approprié, tandis que d’autres pensent tout le contraire. L’auteur ne prend pas position, mais il met en évidence des études, des déclarations et des discours qui valorisent le vodou, tout comme le rara et le carnaval.
Finalement, Joseph Ronald Dautruche nous présente un ouvrage apprécié qui donne quelques bons repères pour repenser le tourisme haïtien en faveur du développement économique, en mettant au premier rang le potentiel des patrimoines historique et culturel du pays. Pour lui, le patrimoine et l’histoire peuvent constituer le centre d’intérêt touristique original d’Haïti et pourraient permettre au pays de se tailler une place spéciale parmi les autres pays de la Caraïbe. On doit cependant regretter que l’ouvrage risque de laisser sur leur faim les lecteurs qui espéraient lire un chapitre ou une section relatant les problèmes et les défis élémentaires, socioéconomiques et sécuritaires, à relever dans les régions patrimoniales du pays avant même de repenser à ce type de tourisme.