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Sans remonter à l’article de Paul Vidal de la Blache dans la Revue de Paris, Régions françaises, qui datait de 1910, depuis l’ouvrage de Jean-François Gravier sur La question régionale, paru en 1970, et la publication de 1974 d’Étienne Juillard, La Région, contributions à une géographie générale des espaces régionaux, publication qui reprenait de nombreux articles de cet auteur talentueux, les analyses sur le fait régional se sont multipliées et, dans beaucoup d’États, dans le monde, le fait régional s’est affirmé. Toute nouvelle contribution sur ce thème est donc supposée apporter du neuf, tant dans l’orientation de la problématique que dans la mise en application des politiques régionales.
Comme tout ouvrage collectif collationné, sans être le résultat d’un colloque ou d’un séminaire bien centré, l’ouvrage de Lamarre et Mukakayuma n’est pas homogène. Il s’agit d’une collection de chapitres très inégaux sur une entité territoriale dont l’acception varie selon les auteurs. Terme polysémique, la région peut être infra « nationale », comme le Saguenay, ou englober plusieurs États, nations, territoires comme le Moyen-Orient. Il y a même un auteur qui traite des acteurs de Pikine − un quartier du grand Dakar −, et un autre, plutôt d’un canton que d’une région. Nous n’entrerons pas dans le détail de l’analyse de chaque chapitre que contient cet ouvrage, sauf pour pointer qu’il est parfois étonnant de noter, pour telle ou telle contribution, la surreprésentation de l’autocitation des publications de son auteur.
L’ouvrage se divise en trois parties : (1) Qu’est-ce qu’une région ? (2) Les modes de construction d’une région (3) Des régions géographiques comme espaces vécus. Ce sont des titres suffisamment généraux pour embrasser, en théorie, plusieurs facettes de la régionalisation, ce que le contenu réel des contributions ne traduit guère. Il est difficile d’accepter que l’état de l’art, tel qu’il est brossé ici, soit complet et à jour. Alors que de nombreux États s’engagent dans une politique de décentralisation et de régionalisation, alors que le débat est animé sur ces questions et sur les mécanismes et moyens à mettre en oeuvre, plusieurs auteurs demeurent très discrets sur ces montages administratifs et politiques. Les contributions demeurent très générales, très peu en prise, généralement, avec l’analyse des procédures en cours dans les institutions en charge des régions. Il s’agit souvent d’une vue de géographe de cabinet, plus ou moins théorique, fort peu ancrée dans les réalités concrètes, et de l’interterritorialité vécue et institutionnelle, ainsi que de l’action – elle aussi concrète –, des institutions régionales. Paradoxalement, les mises en perspective de Martin Vanier sur les territoires ne sont pas citées. Par ailleurs, les débats sur les actes I, II, III, etc. des décentralisations-régionalisations avancées ont pourtant scandé les dernières décennies. Pour ne prendre qu’un exemple, la thèse de doctorat d’État Villes et aménagement et les nombreux travaux de qualité d’Amadou Diop sur le Sénégal, dont sa contribution à une politique d’aménagement et de développement des territoires du Sénégal, auraient pu être un guide dans un effort de réflexion sur un renouvellement de l’approche de la question régionale. On bénéficie cependant dans cet ouvrage collectif d’un chapitre, concis mais dense, de Christian Vandermotten, « La région, fondement de la géographie ? »
Les éditeurs n’explicitent pas les choix qui ont présidé à la sélection des contributions sur quelques pays plutôt que d’autres (Québec et Canada, États subsahariens, Tunisie, RD Congo, Sénégal). Les études de cas sont juxtaposées sans que n’aient été présentés les degrés très divers de mise en contexte – les processus de déconcentration-décentralisation-régionalisation-territorialisation présentent des décalages profonds, d’un cas à l’autre. Plusieurs études datent, sans qu’une mise à jour n’ait été fournie pour des situations qui ont nettement évolué. Les temporalités sont également variables ainsi que les moyens mis en oeuvre pour construire une régionalisation. Regrettons également la grande hétérogénéité de l’illustration cartographique de ces contributions, dont certaines n’ont aucune figure illustrative et d’autres des documents de facture, d’échelle, de qualité et d’intérêt variables.
Les réflexions pionnières de la plupart des auteurs signalés au début de ce compte rendu ne sont guère retenues dans les contributions de cet ouvrage ; d’ailleurs ces auteurs ne sont pas cités, pas plus que de nombreux chercheurs publiant, depuis des décennies, sur le thème des territoires, de leur aménagement, de l’interterritorialité, de la décentralisation et de la régionalisation. Ce qui manque le plus à l’ouvrage, dont l’intérêt de la thématique est certain, c’est, d’une part, un recentrage clair de la problématique au lieu d’une juxtaposition hétéroclite et, d’autre part, de coller avec beaucoup plus de précision à la réalité des processus de régionalisation. Une collectivité territoriale – et donc une « région » – requiert trois critères : un territoire avec un périmètre faisant consensus, la levée de l’impôt dans ce cadre, l’élection démocratique, par suffrage direct, de ses élus et de son président. Il en est bien peu question dans ces pages, tout comme des relations que les régions entretiennent les unes avec les autres, et de celles qu’elles entretiennent avec les niveaux bas de la hiérarchie administrative territoriale, ou encore des relations nouées avec les strates supérieures (État, entité supra-étatique).