Article body

Introduction

Les sites de débarquement des produits de la pêche artisanale, tout comme les ports de pêche industrielle, sont des outils nécessaires à l’aménagement des pêches maritimes. Ils peuvent déterminer la qualité des produits débarqués, leur quantité, voire leur valeur économique ou financière. En 2016, la modernisation des sites de pêche à travers le monde, a permis à la production halieutique mondiale d’atteindre 171 millions de tonnes (FAO, 2018). C’est dire que, de tout temps, les sites ou points de débarquement ont influé sur les performances de la pêche maritime artisanale de nombreux pays comme la France (Meyer-Sable, 2003 ; Fichou, 2003) ou la Guinée (Chavance et al., 1994), par exemple.

En ce qui concerne le Gabon, la fin des années 2000 a vu le Projet d’appui au secteur des pêches et de l’aquaculture (PSPA)[1] s’engager dans l’amélioration de certains points de débarquement sur des lieux considérés stratégiques, à savoir Cocobeach et Kango dans la province de l’Estuaire, Gamba et Omboué dans l’Ogooué Maritime, Makokou dans l’Ogooué Ivindo, Ebel-Abanga dans le Moyen Ogooué et Mayumba dans la Nyanga. Ces aménagements visaient, notamment, la mise en place de quelques infrastructures de base nécessaires à l’activité halieutique, ainsi que l’assainissement de l’environnement pour les pêcheurs et la clientèle. Mais sur les sept points de débarquement prévus, un seul, celui d’Ebel Abanga, vit le jour, à cause des problèmes auxquels fut confronté le PSPA dans son exécution.

Le Gabon est situé sur la côte occidentale de l’Afrique, dans le golfe de Guinée (figure 1). Il bénéficie d’une large ouverture sur la mer, grâce à une côte de 950 km de long (Pottier et al., 2017), la deuxième après celle de l’Angola, qui s’étend sur 1 600 km.

Au nombre de ses activités maritimes, figure la pêche, qui s’articule autour d’une filière industrielle et d’une autre artisanale. Au regard des statistiques de la FAO (2020), la production halieutique gabonaise montre une tendance baissière, notamment sur la période 2009-2018[2]. Par ailleurs, cette production se caractérise par un faible volume de captures, que ce soit en comparaison avec le Maroc, premier producteur africain, qui a débarqué 1 330 204 tonnes en 2018 là où le Gabon n’en a fourni que 18 000, ou en tenant compte du fait que le pays dispose d’un potentiel biologique estimé à 140 000 tonnes de poisson pélagique et 29 000 tonnes d’espèces benthiques (COREP, 2008). Ces faibles performances sont la conséquence, notamment, d’un outil de production obsolète dans le secteur industriel, ou peu performant dans la pêche artisanale avec des pirogues en nombre limité et astreintes à une navigation essentiellement côtière.

La quasi-totalité de la production nationale est consommée sur place, sur les zones de débarquement ou à proximité. Aux dires des pêcheurs, une infime quantité, difficile à estimer, est vendue dans l’hinterland. De même, certains produits de luxe comme la crevette sont exportés vers l’Union européenne, tandis que la sardine fumée emprunte des circuits illégaux en direction du Cameroun, de la Guinée équatoriale, voire du Nigeria, malgré les efforts de l’administration pour réguler ce commerce.

La pêche artisanale débarque davantage de tonnage que sa contrepartie industrielle, soit 20 000 tonnes contre 8 600 en 2016. En outre, elle mobilise plus de 2 000 marins pêcheurs artisans contre près de 300 dans le secteur industriel (DGPA, 2017a). La pêche artisanale est une activité individuelle ou familiale, où le propriétaire est bien souvent aussi l’exploitant (Durand et al., 1991 ; Noël et Le Sauce, 2014). Elle fait usage de technologies relativement simples (FAO et World Fish Center, 2008). Le Code des pêches et de l’aquaculture de la République gabonaise (2005) la définit comme « [l]a pêche pratiquée individuellement ou collectivement à des fins de commercialisation par des marins non-inscrits au rôle d’équipage et dotés de moyens techniques relativement performants et ne nécessitant pas des investissements lourds » (article 5).

Compte tenu des impératifs de préservation des ressources, la pêche, notamment artisanale, s’inscrit de plus en plus dans une perspective de développement durable. À cette fin, de nouveaux outils de gestion des ressources ont été mis en place. C’est ainsi qu’en 2017, ont été créées des aires marines protégées, précisément des aires protégées aquatiques, qui se déclinent en parcs marins et en réserves aquatiques (Bignoumba, 2018). Outre l’action directe sur les ressources halieutiques, la gestion durable des pêches appelle également une amélioration des infrastructures, entre autres, des sites de débarquement des produits de la pêche maritime artisanale.

FIGURE 1

Le Gabon dans le golfe de Guinée

Le Gabon dans le golfe de Guinée
Conception: Google Maps, 2020. Adapté par le Département de géographie de l’Université Laval

-> See the list of figures

Le pays accorde un intérêt accru au développement de son activité halieutique. Cette volonté est clairement exprimée dans le Plan stratégique Gabon Émergent (PSGE)[3] qui, depuis 2009[4], constitue le cadre de référence conceptuel des politiques publiques au Gabon. La pêche maritime y trouve place, notamment au titre du « Gabon bleu » qui vise une meilleure valorisation des ressources marines du pays (Bignoumba, 2018). Les pouvoirs publics entendent oeuvrer à l’aménagement des pêches pour garantir la durabilité des ressources. Les moyens pour y parvenir sont divers. Ils vont du renforcement des capacités des pêcheurs à l’amélioration de l’outil de production. Mais on veut également agir sur les sites de débarquement, dont le rôle dans la gestion des ressources halieutiques n’est pas toujours perçu à sa juste valeur. L’aménagement des pêches doit être entendu ici comme un « processus intégré de rassemblement de l’information, d’analyse, de planification, de consultation, de prise de décisions, de répartition des ressources et de formulation et d’application des règlements et des règles qui régissent les activités halieutiques […] visant à maintenir la productivité des ressources et à assurer la réalisation des autres objectifs de la pêche » (FAO, 2005 : 3).

Sur l’ensemble du territoire national, les sites de débarquement des produits de pêche maritime artisanale se caractérisent, sauf en de rares exceptions, par un aménagement des plus sommaires, dénué de tout équipement ou infrastructure. Néanmoins, la pêche artisanale débarque plus de produits que la pêche industrielle. En plus, la filière artisanale crée des milliers d’emplois directs et indirects (DGPA, 2015). Dans ce contexte, la question se pose de savoir si les sites de débarquement de la commune d’Owendo, représentatifs de ceux de l’ensemble du territoire national, peuvent contribuer à l’aménagement des pêches, en d’autres termes, à une exploitation durable des ressources halieutiques. On peut y répondre en émettant l’hypothèse que les sites de débarquement ont effectivement un rôle à jouer dans l’organisation de la filière artisanale en permettant un meilleur contrôle des débarquements et des activités usuelles des pêcheurs. Au minimum, ces sites facilitent la collecte des données statistiques de base, opération nécessaire au suivi des activités de pêche et, par conséquent, à une meilleure gestion des ressources. Cette gestion ne peut s’envisager sérieusement qu’en prenant aussi en compte le rôle des sites de débarquement, qui constituent l’un des tout premiers lieux de socialisation des acteurs de la pêche maritime artisanale au Gabon.

Notre objectif, dans cette réflexion, est d’attirer l’attention des autorités administratives sur la nécessité d’aménager les sites de débarquement, qui constituent un des segments-clés de l’espace halieutique, et de les sortir de la clandestinité. Celle-ci constitue un frein à une meilleure visibilité de l’activité des marins pêcheurs artisans et, par conséquent, un obstacle au suivi et contrôle de cette activité. Ces sites de débarquement sont les pôles structurants de la pêche maritime artisanale au Gabon, comme le sont les espaces halieutiques qui abritent des organismes portuaires plus élaborés dans le cadre d’une pêche industrielle (Corlay, 1979). Les sites de débarquement occupent une position stratégique au sein de l’espace halieutique. Ils constituent, à la fois, des lieux de rupture de charge des produits pêchés, des espaces de vente ou de distribution, voire de traitement des produits, en même temps que des centres de contrôle des pratiques de pêche par l’administration. Ils se trouvent donc au coeur d’une diversité d’activités dont la connaissance et le contrôle favorisent la gestion des ressources.

Au-delà de la rationalisation des captures, ou de toute autre mesure de gestion des pêches, une activité halieutique se voulant durable doit s’appuyer également sur des infrastructures et équipements viables, destinés notamment au débarquement des produits de pêche. Après avoir présenté la méthodologie de notre étude, nous exposerons les résultats obtenus par la collecte des données, avant d’ouvrir la discussion.

Méthodologie

L’étude porte sur la commune d’Owendo. Outre le travail de documentation, elle a donné lieu à des enquêtes de terrain dans les villages de pêcheurs couverts par l’étude ainsi qu’auprès de certains responsables de l’administration des pêches.

Choix de la zone d’étude

Les sites concernés par cette étude sont Alénakiri, Parc à Bois, Pont Nomba et Razel (figure 2). Ils sont situés sur le littoral de la commune d’Owendo, au sud de l’agglomération librevilloise. Owendo, qui a prêté son nom au complexe industrialo-portuaire éponyme, concentre plusieurs activités, notamment la pêche maritime artisanale qui s’organise autour de plusieurs sites de débarquement (figure 2).

Le choix d’Owendo tient à l’histoire de cette commune qui, de tout temps, a abrité les villages de pêcheurs parmi les plus peuplés du pays, notamment Grand Village et Petit Village avant leur démolition, en 2002, pour des motifs supposés d’insécurité (Loungou, 2014). Sur les 2 227 pêcheurs que compte l’agglomération de Libreville, 642 − soit 24 % − se trouvent à Owendo (ANPA, 2014). Le fait que la commune d’Owendo a accueilli, en 1984, le premier centre communautaire de pêche maritime artisanale du Gabon, avec l’appui de la coopération espagnole, ne doit rien au hasard. On entendait ainsi confirmer le rôle d’Owendo comme plaque tournante de la pêche maritime artisanale au Gabon.

Aujourd’hui tombé en désuétude, ce centre communautaire était entièrement voué à la promotion de la pêche maritime artisanale. Comme tous ceux qui ont suivi à Libreville, Port-Gentil, Omboué et Lambaréné (Bignoumba, 2006 et 2007), il avait vocation à fournir les marins pêcheurs artisans en glace et en carburant pour la marée et à mettre à la disposition des vendeuses de poissons, des espaces salubres à l’intérieur d’un bâtiment sécurisé disposant de chambres froides pour la conservation sous froid de leurs produits.

FIGURE 2

Localisation des sites de débarquement à Owendo

Localisation des sites de débarquement à Owendo
Source: Google Earth, Enquête de terrain, 2020. Adapté par le Département de géographie de l’Université Laval

-> See the list of figures

Mis à part le débarcadère de Pont Nomba, ouvert à toutes les communautés de pêcheurs sans exclusivité, les autres sites concernés par cette étude abritent des pêcheurs d’origine nigériane de l’ethnie idjo, naguère basés à Grand Village et Petit Village.

Collecte de données

Notre travail s’appuie sur une documentation indigente sur le sujet. À cet effet, nous avons pris connaissance du cadre réglementaire qui entoure l’exercice de la pêche au Gabon, notamment la Loi no 15/2005, portant le Code des pêches et de l’aquaculture, ainsi que l’arrêté no 00006/MEFPEPGDE/SG/DGPA du 23 janvier 2017, fixant les points de débarquement dans les pêches artisanales maritimes de Libreville, d’Owendo et d’Akanda. Nous avons également pris connaissance des orientations du Plan stratégique Gabon Émergent (PSGE, 2012), qui accorde une attention particulière au secteur de la pêche, notamment dans le cadre du pilier Gabon bleu[5]. En effet, pour le PSGE (2012 : 100), « [l]e développement des infrastructures permet de développer une pêche durable, une industrie de transformation et une forte valeur ajoutée domestique ». Les données statistiques tirées des rapports d’activités de l’Agence nationale des pêches et de l’aquaculture (ANPA, 2014) ainsi que de la Direction générale des pêches et de l’aquaculture (DGPA, 2014 et 2017b) ont également été exploitées. Outre la recherche de ces données officielles, souvent irrégulières, voire lacunaires, un travail de terrain a été effectué en mars 2020. Il a donné lieu à plusieurs entretiens semi-directifs avec des marins pêcheurs artisans et certains responsables du Service des pêches maritimes artisanales à la Direction générale des pêches et de l’aquaculture, à Libreville.

Les entretiens avec les personnes-ressources de la DGPA nous ont instruits sur les difficultés auxquelles est confrontée l’administration dans la gestion des pêches maritimes. L’une de ces difficultés tient à la dispersion des sites de débarquement et à leur aménagement sommaire, voire inexistant, qui constitue une contrainte pour le contrôle des activités halieutiques sur le terrain, certains sites étant difficiles d’accès, de façon permanente ou saisonnière.

Pour la collecte des données sur le terrain, nous avons procédé à une observation participante avec administration d’un questionnaire aux pêcheurs. L’enquête s’est déroulée en deux phases : la pré-enquête et l’enquête proprement dite. La première a consisté à prospecter la zone d’étude et à répertorier les sites existants. La seconde phase a permis de retenir chaque site comme étant une composante de l’enquête. Chaque composante comprend un responsable de site et des collaborateurs chargés de répondre à la rubrique « sites de débarquement » du questionnaire. Sur chaque site, ont été listées les unités de pêche, constituées d’une embarcation et d’un équipage, et choisies de façon aléatoire. Ces unités doivent répondre à la rubrique « unité d’équipage » du questionnaire. Dans chaque unité de pêche, un membre d’équipage a été choisi au hasard pour répondre, au nom du groupe, à la rubrique « ménage » du questionnaire.

Sur la base de cette procédure, les membres d’équipage choisis sont représentatifs de tous les autres membres du site de débarquement. Les unités de pêche sélectionnées sont également représentatives de toutes les unités de pêche répertoriées sur le site. La rubrique « site de débarquement » permet de décrire le site, notamment son environnement. La composante « unité d’équipage » fournit des informations générales sur la flottille, à savoir le type de pirogues, leurs caractéristiques, les activités à bord des pirogues ainsi que la quantité de produits débarqués. Quant à la rubrique « ménage », elle renseigne sur les sources de revenus, le statut matrimonial, les conditions de vie, en rapport avec les conditions de logement et d’existence sur le site. Toute cette information a permis de mieux cerner l’environnement professionnel et social des pêcheurs.

Quelque 181 pirogues et près de 500 pêcheurs ont été dénombrés, dont 286 à Pont Nomba et 187 à Alénakiri. Ainsi, 27 pêcheurs ont-ils fait l’objet d’une enquête, sur la base de 27 unités de pêche réparties de la manière suivante : 10 à Alénakiri, 13 à Razel, 3 à Parc à Bois et 1 à Pont Nomba. Les pêcheurs ont constitué les principales cibles de l’étude. Leur suivi s’est effectué à partir de leurs embarcations, qu’il est souvent plus aisé de répertorier lorsqu’elles se trouvent sur le littoral (UEMOA, 2014), sur une plage par exemple. Les entretiens avec les pêcheurs ont permis, notamment, d’en connaître davantage sur leur vécu quotidien, à la fois dans leurs pratiques, leurs difficultés et leurs espoirs. Beaucoup ont déploré la réduction progressive de leurs zones de pêche, du fait de la création des aires marines protégées. Il s’ensuit une certaine saturation des territoires de pêche disponibles et une diminution des rendements en conséquence. « À cause des parcs marins, la pêche est devenue difficile. On ne peut plus pêcher partout, n’importe quand. Les agents du parc surveillent tout. On ne gagne plus comme avant. Mais on va faire comment, c’est l’État, il faut respecter », se lamente A.K. un pêcheur d’EWOUZOU 2, une des associations de marins pêcheurs artisans de l’agglomération de Libreville .

Ce travail de terrain s’est heurté à quelques difficultés, notamment la méfiance des pêcheurs, qui rechignent souvent à s’ouvrir à toute personne étrangère à leur communauté, en dépit des assurances données. Cela rend problématique la collecte de renseignements, comme ceux relatifs aux revenus tirés de la pêche. Une telle information aurait permis d’évaluer la contribution de cette activité au bien-être des pêcheurs et autres acteurs de la filière. On peut également déplorer les défaillances de l’administration des pêches à produire et fournir régulièrement des données statistiques fiables sur un secteur complexe d’activités. Ces contraintes ont, sans doute, altéré quelque peu la qualité de certaines analyses.

Résultats

L’exploitation de la documentation disponible, les enseignements tirés des différents entretiens ainsi que nos observations sur le terrain révèlent une forte activité halieutique autour des débarcadères ou sites de débarquement, de même qu’une défaillance des infrastructures de pêche, en particulier des sites de débarquement.

Une forte activité halieutique sur les débarcadères

Selon l’arrêté relatif aux points de débarquement dans les pêches artisanales de Libreville, d’Owendo et d’Akanda[6], seul le site d’Alénakiri est homologué à ce jour. Il le doit à son accessibilité aisée, à sa superficie d’au moins 400 m² et à la commercialisation de 10 kg de poissons au minimum par jour[7]. Les sites de Razel, Parc à Bois et Pont Nomba[8] ne bénéficient pas du même statut, bien que leur niveau d’activité halieutique corresponde à peu près à celui d’Alénakiri.

Les débarcadères concernés par cette étude (figure 3) font partie, selon la classification de l’administration des pêches, de la strate mineure Pont Nomba[9]. En réalité, ce sont, dans leur quasi-totalité, des campements investis par des communautés de pêcheurs originaires d’Afrique de l’Ouest (Ijff, 1991). Ces communautés y organisent toutes leurs activités, aussi bien sociales qu’économiques. Pont Nomba a beaucoup perdu de son dynamisme, après la destruction des villages qui lui étaient attachés, et qui faisaient partie des plus grands foyers communautaires de pêche dans l’agglomération librevilloise, voire au Gabon. Aujourd’hui, ses activités gravitent modestement autour de la distribution de carburant aux pêcheurs par la station-service Pétro-Gabon qui y a été installée. Il continue cependant d’être un des hauts lieux de vente de poisson de Libreville en raison de son accès aisé. On peut en effet s’y procurer, au détail ou en gros, du poisson frais débarqué quotidiennement par des pêcheurs restés fidèles au site, ou transformé sous forme salée, séchée ou fumée. D’autres commerces (restauration, vente de produits agricoles, etc.) s’y sont également implantés.

Par ses constructions en dur, qui abritent notamment des services administratifs, comme ceux de la Brigade nautique de la Police nationale, Pont Nomba est de loin mieux aménagé qu’Alénakiri, Parc à Bois et Razel. Ces trois derniers sites apparaissent davantage comme des échouages constitués de quelques cases en bois. La vie ici est tout entière consacrée à la pêche : capture, vente, fumage, salage et séchage de poissons. Grâce à la diversité de leurs activités, les sites de débarquement d’Owendo font encore partie des principaux pôles d’activités de pêche maritime artisanale de l’agglomération librevilloise, d’autant que les mises à terre effectuées ici ne sont pas négligeables.

Un volume de débarquement non négligeable

Les enquêtes de terrain ont montré que les quatre débarcadères de la zone d’étude mettent à terre un volume estimé à 13,5 tonnes par marée, ce qui correspond à 67,5 tonnes par semaine, sur la base d’une moyenne de cinq marées hebdomadaires. La production mensuelle est évaluée à 270 tonnes, soit un total annuel de 3 240 tonnes. En considérant les 20 000 tonnes qui représentent le total de la production annuelle du secteur artisanal de pêche maritime au Gabon, les quatre sites d’Owendo fournissent près de 16 % de la production nationale. Dans le détail de la zone d’étude, Alénakiri produit 1 523 tonnes, soit 47 % des captures. Il est suivi de Razel avec 1 328 tonnes (41 %), de Parc à Bois avec 356 tonnes (11 %) et de Pont Nomba qui enregistre 32 tonnes (1 %) (figure 4). Malgré la présence de quelques pêcheurs, ce dernier site est aujourd’hui davantage un marché aux poissons qu’un lieu de débarquement post-marée.

Les captures d’Alénakiri, Parc à Bois et Razel se composent de poissons benthiques, notamment de bars (Pseudotolithus sp), rouges (Lutjanus sp), grands capitaines (Polydactylus quadrifilis), bossus (Pseudotolithus elongatus), etc. Pont Nomba, en tant que centre de distribution de poissons frais ou transformés, offre une gamme plus élargie, comprenant quasiment tous les échantillons d’espèces débarquées à Libreville. Les femmes détiennent le monopole de la commercialisation du poisson, à Libreville comme sur l’ensemble du pays, comme partout en Afrique sub-saharienne (Anoh et Koffié-Bikpo, 1999).

Sur la base d’un prix de vente moyen de 1 800 francs CFA par kg à la pirogue (DGPA, 2015), les quatre sites produisent 5 832 000 francs CFA[10]. Quoique modestes, ces données révèlent l’importance de la pêche maritime artisanale en termes de valeur économique, d’où la nécessité d’un meilleur encadrement, d’autant que la pêche artisanale crée 82 % des emplois directs, dont 31 % dans le secteur maritime (DGPA, 2014). C’est dire que le développement des pêches au Gabon constitue un facteur de croissance économique, de diversification économique, de création d’emplois, de sécurité alimentaire, etc. (Barret et Houston, 2014). Cette rentabilité économique est conditionnée par le rendement, qui dépend lui-même de la qualité et de la diversité d’une flottille de pêche exclusivement piroguière.

FIGURE 3

Vue partielle des sites de débarquement

Vue partielle des sites de débarquement
Source: Bolé-Baïzoumi, 2019

-> See the list of figures

FIGURE 4

Distribution des débarquements par site en 2019

Distribution des débarquements par site en 2019
Enquêtes de terrain, 2019

-> See the list of figures

Une flottille dominée par des pirogues d’origine allochtone

La pêche maritime artisanale au Gabon fait usage d’une diversité de types de pirogues, qui se distinguent par leur taille et leur matériau de fabrication. Les pêcheurs installés à Owendo utilisent des pirogues de 6 et 12 mètres (figure 3). Sur un total de 181 pirogues inventoriées dans les quatre débarcadères, celles de 12 mètres, fabriquées à l’aide de planches prédominent. Elles ont une forme incurvée qui fait leur succès auprès des pêcheurs ouest-africains, en raison de leur robustesse et de leur stabilité en mer. Les équipages nigérians et ghanéens, qui les utilisent particulièrement, peuvent comprendre de 8 à 10 hommes. Par ailleurs, elles transportent jusqu’à 600 kg de poisson après trois jours de marée. Ces pirogues, équipées d’un moteur hors-bord de 25 à 40 chevaux, symbolisent le dynamisme des pêcheurs nigérians et ghanéens (Lembe, 2014). Selon l’origine ethnique des pêcheurs, les embarcations offrent deux variantes, lesquelles se distinguent par le mode de fixation du moteur à la poupe. Chez les Nigérians, le moteur est calé sur une cloison intérieure grâce à une ouverture taillée dans l’embarcation. Du côté ghanéen, il est monté à l’extérieur de la pirogue sur un chevalet de bois de forme triangulaire. Ce type de pirogue s’accommode de l’usage de sennes tournantes[11] et de filets maillants à ethmaloses[12].

Cependant, les pêcheurs sont confrontés à plusieurs difficultés qui sont de nature à gêner leurs activités. Par exemple, les trop nombreuses pannes de moteur réduisent le nombre de marées, ce qui affecte les rendements, donc les bénéfices. Le coût du carburant, jugé exorbitant à 670 francs CFA le litre, grève également la rentabilité des marées. Enfin, le déguerpissement, en 2012, des pêcheurs installés dans la commune d’Owendo, notamment à Pont Nomba, a eu de lourdes conséquences sur la pêche artisanale par le fait qu’il a entraîné une diminution radicale du nombre de pêcheurs. Même si l’administration n’a pas été en mesure de produire des chiffres sur cet événement, les témoignages recueillis auprès des pêcheurs en soulignent cependant l’ampleur. En effet, du jour au lendemain, beaucoup de pêcheurs ont quitté le Gabon, tandis que d’autres se sont reconvertis dans des activités différentes ou ont changé de localité. Ces départs massifs, continuent de poser de sérieux problèmes quant au renouvellement des effectifs, d’autant que les procédures administratives qui permettaient naguère de faire venir des pêcheurs de l’étranger se sont complexifiées. Un patron pêcheur rencontré au cours de nos enquêtes n’a pas manqué de souligner cette situation qui constitue aujourd’hui une véritable contrainte à la viabilité des équipages. À l’heure actuelle, les sites de débarquement dans la zone d’étude révèlent de grosses carences en infrastructures.

Des infrastructures de débarquement inexistantes

À ce jour, la pêche maritime gabonaise demeure une activité peu développée, en raison notamment du sous-équipement de ses infrastructures portuaires (Bignoumba, 2010). Dans le cas de la pêche artisanale, il s’agit de sites de débarquement qui s’égrainent le long du littoral, favorisés en cela par l’exemption d’un aménagement massif (Bignoumba, 1998). Les carences en infrastructures dans la pêche maritime artisanale illustrent, à bien des égards, la situation de la pêche maritime en général au Gabon. Malgré les discours et engagements officiels, cette activité est encore loin de constituer une priorité des politiques publiques.

En effet, depuis les années 1960, les pouvoirs publics ont toujours promu, en priorité, l’économie de rente fondée sur l’exploitation des diverses matières premières que possède le Gabon, notamment le bois, le manganèse, le pétrole et l’uranium. Le pétrole a de tout temps occupé une place particulière dans le dispositif économique du pays. Bien qu’en recul ces dernières années, il constitue encore le moteur de l’économie nationale, grâce à une contribution de 45 % au PIB (Banque mondiale, 2015) contre 1,5 % pour la pêche dans son ensemble (FAO, 2005). Mais la baisse de la production pétrolière appelle résolument à la diversification de l’économie nationale, ce que traduit aujourd’hui l’intérêt accru accordé aux secteurs économiques dits hors pétrole, et dont la pêche fait partie. Par ailleurs, le solde commercial des produits de pêche présente un profil si déséquilibré au détriment du Gabon que le pays a tout à gagner en développant son secteur halieutique (Bignoumba, 2005). En ce qui concerne la pêche, notamment artisanale, on note, en dépit de réels atouts[13], plusieurs difficultés, dont celles relatives à l’insuffisance des aménagements nécessaires à l’accostage des pirogues.

Carence en infrastructures d’accostage des pirogues

Au retour de la marée, les pêcheurs doivent débarquer leur cargaison. Dans le meilleur des cas, une telle opération doit bénéficier des ouvrages et équipements appropriés, notamment pour l’accostage des embarcations en vue de la manutention des produits. Or ici, les sites de débarquement ne disposent d’aucun aménagement adéquat. Il n’existe ni quai ni appontement sur l’ensemble des sites. Les pirogues sont parquées sur une berge sommairement aménagée et non stabilisée, sans garantie de sécurité. Dans certains cas, la pirogue est simplement tirée sur la plage, si nécessaire à l’aide d’un rondin. À Alénakiri et Razel, les pêcheurs utilisent des billes de bois, piquets, ou barres de fer pour l’amarrage de leurs embarcations.

Mais ces astuces ne suffisent guère à sécuriser les esquifs, les moteurs et les engins de pêche. C’est le cas notamment lors des grandes pluies ou de tempêtes, le matériel exposé aux intempéries risquant d’être emporté à tout moment. De même, l’inexistence d’ateliers de réparation pour l’entretien du matériel de pêche contraint les pêcheurs à travailler en plein air (figure 5). Outre l’absence des équipements, se pose également celle du matériel nécessaire au conditionnement du poisson, avant sa transformation sous les diverses formes traditionnelles[14].

Absence d’équipements adéquats de valorisation des captures

La transformation et la commercialisation sont les principaux modes de valorisation des produits de la pêche artisanale. Mais avant ou après la transformation, voire au moment de la vente, il faut bien assurer la conservation des produits dans des conditions adéquates. Or, en ce qui concerne la conservation, seule une minorité de pêcheurs est en mesure de conserver ses produits sous froid durant la marée. Ils y parviennent en emportant une quantité suffisante de glace, dans des glacières ou des congélateurs usagés. Les autres étalent leur poisson à l’air libre dans la pirogue, ce qui les contraint souvent à écourter leur marée pour éviter une décomposition des produits sous l’effet de l’exposition au soleil.

Des pondeuses à glace ont été installées sur certains sites de pêche. C’est le cas à Pont Nomba et à Razel, où le sac de glace de 50 kg coûte 2 000 francs CFA. À titre d’exemple, une unité de pêche à la senne tournante, effectuant quatre marées quotidiennes par semaine (Lembe, 2014), consomme en moyenne deux sacs de glace de 50 kg par marée.

Outre la conservation des produits durant la marée, on doit également se préoccuper de la conservation à terre, une fois le produit débarqué. Or, cette conservation n’est possible qu’après transformation des produits sous les formes traditionnelles à l’aide de fumoirs rudimentaires (figure 6). Les fumoirs sont montés avec des matériaux de récupération. Le traitement des produits s’effectue au sein du village, dans des conditions peu salubres. Il arrive que des produits qui viennent d’être traités soient exposés à l’air libre, sur une bâche posée à même le sol, en attendant d’être vendus. C’est le cas un peu partout, même à Alénakiri où le site est pourtant homologué par l’administration.

Les conditions d’hygiène y sont pour le moins déplorables, notamment par manque de lieux d’aisance. On observe également diverses formes de pollution domestique et industrielle (figure 7).

La figure 7 montre que tous les sites de débarquement d’Owendo sont affectés par la pollution due aux eaux usées. Les débarcadères de Parc à Bois et de Razel, situés à proximité des usines de transformation de bois, sont quotidiennement souillés par les eaux de ruissellement provenant des industries situées en amont des sites, mais aussi par celles issues de l’écaillage du poisson. Par ailleurs, le site de Razel est régulièrement touché par des inondations lors des grandes pluies en raison de l’obstruction, par les déchets ménagers, du cours d’eau qui traverse le débarcadère. Quant à Alénakiri, il souffre des pollutions domestiques dues à la proximité des habitations et à l’absence d’un système de collecte d’ordures.

Discussion

Les sites de débarquement de pêche artisanale de la commune d’Owendo ont besoin de modernisation pour devenir plus opérants dans le cadre d’une gestion durable des ressources. À titre de rappel, il convient d’indiquer que, pour le géographe, l’aménagement des pêches intègre trois volets. Il y a d’abord l’espace de production, ou l’avant-pays halieutique, c’est-à-dire le lieu où s’effectuent les captures, compte tenu des impératifs de leur rationalisation. Il y a ensuite les pôles structurants, à savoir tout lieu de mise à terre des captures, à partir d’où on prend la mer et d’où l’on en revient. Dans le cas d’espèce, il s’agit des sites de débarquement. Enfin, se trouve l’espace de consommation ou de distribution des produits, l’arrière-pays halieutique, à savoir tout lieu, plus ou moins lointain, où sont écoulés les produits de pêche.

Ces trois volets, en apparence séparés, ne constituent en réalité qu’une seule entité, intégrée, qui forme l’espace halieutique ou le géosystème halieutique cher à la géographie française (Corlay, 1979 ; Cormier-Salem, 1995). Les activités de pêche doivent donc, à la fois, porter la qualité et la quantité des produits pêchés et en même temps minimiser les effets néfastes sur l’environnement. L’aménagement des pêches renvoie donc à l’optimisation des captures dans une perspective de préservation des ressources. Pour y parvenir, il importe de disposer, au plan matériel, de tous les outils nécessaires à cet objectif de rationalisation des captures et, plus généralement, de l’activité halieutique. Par leur modernisation, les sites de débarquement, qui jouent un rôle important dans le fonctionnement de l’espace halieutique et la qualité de l’activité de pêche (Le Bail, 1984 ; David, 1987 ; Naji, 2002), constituent un maillon essentiel à une gestion durable des ressources halieutiques.

FIGURE 5

Atelier de carénage à Alénakiri

Atelier de carénage à Alénakiri
Source: Bolé-Baïzoumi, 2019

-> See the list of figures

FIGURE 6

Fours traditionnels de fumage de poisson à Alénakiri et Razel

Fours traditionnels de fumage de poisson à Alénakiri et Razel
Source: Bolé-Baïzoumi, 2019

-> See the list of figures

Du site de débarquement au point de débarquement aménagé

Le passage du site de débarquement au point de débarquement aménagé répond à la professionnalisation du secteur halieutique, en particulier de la pêche artisanale, dans le cadre de l’amélioration des conditions de travail des pêcheurs, de la valorisation des produits de pêche et de la formalisation des activités annexes (COMHAFAT, 2009 et 2010). La professionnalisation du secteur halieutique implique, notamment, la modernisation des infrastructures de débarquement, dont le rôle est important dans l’aménagement des pêches et plus largement la durabilité des ressources, dans une perspective de développement durable. Pour Anoh (2010), citant Harribey (1998), le développement durable s’applique à toutes les activités. Le chercheur ajoute, en ce qui concerne la pêche, que ce principe renvoie à une activité qui s’intègre aux impératifs économiques de production, à ceux relatifs aux mesures de protection de la nature et de contrôle des ressources exploitées, en même temps qu’aux objectifs de bien-être social pour les communautés de pêcheurs. Un atelier tenu à Tanger, au Maroc (COMHAFAT, 2017), a reconnu ce rôle primordial joué par les points de débarquement aménagés dans l’épanouissement de la pêche artisanale. En Mauritanie, l’aménagement des points de débarquement est considéré crucial dans la stratégie de développement de la pêche maritime artisanale, d’où les efforts entrepris en ce sens, notamment sur le site de Tiwlit (UE et OIT, 2020).

FIGURE 7

Les types de pollution sur les sites de pêche

Les types de pollution sur les sites de pêche
Conception: Bolé-Baïzoumi, 2019

-> See the list of figures

L’aménagement des sites de débarquement est donc une nécessité. Le Centre d’appui à la pêche artisanale de Libreville (CAPAL), dans la commune de Libreville, constitue à cet égard un bel exemple d’un cadre approprié pour les activités d’une pêche artisanale moderne. Inauguré le 6 septembre 2011, le CAPAL est un don de L’Agence japonaise de coopération internationale (JICA). D’accès facile, ce centre géré par l’administration offre aux pêcheurs un abri sécurisé pour leurs embarcations, des infrastructures adéquates pour la manutention des produits et des intrants pour la marée. Aux commerçants, il met à disposition, un abri protégeant des intempéries ainsi qu’un cadre de travail salubre et sécurisé (Bignoumba et Mambani, 2017). Les clients y trouvent également satisfaction par l’accessibilité du centre, la qualité de son environnement, la diversité des espèces proposées à la vente ainsi que la justesse des prix grâce à l’installation des instruments de pesage homologués par l’administration, dans le cadre de la lutte contre la vie chère.

Les points de débarquement aménagés permettront à l’administration d’avoir un meilleur contrôle de l’activité halieutique sur les lieux de débarquement. Elle pourrait ainsi disposer des informations de première main sur les quantités et les espèces débarquées, le matériel utilisé, les zones de pêche fréquentées, le nombre de pêcheurs en activité, l’état sanitaire des produits, etc.

L’étude propose un modèle de site de débarquement modernisé à partir de l’exemple d’Alénakiri (figure 8), d’autant que ce site est homologué par la DGPA pour avoir satisfait à ses critères, notamment, son extension sur une superficie d’au moins 400 m2, son accès facile et son réseau d’adduction d’eau[15]. Envisager Alénakiri comme point de débarquement aménagé suppose la mise en place de certaines infrastructures comme les quais ou appontements facilitant l’accostage et l’amarrage des pirogues. Ces infrastructures devraient s’étendre à terre, incluant notamment des halles à marée et des unités de production de glace. La sécurité des pêcheurs et de la clientèle, par l’érection d’une clôture d’enceinte et l’éclairage du site, y est également prise en compte, tout comme l’assainissement du site par l’aménagement de lieux d’aisance.

Un réseau d’eau potable y serait également installé pour améliorer les conditions d’hygiène sur le site, lequel devrait comporter des infrastructures de conservation, de transformation et de commercialisation des produits mis à terre. Il s’agit, notamment, des chambres froides, des dalles de séchage et de salage ainsi que des halles de vente avec des étals mis à la disposition des vendeurs de poisson. Des fours améliorés sont aussi à prévoir. Ils permettraient de garantir la qualité du poisson fumé, fort recherché au Gabon et dans la sous-région d’Afrique centrale, voire au-delà, comme au Nigéria. À tous ces équipements et infrastructures s’en ajouteraient d’autres pour la fabrication des pirogues, l’entretien des pondeuses à glace, la distribution de carburant, la réparation des moteurs hors-bord et la vente des pièces de rechange. Les points de débarquement aménagés devraient être cogérés par l’administration et les pêcheurs[16].

Cogestion des sites de débarquement

Dans le domaine des pêches, la cogestion demeure un processus fondé sur la collaboration et l’inclusion en matière d’application de la réglementation et de prise de décision, notamment. Elle appelle au partage des responsabilités entre différents acteurs du monde halieutique (Noël et Le Sauce, 2014). C’est une approche adoptée dans de nombreux pays pour une meilleure gestion des ressources halieutiques, dans le secteur artisanal en particulier. La cogestion peut être considérée comme un partage de responsabilités entre l’administration et les communautés de pêcheurs pour une meilleure gestion de la pêche (Fargier, 2012). Ce mode de gestion est aujourd’hui très largement répandu dans de nombreux pays, notamment au Vanuatu (Raubani et al., 2017), en France (Quimbert, 2008) ou au Sénégal (Le Roux, 2005), avec des résultats positifs dans la plupart des cas, malgré quelques problèmes de mise en oeuvre ici et là (Nielsen et al., 2004).

FIGURE 8

Proposition d’aménagement du site de débarquement d’Alénakiri

Proposition d’aménagement du site de débarquement d’Alénakiri
Source: Google Earth, shapfile_Gabon, Libreville, 2019

-> See the list of figures

L’aménagement des pêches implique une gouvernance conjointe entre les communautés de pêcheurs regroupées en coopératives ou associations et les administrations chargées de la régulation et du contrôle des activités de pêche (Deme et al., 2019). Dans le cadre de notre étude, la formule envisagée pour la cogestion des sites de débarquement confierait à la DGPA la gestion directe, tandis que les associations de pêcheurs se chargeraient de la gestion indirecte.

La gestion directe verrait l’intervention de la DGPA sur chaque site pour circonscrire toute velléité de pêche illégale et assurer la collecte de données statistiques. L’érection, ici, d’un poste de contrôle permettrait à cette administration d’obtenir, auprès des pêcheurs, les informations de base nécessaires à la gestion des pêches. Un point de débarquement aménagé y constituerait une plateforme de concertation permanente entre les communautés de pêcheurs et l’administration, en même temps qu’un carrefour d’activités de services pour les pêcheurs (DGPA, 2017a). Une telle organisation permettrait de mieux structurer un secteur confronté à une forte activité informelle, car nombre de pêcheurs exercent dans l’illégalité, ce qui les exclut des actions menées par l’administration en faveur de l’organisation des pêches. En s’attachant aux points de débarquement aménagés, pourvoyeurs de services publics, les pêcheurs pourraient aussi accéder plus facilement à l’assistance de l’État et sortir de l’informel.

Leur implication, par la gestion indirecte des espaces de pêche, leur permettrait en outre d’être associés aux politiques d’aménagement des pêches mises de l’avant par les pouvoirs publics. On attend d’eux qu’ils puissent oeuvrer, notamment, au respect de la réglementation sur la pêche par des campagnes de sensibilisation auprès de leurs pairs, ou à la collecte de données statistiques là où l’administration est absente, sachant que toutes les actions entreprises dans le cadre de la gestion des pêches sont à leur avantage.

C’est pour cette raison que plusieurs coopératives ou associations de pêcheurs ont vu le jour, notamment à Alénakiri, Parc à Bois et Razel. Ces organismes sont constitués d’un président, de secrétaires, de trésoriers et d’adhérents. Leur apparition a été favorablement accueillie par l’administration, qui entend capitaliser sur leur existence pour la normalisation de l’activité halieutique et la mise en place d’un système d’informations halieutiques fiable, qui constitue le fondement même de l’aménagement des pêches (Fuchs, 2002). À ce jour, ces coopératives épaulent la DGPA dans la collecte des données statistiques et la sécurisation des sites de débarquement. Elles servent aussi de courroie de transmission entre les pêcheurs et l’administration. Elles fournissent également des informations sur le terrain, utiles à la gestion des pêches, et assistent leurs membres dans leurs démarches auprès de l’administration.

Leurs attributions s’étendent jusqu’à la sensibilisation des pêcheurs aux bonnes pratiques de pêche. En effet, partant du fait que les coopératives sont d’abord des regroupements ethniques qui partagent une même langue ou une même religion, l’administration gagnerait à entretenir les meilleurs liens possibles avec leurs leaders, notamment les chefs coutumiers, pour profiter de leur légitimité et de leur capacité de mobilisation afin d’atteindre un maximum de pêcheurs (Bignoumba, 2011). La sensibilisation s’avère plus aisée dans la langue propre à chaque communauté ethnique. En effet, plusieurs pêcheurs ne maîtrisent pas le français, la langue officielle du Gabon, ce qui les empêche d’avoir toujours une bonne connaissance du cadre réglementaire relatif à la gestion des activités halieutiques. En revanche, ils ont cette capacité de se mobiliser pour des causes communes. A Alénakiri, par exemple, la coopérative a lancé un appel de fonds pour la construction de toilettes publiques au débarcadère. Elle oeuvre actuellement à l’acquisition des équipements de production de glace ou des infrastructures de distribution de carburant. C’est dire qu’en travaillant étroitement avec les pêcheurs, l’administration pourrait capitaliser sur leur esprit communautaire pour améliorer leurs conditions de travail, voire d’existence, au bénéfice du plus grand nombre et d’une pêche durable propre à contribuer à la sécurité alimentaire des populations, grâce à la forte valeur nutritionnelle du poisson (FAO, 2006).

Conclusion

Notre réflexion autour des sites de débarquement des produits de pêche maritime artisanale à Owendo a permis d’analyser les outils de structuration de la pêche maritime au Gabon, en général, et à Owendo, en particulier. À la fois formels et informels, aménagés ou pas, les sites de débarquement parviennent tant bien que mal à capter les activités halieutiques des marins pêcheurs artisans. Ils permettent également de comprendre l’univers dans lequel évoluent ces derniers, avec leurs opportunités et contraintes professionnelles.

Notre but était de mettre en question la contribution des sites de débarquement à une meilleure exploitation des ressources halieutiques, autrement dit, à leur durabilité, qui demeure l’objectif principal de tout gouvernement faisant face à l’exploitation non contrôlée de ses ressources halieutiques. En dépit de leurs carences en termes d’aménagement, les sites de débarquement jouent, tant bien que mal, leur rôle de lieu de départ et d’arrivée des opérations de pêche. Bien plus, ils facilitent, par la fréquentation qu’ils suscitent auprès de l’administration, des pêcheurs, voire de la clientèle, la récolte d’un ensemble d’informations précieuses sur le matériel de pêche utilisé, les captures débarquées, les caractéristiques de la flottille piroguière, etc., bref des données utiles au système d’information sur la gestion durable des ressources halieutiques. Cette gestion durable appelle une utilisation optimale des ressources halieutiques, pour faire en sorte de les exploiter sans entamer les stocks et sans remettre en cause leur utilisation par les générations futures dans des proportions au moins égales à celles des générations actuelles.

Aussi, pour une meilleure visibilité du secteur, conviendrait-il de moderniser les sites de débarquement, notamment les sites homologués, de façon à en améliorer le fonctionnement. Cela permettrait, d’une part, d’offrir de meilleures conditions de travail aux pêcheurs et, d’autre part, d’établir une meilleure synergie entre ces pêcheurs et l’administration. En effet, avec la mutualisation des compétences de l’administration et des pêcheurs autour des sites de débarquement, l’organisation du secteur s’en trouverait largement bonifiée.

Pour sortir du sous-équipement de la pêche maritime artisanale au Gabon, il faut « s’organiser autour de points de débarquement modernisés et accessibles en permanence pour [leur] donner une meilleure lisibilité et assurer un bon suivi [des] activités dans la perspective d’un aménagement durable des pêcheries » (Bignoumba, 2011 : 40). Cette conclusion invite à prolonger la réflexion dans le sens d’une régularisation administrative de la situation des pêcheurs, composés majoritairement de migrants ouest-africains. Sous cet angle, la problématique de l’immigration clandestine apparaît centrale et heuristique. En effet, comment aménager durablement le secteur halieutique sans prendre en compte le statut administratif des principaux acteurs que sont les marins pêcheurs, essentiellement des migrants, aussi bien dans la pêche artisanale que dans la pêche industrielle ?