Comptes rendus bibliographiques

LASSUS, Marie-Pierre (2019) Le non-savoir. Paradigme de connaissance. Éditions EME, 343 p. (ISBN 978-2-8066-3682-9)[Record]

  • Claude Marois

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  • Claude Marois
    Université de Montréal

Ainsi que l’annonce son titre intrigant, le non-savoir est au centre du livre de Marie-Pierre Lassus, comme l’art dans ses expériences de recherche-action et de recherche-création dans les prisons. L’auteure propose le concept de non-savoir fondé sur l’errance à la fois comme méthode de recherche et comme recherche collaborative (p.38). L’ouvrage est structuré en quatre sections (1. Proème, 2. Chercher, 3. Créer et 4. Participer.) où, entre chacune, se trouve un « entr’ouvert » (1, 2 et 3). La première section s’intitule « Proème », notion empruntée à Roland Barthes où le proème « n’est pas tant ce qui vient avant le poème qu’une façon de faire naître les conditions de l’écriture, de rencontrer l’oeuvre, de la faire advenir » (p. 10). Dans l’entr’ouvert 1, l’auteure oppose l’universitaire-savant et l’engagement passionné de l’artiste « voué à entrer dans les choses pour les faire résonner en s’appropriant le monde » (p. 12). Par son engagement depuis plus de 10 ans dans les prisons, Marie-Pierre Lassus s’est fixé l’objectif principal de partager avec des personnes détenues, des pratiques artistiques collectives et participatives (musique, poésie, arts plastiques, etc.). Définissant la prison comme un « antimonde » où le détenu est coupé de toute stimulation et isolé de tout contact avec l’extérieur, elle considère, avec raison, que les pratiques artistiques collectives et participatives sont des moyens tout à fait appropriés à la réinsertion sociale des personnes en milieu carcéral. Pour elle, l’art et la musique sont en effet, des « centres grouillants de force » et d’expériences pouvant avoir des retentissements dans la vie quotidienne des prisonniers dans leur milieu » (p. 54). Toute la recherche de l’auteure est basée sur le non-savoir, un paradigme de connaissance « fondé sur l’errance comme méthodologie de recherche ». Dans ces expériences de recherche-action, le chercheur est obligé de prendre une posture de chercheur-ignorant lui permettant de produire un autre savoir à partir de l’expérience des sujets (détenus) comme sujet de connaissance. Le choix de la musique comme savoir d’intégration et d’unification amène le détenu à assimiler de plus en plus son instrument comme un prolongement de son corps qui doit « à la fois être présent au monde et à lui-même, mais également pouvoir entrer en résonnance avec le temps, passé et futur, et l’espace de l’orchestre » (p. 67). Cette section, qui a pour titre « Chercher », expose dans un premier temps le non-savoir comme méthodologie en abordant le « comment intervenir en prison » afin de rencontrer et encourager la participation des détenus. La recherche-action constitue pour Lassus, la méthode lui permettant d’atteindre son objectif principal de recherche, soit la transformation des êtres concernés dans un but de réinsertion sociale. Le fait de mélanger des personnes de la société civile (étudiants, professeurs ou professionnels) avec la population carcérale a produit « une tension bénéfique » entre savoirs et non-savoirs et a favorisé la réciprocité des échanges. Cette position de non-savoir favorise les échanges entre tous les acteurs permettant « d’ultra-voir, d’ultra-entendre et de s’entendre voir ». La musique (comme langage du corps et comme pratique non verbale) a été le moyen pour accéder à l’écoute entre les gens, le corps comme la musique devenant un champ sensoriel. Cette concertation a créé un espace de liberté « où s’harmonisent les contraires comme les harmonies et les dissonances » (p. 95). Dans le chapitre « Le ça-voir des hommes et des traces », on fait référence au besoin vital de l’être humain de tracer ou de projeter sa mémoire « organique » des créations sous différentes formes : poèmes, dessins, peintures, oeuvres plastiques ou autres …