Article body

-> See the list of figures

Les débats sur les transports sont souvent intenses, sans doute parce que les différents modes de transport déterminent des visions différentes, voire opposées, de ce qu’une ville peut ou doit être. C’est très certainement le cas à Montréal, avec le projet de REM de l’Est. C’est aussi le cas à Québec, où les débats sont fortement polarisés, peut-être davantage qu’ailleurs – d’où le titre choisi pour le livre. En effet, deux projets qui sont souvent vus comme antinomiques, malgré les tentatives plutôt malhabiles de les intégrer, y font débat depuis plusieurs années : le réseau de transport collectif sur rail et le troisième lien entre les deux rives du fleuve, l’un des rares projets de transport autoroutier au coeur d’une grande ville canadienne.

Dans leur livre, les trois auteurs, de l’Université Laval, visent à « éclairer un certain nombre de dimensions présentes dans les débats », comme on peut le lire en introduction. En proposant un ouvrage qui intéressera différents publics, ils atteignent leur objectif. Même s’il est relativement court, le livre explore en détail les principaux enjeux, alimente notre réflexion et nous aide à mieux comprendre les différentes positions qui s’affrontent relativement aux deux grands projets, qui ont le potentiel de changer les patrons de mobilité à Québec et, ce faisant, la ville elle-même.

Le livre regroupe quatre chapitres, chacun écrit par l’un ou l’autre des trois auteurs, quatre chapitres qui se complètent parfaitement, sans compter l’introduction et la conclusion qui sont rédigées à six mains. Le premier chapitre traite de la mobilité et des transports dans la région de Québec. La situation qui caractérise Québec n’est pas très différente de celle de bon nombre d’autres villes nord-américaines. Comme l’auteur le rappelle, « la région de Québec, avec son infrastructure développée en transport automobile, constitue aussi un microcosme de l’Amérique du Nord ». Québec présente néanmoins des traits qui la distinguent d’autres villes, et qui expliquent peut-être la virulence des débats : la place importante de l’automobile et, en contrepartie, la faiblesse du transport en commun. Québec n’est pas une ville du transport collectif, peu s’en faut : la très grande majorité des déplacements se font en voiture, bien davantage que dans d’autres villes. L’importance du réseau autoroutier y est peut-être pour quelque chose : Québec est la deuxième ville, après Calgary, pour le nombre de km-voies d’autoroutes par habitant, et la première avec Calgary, pour les km-voies de routes locales. En même temps, pour amplifier la forte dépendante à l’auto qui la caractérise, Québec est l’une des rares grandes villes sans un véritable système de transport collectif. Il ne faut donc pas s’étonner que la part de marché du transport collectif y soit plus faible que dans nombre de villes de taille comparable.

Le second chapitre examine les projets d’infrastructures mis de l’avant et l’évolution des débats sur la mobilité au cours de la dernière décennie. Le troisième lien et le réseau de transport structurant sont au coeur de ce chapitre, et sont discutés dans leurs différentes variantes. Alors que le réseau structurant de transport collectif a été défini après de longues analyses et de longs débats (qui ont toujours cours en 2022) tant sur la technologie que sur le tracé, le projet de troisième lien a, pour sa part, été imaginé avant que le problème à résoudre ait vraiment été identifié ; cela explique les critiques nombreuses, auxquelles aucune réponse sérieuse n’a encore été donnée.

Le troisième lien suscite des questions fondamentales quant aux choix d’investissement des gouvernements. Aussi, le troisième chapitre porte-t-il sur ce lien interrives à être construit et sur ses dimensions économiques, plus spécifiquement l’impact sur le développement économique et la congestion automobile. On peut s’interroger : apportera-t-il les bénéfices qu’on lui attribue d’avance ? À la lecture du chapitre, on ne peut que conclure comme l’auteur : le scepticisme est de mise.

Au quatrième chapitre, ce sont les fondements de l’argumentaire des différents acteurs qui sont analysés, au-delà des positions exprimées. Ainsi, il est longuement question des deux coalitions de ce que l’auteur appelle « la guerre culturelle » qui caractérise les débats sur le transport à Québec. La première coalition favorise le transport collectif, la seconde, le transport routier. Si tous les chapitres nous aident à mieux comprendre les positions des uns et des autres, celui-ci permet d’approfondir la compréhension des controverses et la polarisation de la conversation publique.

Concluons : c’est un livre très intéressant, accessible et lisible, que nous offrent les trois auteurs. Il ne s’agit pas d’un pamphlet, mais d’une analyse qui atteint son objectif d’éclairer les débats, en donnant des éléments pour comprendre et évaluer les arguments avancés par les uns et les autres. Ce livre devrait intéresser tous ceux qui tentent de se faire une tête sur des projets de transport, à Québec ; mais il sera aussi utile à ceux et celles qui s’intéressent aux enjeux de mobilité ailleurs, tant la lecture nous éclaire sur l’argumentaire des partisans et des opposants des deux camps. Lecture fortement recommandée.