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Il est permis de penser que la mise en valeur de ressources naturelles disponibles sur un territoire contribuerait à l’amélioration des conditions de vie des populations qui s’y trouvent. Mais en Afrique, la réalité semble différente. Malgré les richesses naturelles du continent, les populations africaines sont les plus pauvres au monde. C’est ce paradoxe que le géographe Roland Pourtier met en évidence dans cet ouvrage consacré au grand bassin du fleuve Congo. Aussi puissant qu’il soit, le fleuve Congo n’a pas encore montré le plein potentiel qu’on espérait de lui depuis l’époque coloniale. Agréable à lire, l’ouvrage communique la passion et la grande expérience de recherche de l’auteur en Afrique, notamment en Afrique équatoriale. Les données de géographie physique, humaine et économique, les cartes, les photographies d’archives, les références à l’histoire coloniale et à la géopolitique du grand bassin du fleuve Congo contenues dans l’ouvrage sont d’une grande utilité pour les étudiants et les chercheurs. À cela s’ajoutent des notes explicatives en fin d’ouvrage et des références à des oeuvres littéraires et cinématographiques que le bassin du fleuve Congo a inspirées. Le livre est composé de six « tableaux » précédés d’un prologue et suivis d’une réflexion de l’auteur sur l’avenir du « fleuve mythique d’Afrique équatoriale » (p. 16). De mon point de vue, les trois premiers tableaux déclarent la puissance du fleuve Congo et son importance dans la colonisation de l’Afrique.

D’emblée, dans le tableau I, Pourtier signale que l’intérêt pour le bassin du Congo et son potentiel en ressources naturelles ne date pas d’hier. Pour cela, il nous ramène au XVe siècle, époque des premiers contacts des Européens avec le Congo et des tentatives de son exploration. L’auteur explique également la place centrale du bassin du Congo dans les débats lors de la conférence de Berlin, du 15 novembre 1884 au 26 février 1885. Dans le tableau II, Pourtier nous offre une description détaillée de cet immense fleuve et de ses affluents. « C’est le bassin le plus vaste du continent devant celui du Nil et le second au monde, derrière celui de l’Amazone » (p. 54). Il ne s’est pas contenté de décrire le fleuve Congo et son bassin, il explique aussi ses métamorphoses, ses changements de nom, ses infrastructures portuaires et hydroélectriques, son potentiel de navigation, ainsi que les contentieux frontaliers et les défis environnementaux qu’il suscite. De son analyse de peuplement du bassin du Congo dans le tableau III, on note une diversité ethnique et culturelle, des identités linguistiques, swahili et tshiluba à l’est, et lingala, kikongo, à l’ouest, des configurations ethnolinguistiques dynamiques, ainsi que des mouvements politiques et religieux. La pirogue est l’outil indispensable de mobilité des populations riveraines du fleuve. « Sans les pirogues, le fleuve serait nu » (p. 103). Les activités économiques et le régime alimentaire des populations rurales du bassin varient, que l’on soit en forêt ou en savane. Dans cette Afrique rurale, le rapport au temps, les techniques de production et l’organisation du travail sont importants, mais ils peuvent aussi porter des obstacles culturels aux projets de transformation dans le futur. L’auteur soulève singulièrement les conditions de travail des femmes, contraintes de transporter de lourdes charges sur le dos, le « portage féminin ». Selon Pourtier, « la fin du portage féminin sera le plus important des changements socio-économiques culturels à venir dans les pays du Congo » (p. 115). L’auteur analyse également le renversement prodigieux qu’a connu le bassin du Congo au fil du temps, mentionnant surtout l’hyperfécondité et l’enjeu démographique qui en découle, la guerre et les conflits à l’est du bassin, ainsi que les enjeux environnementaux liés à l’exploitation de la forêt équatoriale, considérée comme le deuxième poumon vert de la planète, après l’Amazonie.

Dans les trois derniers tableaux, il explique la « puissance contrariée » du fleuve Congo. Il note que la mise en valeur « coloniale » du bassin du Congo a nécessité le désenclavement du territoire par voie ferrée. Toutefois, cela ne s’est pas fait dans la douceur. Travail forcé et exploitation inhumaine des populations ont été les modes de fonctionnement. L’auteur relève que le fleuve Congo a été, autrefois, la voie d’acheminement des esclaves et de produits de rente. Malheureusement, force est de constater que l’exploitation de ressources naturelles se poursuit dans le sang ou dans des conditions inacceptables. Toujours sur sa lancée de l’analyse des éléments contrariants du fleuve, dans le tableau IV, Pourtier met en évidence la faiblesse du système de transport, soulignant au passage qu’il y a plus de routes bitumées au détriment du fleuve. Si l’on considère le transport comme une clé de développement, le fleuve Congo ne joue pas le rôle d’agent de développement. Le fleuve Congo n’est pas le grand boulevard qu’on prétendait. Il n’est qu’un « axe virtuel dans un espace écartelé » (p. 133). Pour l’auteur, l’aménagement du fleuve a connu son apogée durant l’époque coloniale, la période d’après les indépendances ayant été marquée par la mauvaise gestion des infrastructures et la corruption. Dans le tableau V, il note une faible production énergétique dans le bassin et des difficultés de valorisation de son potentiel hydroélectrique. Sur un autre plan, l’intérêt des compagnies multinationales pour les mines et les ressources naturelles du bassin a contribué au phénomène de « creuseurs » artisanaux, avec son lot d’insécurités. Le tableau VI examine l’évolution de l’aménagement urbain dans le bassin. Essentiellement dictée par la présence de ressources minières ou de transport ferroviaire, l’urbanisation n’a pas eu un grand effet sur la réduction de la pauvreté.

Dans ses remarques conclusives sur l’avenir des pays du bassin du fleuve Congo, Pourtier propose une gestion durable des ressources naturelles afin de favoriser des occasions de développement local. Il évoque le modèle asiatique et met l’accent sur la formation des hommes et des femmes.