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« Une image vaut mieux que mille mots » (Confucius). Qu’en est-il de la puissance d’un livre de photographies ? Thierry Cassegrain est un photographe passionné par les voyages. Cette appétence lui a été donnée d’abord par ses parents qui l’ont emmené de par le monde dès ses quatre ans. A 16 ans, il fugue. Il parcourt l’Europe, frôle plusieurs fois la mort, mais son désir de voyage est d’autant plus grand. C’est à travers l’objectif de son appareil photo et de ses clichés qu’il nous emmène, dans cet ouvrage de 192 pages, découvrir le Cambodge. Le livre, grand format, est richement illustré de 170 photos tirées très souvent en pleine page ou demi-page, sur fond blanc et sur papier épais et glacé agréable au toucher. La mise en page est assez recherchée. Chaque photographie est mise en légende par Pierre Cléry, collaborateur de cet ouvrage. Des encadrés comportant une sélection d’extraits d’articles ou d’ouvrages d’archéologues, historiens, géographes ou voyageurs (Maurice Moncharville, Pierre Loti, René Morizon, Catherine Manin, etc.) apportent un éclairage complémentaire à l’iconographie. Quelques dessins et bas-reliefs en noir et blanc agrémentent le visuel, mais n’affichent aucune source. Le plan se décline en trois parties : le Cambodge touristique (p. 17-93), le Cambodge rural et traditionnel (p. 94-137), un reste d’accent français (p. 139-191). Une introduction de sept pages narre rapidement l’histoire du Cambodge, enrichie des photos des différents personnages qui ont régné sur le pays et d’une carte des provinces très succincte ne comportant ni titre, ni échelle, ni lieux décrits tout au long de ce périple au coeur du pays. Conclusion, bibliographie, table des matières et glossaire sont absents.
Dans la première partie, les auteurs emmènent le lecteur dans un voyage touristique allant de Siem Reap, une ville de 175 000 âmes mêlant architectures chinoise et coloniale et infrastructures modernes, au lac d’eau douce de Tonlé Sap, classé réserve de biosphère par l’Unesco mais menacé par les barrages, la pollution et la surpêche, en passant par le vaste ensemble archéologique d’Angkor. Chacune de ces trois excursions est agrémentée d’une iconographie appropriée et d’une demi-page ou d’une page de texte explicatif permettant au lecteur d’appréhender les fondements de la civilisation cambodgienne. Suit un plongeon dans le monde rural et traditionnel. L’auteur nous présente ici la vie quotidienne des agriculteurs, pêcheurs et artisans. Quelques photographies insistent sur la gastronomie quand d’autres nous immergent dans le monde de la pêche traditionnelle, des villages flottants et des mangroves. Trois pages sur les mémoriaux dédiés à la terrible période des Khmers Rouges – qui auraient pu trouver place dans l’introduction – viennent perturber le déroulement de la lecture. Les images et textes valorisant l’importance de la pagode pour les Cambodgiens, nichés entre pêche et artisanat, mériteraient d’être déplacés à la fin de cette partie. L’articulation globale est ainsi plutôt décousue. La narration (« […] les choses changent depuis le début du XXIe siècle, mais la vocation agricole du pays reste toujours importante de nos jours ») aurait demandé à être précisée et actualisée.
La troisième partie veut mettre l’accent sur l’héritage de la colonisation française dans l’espace cambodgien. Le lecteur avisé trouvera ici, pêle-mêle, de belles images sur le poivre de Kampot (p. 165-168), la canne à sucre (p. 184-185), les pêcheurs et les pagodes (p. 169-174 et 178-183), les marais salants (p. 176), les buffles (p. 164 et 177) et uniquement quelques photographies plus ou moins récentes consacrées à l’héritage de la présence française dans l’architecture de Phnom Penh, des villes de Kep et de Sihanoukville. On aurait plus particulièrement aimé aller à la rencontre des bâtiments construits à l’époque du protectorat français, décatis, restaurés ou détruits, et de leurs architectes. Les noms de Daniel Fabré, Jean Desbois, Georges Groslier ou encore Louis Chauchon n’apparaissent pas dans les textes associés aux images. Aucune mention n’est faite du White Building, l’un des plus grands immeubles d’habitation construits dans le cadre de la vision de Norodom Sihanouk pour un nouveau Cambodge. Ce bâtiment était l’oeuvre de deux architectes, un khmer (Lu Ban Hap) et un franco-russe (Vladimir Bodiansky). Le projet avait été supervisé par Vann Molyvann, célèbre architecte cambodgien contemporain, ancien de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, disciple de Le Corbusier, nommé en 1956 architecte en chef de l’État et chargé de la direction des travaux publics du Royaume. Vann Molyvann marqua de son empreinte et de manière durable le visage de Phnom Penh après l’indépendance. C’est ici la partie la moins réussie de cet ouvrage.
Un livre de photographies nécessite une écriture visuelle exigeante, un texte réfléchi et une sélection d’images sans concession. Ces ingrédients, essentiels à la composition de ce travail, mériteraient d’être complétés, voire réorganisés. En outre, l’examen des documents écrits révèle nombre de fautes d’orthographe, d’accord, de syntaxe et de frappe, dès les premières pages (p. 4, 7, 10, 11, 12, 31, 112, 141, 156, 188, notamment) : cela rend la lecture d’autant plus malaisée et pose la question de la « relecture » avant impression. Cet ouvrage de photographies se regarde autant qu’il se lit. En conclusion, il reste très accessible et clairement destiné au grand public qui y trouvera une invitation au voyage et à la connaissance de la culture, de l’histoire et du quotidien des Cambodgiens.