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Le déclin de certaines espèces de caribou fait régulièrement l’objet d’attention scientifique, politique et médiatique. En effet, le caribou est affecté par les effets du changement climatique et l’exploitation des ressources fossiles. Les prélèvements trop importants d’individus par la chasse sont aussi pointés du doigt comme cause potentielle de déclin. Pour autant, le niveau des populations de caribou n’a cessé de varier dans le temps, exigeant des populations autochtones de véritables capacités d’adaptation et de compréhension de leur environnement pour assurer leur subsistance.
À travers les différentes contributions à cet ouvrage collectif, le lecteur explore la question du caribou sous divers aspects : la gestion d’une ressource fluctuante ( chapitre II ), la manière d’appréhender cet animal et sa chasse, tant du côté gouvernemental que de celui des populations autochtones. Des témoignages autochtones mettent en perspective les articles scientifiques et les thématiques étudiées.
Le caribou de toundra des Territoires du Nord-Ouest du Canada est à plusieurs titres une espèce emblématique du rapport spécifique des populations autochtones à leur environnement. En premier lieu parce qu’il s’agit depuis longtemps d’une ressource de base pour le régime alimentaire des Premières Nations, mais aussi parce que chasser le caribou est une pratique ancestrale qui, même si elle s’est accommodée des nouvelles technologies ( notamment en termes de mobilité ), est importante pour la cohésion familiale et communautaire, ainsi qu’en termes de transmission de savoirs entre générations ( chapitres VI et VII ). À cet égard, même si les regards anthropologiques passés s’intéressaient d’abord aux hommes, le dernier chapitre met en lumière la place des femmes dans cette tradition. La chasse du caribou s’ancre de fait dans un ensemble de pratiques sociales, comme celle du partage au sein de la communauté Vuntut Gwitchin, laquelle a été fortement entravée, avec la consolidation de la frontière entre le Yukon et l’Alaska ( chapitre X ).
Les variations de populations de caribou et la crainte de sa disparition ont servi de justification à l’intervention des pouvoirs publics nationaux et provinciaux et à la mise en place de différentes mesures de limitation ou d’interdiction de la chasse sur certains territoires et pendant des périodes définies. Chercher à maîtriser les populations de caribou a été un moyen de contrôle social, souvent paternaliste, des Premières Nations et d’encadrement de pratiques ancestrales au motif de préserver la sécurité alimentaire, de mieux respecter l’animal et d’interdire les pratiques cynégétiques non éthiques. Ces modalités d’action publique, très descendantes, centralisées, fondées souvent sur des savoirs scientifiques occidentaux, des outils spécifiques comme la photographie aérienne et la règle ( souvent juridique ) ( chapitre XII ) ont longtemps méprisé les savoirs traditionnels des Premières Nations et les incertitudes qui existent dans la compréhension du caribou et de ses migrations. Aujourd’hui encore, la manière de dénombrer les populations de caribous est souvent contestée par les populations autochtones alors même que ces dénombrements servent ensuite de base à des mesures portant atteinte à leur droit de chasse.
Analyser les différentes réglementations visant à réguler la chasse dans le temps témoigne d’une lente évolution vers une meilleure considération des Autochtones comme parties prenantes et non plus comme cibles des politiques publiques. L’évolution des modalités de régulation vers la cogestion de la ressource tente ainsi de concilier les savoirs et les approches. Néanmoins, cette cogestion tâtonne et connaît des échecs, comme l’illustre le chapitre sur la mesure Laisser passer les caribous en tête (de harde) ( chapitre XIII ). S’il s’agit là d’une norme socioculturelle respectée par les Autochtones. Elle a été transformée en interdiction de chasse sur certaines portions de territoire, heurtant le droit ancestral de chasse et, du point de vue des Autochtones, remettant en cause la politique d’autonomie des Territoires du Nord‑Ouest. L’échec vient d’une incompréhension quant à la spécificité des savoirs locaux, leur nature contextuelle et la manière de vouloir imposer une nouvelle réglementation.
Outre les réglementations sur les prélèvements, le développement du salariat au sein des communautés peut aussi affecter la pérennité de cette tradition de chasse, dans la mesure où les chasseurs peuvent y consacrer moins de temps, tout en ayant sans doute plus de moyens de s’équiper ( chapitre IX ).
When the caribou do not come illustre combien la préservation de l’environnement et, singulièrement, d’une espèce – le caribou de toundra – ne peut être pensée de manière manichéenne, sans prendre en compte les usages et pratiques sociales dont dépend la pérennité culturelle et sociale des communautés autochtones. Comprendre la richesse des interactions humains / caribou oblige à dépasser une vision moraliste à l’encontre de la pratique de la chasse.
La confrontation entre ce qui fait norme pour les uns et les autres, d’une part, et entre les régimes d’autonomie face aux velléités provinciales ou nationales de contrôle de la faune ou de la circulation des humains, d’autre part, continue de nourrir un certain nombre d’incompréhensions et de tensions. Ainsi, les savoirs traditionnels sont‑ils encore mal intégrés à la compréhension globale d’écosystèmes et de leurs évolutions alors même que la science occidentale se heurte à ses propres limites. La cogestion des populations de caribou demande à être repensée à cette aune.