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Dans son ouvrage, le géographe et juriste Georges Labrecque se propose de faire comprendre les enjeux territoriaux interétatiques à travers le prisme de l’analyse géopolitique. Puisque le territoire constitue, avec la population et le gouvernement, l’une des conditions d’existence d’un État, il devient de fait un élément majeur d’analyse des relations entre États et de leur fonctionnement. L’ouvrage utilise une approche pluridisciplinaire qui fait la part belle au droit et à la géographie pour proposer plusieurs chapitres déclinant l’analyse de la géopolitique du territoire. L’ouvrage débute sur une présentation de la géopolitique ; suit une introduction des éléments constitutifs de l’État : territoire, population, gouvernement. L’auteur poursuit son exposé avec des chapitres sur les modes d’acquisition du territoire, les compétences territoriales, les configurations du territoire, les frontières, terrestres et maritimes, et la présentation des espaces maritimes. Une digression régionale suit avec un chapitre sur les régions polaires, suivie de réflexions sur la position des territoires, les passages maritimes internationaux et la géopolitique des ressources naturelles.
Il existe des dizaines d’ouvrages de présentation de la géopolitique, de qualité fort inégale. Pour nombre d’entre eux, la géopolitique se ramène à l’analyse des relations entre les États, peu distincte donc des relations internationales ou des power politics des Anglo‑Saxons. Souvent, l’État est présenté comme l’acteur principal à étudier dans les analyses des enjeux de pouvoir sur des territoires. Malheureusement, l’ouvrage n’échappe pas à ce constat alors même que la discussion initiale sur la nature de la géopolitique proposée par Labrecque rappelle que cette définition générale, initialement proposée par Yves Lacoste et aujourd’hui largement répandue dans la géographie francophone et connue chez les anglophones, permet d’appréhender les enjeux de pouvoir sur des territoires à des échelles très diverses, impliquant donc une grande variété d’acteurs. Le territoire de l’État est bien analysé ici ; mais seulement le territoire de l’État.
L’ouvrage laissera le lecteur sur sa faim, non seulement au regard de cette approche un peu réductrice de la géopolitique, mais également du fait de l’absence d’interrogation sur la pertinence de cet outil d’analyse, sur l’intérêt scientifique d’une réflexion sur la dimension territoriale de l’État. Le chapitre sur la géopolitique, très documenté, verse aussi beaucoup dans l’énumération des différents éléments pouvant être l’objet d’une analyse géopolitique, sans qu’une réflexion critique ne vienne proposer une synthèse structurée des approches géopolitiques et de la richesse explicative que l’outil géopolitique comporte.
Érudit assurément, l’ouvrage verse cependant à plusieurs reprises dans l’énumération descriptive, voire énumérative, d’éléments d’information, énumération riche, certes, mais n’aboutissant pas à une réflexion au-delà de l’exposé, que ce soit sur l’histoire de la géopolitique, sur la formation des territoires, sur les éléments constitutifs de l’État ou sur les frontières, leur nature et leur fonction, sur la configuration et même sur la forme des États.
Le lecteur reste sur sa faim : comment se marque le contrôle de l’État sur son territoire ? Ces marques du contrôle sont‑elles immuables ou, au contraire, variables selon les époques, les acteurs, les contextes, et si oui, pourquoi ? Ce contrôle répond‑il à des critères purement juridiques ou comprend-il des paramètres sociaux, économiques, culturels ? Quels sont les facteurs ou les acteurs qui facilitent ou, au contraire, entravent le contrôle de l’État sur son territoire ? Quels sont les enjeux qui orientent le tracé d’une frontière ?
La structure elle‑même de l’ouvrage surprend. Selon un plan bien décrit en introduction, mais pas justifié selon une succession logique répondant à une problématique – elle enchaîne des chapitres sur l’État, son territoire, ses aspects juridiques, pour proposer une unique digression régionale en Arctique, avant de revenir vers des enjeux maritimes avec les détroits, puis proposer une réflexion thématique sur la géopolitique des ressources naturelles.
Très documenté, le livre comporte des sections fort intéressantes, notamment sur les modes d’acquisition du territoire. De manière générale, l’auteur, comme juriste et géographe, connaît bien les aspects juridiques des enjeux de pouvoir sur des territoires, et on trouvera dans son ouvrage de très nombreux éléments d’information. Mais l’intérêt de ces éléments, exposés selon un mode descriptif et encyclopédique, plutôt qu’analytique, dans un plan général discursif peu critique, est d’ordre didactique, bien davantage que destiné à soutenir une thèse, à proposer des analyses ou à tenir un débat. Ce caractère encyclopédique est d’autant plus dommage qu’il contient une grande somme d’information et qu’existe un lien très fécond entre droit et géopolitique.