Article body

-> See the list of figures

À un moment où la géographie et les sciences de l’espace connaissent une effervescence dans la promotion de nouveaux outils d’aide à la décision, la sortie de l’ouvrage de Patrick Poncet, Intelligence spatiale, est une véritable aubaine visant à conceptualiser l’ensemble de ces pratiques. Il est vrai qu’on se demandait déjà, en 1976, à quoi sert la géographie. Et même si la réponse d’Yves Lacoste : « ça sert, d’abord, à faire la guerre » semblait provocatrice, les nombreuses applications ou utilisations de la géographie pour aménager, décider et conseiller achèvent de convaincre ses pourfendeurs que la discipline a désormais trouvé son chemin comme une science qui rend service à la société. Ce livre tranche avec de nombreux ouvrages de géographie par la profondeur et la perspicacité de l’analyse et des bases conceptuelles qu’il fabrique pour construire cette nouvelle discipline, que l’auteur qualifie d’intelligence spatiale. Il ouvre un nouveau champ disciplinaire dont seule la géographie a le secret, ne serait-ce qu’à travers ses nombreuses branches.

L’ouvrage est organisé en 3 parties subdivisées selon une microstructure en 47 sections ; une organisation des sections, assez synthétique, qui en facilite la lecture et la compréhension.

La première partie relance le vieux débat sur l’utilité des sciences sociales, pour aboutir à l’importance de la production géographique dominée par les héritages des géographes de terrain et par celui des experts de types d’espaces. L’analyse y reconnaît la diversité du savoir géographique et l’immensité de l’expertise produite par les géographes, mais ajoute qu’il est également nécessaire qu’elle puisse s’orienter vers une technologie sociale pour répondre aux besoins de la société. Pour construire cette technologie sociale, l’intelligence spatiale s’est inspirée des concepts et des stocks de raisonnements de l’anthropologie jusqu’aux sciences biologiques en passant par les mathématiques, la physique et l’économie. C’est d’ailleurs l’approche économique qui a fortement inspiré Poncet dans la construction des bases conceptuelles de l’intelligence spatiale à travers le modèle de « capital spatial » qu’il assimile au bilan comptable. Cette lecture économique de l’espace marque ainsi le tournant de l’analyse de Poncet.

Dans la deuxième partie du livre, ce sont les bases épistémologiques et les concepts de l’intelligence spatiale qui sont développés. Le règlement des problèmes de l’espace se résume à la résolution d’un problème de distance : « Comprendre les distances au sein d’un jeu d’actants et d’objets permet de mieux en saisir le fonctionnement et d’envisager les actions capables de l’influencer. » Néanmoins, l’auteur considère que ce capital spatial mérite d’être manipulé avec dextérité pour ne pas accroître la distance de façon démesurée, au risque de ne pas la maîtriser. Cette allusion à la distance est à mettre en relation avec la complexité, d’Angelo Turco (1988), pour qui l’acquisition de l’autonomie dans l’agir humain passe par sa gestion harmonieuse, la complexité étant entendue comme un ensemble d’avantages que la nature confère à l’humain. Dans le déploiement des concepts fondateurs de l’intelligence spatiale, des termes en lien avec le modèle monétaire sont acclimatés à la géographie pour devenir « bilan spatial, liquidité spatiale, monnaie spatiale », etc. Les divisions spatiales sont également revues pour introduire de nouveaux termes comme les « horizons », les « archipels » et les « rhizomes ». Cette nouvelle phraséologie est mise à profit pour interpréter les configurations spatiales sous le signe du renforcement de la valeur spatiale, de la liquidité spatiale des régions et de l’urbanité des espaces géographiques.

La troisième partie de l’ouvrage traite des livrables et des cibles de l’intelligence spatiale. En fait, ce sont ces produits et ces clients qui en feront une véritable technologie sociale. Ainsi, au regard des clients potentiels de l’intelligence spatiale, un monde fait d’élus locaux, de petites et moyennes entreprises, de multinationales, etc., les bases de la sémiologie graphique sont réinterprétées pour adopter quatre variables visuelles du fait de leur pertinence, afin de capter l’attention des utilisateurs. Le spécialiste de l’intelligence spatiale doit donc pouvoir poser des problèmes opérationnels, simples à comprendre, mais avec plus de créativité. Le produit final issu de l’analyse au travers de l’intelligence se présentera ainsi comme une expertise vendable. À ce titre, le concepteur se rapproche beaucoup plus du designer que du cartographe classique.

Au terme de cette lecture, on perçoit à quel point les acteurs d’une géographie pragmatique, répondant aux besoins sociétaux, disposent désormais d’un manuel, mieux des bases conceptuelles, pour proposer des solutions innovantes aux décideurs et aux entreprises.