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Présenté en préambule comme un plaidoyer pour la disponibilité « en continu » de la ville, ainsi que le titre du livre le signifie clairement, le propos de Luc Gwiazdzinski s’appuie sur le constat des formes diverses et multiples d’évolution des modes de vivre la ville – temps continu des réseaux, extension du travail de nuit, ubiquité et immédiateté des relations que permettent les outils d’information et de communication – alors que « le fonctionnement de la cité et des territoires est de plus en plus inadapté à cette évolution », tant il reste structuré par les « rythmes traditionnels ». L’auteur recense ainsi les obstacles auxquels cette évolution est confrontée en termes d’organisation de la ville et des services qu’elle est censée assurer, de même que les conflits qui émergent entre les différentes figures héritées et émergentes de la ville.
Un grand nombre de contributions, de « regards croisés », d’auteurs compose cet ouvrage. Ces auteurs sont issus d’une grande diversité d’horizons. Leurs contributions sont encadrées de textes introductifs (introduction et première partie) et d’un texte conclusif de Luc Gwiazdzinski, auxquels s’ajoutent une préface de Théodore Zeldin et une postface de Xavier Emmanuelli.
Les réflexions proposées portent finalement davantage sur les notions de temps propres aux différents domaines dont les auteurs sont issus et sur les relations entre temps et économie productive. La nuit en est parfois absente ou, au contraire, devient parfois centrale (infirmière de nuit, policier, médecin urgentiste). Ces réflexions contribuent pour l’essentiel à donner une image critique, si ce n’est négative, de la « ville en continu ». Celle-ci serait en effet « une ville où on compte tout et tout le temps » pour le philosophe Stieger, qui conclut qu’« on ne peut laisser se mettre en place la ville en continu » ; un « milieu artificiel » pour le chrono-biologiste Millet ; « le lieu d’accélération par excellence, et non celui de la continuité » pour l’économiste Rabin. Ce qui ressort finalement est un enchevêtrement des temps de chacun d’entre nous et, au-delà, des temps des uns et des autres, bien loin des catégories dans lesquelles on veut les enfermer ; à quoi il faut ajouter une imbrication totale du temps et de l’espace que porte la vision phénoménologique, ou tout simplement biologique. Il faut souligner la conclusion très forte de Xavier Emmanuelli, qui constate un « enfermement dans l’espace et le temps » que générerait cette ville en continu, une aliénation plutôt qu’une libération, bien loin de la revendication du « droit à la ville pour tous, partout et à toute heure ».
Ainsi, dans un rapport assez paradoxal avec l’objectif de l’ouvrage, les revendications ou les attentes qui émergent de la plupart de ces contributions militent davantage pour des moments de décélération et de halte, de suspension des activités de la ville, que pour une quelconque continuité ou une disponibilité des fonctions urbaines « 24 heures sur 24 ». Et, avec une certaine ironie, le premier auteur relève que, justement, la « manière pressée » avec laquelle le problème est abordé « empêche par ce fait même le temps de la réflexion que pourtant elle appelle ». L’intérêt de cet ouvrage réside finalement dans les éléments de débat ainsi réunis par Luc Gwiazdzinski et dans la question qu’ils soulèvent : faut-il adapter nos vies, et nos villes, à ces nouvelles temporalités ou bien, à l’inverse, en tirer parti pour mieux vivre individuellement et collectivement à notre rythme ? La conclusion porte bien cette double exigence qu’un aménagement durable doit prendre en compte : des espaces et des temps « au choix » dont la combinaison doit rendre possible à la fois la synchronie du « nous » et la diachronie du « je ».