Abstracts
Résumé
De nombreux travaux portant sur les modes d’habiter ont permis d’appréhender la complexité des changements sociospatiaux à l’oeuvre dans les campagnes proches des villes. Nous proposons ici d’en renouveler l’approche en reconsidérant l’articulation systémique entre la trajectoire résidentielle des personnes et les formes de leur mobilité quotidienne. À partir du dépouillement du carnet de bord de 64 adultes, nous utilisons l’analyse factorielle pour faire émerger une typologie synthétique des formes d’ancrage. L’étude fait apparaître un plan de clivage assez attendu entre les « survenus », souvent d’origine urbaine et très mobiles au quotidien, et les populations natives, plus ancrées localement. Cependant, un deuxième plan de clivage « inverse» apparaît, incarné par deux autres types : les « survenus en quête de local » et les « enracinés mobiles ». Nous montrons ainsi que la relation entre la trajectoire résidentielle et la mobilité quotidienne n’est pas mécanique, mais que ces deux éléments se combinent et coagissent dans l’élaboration et la différenciation des modes d’habiter.
Mots-clés :
- France,
- Nantes,
- périurbain,
- mobilité résidentielle,
- mobilité quotidienne
Abstract
The abundant literature on modes of dwelling has shed light on the many complex socio-spatial changes at work in peri-urban areas. We propose here to update this approach by reconsidering the systemic connection between people’s residential trajectory and the forms taken by their daily mobility. After analysing the track record of 64 adults, we used factor analysis to obtain a synthetic typology of forms of rootedness. Our study reveals a predictable divide between “newcomers’’, often of urban origin and highly mobile in their daily lives, and the less mobile, more rooted native population. However, a second “inverse’’ split also emerged, embodied by two other types: “newcomers looking for local connections’’; and the “mobile rooted’’. We can thus show that the relation between residential trajectory and daily mobility is far from automatic. Rather, these two elements are combined and acting jointly to produce and differentiate modes of dwelling.
Keywords:
- France,
- Nantes,
- peri-urban,
- residential mobility,
- daily mobility
Resumen
Numerosos estudios sobre las maneras de habitar permiten de captar lo complejo de los cambios socio-espaciales de los habitantes del campo aledaño a las ciudades. Proponemos aquí actualizar este enfoque, teniendo en cuanta la articulación sistémica entre la trayectoria residencial de la gente y las formas de su desplazamiento cotidiano. Sobre los datos consignados en un carnet de ruta de 64 adultos, utilizamos el análisis factorial para construir una tipología sintética de formas de consolidación. En este estudio surge una separación, bastante esperada, entre los “intrusos”, frecuentemente urbanos, de alta movilidad cotidiana, y las poblaciones nativas localmente más fijas. Sin embargo, surge un segundo plan de separación “inversa” representada por otros dos tipos: los “intrusos en busca de local” y los “enraizados móviles”. Demostramos así que la relación entre la trayectoria residencial y el desplazamiento cotidiano no es mecánica, pues los dos elementos se combinan y co-actúan elaborando y diferenciando maneras de habitar.
Palabras clave:
- Francia,
- Nantes,
- periurbano,
- desplazamiento residencial,
- desplazamiento cotidiano
Article body
Introduction
Depuis près d’un demi-siècle, les campagnes périurbaines connaissent des transformations d’ampleur, engendrées par l’arrivée de nouvelles populations et la territorialisation de nouvelles formes d’habiter. Associé à la démocratisation de l’automobile et à la mise en mouvement des populations à des échelles élargies, le périurbain constitue un espace fortement structuré par la mobilité tant résidentielle que quotidienne. Espace rendu « habitable » par la mobilité (Terrhabmobile, 2013), le périurbain est cependant formé d’une société diversifiée dont le mode d’habiter n’est pas uniforme. Dans cet article, nous faisons l’hypothèse que la diversité des modes d’habiter périurbains (Cailly et Dodier, 2007 ; Dodier, 2013) peut être approfondie en considérant l’articulation (ou la conjonction) de ses deux principales composantes : la trajectoire résidentielle, d’une part, et la mobilité quotidienne, de l’autre. À la suite de nombreux travaux soucieux de penser les mobilités de manière systémique (Knafou, 1998 ; Kaufmann, 2008), notamment les relations entre les mobilités résidentielles et les mobilités quotidiennes (Gerber et Carpentier, 2013), nous proposons ici une démarche inédite où il s’agit moins d’analyser les effets du choix d’habitat ou de l’histoire résidentielle sur les formes de la mobilité quotidienne que de considérer ces deux formes de mobilité comme un seul et même système constitutif du mode d’habiter. En examinant ces deux formes de mobilité, il s’agit de mettre en exergue des profils d’habiter inédits ou plus divers que ceux habituellement mis en avant dans les études périurbaines. Pour ce faire, nous appuyons nos analyses sur de nombreuses études existantes.
En effet, ces dernières années, la mobilité quotidienne des périurbains a suscité de nombreux travaux, quantitatifs (Berger, 2004 ; Berroir et al., 2007 ; Motte-Beaumvol, 2007) ou qualitatifs (Morel-Brochet, 2007 ; Feildel et al., 2014), mais qui ont très rarement été associés dans une même étude. Ces travaux ont décrit les formes spécifiques de la mobilité périurbaine, ou de groupes sociaux particuliers (néoruraux, navetteurs, pavillonnaires, etc.) et ont aidé à en comprendre les déterminants collectifs et individuels (Pinson et Thomann, 2002 ; Berroir et al., 2017) ainsi que les conditions dans lesquelles se déploie ou évolue cette mobilité (Berger et al., 2014). Dans une perspective plus englobante, Cailly (2008) et Dodier (2013) ont montré la diversité des pratiques de mobilité et des formes d’ancrage dans le périurbain à travers une série d’archétypes qui ne se limitent pas à la seule figure du « navetteur » décrite par Baccaïni (1997). Accompagnant une lecture de la « société périurbaine » dans son ensemble, d’autres travaux ont mis en évidence la nécessaire cohabitation entre populations traditionnelles et « néo » (Guérin et Gumuchian, 1979 ; Bonnin-Oliviera, 2008) en insistant sur la diversité des populations en présence dans ce type d’espace et la refonte de la ruralité. C’est dans cette logique que s’inscrit notre étude, visant à développer une réflexion autour de figures combinant mobilité résidentielle et mobilité quotidienne pour décrire les modes d’habiter d’un espace périurbain nantais en phase de maturité (Berger et al., 2014), en combinant approches qualitative et quantitative.
Nous tentons d’inscrire notre contribution dans une appréhension systémique et diversifiée des modes d’habiter, en apportant trois éléments souvent analysés de manière séparée : une mise en relation de la mobilité quotidienne avec les trajectoires résidentielles ; une association entre méthodes qualitative (carnet de bord) et quantitative (analyse factorielle) ; une réflexion sur la spécificité du terrain d’étude, afin de développer une analyse plus contextuelle du fait périurbain.
L’étude pose la question des liens entre parcours résidentiels et mobilité quotidienne en intégrant la diversité des mobilités et des modes d’habiter. L’enjeu est d’examiner les relations complexes entre ces deux formes de mobilité le plus souvent analysées séparément dans la littérature, au-delà de l’opposition classique entre ancrage et mobilité. À la suite d’un certain constat d’une « société à individus mobiles » (Stock, 2005), nous pouvons affirmer, avec d’autres, que mobilité et ancrage sont difficiles à dissocier (Ortar, 2005 ; Brevet, 2009). L’ancrage, entendu comme « formes multiples, statiques ou dynamiques, de la fixation, aux différentes échelles temporelles et spatiales, dans des lieux donnés » (Feildel et Martouzet, 2012), peut ainsi être décelé tout autant dans une mobilité restreinte qu’à travers des pratiques de mobilité accrues lorsque la distance des lieux d’attache augmente et que la mobilité permet d’actualiser les ancrages passés ou hérités (Kaufmann, 2008). C’est en ce sens que la trajectoire résidentielle d’un individu peut être explicative de sa territorialité contemporaine et qu’il nous semble important de croiser les deux aspects dans l’analyse.
Si, à l’appui de certains travaux (Cailly, 2004 ; Dodier, 2009), nous faisons le constat que la trajectoire résidentielle oriente en partie les formes de la mobilité quotidienne, notre recherche montre que cette relation n’est pas exclusive, car d’autres plans de clivage apparaissent et différencient, à trajectoire identique, les mobilités quotidiennes. La combinaison des parcours résidentiels et pratiques quotidiennes nous conduit par ailleurs à proposer une typologie synthétique inédite qui donne à voir la diversité des ancrages métropolitains dans la périphérie d’une ville moyenne française. Autre point saillant : dans notre enquête, les périurbains ne sont pas seulement des ex-urbains, comme la littérature scientifique le décrit trop souvent : ils peuvent avoir migré d’un périurbain à un autre, ou être rattrapés par l’urbanisation du territoire rural dans lequel ils ont vécu leur enfance (Jousseaume et Croix, 2002 ; Jousseaume et Madoré, 2008). Trop peu de travaux ont été menés sur ces « natifs » du rural périurbanisé. Or, dans la région nantaise, les campagnes ont toujours été vivantes et densément habitées : la périurbanisation doit autant y être appréhendée comme la métamorphose d’une société rurale locale que comme l’adaptation et l’ancrage progressif de populations exogènes. Ce contexte singulier et bel et bien hybride renforce l’intérêt de replacer les trajectoires résidentielles au centre d’une analyse qui relie la question du changement sociospatial à celle des modes d’habiter.
Le contexte du Pays du Vignoble nantais
Notre étude s’inscrit dans le Pays du Vignoble nantais, au sud-est de Nantes (unité urbaine INSEE de 600 000 habitants) (figure 1).
Le Vignoble nantais tient son unité de la présence de la vigne sur les coteaux et du maraîchage dans la vallée de la Loire. Ces activités agricoles spécialisées ont généré très précocement une société d’agriculteurs aisés, à l’esprit mercantile, un paysage ouvert, un habitat de gros bourgs et de hameaux. Les densités y étaient importantes. Ainsi en 1968, avant que ne commence le mouvement périurbain, les communes maraîchères au nord, La Chapelle Basse-Mer et Saint-Julien-de-Concelles, comptaient 2700 et 3800 habitants, pour une densité rurale de 120 hab. / km2. Parmi les communes viticoles, Vallet comptait 4600 habitants pour une densité de 78 hab. / km2 et Saint-Fiacre 650 habitants et 109 hab. / km2. Enfin, aux marges sud, Vieillevigne, ne pratiquant ni viticulture ni maraîchage, éloignée de tout pôle urbain important, mais bénéficiant de la présence d’usines rurales, comptait en 1968 presque 3000 habitants pour une densité rurale de 58 hab. / km2. Elle est comparable à La Boissière-du-Doré qui, dans la même situation, comptait 520 habitants pour une densité de 56 hab. / km2. Bien que fondatrice des agricultures spécialisées, l’influence nantaise est restée modeste sur les plans social ou culturel avant 1974, année de la construction du pont de Bellevue, qui relie le Vignoble à Nantes. Cette année marque aussi l’amorce du tournant entre l’économie industrielle fordiste et la nouvelle économie de la connaissance.
En contexte fordiste, jusqu’aux années 1970, le Vignoble nantais s’intégrait pleinement à la nébuleuse d’industrialisation rurale de la « Vendée choletaise » (figure 1) (Chauvet, 1987). La Vendée choletaise forme ce qu’on appelle un système productif localisé, avec des usines de chaussures (Eram, Gep, Bopy, etc.) ; d’habillement (Catimini, IKKS, etc.) ; d’agroalimentaire (Fleury-Michon, Maître Coq, La Boulangère, etc.) ; de construction, notamment navale (Janneau, Béneteau) ; de bois ; etc. Le Vignoble nantais a activement participé, pendant la Révolution française, au soulèvement contrerévolutionnaire appelé les guerres de Vendée, à la fois révélatrices et fédératrices de cette vaste région frontalière entre Bretagne, Anjou et Poitou (Margetic et al., 2014 : 65). Longtemps opposées à la ville, ces campagnes ont instauré une voie de développement originale par l’industrialisation endogène pour tenter de vivre et travailler au pays, confortant le maintien d’une société rurale nombreuse, dense et diversifiée (Renard, 1976).
La mutation macroéconomique de la société industrielle vers notre économie actuelle se traduit, à partir du milieu des années 1970, par la crise de l’industrie rurale choletaise. La nébuleuse choletaise se rétracte sur les Mauges et le Haut-Bocage vendéen et abandonne le territoire de la Loire-Atlantique. En revanche, Nantes, après une phase de déclin industriel, connaît à partir des années 1990 une tertiarisation de son économie.
L’essor spectaculaire de la métropole nantaise fait alors définitivement entrer le Vignoble nantais dans le giron de la ville. Le mouvement de périurbanisation, longtemps limité par la barrière de la Loire, s’amorce à la fin des années 1970 et s’étend progressivement aux communes du Vignoble nantais. Contrairement au modèle classique, où la périurbanisation vient mettre fin à la déprise rurale, elle conforte ici un dynamisme démographique et économique endogène (Jousseaume et Croix, 2002).
Lors de la première poussée périurbaine, entre 1977 et 1984, ces nouveaux habitants étaient nommés « les survenus » par les populations locales, rurales et enracinées, pour qui l’appartenance familiale était le fondement de l’identification et de la reconnaissance d’un individu. Le « survenu » est celui dont on ignore l’origine familiale. Trente ans plus tard, au moment de la seconde grande poussée périurbaine comprise entre 1997 et 2008, ce terme n’est plus utilisé. Premièrement, les jeunes générations autochtones se sont banalisées dans la société française : l’identification de l’individu par son groupe lignager n’existe plus. Deuxièmement, le volume de la population agricole, qui restait extrêmement élevé dans les années 1980 du fait de secteurs agricoles demandant une main-d’oeuvre pléthorique, s’est effondré en raison de l’extraordinaire mécanisation tant du maraîchage que de la viticulture. Les jeunes générations autochtones se sont donc orientées vers des activités salariées en lien plus étroit avec la métropole voisine et en tous points identiques aux métiers des nouveaux habitants. Troisièmement, les nouveaux habitants étaient pratiquement tous originaires de la région, car le Grand Ouest français fut longtemps une terre d’exode et a très peu accueilli de nouveaux venus. Ce n’est guère que depuis la fin des années 1990 que l’Ouest attire des populations véritablement exogènes et en particulier venues de la région parisienne (Renard, 2012 ; 2015). La différence entre gens d’ici et gens d’ailleurs, perceptible au milieu des années 1980, s’est peu à peu dissoute au cours des années 2000.
Si, à bien des égards, le territoire du Vignoble peut être qualifié de périurbain, le terme campagne urbaine de Donadieu et Dalla Santa (1998) permet peut-être de mieux intégrer sa réelle singularité, qui tient au fait que les changements sociospatiaux n’y sont pas tant liés aux apports migratoires attribuables à la proximité nantaise qu’aux métamorphoses in situ d’une société rurale aux fortes densités et au dynamisme économique séculaire.
Aujourd’hui, ce territoire comprend 28 communes et 120 000 habitants. La densité est de 152 hab. / km2, organisée en auréoles décroissantes de 200 à 100 hab. / km2 selon la distance de Nantes. Il concentre un nombre important de petites villes et grosses bourgades. Clisson, Vallet, Le Loroux-Bottereau, suivis de Saint-Julien-de-Concelles, La Chapelle Basse-Mer et Haute Goulaine dépassent actuellement 5 000 habitants et forment les principaux pôles de services (figures 2 et 3).
Les tableaux de bord, une source originale
La collecte des données et présentation de l’échantillon
Les résultats présentés sont issus de carnets de bord remplis par les membres de 36 ménages du Vignoble nantais, consignant les déplacements réalisés hors de la maison, sur une semaine complète du mois de mars. La diffusion de cette enquête s’est faite par les réseaux relationnels de quatre personnes (Jousseaume et trois étudiants nantais en géographie habitant le Vignoble). Le carnet de bord est individuel : il indique l’horaire, la distance, le motif du déplacement, le mode de transport et l’itinéraire suivi pour chaque jour. Il comprend aussi des renseignements individuels (le sexe, la profession, le lieu de travail et des indications sur la mobilité résidentielle depuis l’enfance). Chaque carnet de bord est inclus dans un dossier par ménage, portant lui-même des questions sur le nombre de personnes composant le ménage, le niveau de revenu, le parcours résidentiel et les motifs de déménagement, les mobilités exceptionnelles de l’année (vacances, déplacements).
Sur le Vignoble nantais, 18 communes abritent un ménage de l’enquête (figure 4). Parmi les 36 ménages qui se sont prêtés à l’enquête, on compte 22 couples avec enfants, 4 familles monoparentales portées par une femme, 6 couples sans enfant à charge dont 4 comptent un retraité, 4 célibataires. Nous avons exploité ici les carnets de bord des 64 personnes âgées de plus de 18 ans. Nous n’avons pas inclus les 51 enfants et jeunes sans mobilité autonome.
Le tableau 1 décrit les 64 personnes observées : 34 femmes et 30 hommes. Huit ont moins de 25 ans, 24 sont des adultes jeunes, 24 ont entre 41 et 54 ans et 8 ont plus de 55 ans. Les deux-tiers de ces personnes vivent dans un hameau. Il est important de rappeler ici que le Vignoble se caractérise par des communes de 10 à 45 km2 et un habitat dispersé. Les emplois ont été libellés de façon très hétérogène et sont parfois même absents ; c’est pourquoi les données relatives aux catégories socioprofessionnelles sont peu exploitables. Présents sur le marché du travail, on observe un viticulteur, un couple d’éleveurs et viticulteurs, une ouvrière du maraîchage. Cinq personnes travaillent à leur compte, depuis le gérant de société à la professeure de yoga. Quatre personnes enseignent au primaire ou au secondaire, plus deux au niveau supérieur, trois femmes travaillent également dans la sphère de l’éducation. On compte un aide-soignant, une femme de ménage, des employés, des commerçants, un libraire, un géomètre, un ingénieur hydraulicien, etc.
La question de l’activité dans le couple nous paraissant importante, nous avons tout de même relevé que 45 individus sont actifs, 4 inactifs, 8 retraités, 7 en formation. Vingt-deux sont dans des couples bis-actifs. On compte trois couples de retraités, un couple comptant un membre actif et un retraité. Au sein de trois couples, seul l’homme travaille, et huit autres ménages sont portés par un adulte seul. Enfin, sept personnes sont en situation de formation, dont deux femmes en couple avec un conjoint actif ; les autres sont des étudiants vivant chez leurs parents.
Le revenu par adulte a été estimé en divisant le revenu du ménage par le nombre d’adultes du ménage. Le revenu des étudiants a été traité dans une catégorie “ne sait pas’’ (NSP), à laquelle s’ajoutent les sept ménages n’ayant pas donné cette information, notamment les ménages agricoles. Parmi les adultes ayant fourni l’information, un tiers gagnent moins de 1 500 nets par mois et un quart, plus de 2 000. Entre les deux, 24 sur 41 gagnent entre 1500 et 2000, conformément au salaire net français qui s’élève à 1 730 pour la médiane et 2 154 pour la moyenne (INSEE, 2012).
Les mobilités quotidiennes
Les mobilités du quotidien (tableau 2) indiquent la distance totale parcourue pour aller au travail, la mobilité en semaine et la mobilité du week-end (pouvant parfois impliquer un déplacement pour le travail le samedi). La distance moyenne domicile-travail est importante : 22,1 km. Cela est supérieur à la moyenne départementale (13 km) et celle de Nantes-métropole est de 7 km (EMD, 2007). L’ampleur de ces navettes est caractéristique d’une campagne périurbaine.
Les navettes des hommes (27 km) sont supérieures à celles des femmes (20 km), ce qui est conforme au modèle commun. Toutefois, notre panel compte plusieurs hommes travaillant chez eux (chefs d’entreprise, agriculteurs) alors que certaines femmes occupent des emplois éloignés. L’hétérogénéité des situations est saisissante: 6 personnes travaillent à domicile, 10 à moins de 15 km, 19 entre 15 et 30 km, 13 entre 30 et 45 km, 4 à plus de 45 km. Conformément au schéma établi dans l’enquête PERIURB (Cailly, 2012, dans Dodier et al., 2012 : 97-100), près de la moitié des personnes actives de l’enquête travaillent dans l’agglomération nantaise, 10 dans la commune de Nantes et 14 dans une commune de première couronne où sont localisées les principales zones d’activités. Le Vignoble est donc dépendant du marché du travail nantais, riche et diversifié. Et ces destinations de travail structurent des modes d’habiter tournés vers la métropole.
Néanmoins, l’emploi local, occupé par des résidents, est loin d’être anecdotique : 21 personnes, soit plus de 40 % des individus actifs interrogés, travaillent à l’intérieur du Vignoble. Cette autonomisation relative du marché de l’emploi est à même, nous le verrons, de favoriser l’ancrage local des modes d’habiter.
Une autre dimension concerne 18 personnes actives. Il s’agit des ménages qui se sont localisés dans le Vignoble pour être à « l’entre-deux », ce que nous avons appelé stratégie interterritoriale. En effet, la présence de la Vendée choletaise favorise, dans certains cas, une implantation du travail de l’un des membres du ménage au sud ou à l’est. Le Vignoble nantais se trouve à la conjonction de deux bassins d’emplois et il n’est pas rare que le territoire soit valorisé pour cette position : neuf couples ont une stratégie de localisation de type interterritorial lorsque, par exemple, l’homme travaille aux Herbiers et la femme étudie à Nantes.
À partir de la cartographie de l’ensemble des déplacements quotidiens des 64 adultes étudiés et après une réflexion étayée par la littérature scientifique (Cailly, 2008 ; Dodier, 2009), 5 types de mobilités quotidiennes ont été définis. Vingt-deux personnes développent une mobilité quotidienne « locale », incluse dans le Vignoble nantais. Les « navetteurs » liant seulement leur domicile à l’agglomération nantaise, suivant un schéma binaire et assez épuré, sont au nombre de 17. Six personnes sont des « travailleurs mobiles ». Douze personnes ont une mobilité s’inscrivant à la fois dans un lien avec les communes de première couronne de Nantes et dans une mobilité locale au sein du pays ; nous les avons définies comme « quart périurbain ». Enfin, les sept individus classés « métropolitains » mobilisent des espaces de mobilité larges et diversifiés, intégrant toutes les échelles géographiques.
Sans comparer en détail les types définis dans cette étude avec les résultats de l’enquête PERIURB, nous pouvons néanmoins pointer des grandes tendances. Dans le Pays du Vignoble nantais, les 20 % de « métropolitains » (type à peu près similaire dans sa définition) sont moitié moins nombreux que dans l’enquête PERIURB (Dodier, 2012 et al. : 189). Ainsi, les habitants du Vignoble sont moins mobiles, tous motifs confondus, que la moyenne des périurbains des pays de la Loire. Inversement, le panel comporte davantage d’habitants qui présentent un fort ancrage local (34,4 %), à cheval sur le Vignoble et la première couronne nantaise (18,8 %), ou encore des navetteurs dont la pratique du centre de Nantes est surdéterminée par le travail et relativement « fonctionnelle » (26,6 %). En définitive, on peut considérer que quatre habitants sur cinq présentent un ancrage local de leurs pratiques de déplacement, soit de manière exclusive, soit en complément des pratiques réalisées dans le coeur d’agglomération. Cette spécificité mérite d’être mise en question à l’aune des trajectoires résidentielles.
Les mobilités résidentielles
Les mobilités résidentielles des 64 personnes interrogées sont décrites dans le tableau 3. Fait remarquable, plus des trois cinquièmes sont originaires du Vignoble nantais. Longtemps sous-estimés dans l’analyse de la périurbanisation, les phénomènes d’ancrage au sein du territoire d’origine ou les « retours au pays » ont déjà été identifiés ailleurs. Dans l’aire urbaine de Tours, une enquête récente montre que la part des « natifs » représente un tiers des habitants (Cailly et al., 2016). Dans une enquête plus ancienne portant sur une commune du nord de la région nantaise, Jousseaume et Madoré (2008) avaient établi que les trajectoires d’immobilité ou de retour au pays concernaient la moitié des ménages. La présence de natifs n’est donc pas, en soi, originale ; leur part est toutefois ici très élevée. Ceci est à rapprocher de l’histoire du Vignoble nantais, où le desserrement résidentiel de l’agglomération nantaise s’est surimposé à une population en place très importante. L’intégration du Vignoble dans le giron de l’agglomération nantaise a également favorisé l’enracinement des jeunes adultes qui, après quelques années de vie estudiantine en ville, accèdent à la propriété en maison individuelle à proximité de leur entourage familial, sur les lieux de leur enfance.
Les natifs sont donc particulièrement nombreux au sein de la population du secteur. Il n’existe en France aucune statistique sur l’origine géographique des recensés qui pourrait nous permettre de relativiser notre panel. En effet, on ne peut connaître que le lieu de résidence au recensement précédent, on ne peut connaître ni le lieu de naissance, ni la succession des lieux de résidence, ni leur durée. Douze autres personnes sont de la région nantaise, dix de l’Ouest de la France – souvent « des campagnes » – et quatre sont originaires de la région parisienne. Le Vignoble illustre un modèle résidentiel de l’Ouest marqué par de faibles apports migratoires et des mobilités résidentielles de courtes portées (Dodier et al., 2012).
L’analyse de la résidence antérieure à celle occupée actuellement, révèle l’ampleur des mobilités résidentielles internes au Vignoble. Dix adultes sur 64 n’ont pas bougé de leur commune natale, 15 ont vécu ailleurs dans le Vignoble nantais. En définitive, deux cinquièmes des personnes interrogées présentent des trajectoires résidentielles de proximité constituées de plusieurs étapes qui confirment la vigueur de l’ancrage local sur une base affective, identitaire et / ou familiale. De telles mobilités se retrouvent, par exemple, aux marges de l’agglomération tourangelle (Cailly et al., 2016). Elles expriment une autonomie relative des territoires périurbains, la permanence d’une territorialité rurale vivante et un effet de la « maturation » périurbaine (Berger, 2014). L’objectivation de systèmes résidentiels internes au Pays du Vignoble ne remet pas en cause pour autant la diversité des trajectoires et des lieux d’origine : 24 individus ont vécu précédemment dans la commune de Nantes et 7 autres dans l’agglomération nantaise; enfin, 8 arrivent d’ailleurs. Le Vignoble n’échappe pas à la complexité ; à la fois, il présente une vitalité interne et est alimenté par des arrivées exogènes.
Parmi les motifs d’installation dans la résidence actuelle, 39 personnes sur 64 nomment des éléments liés à leur origine, à la volonté explicite de vivre au sud de la Loire (qui forme dans la région nantaise une frontière paysagère et mentale forte), à des liens familiaux ou affectifs avec le secteur. Cinquante-quatre personnes mettent en valeur des éléments propres à la campagne (campagne elle-même, tranquillité, espace, nature). Paradoxalement, les agriculteurs ne mentionnent pas ces éléments. Vingt-et-une personnes, soit le tiers, font également ressortir la proximité du travail ou des services. Il faut rappeler que les communes du Vignoble nantais comptent entre 900 et 7000 habitants ; la plupart possèdent une offre étoffée de commerces et de services. Enfin, 17 personnes sur 64 parlent explicitement du prix de l’habitat et du foncier, ou encore la difficulté de se loger dans l’agglomération nantaise, pour justifier leur choix résidentiel.
À partir de l’analyse des parcours et de la littérature scientifique, quatre types de mobilité résidentielle ont été définis. Vingt-et-une personnes sont qualifiées d’« immobiles », ayant toujours vécu au sein du Vignoble nantais. Dix-huit personnes sont dites « de retour au pays » après une expérience plus ou moins longue et plus ou moins lointaine dans une ville. Huit ont toujours vécu dans un territoire rural et périurbain, mais en dehors du Vignoble nantais : on les appelle « déjà-périurbains ». Enfin, 17 personnes ayant un parcours résidentiel essentiellement en ville sont qualifiées d’« ex-urbains ». En définitive, la part des habitants « survenus » de culture citadine est très minoritaire (1/4 du panel) et font du Vignoble un territoire d’ancrage et de reproduction d’une culture habitante.
Afin d’observer les liens entre mobilités résidentielles et mobilités quotidiennes, nous avons traité par une analyse factorielle en composantes multiples (AFCM) l’ensemble des variables concernant les 64 individus.
Un traitement par AFCM
Le choix de mener une AFCM est original parmi les travaux, souvent qualitatifs, portant sur les mobilités périurbaines. Par ce choix, nous avions d’abord un objectif exploratoire : utiliser la puissance de calcul statistique pour mettre en exergue des liens de corrélation qui échappaient peut-être à notre appréhension. L’AFCM a rempli cette mission et nous a également permis d’enrichir nos résultats.
Seize variables ont été intégrées à l’analyse. Nous avons choisi de les mesurer à l’échelle individuelle, considérant qu’elles prenaient des valeurs différentes parmi les membres d’un même ménage. Même si la mobilité quotidienne est souvent fonction d’un contexte familial particulier, et une activité qui nécessite une grande coordination entre les membres d’une famille (Bauer, 2007), il nous est tout de même apparu intéressant, puisque nous avions les données, de regarder les modes d’habiter à l’échelle individuelle. Concernant les mobilités quotidiennes, sont inclus la distance du lieu de travail, le nombre de kilomètres parcourus par semaine et le week-end, l’implantation interterritoriale et le type de mobilité quotidienne. Concernant les mobilités résidentielles, sont considérés le temps de résidence actuel, la localisation de l’habitation, les motifs d’installation, la résidence antérieure, l’origine géographique et le type de parcours résidentiel. S’ajoutent à cela des variables de profil des individus : sexe, âge, nombre d’enfants et revenu.
L’axe 1 de l’AFCM (figure 5) oppose « gens d’ici » et « gens d’ailleurs ». [1] Cette opposition représente 37,4 % de l’information contenue dans l’ensemble des variables de l’analyse. D’un côté, l’axe projette l’immobilité résidentielle (origine Vignoble, résidence antérieure dans la même commune) conjointe à une très faible mobilité quotidienne (moins de 100 km par semaine). De l’autre côté, la mobilité résidentielle s’exprime à travers des origines variées (région nantaise, Ouest ou Paris), un parcours résidentiel passé par l’urbain. Ce premier résultat est conforme en partie aux résultats de travaux antérieurs qui montrent l’opposition dans les modes de vie entre autochtones et allochtones. [2]
L’axe 2 (figure 5) oppose la très grande mobilité quotidienne et la mobilité quotidienne plus enracinée : d’un côté de l’axe, le profil du « navetteur » ou du « travailleur mobile » et, de l’autre côté, celui du « quart-périurbain » ou du « local ». Cette opposition représente 10,8 % de l’information contenue dans l’ensemble des variables de l’analyse. Le profil des grands mobiles du quotidien est proche des variables suivantes : moins de 25 ans, dans leur résidence depuis moins de 5 ans, locataires et vivant dans le chef-lieu communal. Il est intéressant de constater que se situent également ici les personnes sans expérience résidentielle urbaine. À l’opposé, la mobilité quotidienne intermédiaire est associée aux variables suivantes : résidence actuelle depuis 5 à 15 ans, 2 et 3 enfants à charge, inactif (on a ici au moins deux femmes en congé parental), une expérience résidentielle urbaine (retour au pays, ex-urbain, venus de Paris), l’importance du prix dans le motif de localisation.
L’axe 3 distingue la mobilité en fonction du revenu (figure 6). Cet axe explique 8,2 % de l’information contenue dans l’ensemble des variables de l’analyse. D’un côté de l’axe 3, les métropolitains sont financièrement à l’aise, plus âgés, sans enfants à charge ; ils sont originaires du secteur, mais ont vécu une expérience urbaine, souvent dans l’agglomération nantaise, parfois ailleurs. De l’autre côté de l’axe 3, la mobilité des navetteurs ou des « quart-périurbains » est associée à un revenu moindre et à un âge autour de 40 ans avec des enfants à charge. L’origine n’influence pas cet axe 3.
Analyse des figures habitantes
Appliquée aux individus, cette AFCM nous permet de dégager quatre figures habitantes (figure 7). Cette diversité met en évidence la cohabitation de populations aux profils variés, tant du point de vue trajectoire que de la mobilité quotidienne. Elle montre également deux systèmes de valeurs que nous choisissons de présenter sous la forme de deux oppositions : d’un côté, l’opposition « enracinés immobiles » versus « survenus mobiles » qui correspond, d’après nous, à la première période du périurbain, largement connue et documentée ; d’un autre côté, une opposition inversée entre « enracinés mobiles » et « survenus en quête de local » qui nous apparaît former un binôme émergent, plus propice à qualifier un périurbain « mature » (Berger et al., 2014).
« Enracinés immobiles » versus « survenus mobiles »
Notre analyse factorielle fait ressortir, en premier lieu, une opposition connue entre deux groupes (figure 5) qui se distinguent aussi bien par leur mobilité résidentielle que par leur mobilité quotidienne : ce sont les « enracinés immobiles » et les « survenus mobiles ». Ce couple oppose, d’un côté, un mode de vie marqué par un enracinement résidentiel (« immobiles ») et un usage des ressources locales (mobilité locale), et de l’autre côté, des résidants allochtones qui ne développent pas ou peu d’ancrages locaux et sont tournés vers le centre urbain pour l’emploi et les activités commerciales et de loisirs. Si cette opposition entre « gens d’ici » et « gens d’ailleurs » a largement été décrite (Lannoy, 1996 ; Bonnin-Oliviera, 2006), notre étude permet de confirmer l’effet de la trajectoire résidentielle sur les pratiques quotidiennes et d’apporter quelques précisions sur la composition de ces figures de périurbains. [3]
La première figure, celle des « enracinés immobiles » est composée de 15 individus appartenant à 9 ménages implantés dans le Vignoble parce qu’ils en sont originaires. Il s’agit de personnes plutôt âgées (3 sur 15 ont moins de 40 ans). Elles sont propriétaires d’une maison implantée, pour les trois quarts, dans un hameau. La particularité de cette classe est qu’elle regroupe une part importante de femmes (10 sur 15). Si tous les agriculteurs interrogés sont dans cette catégorie, on y trouve aussi d’autres profils extrêmement différents : par exemple, une femme professeure de yoga qui mène une vie microcitadine dans la petite ville dont elle est originaire. Le choix d’habiter sur ce territoire est dû à l’origine familiale : tous les individus de ce groupe sont nés dans le Pays du Vignoble. Ils ont tous un parcours résidentiel très local.
La mobilité quotidienne des membres de ce groupe est également locale. Leur lieu de travail, quand ils ne sont pas retraités ou inactifs (6 sur 15), est à proximité de leur domicile ; 2 seulement travaillent à plus de 15 km. Dès lors, 6 individus parcourent moins de 100 km par semaine et 5 autres, moins de 200 km. Les personnes qui parcourent plus de 200 km hebdomadaires sont rares et leur situation s’explique par des spécificités de l’activité professionnelle : par exemple, un viticulteur effectuant des livraisons. Les mobilités de loisir sont également réduites, puisque 13 individus sur 15 parcourent moins de 50 km le week-end. En effet, les activités de loisir et les réseaux sociaux et familiaux sont situés essentiellement dans le Pays du Vignoble, confirmant que l’ancrage résidentiel explique dans ce type, par la durée et les habitudes, une forte territorialisation locale des pratiques spatiales.
Ayant un profil diamétralement opposé, la deuxième figure habitante est celle des « survenus mobiles », pour reprendre le terme local attribué dans les années 1970-80 aux nouveaux habitants. Les personnes de ce groupe ont choisi de s’installer dans un territoire périurbain avant tout pour y trouver des aménités nouvelles par rapport à leur implantation d’origine (la ville ou le périurbain nantais). Elles conservent leur emploi et une bonne partie de leurs activités dans un pôle urbain. Ce groupe comporte 12 individus appartenant à 9 ménages. Ses membres développent un mode de vie urbain, avec de nombreuses mobilités quotidiennes et peu d’activités dans le territoire local. Ils ont les caractéristiques d’un groupe « allochtone » qui n’a pas encore développé d’ancrages locaux et qui est arrivé depuis peu sur le territoire du Vignoble.
Ce groupe des « survenus mobiles » est constitué, aux trois quarts, de personnes âgées de moins de 40 ans. Dix sur douze se sont installés depuis moins de cinq ans. Ils appartiennent aux classes moyennes, leur salaire étant compris, pour les trois quarts, entre 1500 € et 2000 €. Ils sont majoritairement propriétaires d’une maison implantée pour moitié dans un bourg et pour moitié dans un hameau. Le motif de leur choix de localisation est « la recherche de la campagne », une proximité de « services » (6 sur 12) mais aussi, curieusement, un lien au secteur (6 sur 12). Le prix est peu cité parmi les motifs (1 sur 12).
Le parcours résidentiel de ces personnes est marqué par une origine extérieure au Vignoble : six sont originaires de la région nantaise, quatre de l’Ouest, ou plus rarement de la région parisienne (2). Leur résidence antérieure se situe à Nantes (6), dans l’agglomération nantaise (2). Cinq sur douze sont des ex-urbains cherchant à s’installer à la campagne, sans en être originaires. Cependant, sept autres sont dits « déjà périurbains » dans le sens où ils ont bien connu ce cadre et ce mode de vie, dans leur parcours résidentiel.
Les mobilités quotidiennes montrent une spécificité chez les « survenus mobiles ». Ceux-ci adoptent en majorité une mobilité de type navetteur (9 sur 12), caractérisée par des déplacements domicile-travail vers l’agglomération et une faible part de déplacements locaux, à l’exception de l’accompagnement des enfants à l’école. La distance du lieu de travail est importante, ce qui a pour effet de limiter les déplacements le reste de la journée. Quatre ont un lieu de travail situé à plus de 15 km et 7, à plus de 30 km. Cinq parcourent plus de 400 km hebdomadaires, 6 autres parcourant plus de 200 km. Les mobilités du week-end sont également importantes : 50 % effectuent des déplacements de loisir de 50 à 200 km. Ces mobilités du week-end sont dues au fait que ces gens retournent en ville en fin de semaine pour y tenir leurs activités de loisir ou visiter de la famille. Un des exemples les plus marqués est celui d’un professeur de musique, originaire de Bretagne ayant, au gré des mutations, vécu dans diverses régions françaises avant d’obtenir un poste à Nantes ; sa vie professionnelle et de loisir se déroule sur la commune de Nantes. Sa compagne, du fait de sa propre vie professionnelle (professeure de musique dans un collège du Vignoble) et de sa prise en charge complète des enfants a une vie sociale beaucoup plus ancrée dans le territoire local et appartient à la figure habitante des « survenus en quête de local » que nous allons décrire ci-après.
« Enracinés mobiles » versus « survenus en quête de local »
Notre AFCM permet d’entrevoir, en deuxième lecture, un autre plan de différenciation (figure 5). En effet, les axes 2 et 3 mettent en valeur qu’une mobilité quotidienne importante peut également apparaître chez des personnes natives du Vignoble, alors qu’une faible mobilité peut caractériser des habitants « survenus ». La détermination première se trouve inversée. Le rapport au territoire, parfois interprété à partir de la mobilité quotidienne exclusivement, se révèle plus complexe qu’il n’y paraît, lorsqu’on y intègre le parcours résidentiel.
La troisième figure groupe les « enracinés mobiles », 23 individus appartenant à 17 ménages. Ceux-là sont en âge d’être actifs (3 seulement ont plus de 55 ans). Leur mobilité quotidienne est caractérisée par d’importantes distances parcourues la semaine : 5 font plus de 400 km et 10 autres, plus de 200 km. Les mobilités du week-end sont en revanche plus locales, 11 sur 23 parcourent moins de 50 km. Leurs types de mobilité quotidienne sont divers : 5 métropolitains, 6 navetteurs, 4 travailleurs mobiles, 3 se mouvant dans un quart périurbain et 5 locaux.
Les revenus sont extrêmement variés au sein de ce groupe qui va de l’ouvrier de maintenance au chef d’entreprise. L’un d’eux, par exemple, est informaticien : il travaille en ligne depuis sa commune de résidence, qui est sa commune de naissance, et il assure des missions régulières au Japon et au Canada. Cet homme développe une mobilité du quotidien élargie, de type métropolitain. Un couple de retraités offre un autre exemple : l’homme était menuisier de formation ; profitant du contexte, il se fit constructeur et vendit des maisons individuelles. La situation sociale avantageuse du couple lui permet une mobilité à toutes les échelles. La plupart des membres de ce groupe sont autant compétents sur le territoire du pays que sur le territoire métropolitain. Ils investissent la mobilité quotidienne comme moyen d’accéder à des ressources nouvelles, d’autant plus qu’ils ont une grande maîtrise du territoire local. Ce type relativement peu décrit dans la littérature scientifique montre que l’origine rurale et l’ancrage résidentiel de longue durée ne compromettent pas nécessairement l’acquisition et le déploiement d’une compétence à être mobile et à investir les ressources tant locales que celles – beaucoup plus larges – offertes par la métropole. Dans ce cas, il faut chercher cette socialisation de la mobilité dans le rapport au travail, mais aussi dans les expériences résidentielles antérieures.
Originaires du Pays du Vignoble, 16 individus sur 23 ont eu un parcours résidentiel qui les a amenés à quitter le secteur avant d’y revenir. Sur 23, plus de la moitié (12) ont vécu dans l’agglomération nantaise. Cette expérience les amène à mettre en avant leur origine pour expliquer leur localisation (15 sur 23), mais aussi le prix (4) et le désir d’habiter à la campagne avec des services à proximité (6).
La quatrième figure habitante est le groupe des « survenus en quête de local ». Elle comporte 14 individus sur les 64 étudiés. Bien qu’ils se soient installés depuis moins de 15 ans dans le Vignoble, après un temps de résidence en ville (Nantes ou Paris), ils développent des réseaux sociaux et des habitudes qui leur permettent de s’ancrer dans le territoire local : 3 ont des mobilités quotidiennes de type local et 6, de type quart périurbain. Cette quête du local peut tenir à une forme de sobriété volontaire qu’ils adoptent dans leur vie quotidienne, en favorisant l’usage de ressources locales et en limitant leurs déplacements, ce qui n’est pas sans rappeler certains traits distinctifs du mouvement néorural. Le cas le plus exemplaire est celui d’une femme originaire de la banlieue parisienne, ethnologue de formation, qui a choisi de venir avec son enfant s’installer « à la campagne », près d’amis. Pour s’insérer localement, elle est devenue correspondante de la presse locale. La rémunération à la pige est modeste, mais cet emploi lui permet de participer à toutes les réunions et activités locales. On peut également souligner le cas inverse d’un ingénieur d’origine rurale en Mayenne, venu dans la région nantaise pour trouver du travail, tout en choisissant une résidence dans un cadre rural, reproduisant les pratiques sociales connues de son enfance, telles que le football et le théâtre amateur, très répandu dans les communes du Vignoble.
Installées majoritairement dans les hameaux (10 sur 14), ces personnes sont actives sur le marché de l’emploi et ont des revenus représentatifs des classes moyennes. Elles sont propriétaires. Leur parcours résidentiel diffère de celui des « survenus », dans le sens où elles ont nettement un profil d’ex-urbains (12 sur 14) avec plusieurs ex-Franciliens (4 sur 14). De même, le lieu de travail diffère du modèle du navetteur puisque les membres de ce groupe des « survenus en quête de local » occupent des emplois en majorité proches (3 seulement à plus de 30 km) et développent dès lors une mobilité quotidienne plus locale. Huit sur quatorze sont des femmes qui occupent un emploi dans le pays. Les déplacements sont modérés : moins de 200 km par semaine pour la moitié et des déplacements le week-end de moins de 50 km pour 8 sur 12. Cependant, contrairement aux « enracinés », cette mobilité locale qui participe à la vitalité des réseaux locaux a une extension plus grande vers la périphérie nantaise. L’ingéniosité de ces personnes réside dans leur capacité à tirer parti à la fois de l’agglomération et des ressources plus locales.
Conclusion : une société périurbaine entre ancrage métropolitain et retour au local ?
La combinaison des mobilités quotidiennes et des mobilités résidentielles dans l’élaboration des figures montre la diversité des modes d’habiter en périurbain, des formes d’ancrage et du sens de la mobilité. Quatre figures principales ont été définies dans cet article, mais elles combinent des histoires personnelles elles-mêmes fort variées. Une véritable mosaïque d’habitants compose la société du Pays du Vignoble. Ces personnes se côtoient-elles ? S’ignorent-elles ? Un travail complémentaire pourrait le préciser.
Les études portant sur le périurbain, très urbano-centrées, ont pu instituer en arrière-plan une hiérarchie des valeurs entre les « survenus » mobiles, d’origine citadine, symboles d’ascension résidentielle et de réussite sociale, et les populations locales, enracinées, moins mobiles, peu étudiées et parfois ringardisées. Notre étude montre que cette représentation dichotomique est discutable parce que la relation entre trajectoires résidentielles et mobilités quotidiennes n’est pas mécanique, mais entre dans un jeu d’intelligibilité complexe.
Si, dans la majorité des cas, une trajectoire résidentielle de l’urbain vers le rural, amorcée en dehors du Vignoble, corrobore une mobilité forte à l’échelle du Grand Nantes et si, par ailleurs, l’ancrage résidentiel au long cours dans le Vignoble est un facteur déterminant de territorialisation des pratiques à l’échelle locale, ce modèle s’inverse pour un nombre significatif de personnes. Ce déphasage entre la trajectoire résidentielle et la forme de la vie quotidienne n’est toutefois qu’apparent car, dans ce dernier cas, si « l’effet de trajectoire » ne détermine pas la forme de l’ancrage stricto sensu, il agit fortement sur les significations sociales accordées à un ancrage type.
Le « local idéalisé » et en grande partie reconstruit du citadin fraîchement arrivé n’est pas véritablement comparable au « local hérité » du natif du Vignoble, lequel procède pour lui d’une construction biographique et d’un ensemble d’habitudes inscrites dans la très longue durée. De la même manière, il n’est pas certain que la métropole du « survenu » qui réactualise ou prolonge, à partir de son nouveau lieu d’habitat, des habitudes urbaines héritées ainsi qu’une représentation positive de l’agglomération nantaise, rejoigne la métropole du natif du Vignoble qui, plus ou moins contraint par un lieu de travail urbain et par une acculturation progressive aux ressources de la métropole, reste fortement ancré (y compris du point de vue identitaire) dans l’espace local du Vignoble. Dans l’élaboration des modes d’habiter, la relation entre parcours résidentiel et mobilité quotidienne est par conséquent très souple et complexe.
La typologie que nous avons proposée amène également à reconsidérer le jeu de la mobilité et de l’immobilité dans la construction des modes d’habiter. Dans le contexte de la modernité ayant prévalu jusqu’au tournant des années 1980, la mobilité est valorisée et l’immobilité, souvent dévalorisée. La mobilité apparaît comme une ressource majeure qui libère de la proximité subie (qui caractérisait la vie d’antan) et permet, plus largement, de s’affranchir du local. Les ressources offertes par la mobilité (voire l’hyper-mobilité) sont valorisées jusqu’à l’injonction.
Dans le contexte « hyper-moderne », certaines tendances persistent dans la survalorisation, voire l’injonction, de la mobilité internationale comme signe de distinction sociale parmi les élites et la jeunesse. Pourtant, dans le même temps, des tendances à la revalorisation des ressources territoriales apparaissent aux échelles locales. Des contre-courants dénoncent ou refusent l’hyper-mobilité et prônent le slow life. Sans être militants, pour diverses raisons, des individus réinvestissent et revalorisent les ressources locales de proximité qui avaient été (ou qu’on croyait avoir été) balayées par la modernité : ainsi en va-t-il des pratiques de consommation locale et des réseaux plus ou moins formels d’approvisionnement alimentaire, de pratiques culturelles, etc. Notre enquête permet d’objectiver, dans un territoire périurbain par ailleurs bien doté en aménités de toutes sortes, ce réinvestissement du local. Si cette tendance s’incarne particulièrement bien dans la figure du « survenu en quête de local », elle se manifeste aussi dans le choix des personnes natives du Vignoble qui souhaitent rester ou revenir dans un « pays » où la singularité historique et la proximité nantaise offrent des perspectives professionnelles et sociales intéressantes.
Ces deux formes de réinvestissement du « local » complètent les constats établis ailleurs. L’ancrage des pratiques dans un territoire périurbain de proximité (le Vignoble nantais) n’apparaît pas ici comme un effet du développement des ressources endogènes lié à la « maturation » d’un territoire initialement peu doté, comme l’analysent Berger et al. (2014) dans l’ouest francilien. Ici, l’ancrage local apparaît davantage comme un « produit composite » impliquant des ménages « natifs » qui pérennisent et réactualisent une vie locale à partir d’un territoire de « ressources » (petites villes, emplois, services, équipements), constitués dans la très longue durée ; et des ménages sans attache, mais soucieux d’investir l’espace local dans l’objectif de construire un mode d’habiter moins dépendant de la métropole nantaise et plus sobre en matière de mobilité.
Ces deux formes d’affirmation de l’espace de proximité n’invalident toutefois pas l’importance des formes d’intégration métropolitaine. En effet, si la métropole échappe aux routines quotidiennes des types les plus « localisés », elle n’est jamais tout à fait absente des représentations et donne lieu, suivant un pas de temps plus lâche, à des pratiques occasionnelles, parfois qualifiées de « quasi-touristiques » (Cailly et al., 2016). Réciproquement, les habitants les plus métropolitains, lorsqu’ils sont natifs du Vignoble et même au-delà, ne sont qu’une minorité à sous-investir l’espace local. Dès lors, les types définis dans cet article nous rappellent tout à la fois la pluralité de la société périurbaine, l’importance des trajectoires dans la constitution de ces types, mais aussi les jeux de couplage subtils entre les formes de circulations urbaines (résidentielles et quotidiennes) et les formes de l’ancrage local, dans un contexte de métropolisation avancée.
Appendices
Notes
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[1]
Lorsque nous affirmons que l’axe 1 oppose « gens d’ici » et « gens d’ailleurs », le lecteur peut observer, à l’extrême gauche de l’axe 1, les origines extraterritoriales (Paris, région nantaise, Ouest) et un temps de résidence de moins de 5 ans et, à l’extrême droite, les origines locales (immobile et Vignoble) et un temps de résidence de + de 25 ans.
-
[2]
Les termes autochtones et allochtones renvoient ici à l’origine de la trajectoire résidentielle. Comme nous l’avons vu plus haut, notre échantillon est composé de 60,9 % de personnes originaires du Pays du Vignoble nantais (autochtones) et de 39,1 % qui n’en sont pas originaires (allochtones).
-
[3]
Dans leurs travaux qualitatifs sur les modes d’habiter périurbains, Rodolphe Dodier et Laurent Cailly ont montré que l’origine rurale et locale d’un habitant se traduisait souvent par un fort repli sur l’espace du logement et par une fréquentation assez intense du village périurbain, surtout si cet habitant en est originaire. Son mode d’habiter s’inscrit dans un espace de proximité défini par sa ou ses résidences antérieures, les lieux de résidence des proches (famille, amis), les habitudes de vie constituées dans la durée. À l’opposé, les habitants d’origine citadine conservent des liens plus étroits avec la ville pour le travail, la consommation et l’accès à diverses ressources auxquelles ils sont accoutumés, mais aussi parce que les relations sociales en ville restent fortes (Cailly et Dodier, 2007 ; Dodier, 2009).
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