Comptes rendus bibliographiques

GRENIER, Benoît et MORISSETTE, Michel (dir.) (2016) Nouveaux regards en histoire seigneuriale au Québec. Québec, Septentrion, 488 p. (IBSN 978-2-89-448849-2)[Record]

  • Francis ROY

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  • Francis ROY
    Département de géomatique, Université Laval, Québec (Canada)

Le régime seigneurial est un témoin historique fort de la présence française dans l’histoire de la colonisation du territoire québécois. Basé sur la tenure féodale alors existante en Europe, le régime seigneurial, adapté aux conditions de la Nouvelle-France, fut à son époque le mode privilégié de concession des terres dans la vallée du Saint-Laurent : de division en lots, d’exploitation du sol par les censitaires et d’organisation spatiale de la colonie. Ayant survécu à la Conquête anglaise de 1759-1760, cette institution foncière coloniale fut abolie légalement en 1854 parce qu’elle imposait, prétendait-on, des contraintes au développement économique, à l’industrialisation, à l’urbanisation et à la création d’une économie libérale basée sur le marché foncier. Mais cette « mise à mort » législative n’a pas terrassé de façon subite le régime seigneurial, qui a finalement survécu plus d’une centaine d’années. C’est sur la base de cette « survivance » (ou plutôt la persistance) du régime seigneurial jusque tard au XXe siècle que l’ouvrage collectif dirigé par Benoît Grenier et Michel Morissette prend toute son originalité. On propose au lecteur de revisiter l’histoire complète du régime seigneurial, qui ne cesse pas en 1854, afin d’en comprendre ou du moins d’en saisir l’actualité. Comme l’écrit en préface l’historien Brian Young, ces « Nouveaux regards » visent à « propulser l’étude du régime seigneurial dans le XXIe siècle ». Ainsi, la publication de ce livre est le résultat palpable d’un colloque portant sur la recherche en histoire seigneuriale, tenu à Sherbrooke le 14 mars 2014 (coïncidant presque jour pour jour avec le 150e anniversaire de la clôture des derniers cadastres seigneuriaux, qui visaient à fixer la valeur des droits seigneuriaux abolis et le montant des indemnités à verser aux seigneurs). En plus de l’introduction et de la postface, l’ouvrage comprend 12 textes produits autant par des chercheurs établis que par de jeunes chercheurs formant la relève. Dans les trois grandes parties du livre, chacune composée de quatre chapitres, les auteurs s’intéressent à tour de rôle aux seigneuries, aux seigneurs et à la ténacité du régime seigneurial après son abolition. Les trois parties témoignent d’une pluralité d’approches et de méthodes, utilisées pour mettre en évidence l’histoire seigneuriale selon différentes perspectives. La première partie aborde la question de la propriété seigneuriale et de ses modes de tenure. Le régime foncier seigneurial implanté en Nouvelle-France visait à favoriser la colonisation et l’exploitation des terres de la vallée du fleuve Saint-Laurent, mais aussi à assurer la défense de la colonie face à d’éventuels agresseurs. Des concessions seigneuriales dans la région du lac Champlain (une zone de conflits) ou d’autres à l’intention de groupes autochtones (les Abénaquis) en témoignent. Il faut en retenir que la tenure seigneuriale en Amérique s’est développée de façon autonome de celle en vigueur en France (découlant de la Coutume de Paris), puisqu’elle s’est adaptée avec souplesse aux conditions locales existantes, développant ses propres règles (notamment en ce qui concerne les pouvoirs et compétences des seigneurs). Après la Conquête, le cadre juridique seigneurial subit une certaine forme d’hybridation avec le droit anglais, entre autres sur la question de la transmission du patrimoine et de la substitution fidéicommissaire. La deuxième partie porte sur les seigneurs, leur statut social et leur diversité. Le cas d’une communauté religieuse (les Ursulines de Québec) et de certains chefs iroquois (seigneurie du Sault-Saint-Louis) et abénaquis (seigneurie de Saint-François) témoignent encore une fois de la nécessité d’adaptation du régime seigneurial pour faire face à certaines conditions locales. Des stratégies de gestion furent mises en oeuvre afin de permettre à une communauté de soeurs cloîtrées de prendre contact avec l’extérieur …